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SOCI 201;T 201; ET POLITIQUE LA VIE DES GROUPESSOCI 201;T 201; ET POLITIQUE LA VIE DES GROUPES Léon Dion (1923-1997) Politologue, département des sciences politiques, Université Laval (1972) SOCIÉTÉ ET POLITIQUE : LA VIE DES GROUPES Tome second DYNAMIQUE DE LA SOCIÉTÉ LIBÉRALE Un document produit ...

SOCI  201;T  201; ET POLITIQUE  LA VIE DES GROUPES
SOCI 201;T 201; ET POLITIQUE LA VIE DES GROUPES Léon Dion (1923-1997) Politologue, département des sciences politiques, Université Laval (1972) SOCIÉTÉ ET POLITIQUE : LA VIE DES GROUPES Tome second DYNAMIQUE DE LA SOCIÉTÉ LIBÉRALE Un document produit en version numérique par Réjeanne Toussaint, ouvrière bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec Page web personnelle. Courriel: rtoussaint@aei.ca Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales" Site web: Une bibliothèque fondée et dirigée par Jean-Marie Tremblay, sociologue Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 2 Politique d'utilisation de la bibliothèque des Classiques Toute reproduction et rediffusion de nos fichiers est interdite, même avec la mention de leur provenance, sans l’autorisation formelle, écrite, du fondateur des Classiques des sciences sociales, Jean-Marie Tremblay, sociologue. Les fichiers des Classiques des sciences sociales ne peuvent sans autorisation formelle: - être hébergés (en fichier ou page web, en totalité ou en partie) sur un serveur autre que celui des Classiques. - servir de base de travail à un autre fichier modifié ensuite par tout autre moyen (couleur, police, mise en page, extraits, support, etc...), Les fichiers (.html, .doc, .pdf., .rtf, .jpg, .gif) disponibles sur le site Les Classiques des sciences sociales sont la propriété des Classiques des sciences sociales, un organisme à but non lucratif composé exclusivement de bénévoles. Ils sont disponibles pour une utilisation intellectuelle et personnelle et, en aucun cas, commerciale. Toute utilisation à des fins commerciales des fichiers sur ce site est strictement interdite et toute rediffusion est également strictement interdite. L'accès à notre travail est libre et gratuit à tous les utilisateurs. C'est notre mission. Jean-Marie Tremblay, sociologue Fondateur et Président-directeur général, LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 3 Cette édition électronique a été réalisée par Réjeanne Toussaint, bénévole, Courriel: rtoussaint@aei.ca Léon Dion, SOCIÉTÉ ET POLITIQUE : LA VIE DES GROUPES. TOME SECOND. DYNAMIQUE DE LA SOCIÉTÉ LIBÉRALE. Québec : Les Presses de l’Université Laval, 1972, 616 pp. Collection : droit, science politique, no 4. [Autorisation formelle accordée, le 30 mars 2005, par Mme Denise Dion, épouse de feu M. Léon Dion, propriétaire des droits d'auteur des œuvres de M. Léon Dion, de diffuser la totalité des œuvres de M. Léon Dion, politologue.] Polices de caractères utilisée : Pour le texte: Times New Roman, 12 points. Pour les citations : Times New Roman 12 points. Pour les notes de bas de page : Times New Roman, 12 points. Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2008 pour Macintosh. Mise en page sur papier format : LETTRE (US letter), 8.5’’ x 11’’) Édition complétée le 7 septembre 2009 à Chicoutimi, Ville de Saguenay, province de Québec. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 4 Léon Dion (1972) Société et politique : la vie des groupes. Tome second. Dynamique de la société libérale. Québec : Les Presses de l’Université Laval, 1972, 616 pp. Collection : droit, science politique, no 4. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 5 Cet ouvrage est publié grâce à une subvention accordée par le Conseil canadien de Recherche en sciences sociales et provenant de fonds fournis par le Conseil des arts du Canada. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 6 Table des matières Liste des schémas (tome II) Liste des tableaux (tome II) Index cumulatif des auteurs (tomes I et II) Index cumulatif des sujets (tomes I et II) Liste des tableaux (tomes I et II) Liste des schémas (tomes I et II) Tome second DYNAMIQUE DE LA SOCIÉTÉ LIBÉRALE Introduction générale: Notions d’accès TROISIÈME PARTIE GROUPES D’INTÉRÊT ET MÉCANISMES D’INTERACTIONS SYSTÉMIQUES CHAPITRE I. Groupes et partis I. Articulation des partis au système politique et au système social 1. Partis et systèmes politiques 2. Partis et systèmes sociaux II. Interrelations des partis et des groupes d'intérêt 1. Interrelations structurales a) Régime électoral et régime des partis b) Organisation des partis c) Partis et idéologies 2. Interrelations fonctionnelles a) Activité électorale b) Activité gouvernementale c) Activité médiatrice d) Agrégation et articulation Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 7 3. Modalités d'interrelations a) Typologie des rapports b) Accessibilité des partis c) Influence sur les partis Ill. Tendances évolutives 1. Appartenance aux partis 2. Partis et formation des opinions 3. La crise des partis CHAPITRE II. Groupes et politique consultative I. Politique consultative et composantes internes du système politique 1. Formes de la politique consultative 2. Composantes internes du système politique et consultation a) Consultation et Assemblées législatives b) Consultation et administration c) Consultation et gouvernement 3. Représentations contradictoires de la politique consultative II. Conseils consultatifs, partis et groupes d'intérêt 1. Consultation et partis 2. Consultation et groupes d'intérêt III. Statut de la politique consultative dans les sociétés libérales 1. Consultation et corporatisme 2. Consultation et représentation 3. Consultation, ? intérêt privé ? et ? intérêt public ? 4. Consultation et décision CHAPITRE III. Groupes et ? media ? de communication I. Media de communication et société II. Media de communication et opinions III. Media de communication et information IV. Tendances évolutives Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 8 QUATRIÈME PARTIE À LA RECHERCHE D'UNE INFLUENCE CHAPITRE I. Groupes et composantes du système politique I. Importance des composantes du système politique pour les groupes d'intérêt II. Points d'application de la pression des groupes d'intérêt III. Relations interpersonnelles IV. Contribution des groupes d'intérêt au processus politique V. Mécanismes d'interactions et crise de la société libérale CHAPITRE II. Modes et moyens d'action I. Nature des modes d'action II. Modes d'action et processus socio-politiques CHAPITRE III. La participation politique I. Dimensions de la participation 1. Les angles d'analyse a) La dimension personnelle b) La dimension organisationnelle 2. Les appartenances a) Données relatives aux associations volontaires b) Associations volontaires et participation politique II. Les facteurs de participation politique 1. Les dispositions personnelles 2. Les facteurs structurels a) Palier écologique b) Palier démographique c) Palier technologique d) Palier économique e) Palier de la stratification sociale f) Palier culturel g) Les niveaux du système politique Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 9 3. Participation et groupes III. Degrés de la participation 1. L'engagement 2. L'apathie a) L'anomie b) L'aliénation c) La dépolitisation 3. La contestation 4. Stimuli de la participation a) L'information b) L'animation IV. Participation politique et sociétés postindustrielles 1. Les âges de la participation 2. Les conditions de la participation a) Tendances vers un nouvel assujettissement b) Vers l'autodétermination 3. Voies de réforme a) Le plan des structures b) Le plan des valeurs CHAPITRE IV. Mesure de l'influence I. Composantes de l'influence politique 1. L'autorité 2. Le prestige 3. Le pouvoir II. Influence et processus de décision III. Distribution de l'influence 1. Élites et influence 2. Groupes d'intérêt et influence Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 10 a) Le poids des groupes d'intérêt b) Les contrepoids aux groupes d'intérêt c) Interaction et influence Conclusion. Groupes et intégration politique CONCLUSION DU DEUXIÈME TOME : La crise de la société libérale Bibliographie classifiée des ouvrages cités Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 11 Liste des schémas TOME II Retour à la table des matières Schéma no 1. Dynamique des interactions du système social et du système politique (Schéma applicable à une société libérale) Schéma no 2. Interactions des partis avec leur environnement Schéma no 3. Modalités des interrelations des groupes et des partis Schéma no 4. Interrelations des conseils consultatifs avec leur environnement Schéma no 5. Interactions des ? media ? de communication avec leur environnement Schéma no 6. Sources de déformation de l'information dans un circuit de communication Schéma no 7. Conception du fonctionnement des ? télémedia ? comme instruments de masses Schéma no 8. Conception du fonctionnement des ? télémedia ? comme agents des structures sociales Schéma no 9. L'influence dans un processus d'interaction Schéma no 10. Paradigme de la participation Schéma no 11. La double dynamique vers l'autodétermination politique Schéma no 12. Structures de l'influence dans une société libérale Schéma no 13. L’exercice de l’influence et la capacité d’influence au sein des diverses strates. Schéma 14. Dynamique de l’intégration politique Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 12 Liste des tableaux TOME II Retour à la table des matières Tableau 1. Répartition des suffrages selon les partis pour cinq catégories socio- professionnelles lors de l'élection britannique de 1951 (en pourcentage) Tableau 2 Répartition des suffrages selon les partis pour quatre catégories socio-professionnelles lors des élections d'après-guerre en Grande- Bretagne Tableau 3. Différences dans la tendance à voter pour le parti démocrate entre les membres de groupes et les non-membres (en pourcentage) Tableau 4. Proportion des électeurs démocrates fortement ou faiblement identifiés à leur groupe (en pourcentage) Tableau 5. Modes de consultation dans une société libérale Tableau 6. Prédicats de la participation Tableau 7. Appartenance aux associations volontaires par pays Tableau 8. Proportion des répondants appartenant à une ou plusieurs organisations, par pays Tableau 9. Répondants appartenant à une ou plusieurs associations (Bermington, Vermont) Tableau 10. Répondants appartenant à une ou plusieurs associations (États-Unis) Tableau 11. Répondants qui estiment que leur association s'intéresse aux questions politiques, selon les pays Tableau 12. Participation des adultes américains aux activités politiques Tableau 13. Participants aux discussions politiques (dans cinq pays) Tableau 14. Nombre d'appartenances aux associations volontaires et degré de participation politique Tableau 15. Intérêt pour les questions politiques chez les membres et chez les non-membres d'associations (États-Unis) Tableau 16. Intérêt pour les questions politiques chez les membres et chez les Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 13 non-membres d'associations (Denver, Colorado) Tableau 17. Appartenance à des associations volontaires selon l'instruction (dans cinq pays) Tableau 18. Proportions d'appartenances à des associations Tableau 19. Membres d'associations ayant occupé un poste de direction selon l'instruction (dans cinq pays) Tableau 20. Appartenances aux associations volontaires en fonction de l'importance de l'agglomération Tableau 21. Répondants membres d'associations volontaires selon les sexes (pour cinq pays) Tableau 22. Hommes et femmes dans divers rôles politiques Tableau 23. Vues des hommes et des femmes à l'égard de la convenance de certaines activités pour les sexes (en pourcentage) Tableau 24. Interpénétration des régimes de castes et de classes chez les Noirs du Sud des États-Unis Tableau 25. Appartenances aux associations volontaires selon les catégories d'associations et selon la langue maternelle (Canada) Tableau 26. Profession du chef de famille en regard du nombre d'appartenances Tableau 27. Appartenances des adultes aux associations selon la profession Tableau 28. Appartenances aux associations volontaires selon le revenu Tableau 29. Appartenance à la League of Women Voters of the United States, selon le revenu Tableau 30. Participation de 200 familles à diverses activités avant et après le chômage Tableau 31. Appartenance des familles aux associations volontaires selon la classe sociale (Jonesville) Tableau 32. Proportion de membres et de dirigeants dans les associations selon les catégories sociales (Squirebridge) Tableau 33. Proportion de ceux qui estiment que le citoyen devrait être actif dans les activités communautaires, selon les strates sociales et pour cinq pays Tableau 34. Usage de divers ? media ? pendant les campagnes présidentielles de 1952 et de 1956 aux États-Unis Tableau 35. Source d'où les adultes américains ont tiré le plus d'information politique au cours des campagnes présidentielles de 1952 et de 1956 Tableau 36. Degré d'activité politique des individus selon diverses variables de Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 14 participation (États-Unis) Tableau 37. Population adulte américaine en fonction de l'intensité des convictions politiques Tableau 38. Niveaux de conceptualisation Tableau 39. Rapports entre l'échelle d'efficacité politique et le degré de participation Tableau 40. Rapport de la quantité d'information politique avec la présence du groupe en tant que groupe dans la conscience d'un individu Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 15 Société et politique : la vie des groupes. Tome second: Dynamique de la société libérale (1972) INDEX CUMULATIF DES AUTEURS (tomes I et II) Retour à la table des matières ABERBACH, Joel D., II ANGELO, Douglas, II BAILEY, Stephen ABERNATHY, Glenn, I APTER, David E., I ; II Kemp, I, II ABRAMS, Mark, II ARCHIBALD, Kathleen, BAKKE, E. Wight, II ABRAMS, Philip, I II BALANDIER, Georges, ABRAMSON, Paul R., ARENSBERG, Conrad II II M., II BANFIELD, Edward C., ADLER, Max, II ARGYRIS, Chris., II I, II ADRIAN, Charles R., II Aristote, I BANKS, J., II AGGER, Robert E., I, II ARMYTAGE, W. H. G., BARAKAT, Halin, II AKE, Claude, I ; II II BARBER, Bernard, II ALEXROD, Morris, II ARON, Raymond, I ; II. BARBER, James David, ALEXROD, Robert, II ARORA, Satish K., II I, II ALFORD, Robert R., II ASHBY, W. Ross, II BARBOUR, F., II ALGER, Horatio, I Association BARKER, Anthony, II ALINSKI, Saul D., II Internationale de BARKER, Lucius J., II ALLARDT, Erik, I Science Politique, I BARREA, Jean, Il ALLCOCK, J. B., I Attlee, Clement, II BAUER, Raymond A., I, ALLPORT, Gordon W., AUMONT, Michèle, II II I ; II. BAUMAN, Zygmunt, I ALMOND, Gabriel A. B BAY, Christian, I ALTHUSSER, Louis, I ; BEAN, Walton, II II. BABCHUK, Nicholas, I, BEAUVOIR, Simonde American Farm Bureau, II DE, I II BACHMANN, Gerald BECK, Carl, Il American Institute of G., I BEER, Samuel H., I, II Public Opinion BACHRACH, Peter, II BELL, Daniel, I, II (A.I.P.O.), BAER, Michael A., II BELL, Wendell, II AMRINE, Michael, II BELLLEVILLE, P., I Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 16 BENDIX, Reinhard, I, II BLUMLER, Jay G., II BUCHEZ, Philippe-BENNETT, Stephen E., BOCK, Edwin A., I, II Joseph, I II BODIGUEL, Jean-Luc, BUCK, Philip W., I, II BENTHAM, Jeremy, I I, II BUNZEL, John H., II II BOGGS, J., II BURDICK, Eugene, II BENTLEY, Arthur F., I BOISDÉ, Raymond, II BURGESS, Eugene W., BERELSON, Bernard, I, BONE, Hugh A., II II II BONHAM, John, II BURKE, Edmund, I BERGER, Gaston, II BONJEAN, Charles M., BURNS, James BERGERON, Gérard, I, II McGregor, I, II II BOOTH, Alan, I, II BUSHEE, F. A., I, II BERMAN, Daniel, II BOOTH, Arch W., II BUTLER, David, I, II BERNARD, Stéphane, BORGÈSE, G. A., I BUTT, R., II II BORNE, Étienne, II BERNOUX, P., Il BORNFRIEND, Arnold C BERNS, Walter, I, II J., II BERNSTEIN, Marven BOTTOMORE, Thomas Cahiers de la F. N. S. P., H., I, II B., I, II II BERRIEN, F. Kenneth, BOURRICAUD, CAIN, Leonard, I, II II François, I, II CALLOW, Alexander B. BERRINGTON, H. B., I, BOWEN, Don R., II Jr., II II BRAMSON, Leon, I CALVEZ, Jean-Yves, II BETTELHEIM, Bruno, BRANDIES, Louis D., I CAMPBELL, Alan K., I, II BRAUNTHAL, Gerard, II BETTELHEIM, Charles, I, II CAMPBELL, Angus, I, I BRIBANTI, Bernard E., II BIDDLE, W. ; I I CAMPBELL, Peter, I BILLOW-GRAND, BRIM, Orville G., I Canadian Almanac and Françoise, I BRODBECK, A., II Directory, I BINKLEY, Wilfred E., BROGAN, D. W., II Canadian Public II BROMLEY, David, I, II Administration, II BIRCH, A. H., I, II BROOKOVER, Wilbur CANAVAN, Francis, I Bismarck, Il B., II CANNON, McKay, I BLAIS, André, II BROWN, Bernard E., I, CANNON, Mark W., I, BLAISDELL, Donald II II C., I, II BROWN, Michael, II CANTRIL, Hadley, I BLALOCK, H. M., II BRUCK, H. W., II CAREY, James R., II BLAU, Peter, II BRYCE, James, I, II CAREY, William L., II BLISHEN, B., I, II BRYCE, Lord, II CARNEGIE, Andrew, I, BLOCH-LAÎNÉ, BUCHANAN, James M., II François, I, II I, II CARPER, Edith T., I, II BLONDEL, Jean, I, II BUCHANAN, Williams, CARR, Robert K., I BLUHM, William T., I I, II CARROLL, Wallace, II BLUMBERG, Leonard CARTWRIGHT, D., I, U., II II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 17 CASSINELLI, C. W., II CLIFFORD-COURTNEY, John C., CASSIRER, Ernst, I VAUGHAN, II CASTLES, Francis G., I Micheline, II Cox, Richard H., II CELLER, Emmanuel, II CLOWARD, Richard A., CRAGG, J. R., II Centre national des II CRANE, Wilder W. Jr., Dirigeants CLUB JEAN MOULIN, I d'entreprise, II LE, I, II CRAWFORD, Julian CHABASSEL, David J., CNUDDE, Charles F., I Messner, II II COLT, C. D. H., I CRICK, Bernard, I CHALUMEAU. Jean-COLEMAN, James, I, II CRITTENDEN, John, II Luc, II COLLINGE, F. B., II CROIZAT, Maurice, II CHANDERNAGOR, COMFAU, Paul-André, CROLY, Robert, I André, II II CRONIN, Thomas E., II CHAPELL, D., I Comité de la révision de CROPSEY, Joseph, I CHAPMAN, John W., I la carte électorale de CROSS, J. R., II CHARLES ler, II la Province de CROSSMAN, R. H. S., CHARLOT, Jean, I, II Québec, I II CHARLOT, M., I, II Comité Watson, I CROTTY, William J., I, CHAZEL, François, II Commission d'enquête II CHENOT, B., II sur le bilinguisme et CROWELL, T. Y., II CIIERINGTON, Paul le biculturalisme CROZIER, Michel, I, II W., II (Groupe de CURTIS, Michael, II CHESTER, Edward C., recherches sociales), CZUDNOWSKI, Moshe II I M., I CHILDS, Harwood L., Commission d'enquête II sur les D CHOMBART DE communications, II LAUWE, Marie-COMMONS, John R., I DABIN, Jean, I Josée, II Compagnie des jeunes DAHL, Robert A., I, II CHRISTENSON, Reo Canadiens, II DAHRENDORF, Ralf, I, M., II COMTE, Auguste, I, II II Chronique sociale de CONDORCET, Antoine DANDT, H., I France, II C., II DANTON, Georges-CHURCHILL, Winston, CONNOLLY, William Jacques, II II E., I, II D'ANTONIO, William CLARK, Peter B., I, II Conseil régional de V., II CLARK, S. D., II développement, II DAVENPORT, Russell CLARK, Wesley C., II Conseil supérieur de W., I CLAUSEN, John A., I l'éducation, II DAVIS, Harold T., II CLEVELAND, Alfred CONVERSE, Philip E., DAWSON, Richard E., S., I, II I, II II CLEVELAND, Harlan, COOK, Terrence E., II DEAKIN, James, II I, II CORBEL, P., II DEARING, Mary R., II COSER, Lewis A., I DEBATISSE, Michel, I DEBUYST, F., II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 18 De Gaulle, Charles, I, II DUVERGER, Maurice, EULAU, Heinz, I, II DE GRAZIA, Alfred, II I, II EVAN, William M., II DE GRAZIA, Sebastian, DYKE, Vernon VAN, I II DYSON, James W., II F JOUVENEL, Bertrand DU, II E FAGEN, Richard R., II DEMONGUE, Marcel, FANON, Franz, II II EASTON, David, I, II FARKAS, Suzanne, II DENNEY, Renel, II ECKSTEIN, Harry, I, II FARRELLY, David G., DENNIS, Jack, I EDELMAN, Murray, I, I DESCHEN, Donald, I II FARRIS, Charles D., I, DEUTSCH, Karl W., I EDINGER, Lewis J., I, II DEVITT, James L., II II FAUVET, Jacques, I DEXTER, Lewis A., I, EDWARDS, John N., I FAVIS, Robert E. L., I II EHRLICH, Howard J., Federalist, The. I DICK, Harry R., II II FELDMAN, Julian, II DION, Léon, I, II EHRLICH, Stanislaw, I, FELLMAN, David, I Di PALMA, Giuseppe, II FENNO, Richard F., II II EHRMANN, Henry W., FERGUSON, Leroy C., DITTES, A., I I, II I, II DIXON, Robert G. Jr., I EICHENBERGER, J. Y., FEUERBACH, Ludwig, DJIIAS, Milovan, I II I DJORDJEVIC, Jovan, I Eisenhower, Dwight FIGGIS, John N., I DODGE, Richard W., II David, II FINER, Herman, II DOGAN, Mattei, I EISENSTADT, S. N., I FINER, S. E., I, II DOMENACH, Jean-ELDERSVELD, Samuel FINKLE, Jason L., I Marie, II J., I, II FINISTER, Ada W., II DONAHUE, G. A., II ELKIN, Frederick, I FINLETTER, Thomas DOUGLAS, Jack D,, II ELLUL, Jacques, I, II K., II DOUGLAS, J. W. E., II ELSNER, Henry Jr., II FINN, David, II DOUVAN, Elizabeth, II EMERY, F., II FLASH, E. S., II DOWLING, R. E., I ENGELMANN, FLATHMAN, Richard DOWNS, Anthony, I Frederick C., I, II E., I DRAGO, Roland, I, II EPSTEIN, Leon D., I, II FOLLIET, J., II DREYER, Edward C., I, ERICKSON, Eugene C., FORCE, H. T., II II II Fortune Magazine, I DRUCKER, Peter F., II ERIKSON, Erik H., I, II FOSKET, J. M., II DUGUIT, Léon, I ERNST, Morris L., I, II FOSTER, William C., II DUMAZEDIER, Joffre, ESSIEN-UDOM, E. U., FOUGEYROLLAS, I, II II Pierre, II DUMONT, Fernand, I ESTRANGIN, Louis, I, FOURIER, Charles, I DUPEUX, Georges, II II FRANKEL, S. F., I, II DURKHEIM, Émile, I, ETHERINGTON, FRASER, John, II II Edwin D., II FRAZIER, E. Franklin, ETZIONI, Amitai, I, II II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 19 FREE, Lloyd A., I Goebbels, Joseph, II Groupe de recherche FREEDMAN, M., II GOEL, M. Lal., II sociale, II FREEMAN, Howard E., Goethe, Johann Groupe de travail sur II Wolfgang VON, I l'animation, II FREEMAN, Leiper, II GOGUEL, François, I, Groupe de travail sur FREEMAN, Linston C., II l'information II GOLDHAMER, Herbert, gouvernementale, II FRÈRE, Suzanne, I I, II GURBERT, Martin, II FREUND, Julien, I GOLDMAN, Ralph M., GUÉRIN, Daniel, II FRIEDRICH, Carl J., I, I, II GURIN, Gerald, II II GOLDRICH, Daniel, II GURVITCH, Georges, I, FROMAN, Lewis A. Jr., GOLDSCHMIDT, II I Maurel, I GUSFIELD, Joseph R., GOLDSTEIN, M. N., II I, II G Goldwater, Barry, I GUTTSMAN, W. L., I, GOLEMBIEWSKI, II GABLE, Richard W., I, Robert T., I, II II GONARD, Samuel, II H GALBRAITH,John GOODE, William J., I, Kenneth, I, II II HAAS, Ernst B., II GALLAGHER, O. R., I, GORDON, C. Wayne, I HAAS, Michael, II II GOSLIN, David A., II HADWIGER, Don F., II GALLI Georges, II GOULDNER, Alwin W., HAGAN, Charles B., I GALLOWAY, George II HAGERDORN, Robert, B., I, II GOURNAY, Bernard, II I, II GAMSON, William A., GRAND'MAISON, HALE, Myron G., I II Jacques, I, II HALL, Donald R., II GARCEAU, Oliver, I, II GRAZIA, Alfred DE, I, HALLETT, Georges H. GAUDET, Hazel, I, II II Jr., I Gaulle, Charles DE, I, II GRAZIA, Sebastian DE, HALLOWELL, John H., GÉI.INAS, André, I, II II I Georges III , I, II GREENBERG, Stanford HAMON, Léo, I, II GERMANI, Gino, I, II D., II HANSEN, Roger D., II GERMINO, Dante L., I GREENSTEIN, Fred I., HARBINSON, GERTH, H. H., I, II I, II Frederick, II GERTZ, Robert S., II GREER, B., I HARDIN, Charles M., I, GIERKE, Otto VON, I GRFER, Scott, I II GILB, Corinne Lathrop, GRIGG, Charles M., I HARGROVE, Erwin G., I, II GRIMES, C. E., II II GILBERT, Charles E., I GRIMES, Michael, I HARPER, F. V., II GILBERT, Marcel, II GROS, André, II HARRINGTON, James, GILLEN, Ralph L., II CROSS, Bertran M., I, I GLASS, D. V., I, II II HARRIS, Seymour E., GLAZER, Nathan, II GROSSER, Alfred, I II GLEEN, Norval D., I HARRY, Joseph, II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 20 HARTLEY, E. L., II HOFFMAN, David, I, II JACQUES, Roger, I HARVEY, S. K., II HOFFMAN, Paul H., II JAIDE, W., I HARVEY, T. G., II HOLDEN, David E. W., JAMOUS, Haroun, II HATT, P. K., I, II I JANDA, Kenneth F., II HAURION, Maurice, I HOLMES, Oliver W., I JANNE, H., I HAURIOU, V. M., II HOLTZMAN, Abraham, JANOWITZ, Morris, I, HAUSER, Robert M., II II II HAUSKNECHT, HOMANS, George C., I JAVITS, Jacob, I Murray, I, II HOROWITZ, Gad, I JEFFERSON, Thomas, Haut Commissariat à la HOROWITZ, Irving II Jeunesse, I Lewis, II JEHLICK, Paul-J., II HAWLEY, Amos H., I, HORTON, John E., II JENNINGS, Eugene II HUGHES, Delos D., I Emerson, II HAYDEN, Thomas, II HUMPHREY, John H., JENNINGS, M. Kent, I, HAYWARD, J. E. S., I, I II II HUNT, Margaret A., II JESSUP, John K., II : 94 HEAD, Kendra B., II HUTCHINSON, John, JEWELL, Malcolm E., HEARD, Alexander, II II I : 327 HECKSCHER, Gunnar, HYMAN, Herbert H., I Johnson, Lyndon B., I : I, II HYNEMAN, Charles S., 360 HEIDENHEIMER, II JOHNSTONE, John W. Arnold J., II C., II HEILBRONNER, I JONES, W. H. Morris, André, I, II II HEIST, P., II INDIK, Bernard P., II JOUVENEL, Bertrand HENDERSON, A. M., INGLEHART, Ronald, DE, I, II II II JUDKINS, C. J., I HENNESSY, Bernard INKELES, Alex, I, II C., II Institut canadien K HERMENS, F. A., I d'éducation des HERD, Alfred, II adultes, II KAHN, Hans, I HERRING, E. P., I Institut français KAHN, Herman, II HERRING, Pendleton, I d'opinion publique, KAMMERER, C. D. F., HERSH, Jeanne, II II I HESS, Robert D., I, II Institute of Public KANTER, Herschel E., HILL, Dillys M., II Administration, The, II HIMMELSTRAND, Ulf, II KAPLAN, A., I II IONESCU, Ghita, I, II KAPLAN, Max, II HINDERAKER, Yvan, I KARIEL, Henry S., I, II HIRSCH-WEBER, J KATZ, Daniel, II Wolfgang, I KATZ, Elihu, I, II Hitler, Adolf, I, II JACKMAN, Robert W., KAUFMAN, Herbert, II HOBBES, Thomas, I II KELLER, Suzanne, II HOBSON, William A., I JACKSON, Andrew, II KELLEY, H., I HODGE, Robert W., I JACOB, Philip E., I, II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 21 KELLEY, Stanley Jr., I, LAMONTAGNE, Lenine, Vladimir IIitch, II Maurice, II I, II KELLOGG, Charles LANCELOT, Alain, I, II LENS, Sidney, II Flint, II LANE, Edgar, II LENSKI, Gerhard, II KEMPER, Theodore D., LANE, Robert E., I, II LERNER, Daniel, II I LANG, Gladys E., I LERNER, Max, I KENDALL, P. L., I LANG, Kurt, I LEVINE, R., II KENDALL, Willmoore, LANGE, H., I LEVINE, Sal., II I, II LANGER, Suzanne K., I LÉVI-STRAUSS, Kennedy, John F., I, II LANGTON, Kenneth P., Claude, I KEY, V. O. Jr., I, II I, II LEVITT, Morris, II Kim, Younc C., I LANPHIER, C. Michael, LEVY, Leonard W., I, II KIRCHHEIMER, O., II I, II LEVY, Sheldon G., II KIRK, Jerome, I LAPALOMBARA, LEWIN, Kurt, I KLAPPER, Joseph T., II Joseph, I, II LEWIS, Sinclair, I KLECKA, William R., LAPASSADE, Georges, LEWY, Guenther, I II I, II LHOMME, Jean, I, II KLFEMEIER, Robert, I LAPIERRE, Jean-LIFTON, R. L., II KLEIN, Walter W., II William, I, II LUPHART, Arend, II KLUCKHOHN, Clyde, Laporte, P., II LINDBERG, Leon N., II I LARSON, Olaf F., II LINDBLOM, Charles-KNOX, Alan B., II LASKI, Harold, I, II Edward, II KOLKO, Gabriel, II LASKIN, Richard, I LINDQUIST, John H., I, KORNBERG, A., I, II LASSWELL, Harold D., II KORNHAUSER, I, II LINGAGNE, Claude, II William, I, II LATHAM, Earl, I, II LIPPITT, Gordon L., I, KRAMER, Ralph M., II LAURAU, René, II II KRAUSE, Merton S., II LAVAU, Georges, I, II LIPPITT, Ronald, I KREITZER, Donald J., LAWRENCE, Samuel LIPPMANN, Walter, II II A., II LIPSET, Martin KRIESBERG, Martin, I LAZARSFELD, Paul F., Seymour, I, II KRISLOV, Walter, II I, II LIPSKY, Michael, II KROEBER, A. L., I LEACH, Richard H., II LIPSON, Leslie, I, II KROLL, Jack, II LEBEL, Jean-Claude, II LITT, Edgar, II KRONBERG, Allan, II LEBRET, J. L, II LITTLE, Alan, I, II KRUGMAN, H., II LEE, Calvin B. T., II LITWAK, Eugene, II KWAVNICK, David, II LEE, Eugene C., II LOCKE, John, I, II LEFEBVRE, Henri, I LOEWENBERG, L LEFEBVRE, Jean-Paul, Gerhard, I, II II LOEWENTHAL, Leo, LABOVITZ, Sanford, I, LEIF, J., I II II LEISERSON, Avery, II LONGLEY, Lawrence LALIBERTÉ, Jean, I, II LEMIEUX, Vincent, I, D., II L'ALLIER, J.-P., II II Loomis, Charles, I LAMBERT, Jacques, II LOPREATO, Joseph, II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 22 LOSEY, II MASTERS, Nicholas A., MEAD, George H., II Louis-Napoléon, II II MÉDART, Jean-Louis-Philippe, II MATHER, W. G., II François, I, II Louis XVI, II MATHIOT, André, I MEEHAN, Eugene J., II Lowi, Theodore J., I, II MATTHEWS, Donald MEHL, Lucien, I, II LUNT, Paul S., I, II R., I, II MEISEL, James H., II LUTTBEG, Norman R., MAUSS, Marcel, I MEISEL, John, I, II I, II MAYER, Martin, II MEISTER, Albert, I, II LYND, Helen M., I, II MAYHEW, David R., I MELLEHNOF, Clark R., LYND, Robert S., I, II MAYO, Charles G., II II MAYO, H. B., I MELLER, Norman, II M McADAMS, Alan K., II MELLOS, Koula, II MCCLINTOCK, MENCKEN, H. L., II MABILEAU, Albert, II Charles G., I MERELMAN, Richard MACCOBY, Eleanor E., McCLOSDY, Herbert, W., II I, II II MERLE, Marcel, II MACCORY, H., II McCONNELL, ,Grant, I, MERRIAM, Charles E., MACIVER, R. M., I II I MACKENZIE, W. J. M., McCORMACK, Thelma, MERRIT, Richard L., I, I II II MACRAE, Duncan Jr., I, McCRONE, Donald J., I MERTON, R. K., I II McCUNE, Wesley, II MEYER, J., II MACRIDIS, Roy C., I, McDEVITT, James L., MEYERSON, Martin, I II II MEYNAUD, Jean, I, II MADISON, James, I, II McDILL, Edward L., II MICHELS, Roberto, II MAHOOD, H. R., I, II McFARLAND, Andrew MILBRATH, Lester W., MANN, Dean E., II S., II I, II MANSFIELD, Harvey McINTOSH, Donald, II MILL, James, II C. Jr., I McKEAN, Dayton MILL, John Stuart, I, II MARCH, James G., I, II David, I, II MILLAR, Robert, II MARCSON, Simon, II McKENZIE, Robert, I, MILLER, D. C., II MARCUSE, Herbert, I, II MILLER, D. R., I II McKENZIE, Robert T., MILLER, Warren, I, II MARTIN, David, II I MILLET, Kate, II MARTIN, John Barlow, McKEON, Richard, I, II MILLETT, John H., II II McLAUGHLIN, Doris MILLS, C. Wright, I, II MARVICK, Dwaine, I, B., II MINARIK, E., II II McLEOD, Jack M., I MINNIS, Mhyre S., II MARX, Fritz Morstein, McLUHAN, M., II MITCHELL, William C., I, II McPHEF, William N., II I, II MARX, Karl, I, II McQUAIL, Denis, II MOLES, A., II MASON, Thomas, II McWILLIAMS, Carey, MONEY-KYRLE, R. E., MASOTTI, Louis H., II II II MASSIALAS, Byron G., McWILLIAMS, Robert MONSEN, R. Joseph Jr., II C., II I, II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 23 MONTESQUIEU, I NEWCOMB, Theodore PATERSON, Samuel C., MONTUCLARD, M., II II Maurice, II News Week Magazine, II PEARL, S. A., II MOODIE, Graeme C., II NIE, Norman H., II PELTASON, Jack W., I MOORE, Barrington Jr., NIEMI, Richard G., I, II PENNOCK, Roland J., I II NISBET, Robert A., I PERROUX, François, II MOREAU de NIZARD, Lucien, II PERRY, Charner ; I BELLAING, J., II NOIZET, Georges, I, II PESONEN, Perti, I, II MORGAN, Patrick M., NORC, II PETTERSON, Paul E., II NORRIS, George E., I II MORGAN, Robert J., II NYE, Joseph S., II Pfimlin, Pierre, II MORGENTHAU, Hans, PHILIPPART, A., I II O PHILIPPS, Joseph D., II MORIN, Edgar, I PHILLIPS, Derek L., II MORRIS, Raymond N., ODEGARD, Peter H., I PIERCE, Roy, I, II I, II Office américain de PILISUK, Marc, II MORRIS, Ruth, I, II l'Agriculture, II PINARD, Maurice, I, II Moss, Malcom L., II Office américain des PINEO, P. C., I MOWRY, George E., I Vétérans, II PINNER, Frank, II MULLER, Edward N., O'HARA, Rosemary, II PINNEY, Edward L., I II OLIEN, C., II PISIER, Evelyne, II MUSSEN, Paul E., II OLSEN, Marvin E., II PITKIN, Hannah F., I MYERS, Gustave, I OLSON, Mancur, I, II Platon, I MYRDAL, Gunnar, I OPPENHEIM, Felix E., POLSBY, Nelson W., II II PORTER, John, I, II N ORBELL, J. M., II POTTER, Allen, I, II ORLEANS, Peter, I, II POTTER, David M., II Nagel (Secrétaire au OSGOOD, Charles E., I POULANTZAS, Nicos, Commerce), I OSTROGORSKI, M., II II NAGEL, Stuart S., II OSTROM, Vincent, II POWELL, G. Gingham, Napoléon, I I, II Nasser, Gamal Abdel, II P POWELL, Norman John, National Association of I, II Manufacturers, II PAGE, C. H., I POWELL, Sandra, II National Associations of PAINE, Tom, II POWLEDGE, F., II the United States PALAMOUNTAIN, PRANDI, Alfonso, II (catalogue), I Joseph C., I PRATHER, J. E., I National Opinion PALISI, Bartolomeo J., Preparatory Research Center I Commission on (N.O.R.C.), I, II PARENTI, Michael, II Autonomous Groups Nations-Unies, II PARRY, Geraint, II and Mental Health, I NEAL, Arthur G., II PARSONS, Talcott, I, II PRESTHUS, Robert, I, NETTL, J. P., II PATCHEN, Martin, II II NEUSTADT, Richard PATEMAN, Carole, II PREWITT, Kenneth, I, E., II II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 24 PROTHRO, James W., I, Roosevelt, Theodore, I SCARROW, Howard A., II ROPER, Elmo, II II Proudhon, Pierre-Joseph, ROSE, Alfred M., II SCHAPIRO, Martin, II I ROSE, Arnold M., I, II SCHATTSCHNEIDER, PYE, Lucien W., I, II ROSE, Richard, I, II E. E., I, II ROSEMAN, Cyril, II SCHETTLER, Clarence, R ROSENBAUM, Walter II A., I, II SCHEUCH, Erwin K., I RAE, Douglas W., I, II ROSENBERG, Morris, SCHILLER, Herbert L., RANNEY, Austin, I, II II II READER, G. G., I Ross, Edward A., I SCHILER, P. A., I REHMUS, Charles M., Ross, Irwin, II SCHINDELER, Fred, II II Rossi, Peter H., I SCHLESINGER, REISS, A. J., I, II ROTHMAN, Stanley, I Joseph A., I, II RÉMOND, René, I, II ROTHSCHILD, M. A., SCHMIDHAUSER, RENARD, Marie-II John R., II Thérèse, II ROURKE, Francis E., II SCHRAMM, Wilbur, II RENNEKER, Richard ROUSSEAU, Jean-SCHRIFTGIESER, Karl, E,, II Jacques, I, II I, II REVEL, Jean-François, ROVAN, Joseph, II SCHUBERT, Glendon, I, II RUBIN, Bernard, II II REYNAUD, Jean-RUSH, Michael, II SCHULTZE, Robert O., Daniel, II RUSK, Jerrold D., II II RICE, Stuart A., I RUSSELL, Bruce C., I SCHUMPETER, Joseph, RIDLEY, Jeanne C., II RUSSET, Cynthia Eagle, I, II RIESMANN, David, II II SCHWARTZ, Mildred RIGGS, Fred W., I, II RUSSETT, Bruce M., I A., I, II RIVERA, Ramon J., II SCOBLE, Harry M., I, RIVERO, Jean, I, II S II ROBERTS, B. C., I SCOTT, Andrew H., II ROBERTS, Geoffroy K., SAINT-JUST, Louis, II SCOTT, Andrew M., I II SAINT-SIMON, SCOTT, Greer, I, II ROBERTSON, D. B., I Claude-Henri, comte SCOTT, John Carver Jr., Robespierre, II DE, I, II I, II ROBINSON, John P., II SALISBURY, Robert SCOTT, Richard W., II ROBINSON, W. S., II H., I, II SEELEY, J. R., II ROCHE, John P., I, II SANFORD, Nevitt, II SEEMAN, Melvin, II Rockefeller, John SAPIN, Burton, II SELIGMAN, Lester G., Davidson, I, II Sartre, Jean-Paul, I II ROGOW, Arnold A., II SARTORI, Giovanni, I, SELLIER, François, I ROIG, Charles, I, II II SELVIN, Hanon C., II ROKEACH, Milton, II SAUVY, Alfred, I SELZNICK, Philip, I ROKKAN, Stein, I, II SCAMMON, Richard SÈVE, Micheline DE, I, Roosevelt, Franklin D., M., II II II SHANKS, Michael, II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 25 SHAPIRO, Michael J., STEDMAN, Murray S. THOMPSON, Wayne E., II Jr., II II SHEATSLEY, Paul, I, II STEIN, Maurice R., I THORBURN, Hugh I, II SHILS, Edward, II STEINTRAGER, James, TICHENOR, P. J., II SHINDELER, Fred, I I TINGSTEN, Herbert, II SHONFIELD, Andrew, STÉPHANE, André, II Tito, I II STERN, Frederick, II TOCQUEVILLE, SHOWEL, Morris, II STEWART, J. D., II Alexis DE, I, II SIEGEL, Paul M., I STOKES, Donald E., I, TOFFLER, Alvin, II Sieyès, l'abbé, I II Tolstoï, Léon, II SILLS, David, I STRAUSS, Leo, I TOMASEK, Robert D., SILVERMAN, Corrine, STUDDERT- I II KENNEDY, Gerald, TONNIES, Ferdinand, I, SIMMONS, Charles E. II II P., II Survey Research Center, TORNEY, Judith V., I, SIMON, Herbert A., I, II II II SIMON, Yves, II Susi, G. G., I TOURAINE, Alain, I, II SINGH, Tarlock, II SUSMAN, M. B., II TOURNON, J., II SMELSER, Neil J., II SWANSON, Bert E., II TOWNASLEY, W. A., SMITH, Adam, II SWANSON, G. E., I II Smith, David G., I SZELEWSKI, Ivan, II TREIMAN, D. J., I Smith, Joll, I, II TROELTSCH, Ernst, II SNIDER, J. G., I T TROW, Martin, I, II SNYDER, Eloise S., II TRUDEAU, Pierre SNYDER, Richard C., II Taft-Hartley, I, II Elliott, II SOLA POOL, lthiel DE, TAIETZ, Philip, II TRUMAN, David, I, II I, II TALBOT, Ross B., II Tsuji, Kiyoski, II SOMIT, Albert, II TANNENBAUM, A. S., TULLOCK, Gordon, I, Sondages (publication), I, II II II TANNENBAUM, P. H., TUMIN, Melvin, II SONNENFELD, Peter I TURNER, Henry A., I, H., II TAWNEY, R. H., I II SORAUF, Frank J., II TAYLOR, Donald W., TURNER, Julius, I, II Sorel, Georges, I II TUSSMAN, Joseph, I, II SORENSEN, Theodore TÉTREAULT, André, II TYLER, Gus, II C., II TEXIER, Jean, I SOROKIN, Pitirim, I THEOBALD, Robert, II U SPENCER, Herbert, I, II THÉRY, Henri, I, II Spinoza, Baruch, I THIELBAR, Gerald, II UDY, Stanley H. Jr., I SPIRO, H. J., I, II THOENES, Piet, II ULAM, Adam B., I SPITZ, David, I, II THOMAS, David C., II Union des Vétérans, II SPRECHER, Drexel A., THOMAS, N., I, II UYEKI, Eugene S., II II THOMPSON, Ralph W., Staline, I II V STANLEY, D. T., II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 26 VALLIÈRES, Pierre, I, WEBER, Yves, I, II WOHLGEMUTH, II WEBSTER, H., II Ernest, I VAN BUREN, J., II WEBSTER, R. A., I WOLFINGER, VAN DYKE (voir WEINBERG, Jan, I Raymond E., II DYKE) WEINER, Myron, II WOODCOCK, George, VEDEL, Georges, I, II WESOLOWSKI, W., II I VERBA, Sidney, I, II WESTERFIELD, H. B., WOODWARD, Julian VIAU, P., II II L., II VICKEN, Geoffrey, II WESTIN, Alan F., II WOOTON, Graham, II : VIET, Jean, I WEYL, W. E., I World Book Voltaire, François Marie, WHEELER, Stanton, I Encyclopedia, I II WHITE, Elliot S., I WRIGHT, Charles R., I, VORWALLER, Darrel WHITE, Howard B., II II J., II WHITE, Leonard D., I, WYSZINSKI, Anne B., VOSE, Clement, II II II WHITE, Ralph K., I W WHITE, Theodore H., II Y WHITE, William Allen, WAHLKE, John C., I, II II YOUNG, Roland, I WALKER, Alan M., II WHYTE, William H., II YOUNG, Ruth C., II WALKER, Harvey, I WIENER, Anthony J., II WALKER, Kenneth N., WIENER, Norbert, II Z I WILENSKY, Harold, I WALTER, E. V., I WILLCOCKs, Arthur J., ZANDER, A., I WALTER, W., II I, II ZANOTTI-KARP, WALTON, John, I, II WILLIAMS, R., II Angela, II WARD, Norman, I WILLIAMS, Robin M. ZEIGLER, Harmon, I, II WARD, Robert E., I Jr., I WARNER, W. L., I, II WILSON, Everett K., II 566 SOCIÉTÉ ET WARRINER, C. K., I WILSON, James Q., I, POLITIQUE WASSEF, W. Y., II II WEBB, Beatrice, I WILSON, P, R., I ZELLER, Belle, I, II WEBB, Sidney, I WILTSE, Charles M., I ZIMMER, Basil G., I, II WEBER, Max, I, II ZISK, Betty H., I, II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 27 Société et politique : la vie des groupes. Tome second: Dynamique de la société libérale (1972) INDEX CUMULATIF DES SUJETS (tomes I et II) Retour à la table des matières A - types, I Administration (voir : Composantes Absolutisme, I, II internes du système politique), I, Abstentionnisme, I, II II Accès (accessibilité), II - consultation (Conseils - composantes internes du consultatifs), II système politique, II - gouvernement, II - influence, II - groupes (d'intérêt), II - notion, II - politique consultative, II - partis politiques, II Adolescence - point d', II - rébellion, I Accords (partis-groupes), II - socialisation, I Action (politique), (Acte-Activité), I, AFL- CIO, I II Àge - influence, II - industriel, II - modes, II - participation, II - moyens, II - post-industriel, II - participation, II - pré-industriel, II Activités (partis), II - technologique, II - électorales, II Agents (politiques, sociaux), I, II - gouvernementales, II - consultation (conseils - médiatrices, II consultatifs), II Adaptation, I, II - groupes (d'intérêt), I, II Adhérents, II - information, II Adhésion, I, II - politique consultative, II - partis politiques, II Agitation, I, II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 28 Agrarianisme, I - député, I : Agrégation, II - liberté d', I Aliénation, II - prolifération, I Allégeance partisane, I Association des manufacturiers Alliance, II canadiens, I Aménagement, I Association internationale de American Bar Assocation, I Science politique, I American Farm Bureau, I, II Association nationale des fermiers, II American Institute of Public Opinion, Association (volontaire), I, II I, II - appartenance, I, II American Medical Association, I, II - culture politique, I Amiens (charte d'), I - définition, I, II Analyse (systémique), I, II - données relatives aux, II Anarchie (anarchisme), I, II - en U.R.S.S., I Ancien Régime, I, II - étude, II Animateur (voir : Stratège-- fonction, I, II animateur), - groupes d'intérêt, I Animation, I, II - influence, II Anomie, II - leadership, I Antagonismes sociaux, II - oligarchie, I Anti-Saloon League, I - organisation, I Apathie, I, II - origine, I Apolitisation (voir : Dépolitisation) - participation, II Appareils politiques (socio-), II - partis et élections, I - réforme, II - représentativité, I Appartenance, I, II - typologies, I - associations volontaires, I Associationnisme, I - multiple, I Assujettissement, II - obligatoire, I Atomisme, I - partis, II Attitudes(s), I, II Archaïsme, I Authenticité négative, II Argent, II Autocratie, I Armée, II Autodétermination, II Articulation Autogestion, II - notion, II Automate, II - partis politiques, II Autonomie (autonomisme), I Aspirations (individus), II Auto-regulatory commission, II Assemblée législative (Parlement), I, Autorisation, I II Autorité, I, II - consultation, II - centrale, I - partis politiques, II - consultation, II - représentation, I - groupes d'intérêt, I Assemblée Nationale (française), II - influence, II Association, I Avis, II - définition, I Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 29 B Candidats, II Capital, I Barreau, I Capitalisme, I, II Barricades, II Capture d'un parti, II Behavioralisme (behaviorisme), I Carnegie (empire), II Besoins (individus), II Catégories socio-professionnelles, II Biculturalisme (bilinguisme) Catholiques (américains), II (Canada), I, II Caucus, II Bien Centralisation, I, II - commun, I Centralisme démocratique, II - divisible (indivisible), I Centre national des jeunes Bill 60 (Québec), II agriculteurs, I Bill of Rights, I Centres de décisions (politiques), II Bipartisme, II Centres de pouvoir, II Black Muslins, II Centrisme, II Black Panther Party, II Cercles politiques, II Black Power, II C.G.T. (France), II Boss (bossisme), II Chambers of Commerce of the Bourgeoisie, I, II United States, I British Legion, I Chambre (deuxième), II British Medical Association, I Chambre de Commerce, I BUND (communion), I Chambre des Communes (Ottawa), Bundestag, I II Bundesverband der Deutschen Chambre des Représentants, II Industrie, I, II Chambre économique et Bundesvereinigung der Deutschen professionnelle, II Arbeitgeberverbaende, I Chambre économique et sociale, II Bureaucratie, I Changement, I, II - politique, I C - social, I, II - société libérale, II Cabinet, I, II Chapelier (loi Le), I Cadre Chauvisme, I - de partis, II Checks and Balance, II - partis de, II Chef Campagne (voir : Participation - cabinet, II électorale) - gouvernement, II - électorale, II - parti, II - formation politique, II Choix (politiques), II Canadiens français, II Chômage, II Canai de médiation, II Cinéma, II Canaux de communication (voir : Circonscription (électorale), II Communication) Circuits de communication (voir : Canaux d'information (voir : Circuits, Réseaux), II Réseaux), II Civil Service Commission, II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 30 Civilisation, I - auto-régulatrice, II - définition, I - consultative, II - future, I - de la fonction publique, II - industrielle, I - d'étude, II Clan, II - gouvernementale, II Classes (sociales), I, II - parlementaire, II - député, I - politique (partis), II - groupes (d'intérêt), I - régulatrice, II - inférieure, II Commission d'enquête sur le - instruction, I bilinguisme et le biculturalisme, - moyenne, II II - notion, II Commission d'enquête sur les - participation, II communications, II - partis politiques, I, II Communalisme, II - socialisation et culture Commune de Paris, II politiques, I Commune paysanne yougoslave, II - supérieure, II Communications (voir : Media de Clientela, I communication, Clientèle, II télécommunication, télémedia), I, Climat (le), II II Clivage, II - à deux paliers (two-step flow Club Jean Moulin, I, II of), I, II Clubs politiques, II - association volontaire, I Coalition, II - circuits (canaux), II Codécision, II - étude, II Cogestion, II - gouvernants-gouvernés, I Cohésion, I, II - information, II Collectif, I - participation, II Collectivisme, I - réseau, II Collectivité, I, II Communisme, I Collège des médecins, I Community, I Colloques, II Compagnie des jeunes Canadiens, II Combats (politiques), II Comparaison (intersociétale), I Comités, II Compénétration (partis-groupes), II - administratifs, II : 110 Comportement, I, II - consultatifs, II (voir : Conseils - définition, I consultatifs) - politique, II - d'action, II : - selon l'âge, I - de citoyens, II - selon le sexe, I - du Cabinet, II - selon le statut socio- - gouvernementaux, II économique, I - interministériels, II - selon le quotient intellectuel, I - national du parti républicain Composantes (internes) du système (voir : Parti républicain) politique, II Commission, II - accès, II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 31 - administration, II (voir : Congress of Racial Equality, II Administration) Conscience - consultation (politique - classe sociale, II consultative), II - culture, I - étude, II - de communauté (Gemeinschaft - gouvernement, II (voir : fürsich) et communauté de Gouvernement) conscience (Gemeinschaft an - groupes d'intérêt, II sich), I, II - importance, II - de groupe, I - influence, II - du nous, I - inputs, II Conscience (politique), II - judiciaire, II - participation, II - législatif (législation), II (voir : Conseil, II Législatif) Conseil consultatif (voir : Comités - mécanismes d'interaction, II (mécanismes) consultatifs, - partis politiques, II (voir : Partis) Consultation, Politique - relations interpersonnelles, II consultative), I, II Compromis, I - ambiguïtés, II Concentration-déconcentration, I - antagonismes sociaux, II Concept (opératoire), I - appareil politique, II Concertation, I, II - assemblée, II Concurrence, I - avis, II Conduites (politiques), II - corporatisme, II Confédération générale du travail - décision, II (C.g.t.), I - fonction, II Confédération des syndicats - fonctionnaires, II nationaux (C.S.N.), I - fonctionnement, II Confederazione Generale dell' - gouvernants, II Industria - gouvernement, II Italiana, I - groupes d'intérêt, II Confederazione Generale Italiana del - importance, II Lavoro, I - interaction, II Conflit, I, II - intérêt (public) général, II - de classe, I, II - mécanismes d'interaction, II - de loyauté, I - media de communication, II - d'intérêt, I - ministres, II - école du (-) social, I - nombre, II - expression et socialisation, I - notion, II : 108 - formes, I - organisation, II - importance, I - participation, II - solution, I - partis politiques, II Conformisation (over-adjustment), II - pays, II Conformisme, I, II - planification, II Congrès (américain), II - prérogatives, II Congrès (politique), II - régie, II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 32 - représentation, II - Impérativité, II - rouage, II - Intérêt général, II - système (politique, social), II - Intérêt privé, II - tâche, II - Législative, II Conseil des ministres, II - Ministres, II Conseil économique, II - Modes, II Conseil économique et social, I, II - Non officielles, II Conseil exécutif (des partis), II - Notion, II Conseil ministériel, II - Obligatoire, II Conseil national du patronat français, - Officialité, II I - Officielle, II Conseil régional de développement, - Officielle non organique, II II - Officielle organique, II Conseil supérieur, II - Officieuse, II Conseil supérieur de l'éducation, II - Organisations, II Consensus, I - Parlementaire, II Consentement, I - Participation, II Conservateurs (les), II - Partis politiques, II Conservatisme, I, II - Pays, II Conspiration, I - Privée, II Constitution, I, II - Programmes politiques, II Constitutionnalisme, I - Publicité, II Consultation (voir : Comités - Publics, II consultatifs, Conseils consultatifs, - Publique, II Mécanismes consultatifs, - Représentation (contradictoire), Politique consultative), II II - Action politique (activités), II - Secrète, II - Administration, II - Société libérale, II - Agents (politiques, sociaux), II - Système politique, II - Assemblée (législative), II - Technique de la, II - Composantes internes du - Verticale, II système politique, II Contestation (politique, sociale), II - Conception, II - effets, I - Concertation, II - jeunesse, I - Contrôle, II - nécessité, I - Corporatisme, II - représentation, I - Critères, II Continuum - Décisions (politiques), II - conservatisme-progressisme, I - Députés, II - intérêt-valeur, I - Exécutoire, II - opinion et intérêts publics, I - Facultative, II - traditionnel-moderne, I - Fonctionnaires, II Contradiction, II - Formes, II Contrainte, I, II - Gouvernement, II Contrat (association volontaire), I - Groupes (d'intérêt), II Contre-poids, II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 33 Contributions, II - association volontaire, I - participation, II - définition, I Contrôle, I, II - palier, II - des dirigeants, I - participation, II - des groupes d'intérêt, I - politique, II - influence, II Curatelle (Trusteeship), I - information, II Curateur (Trustee), I - télémedia, II Cybernétique, I, II Convergence - facteurs, II D - groupes d'intérêt et partis, II - partis de cadres et partis de Débats, II masses, II Décentralisation, I, II Cooptation, I Décisions (politiques), I, II Copie conforme (descriptiveness), I - accès aux, I Corporation, I - centre de (voir : Centres de - fascisme, I décisions politiques) - grandes, I - consultation, II - naissance, I - influence, II Corporation des enseignants du - information, II Québec, I - participation, II Corporation des instituteurs Déclin catholiques (Québec), I - Parlement, II Corporatisme, I, II - Partis, II Corps intermédiaire, I, II Déconcentration, II - définition, I ? Dé-étatisation ?, I Coup d'État, I, II Déférence, I Couple, I Définition Cour (d'études), II - groupes d'intérêt, II Cour suprême, II - nécessité, I Crédit social, I (voir : Parti crédit - opératoire, I social) - participation, II Credo - partis politiques, II - capitaliste, II Délégation, I, II - démocratique, II Délégués (groupes), II - libéral, II Démago-technocratie, II (voir : Crise, II Techno-démocratie) - participation, II Demandes politiques (inputs), I, II - partis, II agrégation et articulation, I - politique, II : Démocrates (américains), II - société libérale, II Démocratie, I, II Cristallisation - associations volontaires, I - sociale et politique, I - déléguée, I Critères, II - directe, I Culture, I, II - ? grass-roots democracy ?, I Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 34 - libérale, I Droit, I - participation, I, II - contestation, II - représentative, I - des états, I, II Démographie, I (voir : Palier - représentation, II démographique) - revendication, II Démonstrations, II Droit(s) démocratique(s), II Dépendance, II Droite Dépenses électorales, II - contagion par la (-), II Dépolitisation, II - notion de, II Députés, II - partis de, II - classes sociales, I Dualisme (tendance au), II - consultation (conseils Dynamique, I, II consultatifs), II - groupes d'intérêts, I - électeurs, I, II - intersystémique, II - groupes d'intérêt, I, II - sociale et politique, I, II - partis politiques, II Dysfonction, I - représentation, I Dysfonctionnement, II Désaliénation, II Désaveu, II E Destinée manifeste, I Déterminisme, II Écarts (représentations), II Développement, I, II Échanges intersystémiques, II - politique, I École Devenir, I - participation, II Devoir, II - socialisation, I Dialectique, II Écologie, I (voir : Palier écologique) - autorité et liberté, I - des groupes, I Économie, I (voir : Palier) - sociale et politique, I - consultation, II Dictature, I, II - participation, II Différences idéologiques, II Éducation, I Dimensions (de la participation), II ; - adultes, II organisationnelles, II - ministère (Québec), I - personnelles, II Fffecteur, I Dirigeants (groupes, organisations, Effet de groupes (et partis), II partis), II Efficacité, II Discipline de partis, II Efficience (règle d'), II Distance (notion), II Égalité, I District électoral, II - d'influence, II Divergence (facteurs de), II Église, I Division du pouvoir, II Électeurs, I, II Division du travail (des tâches), I Élections, I Doctrine (partis à), II - associations volontaires, I Doctrine libérale, II - étude, II Domination-subordination, I - participation, II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 35 - partis politiques, II Ethnicité (participation), II - représentation, I Étude Élite, I, II - communications, II - influence, II - élections, II Élitisme, I - groupes (d'intérêts), II Élus (proclamation), II - influence, II Émetteur, I - information, II Émeutes, II - interrelations (partis et groupes), Émissions (d'information), II II Empirisme, I - mécanismes d'interaction, II Employment Act de 1946, II - participation, II Encadrement (méthode d'), I, II - partis politiques, II Enculturation, I Évangile de la richesse, I Enfance Évolution socio-politique - socialisation, I (Assemblée), II Engagement politique, II Évolutionnisme, I Enjeux, I, II Exécutif, I, II Enquête, II - concentration, I En soi, II - croissance, I Enthousiasme, I Exigences Entropie, I, II - fonctionnelles, II Environnement - systémiques, II - du système politique, I, II - groupes, I, II F - participation, II - partis politiques, II Fabian Society, II - prolifération des associations, I Facteurs - socialisation, I - du vote, II Équilibration (système politique), II - participation, II Équilibre, I - sociaux, II - des intérêts, I Factions politiques, II - importance, I Famille, I - niveaux, I - participation, II Équipe gouvernementale, II - socialisation, I Ère Farm Bureau, I - napoléonienne, II Fascisme, I - post-idéologique, II - groupes, I Erreur individuelle et écologique, I Favoritisme politique (Patronage), II - droit à, I - administration publique, II Esprit de corps, I - esprit de, II État - groupes d'intérêt, II - conception pluraliste, I - partis, II - selon Bentley, I Federal Regulation of Lobbying Act, - Welfare State (voir : Welfare II State) Fédéralisme, I, II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 36 - aux États-Unis, II Gauche - politique et - des groupes - française, II d'intérêt, I - notion, II Fédération, I - partis de, II Federation of British Industries Gemeinschaft, I (F.B.L), I - an sich (communauté de Femme (voir : Sexe) conscience), I - politique, I - für sich (conscience de Féodalisme, I communauté), I Ferveur idéologique, I, II General Combination Act, I Financement (source de), II General Motors, I Fins électorales, II Générations, écart des, I Flash parties, II Gesellschaft, I Fonction (voir : Tâche, Rôle), I Gerrymandering, I - catégorisation, II Gestion, II - chevauchement (doublement), - co-gestion et auto-gestion, I, II II - gouvernement, II - conseils consultatifs, II Golden Era (la ? période dorée ?), I - dédoublement, II Gouvernants, II - électorale (partis), II - choix, II - exécutive, II - prérogatives, II - gouvernementale (partis), II Gouvernement, I, II - groupes d'intérêt, II - accroissement des pouvoirs, I - législative (partis), II - administration, II - media de communication, II - comme arbitre, I - médiatrice, II - comme baromètre, I - partis politiques, II - comme organisation d'intérêts - publique, II articulés, I - substitutions, II - comme processus d'adaptation, - symbolique, II I Fonctionnaires, II - conseils consultatifs, II - consultation, II - consultation, II Fonctionnalisme, II - décentralisation, I Force (la), I, II - direct, I Formation - gestion, II - organisation, II - groupes d'intérêt, II - parti, II - influence, II - partisan, II - information, II Francophones canadiens - intérêt (public) général, II (participation), II - lois (législation), II Front (politique), II - partis politiques, II Full Employment Bill, II - politique consultative, II - privé et public, I G - social, I - société libérale, II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 37 - tâche, II - classification (modes d'action), Gouvernementale (activité), II II Gradualistes, II - comme mécanismes Graffiti, II d'interactions systémiques, I Gratification, I - composantes internes du Grève, I, II système politique, II Groupage, I - consultation (conseils Groupe (voir : Groupe d'intérêt, I consultatifs), II - catégories (socio-- contrepoids, II professionnelles), I, II - culture politique, I - création, II - décisions (politiques), II - définition, I - définition, I - dynamique, I - développement, I - effet, II - étude (examen), II - gouvernement, II - favoritisme, II - identification, II - fonction, II - idéologies, I - fonctionnaires, I - individus, I, II - idéologies, II - intégration (politique), II - image, I - intérêts des, II - indépendance, I - parlement, II - influence, II - partis politiques, II - information, II - politique consultative, II - interaction systémique, II - pressions, I, II - interrelations (partis et groupes), - prolifération, I II - référence, II - légitimité, I, II - socialisation, I - lobby, II - sociaux, I - loi(s) (législation), II - société libérale, II - mécanisme d'interaction, II - théorie des (voir : Théorie - media de communication, II politique) - médiation, II - travail, II - membres, II Groupe d'intérêt, I, II - modes (moyens) d'action, II - action (politique), I, II - naissance (origine), I, II - activité médiatrice, II - nature des modes d'action, II - administration, I, II - nombre de membres, II - agents (politiques), II - opinion publique, II - agrégation (articulation), II - parlementaires (les), I, II - assemblée (législative), II - participation, II - attitudes envers, I - partis politiques, I, II - catégories (socio-- poids des, II professionnelles), II - politique consultative, II - centralisation (politique), I - porte-parole des, II - centres de décision, II - pression, II - classes sociales, I - processus politique, II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 38 - relations interpersonnelles, II - groupes (d'intérêt), II - représentation, I, II - influence, II - représentativité, I - interrelations structurales, II - ressources, II - libérale, II - socialisation, I - media de communication, II - soutiens, II - participation, II - statut, I - partis politiques, I, II - structures et organisation, I, II - rôle, II - système politique, II - structure, II - tâche, II - union ouvrière, I - télémedia, II - valeur (voir : Valeur) - valeurs, I Idéologue (quasi-), II - vocation (politique), I, II Immobilisme, I Groupement, II Impérativité (angle d'), II Groupisme, I Individus Groupuscule, I, II - aspirations (voir : Aspirations) Guerre, II - besoins (voir : Besoins) - caractéristiques personnelles H socio-économiques, II - demandes, II Harmonie (sociale), II - influence, II Harmonisation, II - orientation politique, II Hippies, I, II - participation, II Holographe, II - partis politiques, II Homme (et politique) (voir : Sexe) - soutiens, II Homme de l'organisation, II Industrialisation, I, II Homme de la tradition, II - socialisation, I Homme extériorisé de Riesman, II Inégalités, II Homme intériorisé, II Infiltration (des partis), II Humanisme, II Influence, I Hypothèses, II - accès, II - action (acte), II I - agents, II - analyse, II Idéologies, I, II - argent, II - agrégation, II - associations volontaires, II - articulation, II - autorité, II - associations volontaires, I - centre d', II - contenu, II - circuits (intersystémiques), II - définition, I I, II - composantes de, II - dominante, I, II - composantes internes du - électeurs, II système politique, II - fin, II - conception, II - formes, II - conditions, II - genèse, II - conseils consultatifs, II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 39 - contrepoids (aux groupes - quantité, II d'intérêt), II - réaction, II - contrôle, II - recherche, II - décisions politiques (processus - régime (politique), II de), II - règle de majorité, II - degré, II - règles du jeu, II - demandes, II - réputation, II - direction, II : - réseau, II - distribution, II - réseau de communication, II - égalité, II - résistance, II - élite, II - ressources, II - enjeux, II - rôles exercés, II - étude (examen), II - rouage, II - exercice, II - sens de, II - facteurs, II - société, II - gouvernement, II - sondages, II - groupes (d'intérêt), II - strate (stratification) sociale, II - idéologies, II - structures, II - individus, II - système politique (social), II -- information. II théorie politique, II - inputs, II véhicules, II - intensité, II Information, I, II -interaction (systémique), II - accès (accessibilité), II - intérêt, II - agents (politiques, sociaux), II - judiciaire, II - armée, II - législation (lois), II - associations volontaires, I - masse (la), II - banque, II - mécanismes d'interactions, II - canaux, II - (media de) communication, II - catégories, II - mesure, II - circulation, II - moyens, II - communication, II - notion, II - contrôle, II - organisation(s), II - critère, II - outputs, II - émission (diffusion, - parlement, II transmission), II - participation, II - étude, II - partis politiques, II - exactitude, II - poids (des groupes d'intérêt), II - facteurs, II - pôles, II - gouvernement, II - politique (processus), II - groupes (d'intérêt), I, II - pouvoir, II - influence, II - pression, II - intelligibilité, II - prestige, II - loi de la circulation de l'(-) à - processus d', II deux temps, II - processus d'interaction, II - media (de communication), I, II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 40 - moyens (électroniques), II - participation, II - nouvelles (politiques), II - stratification sociale, I - office, II - Instrument de pression, II - organisation(s), II - de rétroaction, II - participation, II - du pouvoir, II - phase, II Intégration, I - points dans les circuits de - culturelle, I communication, II - possible, I - politique, II - sociale, I - production, II Intégration politique, I, II - publicité, II - concept(ion), II - qualité, II - conditions, II - rationalité, II - dynamique, II - recherche scientifique, II - groupes (d'intérêt), II - régime (économique), II - participation, II - ressources, II - processus, II - secret, II Intellectuels (et participation), II - service, II Intendance (stewardship), I - sociale, II Interaction (systémique), I, II - source, II - composante interne du système - système (politique), II politique, II - transmission, II - conseils consultatifs, II - universalité, II - dynamique, II - véhicules de, II - forme, II Informatique, I - groupes (d'intérêt), II Infrastructure, II - influence, II Innovation(nisme), I, II - mécanisme d'- (voir : Inputs (voir : Demandes, Soutiens), Mécanisme d'interaction) II - non institutionnelle, II - dysfonctionnels, I - non officielle, II - entropie, I - non organique, II - politiques, I - officielle, II - sociaux, I - organique, II Inside Parliament (voir : Partis - personnelle, II politiques) Intérêt, I, II Instabilité politique, II - affirmation, I Instances consultatives, II - agrégation (articulation), I, II Instances régionales, II - articulation, I Institut - convergence, I. défense et - de recherches, II promotion, I - de sondages, II - définition, I - français d'opinion publique, II - général, II Institutionnalistes, II - idéologie, I Instruction, I - influence, II - degré, II - notion, I Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 41 - participation, II Juges, II - partis politiques, I, II - privé, II K - prolifération, I - public particulier et (-) public Kibboutz, II général, I Kitsch, II - public général (commun), I, II - représentation, I L - types, I International Typographical Union, I Labor Management Relations Act Interpénétration (partis et groupes), (1947), I II Laender, I Interrelations (partis et groupes), II Laisser-faire, I - activités électorales, II Lasers, II - activités gouvernementales, II Leaders, II - activités médiatrices, II Leadership, I, II - agrégation (articulation), II - association volontaire, I - étude, II League of Women Voters of the - fonctionnelles, II United States, II - idéologies, II Le Chapelier (loi), I - modalités, II Législateur, I, II - organisation des partis, II Législatif (voir : Assemblée et - régime de partis, II Législation) - régime électoral, II - partis politiques, II - structurales, II - système politique (composantes Interstate Commerce Commission, I du), II Interventionnisme, I Législation (voir : Lois), I, II Intimidation, II - administration, II - assemblée, II J - gouvernement, II - groupes (d'intérêt), II Jacquerie, I - politique consultative, II Jeu démocratique, II - rouages de, II Jeunes-Commerce, I Légitimation Jeunesse - appareil de, II - allégeance partisane, I - du pouvoir, II - contestation, I (voir : Légitimité, I Contestation) - partis politiques, I - engagement politique, I - système politique, II - politique, I, II Lettres, II - radicalisme, I Libéralisme, I, II - rébellion, I Libéraux (les), II Jeux (théorie des), I Liberté, I, II Journaux, II - d'association et d'assemblée, I Judiciaire, I, II - des groupes, I Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 42 Ligne de parti, II Massmedia, II Ligue hanséatique, I Masse(s), I, II Liste électorale, II - influence, II Livre blanc, II - media de, II Lobby (lobbying), I, II - mouvement de, I - définition, I - partis de, II Lock-out, II - politique de, I Logique - société de, I - (dynamique) intersystémique, II Mccarthyisme, I - système politique, II Mécanique politique, II - système social, II Mécanisme Loi, I, II - consultatif, II - origine, I - d'action, II Loi (d'airan) de l'oligarchie, II - de contrôle, II Loi de la circulation de l'information, - de coordination, II II - de participation, II Loi de la mobilisation imparfaite des Mécanisme d'interaction effectifs, I, II (systémique), I, II Loi de la trivialité, I action, II Loi Le Chapelier, I - administration, II Loisir, I, II - agents, II Loyauté, I, II - composantes internes du - électeurs, II système politique, II Lutte - conseils consultatifs, II - électorale, II - conversion (inputs-outpuis), II - idéologique, II - crise des sociétés libérales, II - parlementaire, II - demandes, II - dynamique (politique), II M - étude, II - groupes (d'intérêt), II Machine (électorale et politique), II - influence, II Magazines, II - inputs, II Majorité, I - media de communication, II - règle de (voir : Règle de - médiation, II majorité) - outputs, II Malaise (du système politique), II - participation, II Mandarinat (establishment), I - partis politiques, II Mandataire (delegale), I - réforme, II Manifestations, II - rôle, II Manipulation, I - société (libérale), II Maoîsme, II - soutiens, II Marché, II - système (politique et social), II - intersystémique, II - tâche, II Marxisme, I, II Media de communication (voir : Marxistes français, II Communication, Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 43 Télécommunication, Télémedia), - géographique, I I, II - notion, II - accès aux, II Modalité d'interrelations (partis et - activités médiatrices, II groupes), II - catégories, II Mode - conseils consultatifs, II - consultatif, II - fonction, II - d'action, II - groupes (d'intérêt), II - de participation (voir : - idéologies, II Participation) - influence, II - de scrutin, II - information, II Modèle, II - mécanismes d'interaction, II - cybernétique, II - message, II - d'analyse, II - opinions, II - de parti, II - participation, II Modérés (les), II - partis politiques, II Modernité, I - propriété, II Moeurs politiques, II - qualité, II Monarchie, II - rôle, II Monisme des fins, I - société, II Monocamérisme, I - système politique, II Monographie, II Médiation, II Moteur de la vie politique, II Meltingpot, II Mother of Parliaments, I Mémoires, II Motivation, II Message, II Mouvement, II Méthode - social, I, II - autoritaire, II Moyen - d'analyse, II - d'action, II - systémique, II - électronique (information), II Migration, II - partis, II Ministères, II Multi-media, II Ministres, II Multipartisme, II - consultation, II Mutation des partis, II - information, II Mythe, I, II Minorité, I, II Mission N - d'animation, II - d'information, II National Agricultural Workers Mobilisation, II Union, I - des électeurs, I National Association for the - des individus, I Advancement of Coloured - imparfaite des effectifs (loi), I, People, I, II II National Association of Mobilité Manufacturers, I, II - association volontaire, I Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 44 National Association of Teachers Officers' Pensions Society, I (N.A.T.), I Officialisation, I National Council of Economic Officialité Development (N.C.E.D.), I - angle de l'( -) II National Council of Farmers - politique consultative, II Cooperatives, I Oligarchie, I, II National Education Association, I - association volontaire, I National Farmers Union (N. F. U.), I Opérationnalité National Grange, I - des concepts, I National (Opinion) Research Center Opinion, I, II (N.O.R.C.), I, II - communications (media), II Nationalisation, I - contrôle, II National-socialisme, I, II - cristallisation, I, II National Union of Conservative and - définition, I Unionist ssociations, II - formation, II Négociation, I, II - orientation et contrôle, I - collective, I, II - participation, II - intersystémique, II - partis politiques, II Népotisme, II - personnalité, II Neutralité (partis et groupes), II - production, I New Deal, I, II - publique, I, II News Week Magazine, II - définition, I Nihilisme, I - production, I Niveau - télémedia, II - d'organisation des partis - utile, I politiques, II Opposition, II - participation, II Ordinateur, II - vie, II Ordonnances, II Noirs américains, II Ordre public, II Nomination, II Ordre social, I, II Non-participation, II Organes de planification, II Normes, II Organes représentatifs, II Nouveau parti démocratique Organisateurs (partis), II (Canada), I Organisation, I, II Nouvelles (politiques), II - administration, II Noyautage, II - centrale (partis), II - conseils consultatifs, II O - consultation, II - décentralisation, II Objet (notion), I - définition, I, II Obligation (sens de l'), I - dialectique, II Obstruction, II - groupes (d'intérêt), I, II Office américain de l'agriculture, II - influence, II Office américain des vétérans, II - information, II Office d'information, II - intermédiaire, I Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 45 - interrelations structurales, II - planification, II - mère (peak-organization), I - programmes, II - niveaux d' - (partis), II - questions économiques, II - nombre, II Parlementaires - oligarchie, II - action, II - participation, II - activités médiatrices, II - partis politiques, II - catégories socio-économiques, - réforme, II II - société libérale, II - chambre, II Organisation sociale, II - consultation (conseils Organisations politiques, II consultatifs), II Output - élections, II - politique, I - groupes, II - social, I, II - intérêt (public) général, II - système politique, II - législation (lois), II Outside Parliament (voir : Partis - organisation, II politiques) - partis, II - prérogatives, II p - problèmes, II - procédures, II Pages (éditoriales et d'information), - réélection, II II - représentation, II Palier, II - tâche, II - culture, II - travail, II - démographique, II Parlementarisme, II - écologique, II - fascisme, I - économique, II Participation politique, I, II - société, II - abstentionnisme, II - stratification sociale, II - acte de, II - technologie, II - action (activité), II Para-partis, II - adhésion, II Parchemin, II - âge de la, II Parenté (parents), I, II - aliénation, II - association de -, I Parentela, I, II - (angles d') analyse, II Parlement (voir : Assemblée), II - animation, II - canadien, II - anomie, II - consultation, II - apathie, II - décision, II - appareil (socio) politique, II - déclin, II - appartenance, II - fonction (législative), II - associations volontaires, I, II - groupes, II - assujettissement, II - influence, II - attitudes, II - inutilité, II - autodétermination, II - opposition, II - autogestion, II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 46 - besoins, II - facteurs, II - canadiens français, II - facteurs personnels, II - classe (sociale), II - facteurs (socio) politiques, II - cogestion, II - facteurs structurels, II - collectivité, II - famille, II - comportement, II - femmes (voir : Sexe) - concertation, II - finalités, II - conditions, II - fonction, II - conduites, II - formes, II - conscience, II - francophones canadiens, II - conseils (comités) consultatifs, - groupes (d'intérêt), I, II II - hommes (voir : Sexe) - consultation, II - idéologies, II - contestation, II - incitations, II - contributions, II - indirecte, II - crise, II - individus, II - critères, II - influence, II - culture (politique), II - information, II - décisions (politiques) - instruction, II (processus), II - intégration (intégrative), II - définition, II - intellectuels, II - degré, II - intensité, II - délégation, II - intérêt(s), II - demandes, II - jeunesse, I, II - démocratie, II - lieu de résidence, II - dépolitisation, II - loisirs, II - dimensions, II - mécanismes de, II - dimensions organisationnelles, - mécanismes d'interaction, II II - (media de) communication, II - dimensions personnelles, II - méthode systémique, II - directe, II - mobilisation, II - direction, II - mode(s) de, II - dirigeants, II - modèles (historiques), II - division (divisive), II - motivation, II - données sur, II - niveaux, II - école, II - noirs américains, II - économie (voir : Palier - nombre de participants, II économique) - non-participation, II - efficacité, II - notion, II - électorale (élections, - obligatoire, II campagnes), II - offre de, II - engagement, II - opinion, II - environnement, II - organisation(s), II - ethnie (ethnicité), I, II - palier culturel, II - étude (analyse), II - palier de la société, II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 47 - palier de la stratification sociale, - Action, II II - Activités (voir ; Activités) - palier démographique, II - Adhésion (adhérents), II - palier du système politique, II - Administration, II - palier du système social, II - Agent de socialisation, I - palier écologique, II - Agrégation, II - palier économique, II - Analyse (angle) (voir : Étude) - palier technologique, II - Animation, II - partis (politiques), II - Appartenance. II - personnalité (traits), II - Articulation, II - pression, II - Assemblée (législative), II - profession, II - Associations volontaires, I, II - propagande, II - Bipartisme, II - race, II - Cadres (de), II - réformes (structures, valeurs), II - Cadre(s) de référence, II - régime (politique), II - Candidats, II - religion, II - Catégories socio-économiques, - représentation, I, II II - répression, II - Centres de décisions, II - revenu, II - Citoyens, II - sexe, II - Classes sociales, I, II - socialisation, II - Clientèles, II - société (industrielle, moderne, - Composantes internes du post-industrielle), II système politique, II - sondages, II - Conflits (voir : Tensions) - soutiens, II - Consultation (Conseils - stimuli, II consultatifs), II - stratification sociale, I - Crise, II - structures, II - Culture politique, I, II - symboles, II - Décisions (politiques), II - système (politique et social), II - Déclin, II - taux de, II - Définition, II - technologie (voir : Palier - Démocratie, II technologique) - Députés, I, II - travaux sur, II - Dirigeants, II - type de, II - Discipline, II - utilité, II - Doctrine, II - valeur(s), II - Droite, II - variables, II - Dualisme, II - volontaire, II - Dynamique, II - vote, II - Élections, II Participation sociale, II - Environnement, II Particularismes, II - Ethnie (Canada), I Partis politiques, I, II - Étude, II - Accès (accessibilité), II - Extérieur du système (à l'), II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 48 - Fascisme, I - Participation, II - Favoritisme (patronage), II - Patronage (voir : Favoritisme) - Financement, II - Pouvoir, I, II - Fonction (voir aussi : Activités), - Pression, II II - Programme (partis de), II - Formation, II - Programmes politiques, II - Gauche, II - Quasi et para-, I - Gouvernementale (choix des), - Réalités sociales, II II - Réforme, II - Gouvernement, II - Régime de -, II - Groupes (d'intérêt), I, II - Règle de, II - idéologies, II - Règlements sur les (-), II - Image, I, II - Rendement électoral, II - Individus, II - Représentation, I, II - Influence, II - Responsabilité, II - Inputs, II - Ressources, II - intérêt, II - Rétroaction, II - Intérieur du système (à l'), II - Rouage, II - Interrelations (partis et groupes - Société libérale, II d'intérêt), II - Sociétés socialistes, II - Législatif (voir : Assemblée - Soumission, I législative) - Stratèges-animateurs, II - Ligne de, I, II - Structure, II - Machine (électorale, politique), - Structures sociales, II II - Suffrages (Votes), II - Masses (de), II - Symboles, II - Mécanismes d'interaction, II - Sympathisants, II - Media de communication, II - Système politique, II - Médiation, II - Système social, II - Météores, II - Tâche (fonction), II - Modèle de, II - Tensions, II - Moyens, II - Tweedledee (tweedledum), II - Multipartisme, II - Typologie (types), I, II - Mutations, II - Unions ouvrières, II - Nature, II - Unique (unipartisme), II - Niveaux, II - Visée, II - Noyaux, II - Votes, II - Oligarchie, II Partis politiques et pays - Opinions, II - Partis allemands, II - opposition, II - Partis américains, II - Organisateurs, II - Partis britanniques, II - Organisation, II - Partis canadiens, II - Origine, II - Parti C.C.F. (Saskatchewan), II - Outputs, II - Partis communistes, II - Parlementaire(s), II - Parti communiste français, II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 49 - Partis conservateurs, II Plan (le), II - Parti conservateur britannique, Planification, I, II II - Welfare State, 1 - Parti conservateur canadien, II Ploutocratie, II - Parti crédit social (Canada), II Pluralisme, I - Parti démocrate (américain), II - des fins, I - Parti démocratique canadien - doctrinal, I (Nouveau), I - pratique, I - Partis européens, II Pluripartisme, II - Partis français, II Poids (politique), II - Partis irlandais, II - contre-poids, I, II - Partis italiens, II Points d'application (pression), II - Parti libéral (Canada), II Points dans les circuits - Partis libéraux, II (communication), II - Partis norvégiens. II Polarisation - Partis provinciaux (canadiens), - classes sociales, II II - décision, I - Parti québécois (le), II - facteur de, I - Partis québécois, II - partis politiques, II - Parti républicain (américain), II Police, I - Parti social démocrate, II Political and Economical Planning, - Partis socialistes, II II - Partis suédois, II Politique - Parti travailliste britannique, II - administration, II - Parti U.d,r., II - attitude vis-à-vis, I - Parti unioniste irlandais, II - conflit, I - Parti U.d.r., II - définition, I - Pays afro-asiatiques, II - de parti et de pression, I Partisannerie, II - développement, I Patron (ouvrier), I - économique, II Patronage (voir : Favoritisme), I - le -, I, II Patronat, II - publique (définition), I Pays - sexe, I - consultation, II - spécificité, I - participation, II Politique consultative (voir : Comités Pays afro-asiatiques, II consultatifs, Conseils consultatifs, Performances systémiques, II Consultations, Mécanismes Personnalisation (mouvement de), I consultatifs), I - pouvoir, II - Administration, II Personnalité - Agents (politiques, sociaux), II - opinion, II - Ambiguîtés (représentation - participation, II contradictoire), II Pétition, II - Articulation, II Peuple, I, II - Centres de décisions, II Physiocrates, I Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 50 - Composantes internes du - participation, II système politique, II Populisme, I - Décentralisation, II Possibilités du système politique, II - Déconcentration, II Postes clés (de commande), II - Développement, II Poujadisme, I - Effet, II Pouls de l'opinion, II - Fonctionnement, II Pouvoir, I - Forme, II - administration, II - Gouvernement, II - centres de, II - Groupes (d'intérêt), II - compensateur, II - Idéologies, II - décision, II - Impact, II - délégué, II - Intérêt général, II - distribution, I - Intérêts sociaux, II - division (séparation), I, II - Judiciaire, II - fonctionnaires, II - Juridictionnel, II - influence, II - Législateurs, II - intervention, II - Législation, II - instrument, II - Médiation, II - légitimation (légitime), I - Monde (culture, affaires, - légitimité, I éducation), II - les (-) de l'État, I - Notion, II : 106 - modalités, II - Organisation, II - monopole, I - Parlement(aires) (assemblée), II - partis politiques, II - Partis (voir : Consultation) - régional, II - Pression, II : 107 - réglementaire, II - Régimes socialistes, II - représentation, II - Régions, II - séparation (voir : Division) - Représentation, II - social, I - Représentation contradictoire, - source, II II Praxis, I, II - Responsabilité ministérielle, II Precincts (américains), II - Statut, II Premier Ministre, II - Structures, II Prérogatives, II - Système politique, II Président (Présidence américaine), II - Valeurs, II Presse (la), II Politisation, II Pressions, I, II - union ouvrière, I - administration, II Politologie, I - agents (politiques et sociaux), II Pollution, I, II - consultation (conseils Polyarchie, I, II consultatifs), II Population - définition, I - administration, II - gouvernement, I - avis, II - groupe (d'intérêt), I, II - conseils consultatifs, II - influence, II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 51 - instrument de, II Prospective - partis politiques, II - gouvernements, II - politique consultative, II - sociale, II - système politique, II - technique, II Prestation, I Protectionnisme, I Prestige, I Pséphologie, II - influence, II Public image, II - source de, II Public relations, II Primaires américaines, II Publicistes, II Principes fondamentaux, II Publicité, I, II Prise de décision (voir : Décision) - administration, II Prise en charge, I - commerciale, II Procédé corporatif, II - consultation, II Procédures électorales, II - électorale, I Procédures parlementaires, II - politique consultative, II Processus circulaire de l'information, Public(s)(que), I II - administrations, II Processus consultatif (voir : - communications, II Consultation, Mécanismes - consultation, II consultatifs, Politique - définition, I consultative) Pulsions, II Processus corporatif, II Putsch, I Processus de décision (voir : Décision) R Processus législatif, II Processus politique, II Raccord (social et politique), II - groupes (d'intérêt), II Race, II Production, I Radicalisation, II - rapports de, I Radicalisme Productivité, II - jeunesse, I, II Profession, I, II Rationalité - stratification sociale, I - choix, II Programmatic (parties) (Partis de - décisions, II programmes), II - information, II Programmes (politiques), II Réalité objective, II Progressisme, I, II Réalité sociale Projets de lois, II - groupes (d'intérêt), II Prolétariat, I - partis politiques, II Promesses (politiques), II Rébellion, I, II Propagande, I, II Récepteur, I - des groupes, I Recherche - électorale, II - institut de, II - participation, II - scientifique, II Propriété, I Reclassement, II - media de communications, II Recrutement, II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 52 Réélection, II - contradictoire, II Reference group, II - critères, II Réferendum, II - écarts de, II Réforme - groupes (d'intérêt), I, II - appareil administratif, II - idéologies, II - assemblée (Parlement), II - modes, I - politique (socio-), II - notion, I - régime économique, II - participation, I, II - structures et valeurs, II - partis politiques, I, II - système (politique), II - proportionnelle, II Régie (s), II - structure, II Régime de partis, II - système, II Régime économique (réforme du), II - théorie, I Régime électoral, II Répression, I, II Régime politique, II Républicains (américains), II (voir : - influence, II Parti Républicain) - participation, II Républicanisme, I Règle République française (IIle, IVe), II - de conduite, II Réseau de communication, II - d'efficience, II Réseau d'influence, II - du jeu démocratique, II Résidence (lieu de), I, II - parti, II Résistance, II Règle de majorité, I, II Responsabilité (ministérielle), I, II Règlements (Réglementation), II Responsabilité des partis, II - gouvernement, II Responsable (Politico), I - partis politiques, II Ressources, I, II Reich (III e) - administration, II - groupes d'intérêt, I - argent, II Réification, I - association volontaire, I Relais (intersystémiques), II - favoritisme (patronage), II Relations interpersonnelles, II - groupes (d'intérêt), II Relations publiques, II - idéologies, II Relève politique, II - influence, II Religion, II - information, II Rendement électoral, II - mobilisation, I Rendre-compte, I monopole, I Rénovation urbaine, II - orientation politique, II Représentants (Chambre), II - partis politiques, II Représentation, I, II - patronage (voir : Favoritisme) - administration, I - promesses, II - assemblée (législative), I, II - répartition, I - classe sociale, II - sociales, I - consultation (conseils - système (politique), II consultatifs), II - votes, II - contestation, I Résultats électoraux, II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 53 Rétroaction (Feedback), I, II Séparation (partis et groupes), II Revendications, II Séparation des pouvoirs, II Revenu, II Séparatisme (Québec), I, II - national brut, I Série (sérialisation, sérialité), I - participation, II Service - stratification sociale, I - administratif, II Révocation (administration), II - d'information, II Révolte, I, II Sessions d'études, II Révolution, I, II Sexe - démocratique, II - participation, II - française, II - politique, I, II - intégrale, II Signes, II - technique (et administration), II Slogan, I, II Revolutionary Action Movement, II Socialisation, I, II Ritualisme, I - agents de, I Rothschild (empire), II - définition, I Rouage - instrument, II - administratif, II - participation, II - consultatif, II - politique : - de la démocratie, II association volontaire, I - du gouvernement, II changement politique, I - politique, II conditions, I définition, I S enfance (jeunesse, adolescence), I Satellite de communication, II groupe, I Schéma de classe, II objets, I Schenk (le cas), II stabilité, I Sciences humaines (progrès des), I sujets, I Science politique, I - pouvoir, I - statut scientifique, I Socialisme, I, II Scrutin, II - représentation, I, II - régime, I - société socialiste, I Secret, II Socialistes (les), II Secrétaire personnel, II Société, I, II Secrétariat des partis politiques, II - comparaisons, I Sécurité sociale, I, II - culture, II Sédition, I - évolution, I Ségrégation, I, II - media de communications, II Sélecteur (définition), I - moderne, I, II Sélection, II - paliers, I, II Sémaphore, II - participation, II Sénat (américain), II - politique (définition), I Sénateur (américain), II - post-moderne, I Sentiment de classe, II - traditionnelle, I Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 54 - typologie, I - mobilisation, I Société libérale, I, II Souveraineté, I, II - absolutisme politique, II Spécialisation (des fonctions), I - action (politique), II Stabilité, II - bourgeoisie, II - droit d'association, I - changements, II - du système politique, I - classes sociales, II - du système social, I - conception, II : 460, 461 - socialisation, I - consultation (conseils STAC, II consultatifs), II Standard Oil, I - contestation, II State Department, I - crise, II State Rights, II - démocratie (de participation), II Statu quo, I - dysfonctionnement, II - philosophie de - gouvernement, II l'unidimensionnel, I - groupes (d'intérêt), II Statut socio-économique (partis), II - harmonie, II Stimulation individuelle, I, II - individu(alisme), II Stimulation politique, II - mécanismes d'interaction, II Stimuli (participation), II - media de communication, II Stoïcisme, II - organisation, II Stratèges-animateurs (partis), II - participation, II Stratification sociale, I, II - partis politiques, II - agents sociaux et politiques, I - politique consultative, II - association volontaire, I - pouvoirs compensateurs, II - mécanismes d'interactions, I - redressement, II - palier de la, II - réforme, II - participation, I - révolte, II - trois strates, I - révolutions (démocratiques), II Stress, I, II - rouage, II - socialisation, I - violence, II Structuralisme, II - volonté générale, II Structure, I - Welfare State, II - fonctionnement, II Sociologie, I, II - idéologies, II Solidarité, II - influence, II Sollicitation, II - ordonnance, II- participation, II Solutions aux problèmes, II - politique (et (-) groupe), I Sondages, I, II - pouvoir, II Soumission (à un parti), II - prolifération, I Sous-groupement, I - réforme, I Sous-ministres, II - représentation, II Southern Christian League - sociale, II Conference, II Students for a democratic society, II Soutiens (politiques) (Inputs), I, II Student Non Violent Committee - agrégation et articulation, I Coordination, II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 55 Substitution (des fonctions des - accès, II partis), II - conseils consultatifs, II Suffrage (universel), I, II - groupes (d'intérêt), I Supports, II - influence, II Symboles (politiques), I, II - interaction (et mécanisme d' ( -Sympathisants, II I, II )), II Syndicat (Syndicalisme) (voir : - paliers du, I, II Union ouvrière), I, II - partis politiques, II Système (définition),I Systémique (analyse, approche, Système judiciaire, II théorie), I Système politique, I, II - avantages, I - accès, I, II - cybernétique, I - administration, II - lacunes, I - canadien, II - socialisation politique, I - consultation (conseils consultatifs), II T - crises, II - culture politique, I Table de négociations, II - degré de présence, I Tabous, II - environnement, II Tâches (voir : Activités) - équilibration, II - administratives, II - étude, II - conseils consultatifs, II - exigences (fonctionnelles, - dirigeants (partis), II systémiques), II - gouvernement, II - fonctionnement, II - groupes (d'intérêt), II - groupes (d'intérêt), I, II - mécanismes d'interaction, II - influence, II - parlementaire, II - information, II - partis, II - légitimation, II Taft-Hartley Act (1947), I - maintien, II Tam-Tam, II - mécanismes d'interaction, II Technicisme, I - media de communication, II Technique - palier du, I - d'animation, II - participation, II - électorale, II - partis politiques, II - politique, II - partis (politiques) à l'extérieur Technocratie, I, II du, II Techno-démagogie, I, II - partis (politiques) à l'intérieur Technologie, I, II du, II - participation, II - politique consultative, II Technostructure, II - possibilités du, II ? Télé ?, II - réforme, II Télécommissions, II - réseau de communication, II Télécommunicateur, II - ressources, II Télécommunication, II Système social, I, II Télécontrôle, II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 56 Télégraphe, II Tendance évolutive Télégramme, II - media de communication, II Télémedia, II - partis, II - accès, II - télémedia, II - articulation, II Tensions, II - composantes internes du Terrorisme, I, II système politique, II TEVEC, II - contrôle, II Théorie de l'accordéon, II - culture, II Théorie politique, II - distance, II - fondée sur les groupes (group - effet, II theory of politics), I - entreprise, II aspects négatifs, I - gouvernement, II aspects positifs, I - groupes (d'intérêt), II critiques, I - influence, II et notion de conflit, I, et notion - leaders, II d'équilibre, I - loisirs, II présentation, I - mass media, II - générale, I - message, II - générale fondée sur les groupes - mobilité, II d'intérêt et les partis, I - nouvelles, II - systémique (voir : Systémique) - opinion, II Topographie, II - processus politique, II Trade Union Congress (T.U.C.), I - propriété, II Transducteur - publics, II - définition, I - société, II Transmission (information), II - structures sociales, II Travail (conditions de), II - télémessage, II Travailleurs (groupement de), II - télérelation, II Travaux parlementaires, II - télévision, II Trivialité (loi de), I - tendances évolutives, II Tweedledee (Tweedledum), II - utilisation, II Two-step flow of communication, II - vocation, II Typologie (partis), II Télémessage, II - rapport (partis et groupes), II Téléologie, II Tyran, I Téléphone, II Télépublics, II U Télérelations, II Télévision, II Unanimité, I : 285 ; II : 66, 395 - communication, II Unesco, I : 156 - information, II Unidimensionnel (philosophie de), I, - processus politique, II II - socialisation, I Unilinguisme français (Québec), II Tendance corporatiste, II Union canadienne des étudiants, I Tendance d'assujettissement, II Union des vétérans, II Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 57 Union générale des étudiants du Véhicule de participation (partis), II Québec, I Verdict, II Union ouvrière, I, II Verdinglichung, II - comme association volontaire, I Veto, II - idéologies, I Vie parlementaire, II - participation, I Vietnam, I - partis politiques, I, II Violence, I, II - patrons, I Volontarisme, I Unipartisme, II Volonté Unitarisme, I - agents politiques, II Universalité (accès), II - mécanismes d'interaction, II Université, I Volonté générale, I, II Urbanisation, I, II Volonté populaire, II - socialisation, I Vote, I, II Urnes, II - bulletin, II Utilitarisme, I - caractère, II Utopie (libérale), II - classe sociale, II - dimensions, II V - groupe, II - partis politiques, II Valeur(s) (voir : Idéologies), I, II - agrégation et articulation, I W - but (goal-value), I - convergence, I Weimar (République de) et groupe - défense et promotion, I d'intérêt, I - fonctionnelle, I Welfare State, I, II - grande association, I Weltanschauungen (vision du - groupe (d'intérêt), I monde), I - manipulation, I Wertrational, I - participation, II Whip, I, II - partis politiques, II Whithinpuis, II : 239, 446 - politique consultative, II Woodland - représentation, I Owners' Association, I : 354 Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 58 Société et politique : la vie des groupes. Tome second: Dynamique de la société libérale (1972) LISTE DES TABLEAUX (tomes I et II) Retour à la table des matières Appartenance à la League of Women Voters of the United States, selon le revenu, II. Appartenance aux associations volontaires par pays, I, II. Appartenance aux associations volontaires en fonction de l'importance de l'agglomération, II. Appartenance aux associations volontaires selon le revenu, II. Appartenance aux associations volontaires selon les catégories d'associations et selon la langue maternelle (Canada), I, II. Appartenance à des associations volontaires selon l'instruction, II : 308. Appartenance des adultes aux associations selon la profession, II. Appartenance des familles aux associations volontaires selon la classe sociale (Jonesville), II. Degré d'activité politique des individus selon diverses variables de participation, II. Différences dans la tendance à voter pour le parti démocrate entre les membres de groupes et les non-membres, II. Hommes et femmes dans divers rôles politiques, II. Intérêt pour les questions ou les activités politiques chez les membres et les non- membres d'associations (Denver, Colorado), I, II. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 59 Intérêt pour les questions ou activités politiques chez les membres et chez les non- membres d'associations (États-Unis), I, II. Interpénétration des régimes de castes et de classes chez les Noirs du Sud des États-Unis, II. Jugements des députés sur les groupes d'intérêt selon l'opinion qu'ils s'en font, I. Membres d'associations ayant occupé un poste de direction selon l'instruction (dans cinq pays), II. Modes de consultation dans une société libérale, II. Niveaux de conceptualisation, II. Nombre d'appartenances aux associations volontaires et degré de participation politique, II. Participants aux discussions politiques (dans cinq pays), II. Participation de 200 familles à diverses activités avant et après le chômage, II. Participation des adultes américains aux activités politiques, II. Population adulte américaine en fonction de l'intensité des convictions politiques, II. Pourcentage de répondants appartenant à une association selon la nation et l'instruction, I. Prédicats de la participation, II. Profession du chef de famille en regard du nombre d'appartenances, II. Proportions d'appartenances à des associations, II. Proportion de ceux qui estiment que le citoyen devrait être actif dans les sociétés communautaires selon les strates sociales et pour cinq pays, I, II. Proportion des électeurs démocrates fortement ou faiblement identifiés à leur groupe, II. Proportions de membres et de dirigeants dans les associations selon les catégories sociales (Squirebridge), I, II. Proportion des répondants appartenant à une ou plusieurs organisations, par pays, I, II. Rapport de la quantité d'information politique avec la présence du groupe en tant que groupe dans la conscience d'un individu, II. Rapports entre l'échelle d'efficacité politique et le degré de participation, II Répartition des suffrages scion les partis pour cinq catégories socio- professionnelles lors de l'élection britannique de 1951, II. Répartition des suffrages selon les partis pour quatre catégories socio- professionnelles lors des élections d'après-guerre en Grande-Bretagne, II. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 60 Répondants appartenant à une ou plusieurs associations (Bermington, Vermont), I, II. Répondants appartenant à une ou plusieurs associations (États-Unis), I, II. Répondants membres d'associations volontaires selon les sexes (pour cinq pays), II. Répondants qui disent avoir déjà occupé un poste de direction (officer) dans une de leurs associations, par pays, I. Répondants qui estiment que leurs associations s'intéressent aux questions politiques, selon les pays, I, II. Source d'où les adultes américains ont tiré le plus d'information politique au cours des campagnes présidentielles de 1952 et de 1956, II. Usage de divers ? media ? pendant les campagnes présidentielles de 1952 et de 1956 aux États-Unis, II. Voudriez-vous entendre plus ou moins de discours à la radio ou pas du tout ? I. Vues des hommes et des femmes à l'égard de la convenance de certaines activités pour les sexes, II. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 61 Société et politique : la vie des groupes. Tome second: Dynamique de la société libérale (1972) LISTE DES SCHÉMAS (tomes I et II) Retour à la table des matières Articulation des groupes d'intérêt au système social (par le palier de la culture), I. Conception du fonctionnement des ? télémedia ? comme agents des structures sociales, II. Conception du fonctionnement des ? télémedia ? comme instruments de masses, II. Conversion cybernétique des interrelations du système social et du système politique, I. Conversion des paliers en deux systèmes interreliés : le système social et le système politique, I. Dynamique de l'intégration politique, II. Dynamique des interactions du système social et du système politique, I, II. Échelle de mesure des sociétés selon le changement de leur position dans le temps dans le continuum traditionnel-moderne, I. Échelle de mesure des sociétés selon leur position dans le continuum traditionnel- moderne, I. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 62 Échelle de mesure d'un système social et d'un système politique selon leur évolution respective dans le continuum progressisme-conservatisme, I. Éléments de comparaisons entre sociétés différentes, I. Éléments de comparaisons entre sociétés différentes eu égard aux structures et aux fonctions, I. Interactions des ? media ? de communication avec leur environnement, II. Interactions des partis avec leur environnement, II. Interrelations des conseils consultatifs avec leur environnement, II. La double dynamique vers l'autodétermination politique, II. La société traditionnelle et la société moderne (traits généraux), I. Les sept paliers d'une société selon le critère de l'intériorisation progressive, I. L'influence dans un processus d'interaction, II. Modalités des interrelations des groupes et des partis, II. Paradigme de la participation, II. Perception par les dirigeants des désirs des simples membres, I. Source de déformation de l'information dans un circuit de communication, II. Structures de l'influence dans une société libérale, II. Unité cybernétique, I. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 63 Société et politique : la vie des groupes. Tome second: Dynamique de la société libérale (1972) INTRODUCTION GÉNÉRALE NOTIONS D’ACCÈS Retour à la table des matières Il ne suffit pas de considérer, comme nous l'avons fait dans le tome premier de cet ouvrage, les formes diverses que revêtent les groupes ainsi que leur mode d'articulation au système social et au système politique. Il s'impose en outre d'observer comment ils se comportent et, notamment, jusqu'à quel point ils constituent un moteur du mouvement des sociétés. Les interactions du système social et du système politique revêtent obligatoirement un caractère dynamique : elles sous-tendent les bonds en avant aussi bien que les arrêts et les reculs des ensembles sociaux les plus vastes comme les plus restreints. Les pulsions viennent tantôt du système social, tantôt du système politique. Parfois elles convergent, parfois elles divergent. Il en résulte des mouvements plus ou moins amples, harmonieux ou conflictuels qui, tel un tracé barométrique, indiquent le sens du changement. Les agents de ces mouvements sont les individus eux-mêmes, non pas à l'état isolé, mais en tant qu'ils participent à la vie de collectivités. Nous n'avons pas la prétention d'englober dans nos analyses la totalité de cette vie qui, dans sa plénitude, déborde infiniment toute étreinte analytique. Nous allons limiter nos Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 64 efforts à une préoccupation centrale : examiner comment les mécanismes d'interactions remplissent leurs tâches de médiation entre les agents des deux systèmes. Ce n'est donc pas ce qui se passe parmi les groupes sociaux ni au sein des composantes internes du système politique (législation, administration, gouvernement, judiciaire) qui, au premier chef, va retenir notre attention, nous allons plutôt nous interroger sur la façon dont les agents des groupes et ceux des composantes internes du système politique entrent en contact et comment ils agissent les uns sur les autres. En outre, nous nous attacherons à scruter ces interactions sous l'angle du système politique plutôt que sous celui du système social. Nous nous posons les trois questions suivantes : comment et jusqu'à quel point les groupes d'intérêt convertissent-ils les pressions, idéologies et intérêts des agents sociaux en inputs (demandes et soutiens) du système politique ; comment et jusqu'à quel point influent-ils sur ce qui se produit au sein du système politique, de même que sur les outputs (décisions et actions) du système politique ; et, finalement, comment et jusqu'à quel point les décisions et actions politiques influent-elles sur les dispositions des groupes à l'endroit du système politique et modifient-elles le caractère de leurs demandes et de leurs soutiens politiques ? Bien entendu, dans nos considérations, nous ne perdrons pas de vue le système social lui-même puisque le système politique est un appareil de décisions et de contrôles dont le fonctionnement requiert la contribution de toutes les parties du corps social et dont l'emprise s'étend également à l'ensemble de la société. Et le fait même que nous partions des interactions systémiques nous obligera à tenir compte des conditions - actions et réactions - du système social dans ses parties composantes aussi bien que dans son ensemble. Toutefois, si, en centrant l'analyse sur le système politique, c'est toute la dynamique des groupes que nous estimons pouvoir cerner, il faut convenir que nous saisirons cette dynamique surtout dans sa dimension politique. Les groupes d'intérêt ne sont pas le seul circuit d'interactions systémiques. Les partis politiques constituent des mécanismes médiateurs tout aussi considérables, sinon plus considérables encore. Il faut aussi tenir compte des media qu'empruntent les agents de l'un et l'autre systèmes pour communiquer entre eux. Il existe enfin, dans toutes les sociétés, des rouages spécialement créés en vue de permettre des échanges systématiques et permanents entre certaines catégories d'agents sociaux et d'agents politiques que nous appelons ? conseils consultatifs ?. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 65 Partis, media de communication, conseils consultatifs ont les uns et les autres une façon particulière de remplir leur fonction d'interactions systémiques et chacun d'eux pourrait être choisi comme objet propre d'étude, sous un angle propre. En plaçant les groupes d'intérêt au centre de nos analyses, nous nous empêchons de faire ressortir pleinement comment les autres mécanismes remplissent leurs tâches de médiation. Toutefois, nous établirons comment les groupes d'intérêt interagissent avec les autres mécanismes, de sorte que nous serons conduit à identifier de façon assez précise les caractères et les modes d'action de ces derniers. Ainsi, en première approximation, qu'il faudra bien sûr corriger en cours de route, on peut dire que les groupes d'intérêt ont pour tâche principale l'articulation des pressions, idéologies et intérêts ; nous serons amené à voir dans quelle mesure les partis en rendent possible l'agrégation, les media de communication, la transmission, et les conseils consultatifs, la confrontation et la conciliation. Le schéma illustrant la dynamique des interactions du système social et du système politique que nous avons présenté dans le tome premier montre bien la position centrale qu'occupent les mécanismes d'interactions dans le mouvement intersystémique. Ceux-ci représentent à la fois des déversoirs de la matière sociale à vocation politique et des pressoirs de cette même matière afin d'en faire des objets politiques. On a vu dans le tome premier comment les mécanismes d'interactions reçoivent les outputs (intérêts, idéologies, pressions) du système social. Il reste à montrer comment ils parviennent à les convertir en inputs (demandes et soutiens) du système politique. Il s'agit de déterminer, d'abord, comment ils pénètrent dans le système politique et, ensuite, jusqu'à quel point les agents du système politique réagissent à leurs efforts. Cette double interrogation soulève la question préliminaire mais fondamentale des conditions de leur accès au système politique. En effet, les groupes d'intérêt ne légifèrent pas, ni n'administrent, ni ne gouvernent. Dans la mesure où ils exercent une influence sur les décisions et les actions politiques, c'est qu'ils ont eu auparavant un accès auprès de l'agent de décision autorisé, le législateur, le fonctionnaire ou le ministre. Par accès, il faut entendre le degré selon lequel un agent ou un groupe parvient à capter l'attention d'un autre agent ou groupe, à se faire entendre de lui et à gagner sa sympathie. Cet accès est susceptible de grandes variations suivant Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 66 la facilité avec laquelle il est acquis. Avec Fred W. Riggs, on peut le concevoir comme un continuum comportant divers degrés : l'exclusion, l'intrusion ou 1l'effraction, l'admission et la prise de possession ou l'investissement . L'accessibilité du système politique se présente de façon différente pour chacun des mécanismes d'interactions. Dans les sociétés libérales, les media de communication tendent à revendiquer un haut degré d'autonomie par rapport au système politique de sorte que les informations de caractère politique qu'ils véhiculent ont été recueillies ou du moins visées par des agents sociaux spécialement formés à cette fin (journalistes, publicistes, etc.). Le degré d'accès aux ? nouvelles ? politiques dépend de la qualité et du flair de ces spécialistes de même que des dispositions légales relatives au droit à l'information et des attitudes des agents politiques concernant l'information. Par ailleurs, le gouvernement crée et entretient lui-même des canaux d'information qui lui sont propres (offices d'information, journaux des débats, émissions télédiffusées, circulaires diverses). Il utilise ces canaux pour communiquer directement avec la population. La question de l'accès ne se pose guère pour les conseils consultatifs qui sont précisément créés par le système politique pour permettre aux agents sociaux de communiquer directement avec les agents politiques. Ici le problème concerne les chances des groupes de faire partie des commissions, conseils ou comités consultatifs. Les partis politiques ont un accès direct et officiel au système politique puisque, dans les sociétés libérales, ils sont le moyen ordinaire par lequel s'effectue le choix des gouvernants et se polarisent les orientations vis-à-vis des options politiques. Il importe toutefois de distinguer entre le parti à l'intérieur du système politique (inside Parliament) et le parti à l'extérieur du système politique (outside Parliament). Dans le premier cas, le parti s'intègre fermement aux composantes du système politique, particulièrement à l'Assemblée législative et, le cas échéant, au gouvernement ; dans le second cas, il jouit d'une existence autonome comme organisation et remplit des fonctions propres. C'est ainsi que le parti comme méthode d'encadrement à l'Assemblée ne peut être assimilé au parti 1 Fred W. Riggs, Administration in Developing Countries ; The Theory of Prismatic Society, Houghton Mifflin. Boston, 1964, 143. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 67 comme machine électorale ou comme mécanisme de médiation entre gouvernants et gouvernés. Sous son premier aspect, le parti représente un rouage majeur du système politique et la question de l'accessibilité ne se pose pas pour lui ; sous son second aspect, le parti, surtout en dehors des périodes électorales, est plus ou moins tenu à l'extérieur du système politique et il doit lutter, parfois avec opiniâtreté, pour obtenir audience. Leur utilité pour le système politique n'étant pas immédiate et leur degré d'officialisation étant, dans la plupart des sociétés, négligeable, l'accès des groupes d'intérêt au système politique est toujours imparfait, conditionnel et provisoire. L'accessibilité du système politique constitue dès lors pour eux une préoccupation majeure de tous les instants. Il importe toutefois de bien mesurer la portée de ce phénomène. Tous notent ce souci constant des groupes d'intérêt à l'égard de l'accessibilité, mais les conclusions qu'ils en tirent diffèrent. Certains vont jusqu'à déclarer que les demandes des dirigeants auprès des agents du système politique concernent non pas les intérêts des membres mais plutôt la reconnaissance de leur organisation comme canal de liaison. C'est du moins la conclusion à laquelle l'examen de l'action politique des unions ouvrières au Canada conduit David Kwavnick. D'après ce dernier, dans leurs contacts avec le gouvernement, les unions ouvrières canadiennes sont surtout préoccupées de faire mousser leur organisation dont les assises sociologiques sont très fragiles. Il résulte de cette inquiétude permanente des dirigeants à l'égard de l'organisation que toute forme de reconnaissance susceptible d'être accordée par le gouvernement suscite une vive compétition intersyndicale, que les unions cherchent constamment de nouvelles occasions d'être reconnues et que les plus amers conflits entre les syndicats et le gouvernement éclatent lorsque celui-ci leur refuse la reconnaissance à laquelle, aux yeux des dirigeants, les syndicats auraient 2droit . D'autres, au contraire, sont enclins à identifier la question de l'accès avec 2 David KWAVNICK, ? Pressure Group Demands and the Struggle for Organizational Status : The Case of Organized Labour in Canada ?, The Canadian Journal of Political Science, vol. III, n? 1, 1970, 56-73. Ce jugement rejoint le point de vue de Mancur OLSON : selon ce dernier les seuls groupes susceptibles d'agir sur le système politique sont les grandes organisations. Mais l'emprise de celles-ci sur leurs membres, par suite de leur impuissance à produire des biens exclusifs, serait si faible qu'elles se trouveraient empêchées de poursuivre des objectifs concrets et précis. Dans Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 68 celle de l'influence de sorte que la recherche d'une influence se confondrait pratiquement avec les efforts de pénétration du système politique par les groupes. La capacité d' ? ouvrir les portes ? qui procure l'accès au système politique devient de la sorte synonyme de la capacité de ? prendre les décisions ?. David Truman dit de l'accès qu'il constitue en lui-même une décision gouvernementale : 3à lui seul il établit l'influence politique des groupes . On doit plutôt considérer l'accès comme une question spécifique, c'est-à-dire distincte à la fois de la substance des demandes politiques que formulent les groupes et de l'effet des efforts de ces derniers sur les décisions prises par la suite par les agents du système politique. Que les dirigeants des groupes attachent beaucoup d'importance au degré de reconnaissance que leur accorde le gouvernement, cela après tout ne saurait surprendre : l'accès au système politique n'est-il pas la condition préliminaire de toute démarche visant à informer les agents politiques des demandes et des soutiens des groupes ? La question qui se pose dès lors est la suivante : une fois que les groupes ont été reconnus par les agents politiques comme des porte-parole valables, quel usage les dirigeants font-ils de l'accès qui leur est octroyé ? Se satisfont-ils de l'accroissement de prestige qui en résulte pour l'organisation ou plutôt tentent-ils de mettre à profit la position stratégique qu'ils occupent dorénavant pour formuler les demandes du groupe sur les questions qui les concernent ? Et, si telle est en effet leur visée, quelles modalités d'action adoptent-ils et dans quelle mesure parviennent-ils à influer sur le cours des choses ? En d'autres termes, l'action politique des groupes comporte trois aspects distincts : l'accès, la formulation des demandes et la recherche d'une influence. Ce n'est qu'en distinguant aussi clairement que possible ces trois aspects qu'on peut espérer faire un peu plus de lumière sur un ensemble de questions qui, malgré les très nombreuses monographies sur les rapports entre les groupes d'intérêt et les The Logic of Collective Action : Public Goods and the Theory of Groups, Harvard University Press, Cambridge, 1965, 146-147. 3 David TRUMAN, The Governmental Process, Knopf, New York, 1951, 507. Mais dans le même ouvrage (page 265), Truman écrit que l'accès est fonction du statut social du groupe. Voir : Samuel J. ELDERSVELD, ? American Interest Groups : A Survey of Rescarch and Some Implications for Theory and Method ?, dans Henry W. EHRMANN, editor, Interest Groups on Four Continents, University of Pittsburgh Press, 1958, 173-196. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 69 Assemblées législatives, les administrations et le gouvernement, demeurent encore fort obscures. Un analyste aussi chevronné que V.O. Key Jr. nous avertit toutefois qu'ils sont peu nombreux les jugements éprouvés sur ces questions : Malgré l'abondante littérature sur les groupes de pression, notre connaissance de leurs rôles et de leurs modalités d'action au sein du système politique demeure inadéquate. Une source de la qualité insatisfaisante de nos connaissances peut être la tendance contagieuse à accorder trop d'importance aux actions politiques qui surviennent à l'extérieur de la structure officielle du régime... Une difficulté supplémentaire résulte du fait que les groupes d'intérêt comportent une grande variété de types d'organisation. Les généralisations sur les groupes d'intérêt décrivent correctement un certain nombre de groupes mais non d'autres groupes. La catégorie ? groupe de pression ? n'est en aucune façon homogène... Mais que le groupe soit grand ou petit, son organisation peut servir de lien entre ses 4membres et le gouvernement . Le degré d'accessibilité d'une composante donnée du système politique pour un groupe particulier dépend de nombreuses conditions, dont bon nombre ne peuvent être définies d'avance. D'où l'utilité des nombreuses études de cas faites sur cette question et sur celle de l'influence : malgré l'impossibilité de faire des généralisations fermes à partir de ces études, leurs conclusions procurent sans aucun doute les renseignements les plus précieux dont nous disposions présentement au sujet de l'action des groupes d'intérêt. De nombreux facteurs conditionnent l'accessibilité du système politique pour les groupes d'intérêt. Certains renvoient à l'organisation des groupes (leur objectif, leur taille, leurs ressources, leur composition, etc.). D'autres tiennent au statut des groupes au sein du système social (notamment à la façon dont ils sont reliés à la culture, à la stratification sociale et à l'économie). D'autres facteurs encore dérivent du système politique (caractéristiques du système politique et de ses composantes particulières, dispositions des agents politiques à l'endroit des groupes et de leurs dirigeants, perméabilité relative du centre politique visé, types d'accès qu'un système politique donné favorise ou décourage, etc.). D'autres facteurs, enfin, découlent de la conjoncture ou du flux des événements qui 4 V.O. KEY Jr., Public Opinion and American Democracy, Alfred A. Knopf, New York, 1961, 500-501. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 70 déterminent l'émergence des enjeux en fonction desquels les groupes décident d'agir ou de ne pas agir et, le cas échéant, de la nature de leur action. Tous ces facteurs sont à leur tour soumis aux grandes puisions de l'histoire qui, périodiquement, infléchissent leur portée, soit que leur poids relatif s'accroisse, soit encore qu'il diminue. C'est ainsi que l'administration revêt plus d'importance aujourd'hui pour les groupes qu'il y a cinquante ans et que, par contre, ceux-ci n'accordent peut-être plus la même attention que jadis aux Assemblées législatives. Par ailleurs, le système politique est beaucoup plus actif aujourd'hui qu'autrefois et ses décisions et actions rejoignent beaucoup plus intimement les individus et les groupes. On peut supposer dès lors que l'accès au système politique est devenu une préoccupation croissante des groupes et qu'ils font plus d'efforts que naguère pour se l'assurer. Il ne nous paraît guère possible de forger un modèle d'analyse qui tienne convenablement compte de facteurs si divers et si aléatoires. Nous estimons toutefois qu'on accroîtra sensiblement la valeur des nombreuses connaissances acquises si on les examine à la lumière de notre proposition centrale : les groupes d'intérêt remplissent une tâche politique essentielle puisqu'ils visent à articuler les idéologies et les intérêts émanant du système social et à les convertir en demandes 5et en soutiens politiques . 5 Notre champ d'investigation continuera de s'étendre aux sociétés libérales occidentales et fera occasionnellement mention d'autres régimes politiques pour fins de contrastes ou d'illustrations, Cette démarche soulève l'épineux problème de la valeur des comparaisons sur lequel nous nous sommes interrogé dans le tome premier. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 71 Société et politique : la vie des groupes. Tome second: Dynamique de la société libérale (1972) Troisième partie Groupes d’intérêt et mécanismes d’interaction systémiques Retour à la table des matières Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 72 Les pulsions qui meuvent les sociétés sont infiniment diverses. Elles sourdent, rapides ou lentes, puissantes ou faibles, en vagues concomitantes ou successives, de tous les paliers d'une société : écologie, démographie, technologie, économie, stratification sociale, culture et politique. Il n'est pas possible de les identifier toutes au passage ni d'en déterminer correctement les effets. Mais, du moment que, comme nous l'avons fait dans le tome premier, l'on procède à une conversion de ces paliers en deux systèmes, l'un social et l'autre politique, on crée deux unités distinctes de fonctionnement obéissant chacune à sa logique propre tout en étant reliées l'une à l'autre par des mécanismes spéciaux d'interactions. Dans le troisième chapitre de la première partie du tome premier, nous avons abondamment expliqué et illustré par le recours à des schémas comment s'effectue la conversion systémique de même que la position centrale qu'occupent les mécanismes d'interactions et, finalement, la manière dont la dynamique intersystémique constitue un moteur de l'évolution des sociétés. Nous renvoyons le lecteur à ce chapitre. Il est utile toutefois de reproduire ici le schéma principal montrant la dynamique des interactions du système social et du système politique (schéma n? 1). Ce sont ces mécanismes d'interactions qui vont maintenant retenir notre attention. Leur examen devrait nous permettre de reconstituer la logique de la dynamique intersystémique et, par là, de mettre de l'ordre dans les multiples pulsions qui jaillissent de chacun des paliers. Malgré leur apparence anarchique, ces pulsions doivent en effet suivre certaines règles de telle façon que leurs caractères, leur fréquence et leur amplitude se conforment finalement à un plan d'agencement. Sans un tel plan, aucune société ne pourrait durer. Par l'étude des mécanismes d'interactions, nous espérons saisir le jeu de l'organisation sociale sous l'une de ses dimensions les plus significatives, celle par laquelle une société acquiert un langage politique et se soumet avec plus ou moins de docilité aux directives résultant du mode impératif que revêt ce langage. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 73 SCHÉMA N? 1 Dynamique des interactions du système social et du système politique (Schéma applicable à une société libérale) Retour à la table des matières Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 74 Sous l'effet de la culture des sociétés libérales plus que d'après des conclusions tirées de l'observation rigoureuse des faits, on insiste davantage sur ce qui oppose les mécanismes d'interactions les uns aux autres que sur ce qui les unit. C'est ainsi que groupes d'intérêt et partis sont souvent considérés comme naturellement antagonistes les uns des autres. Une longue tradition moralisatrice fermement ancrée dans les moeurs libérales dépeint les partis comme ouvrant la voie à la légitimité du pouvoir et les groupes d'intérêt comme des suppôts de l'usurpation. Il n'y a guère lieu de se surprendre dès lors du fait que les questions généralement posées à leur sujet concernent surtout le degré de vitalité des partis et celui des groupes d'intérêt et, par suite, la possibilité de réduire l'exubérance de ces derniers en renforçant les premiers. Il ne s'agit pas de nier les oppositions trop évidentes entre groupes d'intérêt et partis. Mais il s'impose de montrer également la division du travail et les convergences qui s'établissent entre eux dans le cours de leurs nombreux contacts. La même façon de voir vaut d'ailleurs pour tous les mécanismes d'interactions, les conseils consultatifs et les media de communication aussi bien que les groupes d'intérêt et les partis politiques. Une certaine cohérence structurale et fonctionnelle des mécanismes d'interactions doit d'ailleurs être considérée comme une exigence systémique. En effet, groupes d'intérêt, partis, media de communication et conseils consultatifs remplissent tous une fonction de médiation ou de relais intersystémique. Sans aucun doute, la façon dont chacun remplit cette fonction varie considérablement. Des rivalités et des antagonismes peuvent les opposer les uns aux autres. Mais leurs rôles sont finalement complémentaires et, dans l'accomplissement de leurs tâches, ils s'appuient obligatoirement les uns sur les autres de telle sorte que, tous ensemble, ils procurent les raccords requis pour permettre les meilleures interactions systémiques possibles. Rappelons que les groupes d'intérêt se situent dans le prolongement des associations volontaires : ils représentent l'organisation spéciale que se donnent les associations volontaires qui entendent se livrer à une activité politique considérable. Dans les termes de E. E. Schattschneider : ? Du moment qu'un groupe a acquis le genre d'intérêt qui le conduit à s'organiser, on peut postuler Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 75 qu'il a pris une sorte de biais politique parce que l'organisation constitue d'elle- 6même une mobilisation du biais en vue de l'action . ? Selon Schattschneider, le nombre de ces organisations est très peu élevé et se restreint à certaines catégories d'intérêts, les intérêts d'affaires dominant largement les autres. Telle est aussi l'opinion de V. 0. Key Jr., selon qui cinq cents organisations tout au plus se préoccupent de façon permanente de la politique 7nationale américaine . Retenons en outre que ces associations volontaires qui se donnent une organisation en vue de l'action politique continuent à remplir pour leurs membres d'autres fonctions (d'ordre professionnel, récréatif, éducationnel, etc.) dont l'ampleur est généralement beaucoup plus grande que dans le cas des associations qui ne comportent pas une telle organisation. La mobilisation pour l'action politique se situe en effet dans le prolongement d'un besoin ressenti à l'occasion de l'accomplissement des tâches ordinaires de l'association. En d'autres termes, le groupe d'intérêt naît de la confrontation des idéologies et des intérêts des groupes et des volontés des agents politiques. La même situation prévaut pour les autres mécanismes d'interactions, exception faite des conseils consultatifs qui n'existent précisément que pour l'accomplissement de médiations intersystémiques. Il est clair que les partis et les media de communication remplissent bien d'autres tâches : ainsi, c'est par l'intermédiaire des partis que les citoyens choisissent leurs gouvernants et c'est grâce aux media de communication qu'ils reçoivent les informations les plus diverses. Ces tâches sont susceptibles d'être tout aussi importantes pour la société que leur contribution aux médiations intersystémiques. Le fait que les groupes d'intérêt, partis et media de communication soient directement ou indirectement associés à d'autres activités que celle de relais leur assure une certaine autonomie par rapport au système social et au système 6 E.E. SCHATTSCHNEIDER, The Semi-Sovereign People, Holt, Rinehart and Winston, New York, 1960, 30. L'auteur, qui ne prise guère les groupes d'intérêt, affirme que ceux-ci constituent l'organisation du ? biais politique ? menant à la création d'un véritable système de pression (pressure system). 7 V.O. KEY Jr., Politics, Parties and Pressure Groups, Thomas Y. Crowell, New York, 1964, 129. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 76 politique. Cette autonomie relative leur est précieuse pour le bon accomplissement de leur fonction médiatrice. On peut dès lors identifier au sein des mécanismes d'interactions un triple mouvement : un premier mouvement les met en contact avec les agents du système social dont ils articulent ou agrègent les idéologies et les intérêts ; un second mouvement les pousse vers les agents du système politique dont ils reçoivent les volontés ; un troisième mouvement les fait puissamment réagir aux pulsions systémiques, les porte vers eux-mêmes et les incite à tenter d'influencer agents sociaux et agents politiques. Si donc les mécanismes d'interactions doivent être considérés comme des instruments de la logique du système social et de celle du système politique, en ce sens que le fonctionnement interne de chaque système ne peut être adéquat sans un réseau de relais qui le rattache en permanence à l'autre, il ne s'en suit pas qu'ils sont de simples conducteurs ou transducteurs de l'énergie qui circule d'un système à l'autre. Ils sont eux-mêmes animés par des agents doués d'impulsions propres et parfaitement aptes à formuler des jugements et à adopter des positions. Loin de subir passivement la loi des systèmes, ils cherchent activement à intervenir sur ceux-ci pour en stabiliser ou pour en modifier les structures selon une logique qui leur est propre. En convertissant les idéologies et les intérêts des agents sociaux en demandes et en soutiens politiques, ils les modifient de façon plus ou moins sensible. De la même manière, ils ne constituent pas de simples courroies de transmission de la volonté des agents politiques : ils cherchent à la plier à leur perception des besoins et des aspirations des individus et même à la modifier. Les mécanismes d'interactions ne sont pas simplement le lieu des échanges entre agents sociaux et agents politiques : ils agissent en outre comme des négociateurs autorisés par les deux parties à engager des pourparlers en leur nom et, le cas échéant, à suggérer les termes d'accords possibles. Dans le cours de ce processus, il se produit habituellement une transformation de l'énergie systémique. Il en résulte une entropie qui peut être fonctionnelle ou dysfonctionnelle selon que le changement effectué par les mécanismes d'interactions facilite ou contrarie les relations systémiques et le bien-être des systèmes. Les mécanismes d'interactions apparaissent ainsi comme de vastes marchés au sein desquels les valeurs sont échangées et les profits et pertes portés dans une large mesure au compte des agents responsables. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 77 Ce statut de contrôleurs des biens et services qui s'échangent sur le marché intersystémique suffit à justifier l'existence des mécanismes d'interactions aux yeux des agents des deux systèmes. Comme nous l'avons abondamment montré dans le tome premier, c'est même là la principale justification des groupes d'intérêt. Pour les membres d'associations volontaires, les organisations qu'ils se donnent dans le but de défendre et de promouvoir leurs intérêts offrent la promesse d'un soutien politique aux objectifs qui leur tiennent à coeur. Pour les agents politiques, les mécanismes d'interactions représentent la garantie d'un 8acquiescement des agents sociaux à leurs décisions et actions . Pour être en mesure d'agir de façon raisonnable, les agents des deux systèmes doivent faire en sorte que les mécanismes d'interactions puissent remplir adéquatement leur rôle de négociateurs et de pourvoyeurs de biens et de services. Les agents sociaux, quand ils veulent sonder les possibilités du système politique, doivent obligatoirement passer par ces mécanismes. De même, les agents politiques ne peuvent impunément les ignorer dans la préparation des programmes et dans la prise des décisions. En effet, les ignorer, ce serait de leur part s'exposer à susciter l'opposition des publics mêmes dont l'acquiescement est indispensable à la mise en oeuvre des programmes dont ils sont les promoteurs. On comprend dès lors que les mécanismes d'interactions constituent une source de préoccupation constante pour les agents sociaux et les agents politiques. Les uns et les autres cherchent à étendre leur emprise sur eux, à déterminer les conditions de leur action et à orienter leurs prises de position. Les agents sociaux disposent d'atouts majeurs : le personnel et les ressources des mécanismes d'interactions viennent surtout, en effet, des groupes sociaux. Sans le concours de ces derniers, les mécanismes d'interactions s'étiolent et meurent. Mais les agents politiques, de leur côté, disposent de nombreux moyens de recours. D'une part, ils passent des lois et des ordonnances qui déterminent les limites de la légitimité de l'action des mécanismes d'interactions ; d'autre part, par les dispositions qu'ils manifestent à l'endroit de ceux-ci, ils contribuent beaucoup à déterminer le degré de leur utilité réelle pour les agents sociaux. 8 Pour une interrogation sur la raison d'être des groupes d'intérêt, voir Mancur OLSON, op. cit. Voir également Robert H. SALISBURY, ? An Exchange Theory of Interest Groups ?, Midwest Journal of Political Science, vol. 13, n? 1, 1969, 1-32. Les vues de Salisbury se rapprochent davantage de notre conception que celles d'Olson. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 78 En d'autres termes, les agents du système social, du système politique et des mécanismes d'interactions, tout en étant indépendants les uns des autres en ce sens qu'ils prennent appui sur des pouvoirs distincts, sont néanmoins solidaires dans leur action. Et dans ce processus jamais achevé d'actions et de réactions, de convergences et de divergences, c'est le jeu des mécanismes d'interactions qui, en dernière analyse, a le plus de poids sur l'orientation d'une société. C'est cette vocation insigne des mécanismes d'interactions, notamment des groupes d'intérêt, que l'on veut exprimer lorsqu'on se réfère à eux comme à des ? corps intermédiaires ?. Dans les termes de Henri Théry : Qu'est-ce en effet qu'un ? corps intermédiaire ?, sinon un corps social, c'est-à-dire une collectivité qui assure une fonction médiatrice entre des personnes ou des groupes et des ensembles sociaux de grande envergure ? Un corps intermédiaire, c'est en quelque sorte un palier qui permet aux personnes comme à la société d'établir le passage entre des niveaux et des types différents de vie personnelle et de vie collective, c'est une sorte de point d'étape par où passe le double mouvement de personnalisation et de 9socialisation . Il est toutefois impossible de bien saisir la portée réelle des mécanismes d'interactions si on les considère isolément les uns des autres. Aussi estimons-nous indispensable de consacrer la troisième partie de cet ouvrage à l'examen des relations qui se nouent entre ces mécanismes. En plaçant au centre de nos exposés les groupes, qui représentent l'objet de notre préoccupation fondamentale, et ayant à l'esprit les structures et les fonctions spécifiques des partis, des media de communication et des conseils consultatifs aussi bien que des groupes d'intérêt, nous essaierons dans chaque cas d'identifier les facteurs de convergence et de divergence et de montrer leur contribution respective à l'accomplissement de la fonction de médiations intersystémiques. 9 Henri THÉRY, les Groupes sociaux : forces vives ? Éditions du Centurion, Paris, 1964, 202-203. C'est à Auguste Comte et à Émile Durkheim qu'on doit l'usage dans la sociologie et la politologie françaises contemporaines de ce terme emprunté à l'Ancien Régime. Les deux maîtres français nommaient ? corps intermédiaire ? tout groupe qui effectuait la médiation entre une collectivité restreinte et une collectivité plus vaste. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 79 Société et politique : la vie des groupes. Tome second: Dynamique de la société libérale (1972) Troisième partie : Groupes d’intérêt et mécanisme d’interaction systémiques Chapitre I Groupes et partis Retour à la table des matières Par la dynamique qui les meut et les tâches qu'ils remplissent, les partis représentent un lieu privilégié des échanges intersystémiques. Malgré de pénibles avatars passés et les jugements souvent pessimistes prononcés aujourd'hui à leur sujet, ils demeurent un rouage irremplaçable de la mécanique des sociétés libérales. D'une part, ils transmettent aux agents politiques les pressions, idéologies et intérêts émanant du système social et, d'autre part, ils véhiculent vers les agents sociaux les possibilités et les volontés du système politique. Certes, les autres mécanismes d'interactions - les groupes d'intérêt, les media de communication et les conseils consultatifs - remplissent une fonction médiatrice similaire. Mais chacun d'eux possède ses caractéristiques et sa vocation propre. À des degrés divers selon les époques et les sociétés, les partis remplissent de multiples tâches. Dans la mesure où ils procurent aux citoyens un cadre de référence et d'identification, ils sont des instruments d'intégration et de socialisation politiques et des véhicules de participation : centres de référence et propagateurs, avec d'autres agents, de la culture politique, il leur est loisible, grâce au grand nombre de moyens dont ils disposent, de s'adonner à la formation de leurs adhérents, de les aider à préciser leurs attitudes, d'orienter leurs vues, de Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 80 guider leurs conduites et même, par le truchement des idéologies qu'ils contribuent à faire émerger et qu'ils encadrent, d'influer sur les valeurs collectives. En outre, les partis ont de lourdes responsabilités dans l'exercice des fonctions gouvernementales. Là cependant où ils se révèlent véritablement passés maîtres, c'est dans l'activité pour laquelle ils existent au premier chef, l'activité électorale. Par ailleurs, dans l'accomplissement de leurs tâches, ils reçoivent constamment l'appui des autres mécanismes d'interactions et, inversement, ils constituent pour ceux-ci un tremplin pour leur propre action sur le système social et le système politique. Ces interrelations représentant les articulations maîtresses qui lient les partis à leur environnement peuvent s'illustrer sous une forme schématique (schéma 10n? 2 ). Dans le présent chapitre, nous n'accorderons pas un soin égal au traitement des six types d'interactions que révèle le schéma. Nous allons identifier les rapports qui relient les partis au système social et au système politique et nous attarder sur ceux qui les rattachent aux groupes d'intérêt. Nous ne mentionnerons qu'au passage les relations qu'ils entretiennent avec les media de communication et les conseils consultatifs et nous n'évoquerons virtuellement qu'en conclusion la boucle de rétroaction dont les partis politiques sont le principe. Nous ne visons pas à faire une étude complète des partis. Pareille entreprise, que notre méthode d'analyse rend possible, déborde toutefois l'objectif central du présent ouvrage. Nous allons surtout nous attacher à reconstituer l'effet de groupe qui se manifeste dans la vie des partis. 10 Pour un schéma détaillé des interactions des partis et de leur environnement incluant les ? fonctions ? des partis, voir Frank J. SORAUF, Political Parties in the American System, Little Brown, Boston, 1964, 159. Nous ne reproduisons pas ce schéma parce qu'il ne correspond pas entièrement à notre méthode d'analyse. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 81 Schéma no 2 Interactions des partis avec leur environnement Retour à la table des matières Cet effet de groupe au sein des partis est double. En premier lieu, les partis constituent eux-mêmes des groupes : ils comportent une organisation à laquelle les individus s'identifient à des degrés divers. Certes, ils ne sont pas des groupes 11au sens d' ? unités collectives réelles ?, comme l'est la famille, par exemple . Ils ne se situent généralement pas non plus dans le prolongement d'unités collectives réelles, comme c'est le cas des groupes d'intérêt. En réalité, ils ne rejoignent fermement les unités collectives réelles que par le truchement de groupes d'intérêt : ainsi les partis socialistes qui se greffent sur les unions ouvrières. Toutefois, l'organisation bien caractéristique dont ils se dotent, la communauté de conscience qui, sur des points particuliers, se crée entre les membres, le recours à certaines techniques d'action familières aux groupes d'intérêt - tout cela justifie qu'on les considère comme des associations volontaires, bien que, sous certains aspects, notamment en tant qu'ils sont incorporés à l'appareil législatif et à celui du gouvernement, ils s'éloignent du modèle associationniste. À certains égards, il est difficile de les différencier des groupes d'intérêt. En Suède et, à un degré bien moindre, en Allemagne, les partis se livrent ouvertement à des activités de 11 Pour la notion de groupe et autres termes non définis employés dans le tome second du présent ouvrage. nous renvoyons le lecteur au chapitre du tome premier intitulé ? Les notions essentielles ?. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 82 ? pression ? et s'intègrent aux rouages de la politique consultative. Mais les exigences de l'accomplissement des tâches spécifiques qui leur incombent, c'est-à-dire le rassemblement des votes et la sélection des gouvernants, contraignent en pratique la plupart des partis à devenir ou des coalitions ou de simples conglomérats de groupes qui sont chacun le porte-parole d'idéologies et d'intérêts spéciaux et sous certains aspects divergents, ce qui rend fort difficile sinon 12impossible leur poursuite d'activités de pression axées sur des objectifs précis . En second lieu, les partis entretiennent d'étroits rapports avec les groupes d'intérêt. Dans le dessein de faciliter l'accomplissement de leurs tâches, ils cherchent souvent eux-mêmes le concours des groupes d'intérêt. Mais ces derniers montrent encore plus d'ardeur à se mériter la faveur des partis qui constituent pour eux une voie royale d'accès auprès des agents politiques. La diversité des définitions des partis montre la complexité inouïe de la réalité que veut cerner cette notion. On peut toutefois appeler parti toute organisation, composée de dirigeants, de membres et de sympathisants, dont l'objectif principal consiste à réunir une fraction assez élevée des suffrages, selon des modalités déterminées et généralement à la suite d'une campagne électorale, dans l'espoir de faire élire un nombre suffisant de candidats qui se sont présentés sous son égide et ont endossé son programme pour lui permettre d'assumer la gestion du gouvernement - ce qui inclut la possibilité de se retrouver dans le purgatoire de 13l'opposition - en fonction d'une vision générale de la société . 12 Voir Samuel H. BEER, British Politics in the Collectivist Age, Alfred A. Knopf. New York. 1956. 106, 318 : Leon D. EPSTEIN, Political Parties in Western Democracies, Frederick A. Praeger, New York, 1967. 121. 252. 13 Rappelons la définition du groupe d'intérêt proposée dans le tome premier : un groupe d'intérêt est une association plus ou moins volontaire d'individus constituant un public, ayant des dispositions semblables relativement stables, en vue de promouvoir ou de défendre de façon permanente, temporaire ou intermittente, un ou des objets collectifs immédiats et communs, perçus par eux comme conformes à leurs besoins et à leurs aspirations propres, orientés d'une manière plus ou moins exclusive et constante vers le système politique mais existant indépendamment de ce dernier, et qui suscite chez eux des impressions similaires tout en les disposant à faire pression auprès des centres de décisions politiques par des moyens jugés adéquats sans toutefois les inciter à viser directement à la conquête du pouvoir. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 83 Bien entendu, les partis se conforment à des degrés fort divers à cette caractérisation générale. Pour l'ensemble, cependant, il est juste de dire que les partis nomment des candidats qu'ils s'efforcent de faire élire au cours d'élections ayant pour but le choix des gouvernants. Les deux traits les plus constants des partis paraissent être la visée de faire triompher leurs candidats aux élections et l'ambition d'obtenir le contrôle de l'appareil du gouvernement. Mais même ces traits n'existent pas toujours de façon nette, certains partis cherchant plutôt à propager une idéologie qu'à faire élire des candidats ou à constituer l'équipe gouvernementale. Les partis diffèrent grandement dans les sociétés libérales, les sociétés socialistes et les pays afro-asiatiques nouvellement créés. Dans les sociétés afro-asiatiques, les partis portent encore la marque du favoritisme découlant du poids des relations personnelles et de l'emprise des anciennes bureaucraties, de l'élitisme et du contre-élitisme résultant de l'influence que conservent encore les grandes familles et de l'esprit de clique et de clan lié à la survivance des ethnies. Dans beaucoup de cas, les partis dans ces pays se confondent encore plus ou moins avec l'appareil étatique, d'autres organisations, comme certaines familles et des cliques de fonctionnaires, remplissant pratiquement la fonction de médiation socio-politique dévolue aux partis et aux groupes d'intérêt dans les sociétés libérales. Au sein même des sociétés libérales, de grandes différences séparent les partis : par exemple, les partis britanniques et les partis américains, les partis allemands et les partis italiens. Et même à l'intérieur d'un pays, on constate de profondes divergences dans la structure et le fonctionnement des partis, ainsi entre le parti travailliste et le parti conservateur britanniques, le parti communiste français et l'U.d.r. En outre, les partis et les régimes de partis ont évolué énormément depuis leur apparition, sous leur forme moderne, aux États-Unis à la fin du dix-huitième siècle. Joseph Schumpeter a dit des classes sociales qu'elles ? portent la marque 14des siècles ? qui les ont façonnées . On peut en dire autant des groupes d'intérêt et des partis politiques : les circonstances de leur origine conditionnent leur 14 Joseph SCHUMPETER, Imperialism and Social Classes, trans. Heinz Norden, Basil Blackwell, Oxford, 1951, 145. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 84 devenir. David Truman note en effet à propos des groupes d'intérêt : ? L'origine des groupes d'intérêt et les conditions de leur acquisition de dispositions à l'endroit des institutions gouvernementales [comptent] parmi les facteurs les plus 15importants de la description de la politique fondée sur les groupes . ? Nombre de spécialistes des partis sont d'accord sur ce point avec Maurice Duverger qui a écrit que ? ... c'est l'ensemble de la vie du parti qui porte la marque 16de sa naissance ?. C'est ainsi que Robert McKenzie considère comme fondamental pour la compréhension du parti conservateur et du parti travailliste britanniques que le premier ait une origine parlementaire et que le second ait pris naissance hors du Parlement grâce à la convergence d'un cercle d'étude et de discussion (la Fabian Society) et d'un mouvement de masses (les unions ouvrières) : ? Tandis que le parti conservateur au Parlement s'est donné une organisation de masse pour servir ses objectifs, le parti travailliste commença comme un mouvement qui a créé un parti parlementaire en vue de procurer à la 17classe ouvrière une voix à la Chambre des Communes . ? McKenzie prend toutefois la précaution de faire remarquer que les communes contraintes de l'organisation en vue des campagnes électorales de même que celles de la vie parlementaire et, le cas échéant, des responsabilités de la gestion du gouvernement ont par la suite contribué à rendre le parti travailliste presque aussi autonome vis-à-vis de son organisation de masses que le parti conservateur à l'égard de ses propres partisans. Il en fut de même du parti travailliste australien et du Nouveau parti démocratique canadien, bien que ce dernier n'ait, jusqu'ici, jamais conquis le pouvoir au niveau fédéral ni même soit venu près de le 15 David B. TRUMAN, The Governmental Process, Knopf, New York, 1951, 66. Sur la portée des conditions entourant l'origine des groupes d'intérêt, voir Robert H. SALISBURY, ? An Exchange Theory of Interest groups ?, Midwest Journal of Political Science, vol. 13, n? 1, 1969, 1-32. 16 Maurice DUVERGER, les Partis politiques, Librairie Armand Colin, Paris, 1951, 14. 17 Robert McKENZIE, British Political Parties, Mercury Books, London, 1964, 639. Leon D. EPSTEIN écrit de son côté : ? Il est difficile d'imaginer un important Labour Party sans un support massif de la part des unions ouvrières. ? Dans Political Parties in Western Democracies, Frederick A. Praeger, New York, 1967, 147. Pour d'autres jugements dans le même sens, voir Samuel H. BEER, op. cit., 209 et Avery LEISERSON, Parties and Politics, Alfred A. Knopf, New York, 1958, 39ss. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 85 conquérir. De son côté, Martin Seymour Lipset affirme que les traits des partis américains ont été fixés par l'expérience de l'élection de 1860 : ? Il est incontestable que les élections de 1860 ont exercé une influence décisive sur la vie politique en Amérique. Elles eurent lieu à cette période cruciale où les affrontements politiques devaient aboutir à la guerre civile. Le régime des partis n'a pas beaucoup changé et les liens de sympathie ou les inimitiés qui se créèrent 18alors ont continué jusqu'à nos jours d'influer sur les affiliations partisanes . ? Mais, en même temps, les partis se transforment continuellement sous nos yeux. Les influences auxquelles ils sont exposés sont trop nombreuses et disparates pour qu'il soit possible de discerner clairement le sens de leur mouvement. Tout comme les groupes d'intérêt, les partis subissent l'impact de la conjoncture. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, beaucoup d'Allemands boudèrent les industriels qu'ils accusaient d'avoir collaboré de façon trop empressée avec Hitler et le régime national-socialiste : les associations d'affaires furent dissoutes et, une fois reconstituées, mirent du temps à retrouver leur belle assurance d'antan et les partis ne recherchèrent guère le support actif des chefs d'entreprise. Mais le ? miracle économique allemand ?, attribué tout autant à l'intelligence et à la ténacité des chefs d'entreprise qu'au patient labeur des ouvriers, a grandement facilité leur réhabilitation. Aujourd'hui, les chefs d'entreprise disposent d'associations très puissantes, notamment la Bundesverband der Deuischen Industrie, et, par l'intermédiaire de leurs organisations ou encore, dans de nombreux cas, par l'engagement partisan personnel, ils se montrent très actifs au sein des partis non socialistes qu'ils imprègnent profondément de leur 19vision du monde . Les partis sont tout aussi vulnérables à leur environnement immédiat que ne le sont les groupes d'intérêt. Cette condition fait dire à Leon D. Epstein en conclusion de son beau livre, Political Parties in Western Democracies, qu'il n'y a 18 Martin Seymour LIPSET, l'Homme et la politique, traduit de l'américain par Guy et Gérard Durand, Éditions du Seuil, Paris, 1960, 377. 19 Des sondages montrent la remontée du prestige des dirigeants d'entreprise en Allemagne depuis quinze ans. Voir Gerard BRAUNTHAL, The Federation of German Industry in Politics, Cornell University Press, Ithaca, New York, 1965, 68ss. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 86 20pas de ? modèle normal de parti ?. Nous formulons l'hypothèse qu'une histoire et une conjoncture communes tendent à faire converger les partis et les groupes d'intérêt et à intensifier leurs interrelations. Un autre facteur contribue à compliquer les efforts visant à déterminer les caractéristiques des partis : les différences dans les représentations que s'en font les individus. Même dans un pays où le degré d'identification partisane est élevé comme aux États-Unis, les perceptions des partis varient tellement d'une région ou d'un groupe à l'autre que, dans de nombreux cas, on se demande si on est en présence de la même réalité : pour certains, le parti est une machine à élections, pour d'autres, un organe de gestion du gouvernement, pour d'autres, enfin, un groupe de ? pression ?. Les uns prêtent à un parti donné une idéologie progressiste, d'autres une orientation conservatiste tandis que d'autres encore le 21considèrent comme parfaitement pragmatique . Il va sans dire que dirigeants, simples membres et sympathisants ne perçoivent pas leur parti de façon identique. Les dirigeants tendent à privilégier l'aspect électoral et celui de la gestion gouvernementale tandis que les simples membres et les sympathisants le voient davantage comme un dispensateur de faveurs et un paratonnerre. On peut de la sorte considérer les partis sous trois angles différents ; l'angle théorique, axé sur la méthode d'analyse ; l'angle historique et conjoncturel, mettant en évidence l'environnement et l'évolution des partis ; l'angle sociologique, enfin, faisant état des représentations que les individus se font des partis de même que de leurs propres conduites partisanes et électorales. Et sous chacun de ces angles, les partis montrent une image fort différente d'eux-mêmes. 20 Leon D. EPSTEIN, op. cit., 351. Nous serions d'ailleurs enclin à formuler le même jugement à propos des élections : il n'y a pas de modèle normal de comportement électoral pour un peuple ou un groupe. C'est ainsi qu'on a longtemps attribué avec raison à la recherche d'une protection fondée sur des impulsions ethniques la tendance prononcée des Québécois francophones à voter pour le parti libéral aux élections fédérales, alors que les anglophones paraissaient par nature exempts de tels sentiments. Toutefois, la crainte du séparatisme et de l'unilinguisme français au Québec a suffi à provoquer chez les anglophones un comportement ethnique : aux élections du 29 avril 1970, ils ont massivement accordé leurs suffrages au parti libéral du Québec. 21 John C. WAHLKE, Heinz EULAU, William BUCHANAN, Leroy C. FERGUSON, The Legislative System, John Wiley, New York, 1962, 343ss. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 87 Dans le présent chapitre, nous allons mettre l'accent sur l'aspect théorique. Nous toucherons cependant au passage à certaines questions reliées à l'aspect historique ou à l'aspect sociologique. Nous traiterons successivement de l'articulation des partis au système social et au système politique, des interrelations des partis et des groupes d'intérêt et, finalement, de l'importance des partis dans le processus politique. I. ARTICULATION DES PARTIS AU SYSTÈME POLITIQUE ET AU SYSTÈME SOCIAL Retour à la table des matières Contrairement aux groupes d'intérêt qui émettent fréquemment la prétention de ne pas faire de politique, les partis se perçoivent comme un moteur - sinon le principal moteur - de la vie politique. Plusieurs, cependant, refusent d'admettre la validité de cette assertion : pour eux, les partis ne recouvrent qu'une fraction du domaine politique - cette fraction attribuée aux autres mécanismes excentriques du système politique, comme les groupes d'intérêt dont l'action est souvent considérée comme nocive et moralement suspecte - qu'on appelle ? la ?politique par contraste avec ? le ? politique, qui englobe les composantes internes du système politique (le législatif, le gouvernement, l'administration et le judiciaire) de même que les activités jugées plus nobles et orientées vers l'ensemble de la collectivité. En réalité, dans les sociétés modernes tout au moins, les partis représentent non seulement un mécanisme d'input du système politique, mais, en outre, ils sont loin d'être étrangers aux processus d'output de ce système. Ils imprègnent là vie des Assemblées législatives et des gouvernements eux-mêmes. À des degrés divers selon les pays, ils s'infiltrent également dans l'administration et même dans le judiciaire. Et leur présence se fait sentir à tous les niveaux (local, régional et national) où existe un centre de décision politique. Il s'ensuit que les partis sont l'objet d'une sollicitude particulière de la part des agents du système politique qui sont eux-mêmes, dans la majorité des cas, plus ou moins ? politisés ?. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 88 Mais, en même temps, les partis se rattachent par plusieurs fibres au système social. On peut distinguer trois niveaux principaux d'interactions : celui de l'organisation et de la stratification sociales ; celui des statuts et des rôles sociaux 22des individus et, enfin, celui des opinions et de la conscience . 1. Partis et systèmes politiques Retour à la table des matières Si on en juge par le critère de l'universalité, les groupes d'intérêt sont plus nécessaires aux systèmes politiques que les partis. Partout et toujours, en effet, on constate la présence, sous une forme ou sous une autre, de groupes d'intérêt. Mais les hommes se sont longtemps gouvernés sans partis politiques. Les factions qui parvenaient à s'implanter ici et là constituaient à la fois le reflet et une cause aggravante d'une crise des régimes politiques et, de ce fait, étaient éphémères. Aujourd'hui encore, certains systèmes politiques ne comportent pas de partis ou encore ne les comprennent que sous une forme embryonnaire. Il n'est pas toujours facile de déterminer les conditions requises pour que l'on puisse dire d'un pays qu'il comporte un ? régime de partis ?. C'est ainsi que, constatant la ? faiblesse ? et l'? infirmité ? des partis en France, Maurice Duverger a écrit que ce pays, où cependant les partis foisonnent, est ? plus proche 22 Stein ROKKAN distingue quatre niveaux pertinents du système ? politique ? pour l'étude des partis et des élections : ? 1? le niveau des rôles et des statuts des individus au sein des groupes dont ils sont membres ; 2? le niveau des caractéristiques d'ensemble (macrocharacteristics) de ces groupes, telles qu'elles se présentent parmi les membres ou telles que déterminées par leur structure, leur direction ou leur position dans les alignements conflictuels stables que suscitent les enjeux politiques ; 3? les contraintes émanant des structures sur les décisions au niveau local, c'est-à-dire l'unité de gouvernement le plus près de l'environnement ordinaire de l'individu ; 4? les contraintes émanant des structures sur les décisions au niveau national, c'est-à- dire le niveau du système total au sein duquel l'individu est un sujet politique ?. ? The Comparative Study of Political Participation : Notes Toward a Perspective on Current Research ?, dans Austin RANNEY, editor, Essays on the Behavioral Study of Politics, University of Illinois Press, Urbana, 1962, 57-60. On voit facilement que les deux premiers niveaux ressortissent au système social et les deux derniers au système politique. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 89 23d'un régime sans parti ?. Comme le montre par ailleurs l'expérience des sociétés en voie de modernisation, l'implantation des partis politiques s'accompagne d'une évolution profonde dans les moeurs et les structures. L'éclosion des partis politiques sous leur forme moderne est partout associée à deux facteurs majeurs : l'accroissement des tâches politiques et la volonté d'associer l'ensemble du peuple, notamment par la généralisation du suffrage, à 24l'accomplissement de ces fonctions ou du moins au choix des gouvernants . Dans les régimes libéraux, groupes d'intérêt et partis peuvent être considérés comme des appareils du système politique. Les partis représentent un rouage majeur du fonctionnement des Assemblées législatives et des gouvernements tandis que les groupes d'intérêt, dans la mesure où ils sont organiquement associés au système politique, s'articulent surtout à l'administration. Mais, dans la pratique, par suite des réseaux informels qui s'établissent de part et d'autre, les lignes de démarcation sont loin d'être nettement tranchées. Des survivances du favoritisme (? patronage ?) permettent aux partis de pénétrer l'administration et le judiciaire tandis que l'indignation morale et les restrictions légales n'empêchent pas les groupes d'intérêt d'assaillir les députés, les ministres et même les juges. Par ailleurs, si les appareils des partis et des groupes d'intérêt sont distincts, il n'en est pas toujours ainsi de leurs fonctions ni de leurs cadres de référence qui s'interpénètrent à des degrés divers. Ainsi le parti travailliste britannique se comporte parfois comme une organisation annexe des mouvements ouvriers tandis que les unions ouvrières renoncent difficilement à le percevoir comme un prolongement de leur propre organisation. Ce fut le principal mérite de l'ouvrage déjà vieux de vingt ans que Maurice Duverger a consacré aux partis politiques de considérer ces derniers comme des organisations composées de dirigeants, de membres et de sympathisants, douées d'une logique interne et comportant en elles-mêmes les principes d'explication de 25leur structure et de leur action . Mais, comme l'a montré, entre autres, Frank J. Sorauf, cette façon de voir entraîne le risque d'aboutir à une image tronquée de la 23 Maurice DUVERGER, la Démocratie sans le peuple, Éditions du Seuil, Paris, 1967, 7. 24 Joseph LAPALOMBARA et Myron WEINER, Political Parties and Political Development, Princeton University Press, 1966, 3ss. 25 Maurice DUVERGER, les Partis politiques, Armand Colin, Paris, 1951. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 90 réalité. En effet, l'organisation de plusieurs partis, notamment les partis américains, est loin d'être aussi nette, aussi stable et aussi autonome que Duverger 26ne le supposait à l'époque . En particulier, comme le soulignait Georges Lavau dans une critique du livre de Duverger, les ? réalités sociales ? influent 27lourdement sur les partis . Les théoriciens systémiques commettent aujourd'hui la faute inverse de celle de Duverger. Dans leur ardeur à montrer la contribution des partis à la persistance du système politique, ils passent souvent virtuellement sous silence l'autonomie relative par rapport au système que procure aux partis leur organisation interne. Contre cette tendance, Lavau rappelait dans un article récent que les partis sont tout autant des variables indépendantes que dépendantes 28du système politique . Il n'apparaît donc guère facile de saisir les rapports entre les partis et le système politique tant ils sont complémentaires. Une façon de voir, qui tout au moins permet de saisir les coordonnées de la question, consiste à considérer les partis comme des mécanismes d'interactions systémiques, disposant d'une structure et de règles de fonctionnement propres tout en étant rattachés au système social et au système politique par des liens mutuellement interdépendants. Avery Leiserson exprime un point de vue similaire : ... Le parti politique représente un concept stratégique pour comprendre... non seulement les institutions et les pratiques qui permettent et justifient l'exercice de l'autorité politique, régularisent le choix et le renvoi des dirigeants politiques, prescrivent et délimitent l'autorité du gouvernement au pouvoir, mais aussi la façon dont les hommes publics sont exposés aux manifestations du sentiment populaire et aux réactions des groupes. Le parti politique ou le système de partis noue de solides liens entre le peuple et le gouvernement, entre les détenteurs officiels et 29non officiels (à l'extérieur du gouvernement) du pouvoir . 26 Frank J. SORAUF, Political Parties in the American System, Little Brown, Boston, 1964, 6ss. 27 Georges LAVAU, Partis politiques et Réalités sociales, Armand Colin, Paris, 1953. 28 Georges LAVAU, ? Partis et systèmes politiques : interactions et fonctions ?, Revue canadienne de science politique, vol. II, n? 1, 1969, 18-44. 29 Avery LEISERSON, Parties and Politics, Alfred A. Knopf, New York, 1958, 35. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 91 L'étude des partis montre les rouages du système politique sous un relief particulier. Elle fait ressortir l'immense portée de la doctrine du droit des États (State rights), de la séparation des pouvoirs, des poids et contre-poids (checks and balance) et du fédéralisme, aux États-Unis ; de la monarchie, du Cabinet et du Parlement, en Grande-Bretagne, et ainsi de suite dans chaque pays. Elle facilite l'examen des principaux centres de pouvoir, la Présidence aux États-Unis, le Cabinet en Grande-Bretagne, etc. Elle permet admirablement de centrer l'attention sur la culture politique d'un peuple. En effet, les représentations que se font les individus des partis politiques de même que les différenciations qui se manifestent selon les classes sociales, les groupes d'âge, les sexes, etc., constituent un excellent indice de leurs attitudes à l'égard du système politique tout entier. En même temps, les partis représentent de bons créateurs et propagateurs de signes, symboles et valeurs politiques et ils sont de bons porteurs du fonds d'idéologies politiques dans une société. La nature des liens entre partis et démocratie a fait l'objet de nombreuses interrogations. S'il est vrai que des partis existent dans la plupart des régimes modernes non démocratiques et qu'ils occupent souvent une position centrale dans ces régimes, il est également vrai que la démocratie libérale propre aux sociétés occidentales serait impossible sans le régime de partis que nous connaissons. Les valeurs démocratiques que professent les sociétés occidentales se centrent dans une large mesure sur les partis et ont été propagées par eux. De façon plus officielle - et, selon plusieurs, de façon plus intégrale aussi – que les groupes d'intérêt, les partis sont au centre du processus démocratique. Ils constituent le véhicule principal de la représentation, de la participation, du partage des majorités et des minorités de même que de la désignation des gouvernants à la suite d'élections libres qui sont considérées comme essentielles à la persistance des régimes libéraux. Certains estiment toutefois que les tendances évolutives semblent éloigner les partis de l'idéal démocratique. Ainsi Maurice Duverger : ? L'organisation des partis n'est certainement pas conforme à l'orthodoxie Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 92 démocratique... La démocratie n'est pas menacée par le régime des partis, mais 30par l'orientation contemporaine de leurs structures intérieures . ? La valeur insigne des partis pour les systèmes politiques se mesure à l'attention que leur accordent le public et les gouvernants. Sans doute, la première constitution moderne, la constitution américaine adoptée en 1787, ne fait pas mention des partis qui ne figurent pas non plus dans la plupart des constitutions du dix-neuvième siècle. Il faut se rappeler qu'à cette époque, pourtant chronologiquement si peu éloignée de la nôtre, les partis politiques étaient considérés, sinon comme illégitimes, du moins comme des excroissances d'une société aux prises avec de malheureuses divisions que la loi fondamentale d'un pays se devait de ne pas sanctionner. Par contre, les constitutions du vingtième siècle consacrent généralement une section ou un article aux partis. En outre, dans la plupart des pays, existent des lois et dispositions particulières concernant surtout la fonction électorale des partis (âge et conditions d'éligibilité, nomination des candidats, découpage des districts électoraux, déroulement des campagnes 30 Maurice DUVERGER, les Partis politiques, 462 et 467 ; aussi Richard McKEON, Democracy in a World of Tensions. A Symposium, Unesco, United Nations, Paris, 1951 ; Austin RANNEY et Willmore KENDALL, Democracy and the American Party System, Harcourt, Brace, New York, 1956, 1-57, 514- 533 ; Frank J. SORAUF, op. cit., 136-140 ; Samuel J. ELDERSVELD, Political Parties. A Behavioral Analysis, Rand McNally, Chicago, 1964, 21- 22. Toutes ces discussions sur les liens entre partis et démocratie sont sans objet tant qu'elles portent une conception idéaliste et irréelle de la démocratie. Maurice Duverger l'a bien vu qui cite le passage célèbre de ROUSSEAU : ? À prendre le terme dans la rigueur de l'acception, il n'a jamais existé de véritable démocratie et il n'en existera jamais. Il est contre l'ordre naturel que le grand nombre gouverne et que le petit soit gouverné ? (Du contrat social, Livre III, ch. iv). Pour un point de vue semblable, voir Robert McKENZIE, op. cit., 635-649, qui, lui, fait sienne la conception quelque peu aristocratique que Lord Bryce se faisait de la direction des partis politiques. Nous le verrons, les possibilités d'une participation réelle du peuple aux actes du gouvernement sont bien plus grandes aujourd'hui qu'elles ne l'étaient au dix-huitième et au dix-neuvième siècles. Par ailleurs, les changements, étendus et profonds, survenus depuis cinquante ans au sein des sociétés obligent à reconsidérer les fondements mêmes de la notion de démocratie. Il faut éviter de se servir de Rousseau, Bryce, John Stuart Mill ou Tocqueville comme de simples sédatifs. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 93 31électorales, etc.) . Et des dispositions de caractère quasi public, adoptées par les partis eux-mêmes, régissent l'organisation et l'activité des partis. L'ampleur de ces lois et mesures varie beaucoup selon les pays, les États-Unis étant particulièrement prolixes et la Grande-Bretagne particulièrement laconique. Mais, au-delà des lois et règlements, chez tous les peuples et le plus souvent au sein des partis eux-mêmes, on se préoccupe beaucoup de l'état des partis, de la contribution qu'ils apportent ou pourraient apporter au processus politique de même que des réformes jugées souhaitables ou nécessaires. On multiplie colloques, congrès, sessions d'étude au cours desquels partisans et invités spéciaux s'interrogent sur les problèmes de l'heure. Bien que ce soient généralement les membres élus (députés ou ministres) plutôt que les dirigeants non élus qui animent ces réunions, on remarque que les préoccupations électorales immédiates cèdent le pas à la réflexion sur les finalités et les méthodes de l'action politique. Le nombre et l'importance de telles assises varient considérablement d'un pays à l'autre. Rares chez les partis américains qui, en dehors des périodes électorales, ont une vie rudimentaire, ils sont par contre fréquents au Canada parmi les partis fédéraux et ceux du Québec. 2. Partis et systèmes sociaux Retour à la table des matières Les régimes de partis, comme ceux des groupes d'intérêt, varient considérablement d'un pays à l'autre. Il est impossible d'expliquer convenablement les raisons de ces variations sans tenir compte des conditions particulières propres à chaque société. Les partis se fondent sur les mêmes réalités sociales que celles sur lesquelles s'appuient les groupes d'intérêt (réalités socio-économiques, religieuses, ethniques, etc.). Les partis, comme les groupes d'intérêt, unissent ceux qu'ils rassemblent mais, en même temps, ils les séparent des autres individus et du reste de la société. Mais tandis qu'il existe des groupes d'intérêt propres à permettre l'expression des particularismes de chacune de ces réalités 31 Frank J. SORAUF, op. cit., 136-150 ; Robert McKENZIE, op. cit. ; Maurice DUVERGER, les Partis politiques ; Douglas W. RAE, The Political Consequences of Electoral Laws, Yale University Press, New Haven, 1967. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 94 (groupes patronaux, ouvriers, religieux, ethniques, etc.), il n'y a qu'un petit nombre de partis pour les contenir. Ce phénomène permet de supposer que groupes d'intérêt et partis ne s'agencent pas au système social de la même manière. Le propre des groupes d'intérêt consiste à articuler les réalités sociales en se pliant à leur diversité singulière tandis que les partis, en les accueillant, effectuent obligatoirement leur nivellation. Maurice Duverger estime que les partis tendent naturellement au dualisme. Lui-même convient toutefois que les nombreux clivages qui divisent les Français imposent le multipartisme dans ce pays. Par contre, si l'on excepte l'Irlande du Nord, la Grande-Bretagne ne comporte guère de divergences religieuses et ethniques et le bipartisme qui y prédomine se fonde surtout sur les oppositions économiques au sein de la population. Le Canada, où les divisions sont nombreuses et marquées, comporte quatre formations partisanes, les partis provinciaux bénéficiant en outre d'une large autonomie et dans nombre de cas d'une totale indépendance par rapport aux partis fédéraux. Les États-Unis peuvent être considérés comme la grande exception à la règle, puisque seulement deux formations partisanes parviennent à contenir de multiples particularismes d'ordre historique, écologique, régional, économique, ethnique, religieux, etc. Mais le bipartisme officiel masque un quasi-multipartisme, phénomène que rend possible le contrôle virtuellement absolu du parti démocrate et du parti républicain par les organisations étatiques. Parce qu'ils sont si peu nombreux, les partis politiques ne dépendent pas aussi étroitement des structures sociales que les groupes d'intérêt qui, eux, se moulent sur elles. Néanmoins, la stabilité relative qui se manifeste dans leur composition, leur orientation idéologique et leur clientèle électorale, dépend tout autant des liens qui les unissent à la structure sociale que de leur organisation. La position sociale qu'ils occupent, en effet, influence les choix partisans. La clientèle d'un parti, qu'il s'agisse des membres ou des électeurs, se répartit suivant des coupes horizontales et verticales définies. Les ? blocs ? de partisans et d'électeurs se constituent selon des facteurs sociaux déterminés qui, dans nombre de pays, ont 32fait l'objet d'amples investigations . Partout, à des degrés bien divers selon les 32 Il existe d'excellentes synthèses de ces nombreux travaux. Mentionnons Angus CAMPBELL, Philip E. CONVERSE, Warren MILLER, Donald E. STOKES, The American Voter, John Wiley, New York, 1960 ; Alain Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 95 pays toutefois, ceux qui ont les mêmes caractéristiques (âge, sexe, ethnicité, religion, instruction, profession, revenu, lieu de résidence, etc.) tendent à s'affilier au même parti ou tout au moins à voter pour le même parti. En outre, les représentations que se font les individus des partis varient conformément aux facteurs socio-économiques qui conditionnent les comportements. Il est cependant utile ici de mentionner que les effets de ces facteurs ne sont vraiment connus que dans leur agrégat et qu'il est fort difficile d'apprécier le poids de chacun d'eux pris isolément. On attribue, par exemple, beaucoup d'importance à la religion dans les choix partisans et électoraux. Mais la religion est elle-même reliée au statut socio-économique. Comment différencier l'importance relative des deux facteurs ? Et lorsqu'on semble y parvenir, n'intervient-il pas un troisième ou un quatrième élément dont il faudrait aussi mesurer l'impact ? Ainsi, l'on sait que les catholiques américains, même de niveau socio-économique supérieur, tendent à voter pour le parti démocrate. Mais ces personnes appartiennent souvent à des minorités ethniques qui votent démocrate et elles vivent dans de grandes villes où l'on vote en majorité démocrate. En outre, il importe d'éviter l'erreur écologique qui consiste à attribuer aux individus des comportements qui apparaissent significatifs au plan des collectivités. Enfin, les déterminismes sont rarement assez contraignants pour empêcher les changements d'allégeance partisane des circonscriptions électorales d'une élection à l'autre. D'une part, les circonscriptions sont souvent trop peu homogènes ; d'autre part, il arrive fréquemment que l'évolution de la conjoncture soit décisive. L'articulation des partis aux structures sociales implique-t-elle leur convergence vers les classes ? Pour Marx, la dépendance des partis à l'égard des classes sociales va de soi. De même pour Harold Laski selon qui ? un parti LANCELOT, l'Abstentionnisme électoral en France, Armand Colin, Paris, 1968 ; Maurice DUVERGER, la Démocratie sans le peuple, Éditions du Seuil, Paris, 1967 ; François GOGUEL, ? La sociologie électorale. La France ?, dans Georges GURVITCH, Traité de sociologie, tome second, 46-62 ; Robert McKENZIE, op. cit. Pour le Canada : John C. COURTNEY, Voting in Canada, Prentice-Hall of Canada, Scarborough, Ontario, 1967 ; Vincent LEMIEUX, directeur de la publication, Quatre élections provinciales au Québec, Presses de l'université Laval, Québec, 1969. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 96 33consiste essentiellement dans les intérêts économiques de ses membres ?. La classe capitaliste favorise les conservateurs ; la classe ouvrière, les socialistes. Pour sa part, Maurice Duverger distingue trois ? noyaux ?différents de partis, correspondant chacun à trois étapes de l'évolution historique des classes en France : les conservateurs qui perpétuent les traditions aristocratiques et catholiques ; les libéraux issus de la bourgeoisie révolutionnaire et industrielle ; 34les socialistes, enfin, qui expriment les aspirations de la classe ouvrière . Les problèmes que posent les relations entre classes sociales et partis concernent l'identification de la notion de classe de même que les facteurs de leur polarisation. Si on entend par classe sociale les grandes constellations d'individus que délimitent la profession, le revenu et l'instruction et que caractérise une conscience d'affinité chez ceux qu'elles rassemblent, on constate aisément une polarisation en deux classes, les professions, les revenus et les niveaux d'instruction les plus élevés constituant la classe supérieure et les professions, les revenus et les niveaux d'instruction les plus bas, la classe inférieure. Certes, les lignes de démarcation sont assez confuses et nombre de cas réfutent une catégorisation aussi simple. Face à ces conditions, on isole généralement des strates intermédiaires que l'on peut considérer comme autant de classes (moyenne-supérieure, moyenne-inférieure, etc.). Mais les facteurs objectifs ne sont pas les seuls qui interviennent dans la détermination des classes sociales. Il faut aussi tenir compte de la conscience qui influence les représentations que les individus se font des strates sociales de même que de leur propre identification à l'une ou l'autre d'entre elles. Il semble en outre que le rapport entre classes sociales et conduite partisane et électorale soit plus ou moins étroit suivant les pays. Selon Robert R. Alford, il serait plus intime en Grande-Bretagne, en Australie et au Canada qu'aux États-Unis où les partis ne se définissent pas comme des organisations de classe et ne font pas appel, pour obtenir le support de l'électorat, à des arguments inspirés de la notion de classe. Néanmoins, poursuit Alford, même aux États-Unis les 33 Harold LASKI, Parliamentary Government in England, New York, 1938, 63, cité dans Samuel H. BEER, British Politics in the Collectivist Age, Alfred A. Knopf, New York, 1965, 247. 34 Maurice DUVERGER, les Partis politiques, 20ss. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 97 représentations que l'on se fait des partis trahissent l'influence de schémas de classes : L'électorat perçoit les partis comme liés à des intérêts spécifiques de classes et, sans aucun doute, plusieurs votent conformément à l'image qu'ils se font de l'aptitude des partis à représenter leurs intérêts économiques. De nombreux traits de la société américaine et de son système politique atténuent sans conteste le rapport entre la classe et le vote. L'immensité du territoire, sa division en cinquante États possédant un degré de souveraineté réelle, l'énorme diversité ethnique et religieuse à laquelle s'ajoute la décentralisation de l'organisation des partis, tout cela diminue la portée des divisions de classes comme facteurs de clivages partisans au niveau national. Que des divisions de classes surgissent quand même au niveau national et qu'elles polarisent les partis autant qu'elles le font, cela montre le haut degré d'intégration économique et politique 35auquel la nation est parvenue . Dans un sondage mené à Détroit, les répondants à qui on avait donné onze possibilités de choix identifiaient à plus de 60 pour cent le parti démocrate comme le protecteur de l'homme ordinaire, du travailleur et des syndicats et à plus de 60 pour cent également le parti républicain comme l'ami des riches, de la classe supérieure et des grands intérêts économiques. L'auteur concluait de ces orientations que les répondants perçoivent les relations inter-partis en termes de 35 Robert R. ALFORD, ? The Role of Social Class in American Voting Behavior ?, Western Political Quarterly, vol. 16, n? 2, 1963, 180-194, dans William J. CROTTY, editor, Political Parties and Political Behavior, Allyn and Bacon, Boston, 1966, 380, et Robert R. ALFORD), Party and Society, Rand McNally, Chicago, 1963. En France, d'importantes formations ? centristes ? brouillent la polarisation vers la droite et la gauche. Selon Maurice DUVERGER, ? avec la faiblesse des partis, le ? centrisme ? est l'originalité principale de la vie politique française : notre pays est le seul en Europe où le gouvernement s'appuie presque toujours sur le centre, depuis bien longtemps ?. (Dans la Démocratie sans le peuple, 8.) Une analyse des résultats de l'élection du 29 avril 1970 au Québec conclut à l'absence de rapports entre les variables socio-économiques et l'identification partisane des électeurs. Voir Vincent LEMIEUX, Marcel GILBERT et André BLAIS, Une élection de réalignement, Cahiers de Cité Libre, Éditions du Jour, 1970, 74. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 98 conflits de classes et qu'ils assimilent pratiquement le parti démocrate à la classe 36ouvrière et le parti républicain à la classe capitaliste . Le degré selon lequel les électeurs s'identifient à un parti politique varie également beaucoup d'un pays à un autre. Aux États-Unis, où pourtant la conscience de classe semble plus faible qu'ailleurs et où le caractère de classe est relativement peu prononcé au sein des partis, 75 pour cent des électeurs s'identifient à l'un ou l'autre des deux grands partis, tandis qu'en France, malgré une forte conscience de classe parmi la population et l'existence de partis de 37classes, moins de 45 pour cent s'attribuent une affiliation partisane . En outre, l'électorat américain est l'un des plus stables qui soient : une fraction considérable ont toujours voté pour le même parti et ce parti, pour 70 pour cent des électeurs, est celui du père. Par contre, les électeurs français, les communistes exceptés, se révèlent très volages dans leurs choix partisans, les partis français n'ayant pas, de 38loin, la remarquable puissance d'attraction des partis américains . 36 Gerhard LENSKI, The Religious Factor, Doubleday, Anchor Books, 1963, 137-138. 37 Philip E. CONVERSE et Georges DUPEUX, ? Politicization of the Electorate in France and the United States ?, The Public Opinion Quarterly, vol. 26. n? 1, 1962, 1-24, dans William J. CROTTY, editor, op. cit., 583-601. Selon un sondage national, l'identification partisane de 80 pour cent des adultes américains est demeurée stable malgré les remous de la grande crise, de la guerre et de l'après-guerre. Voir Warren W. MILLER, ? The Political Behavior of the Electorate ?, dans Earl LATHAM, American Government Annual, 1960-1961, Holt, Rinehart, Winston, New York, 1960, 51-55 ; reproduit dans Raymond E. WOLFINGER, Readings in American Political Behavior, Prentice-Hall, New York, 1966, 247-255. Se fondant sur des données parcellaires, LEMIEUX, GILBERT et BLAIS évaluent à 54 pour cent la proportion des électeurs québécois qui s'identifiaient à un parti dans les jours qui précédèrent l'élection provinciale du 29 avril 1970. Dans Une élection de réalignement, 54. 38 Richard W. DODGE, Eugene S. UYEKI, ? Political Affiliation and Imagery Across Two Related Generations ?, Midwest Journal of Political Science, vol. 6, 1962, dans Edward C. DREYER et Walter A. ROSENBAUM, editors, Political Opinion and Electoral Behavior, Wadsworth, Belmont, California, 1966, 165-176 ; Joseph LOPREATO, ? Upward Mobility and Political Orientation ?, American Sociological Review, vol. 32, n? 4, 1967, 586-592 ; Angus CAMPBELL, Philip E. CONVERSE, Warren W. MILLER, Donald E. STOKES, The American Voter, John Wiley, New York, 1960, 146-167 ; V.O. KEY Jr., Public Opinion and American Democracy, Alfred A. Knopf, New Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 99 Les spécialistes constatent en outre une polarisation plus ou moins prononcée des partis vers la droite ou vers la gauche. Dans tous les pays, certains partis sont perçus comme étant de ? droite ? tandis que d'autres sont considérés comme étant de ? gauche ?. Les partis se trouvent ainsi associés aux archétypes immémoriaux qui séparent le monde en deux catégories opposées de réel : le bien et le mal, le vrai et le faux, le blanc et le noir, Dieu et le diable. Ces notions de ? droite ? et ? gauche ?, dont la valeur analytique fait l'objet de chaudes discussions, ne s'appliquent pas de façon unilatérale dans les différents pays. Ainsi le parti démocrate est perçu comme un parti de gauche aux États-Unis où il reçoit généralement le support des groupes défavorisés. Transporté tel quel en France ou en Italie, où existent de forts partis communistes, en Allemagne, où les sociaux-démocrates sont puissants, ou en Grande-Bretagne, où le parti travailliste continue de se réclamer du socialisme, le parti démocrate ferait figure de parti de droite puisque, en dépit de certaines velléités de non-orthodoxie, il professe le credo capitaliste. En outre, un même groupe peut être de ? droite ? dans un pays et de ? gauche ? dans un autre. C'est ainsi que les catholiques sont conservateurs en France et libéraux aux États-Unis. La relativité des notions de droite et de gauche appliquées aux partis tout autant que les accidents historiques subis par les partis expliquent ces contrastes. Par ailleurs, les notions de droite et de gauche correspondent en gros aux classes sociales : les partis dits de droite reçoivent le support des classes supérieures, ceux de gauche, des classes inférieures. Cette polarisation est manifeste en Grande-Bretagne où les groupes d'affaires et les professionnels favorisent en grande majorité le parti conservateur et où le parti travailliste tire de York, 1961, 294-314 ; Richard E. RENNEKER, ? Some Psychodynamic Aspects of Voting Behavior ?, dans E. BURDICK et A. BRODBECK, editors, American Voting Behavior, The Free Press, 1959, 399-413 et dans Cyril ROSEMAN, Charles G. MAYO, F. B. COLLINGE, Dimensions of Political Analysis, Prcntice-Hall, Englewood Cliffs, New Jersey, 1966, 108-117 ; aussi : V. O. KEN Jr., Politics, Parties and Pressure Groups, 294-314. Des données parcellaires sur le Canada montrent que les choix partisans sont demeurés stables chez plus de 80 pour cent des électeurs, même lors d'élections qui n'ont pu permettre la constitution d'un gouvernement majoritaire, par suite surtout du succès exceptionnel des tiers partis. Voir Mildred A. SCHWARTZ, ? Canadian Voting Behavior ?, dans Richard ROSE, editor, Political Behavior in Modern Industrial Society, Free Press, New York (A paraître). Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 100 80 à 85 pour cent de sa clientèle parmi ta classe ouvrière. Mais elle se produit aussi aux États-Unis où n'existent pourtant pas de parti socialiste ni même de parti explicitement voué à la défense des intérêts capitalistes. Le parti démocrate, en effet, prélève une proportion moins élevée certes de suffrages ouvriers que le parti travailliste britannique mais cette proportion s'élève quand même à 70 pour cent chez les travailleurs industriels syndiqués, tandis que le parti républicain obtient massivement les suffrages des hommes d'affaires, des professionnels et, en général, de ceux qui appartiennent aux catégories socio-économiques 39supérieures . La polarisation des partis vers la droite ou vers la gauche est toutefois imparfaite. En effet, si les partis rejoignent les classes sociales, ils ne se confondent pas avec elles. Le recours obligatoire à des types intermédiaires (? centre ?, ? centre-droit ?, ? centre-gauche ?) manifeste le manque de cohésion dans la réalité à laquelle renvoient les notions de droite et de gauche, c'est-à-dire les grandes cristallisations historiques appelées classes sociales. Cette non-correspondance des partis et des classes sociales favorise l'intervention des groupes d'intérêt dans la vie partisane. Ces derniers, en effet, en étant plus nombreux et plus souples, se plient davantage aux découpages et 39 La littérature sur cette question est trop abondante pour être citée convenablement. Mentionnons Martin Seymour LIPSET, l'Homme et la Politique, Éditions du Seuil, Paris, 1960, 110-147, 243-289 ; Heinz EULAU, ? The Perception of Class and Party in Voting Behavior : 1952 ?, The American Political Science Review, vol. 49, n? 3, 1955, 364-384 ; Avery LEISERSON, op. cit., 151-166 ; Leon D. EPSTEIN, op. cit., 295-401 ; W. KORNHAUSER, The Politics of Mass Society, The Free Press of Glencoe, 1959, 177-212 ; Robert R. ALFORD, ? The Role of Social Class in American Voting Behavior ?, Western Political Quarterly, vol. 16, n? 2, 1963, 180-194 et Party and Society, Rand McNally, Chicago, 1963 ; Mildred A. SCHWARTZ, Public Opinion and Canadian Identity, University of California Press, 1967, 172-196 ; Lester W. MILBRATH, Political Participation, Rand McNally, Chicago, 1965, 110-141 ; R. Joseph MONSEN Jr. et Mark W. CANNON, The Makers of Public Policy, McGraw-Hill, New York, 1965, 338-341 ; Fred I. GREENSTEIN, The American Party System and the American People, Prentice-Hall, 1963 ; Maurice DUVERGER, les Partis politiques ; Allen POTTER, ? Opposition with a Capital 'O' ?, dans R. A. DAHL, editor, Political Opposition in Western Democracies, Yale University Press, New Haven, 1966, 3-33. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 101 enchevêtrements des classes sociales. Ainsi donc, c'est souvent l'existence d'une relation privilégiée entre un parti et un groupe d'intérêt plutôt que son association, nécessairement ambiguë et incomplète, avec une classe sociale qui, en pratique, détermine sa position dans le continuum droite-gauche. Des relations privilégiées s'établissent tout naturellement entre les groupes d'intérêt et les partis qu'ils supportent. Ces relations sont manifestes dans les pays où existent des liens plus ou moins officiels entre les partis communistes ou socialistes et les unions ouvrières et entre les partis conservateurs et les groupes d'affaires et professionnels. C'est grâce à de telles alliances que le suffrage de l'électeur britannique peut être considéré comme un ? suffrage de classe ?. C'est ainsi que le voit David Butler qui, dans un de ses ouvrages sur les élections britanniques, écrit : ? ... le commentaire le plus déprimant qu'on puisse faire au sujet de la société britannique contemporaine concerne le haut degré selon lequel les sentiments de classes plutôt que les enjeux ou les idéologies fournissent la justification des 40choix de l'électeur ?. La distribution des suffrages selon les partis parmi diverses catégories socio-professionnelles britanniques s'établissait ainsi lors de l'élection générale de 1951 (tableau n? l) : 40 David BUTLER, The General Election of 1964, MacMillan, London, 1965. Dans un ouvrage antérieur, Butler estime à 66 pour cent les suffrages ouvriers accordés au parti travailliste et à 75 pour cent les suffrages des classes moyennes donnés au parti conservateur. Dans The British General Election of 1959, MacMillan, London, 1960. Aussi John BONHAM, The Middle Class Vote, Faber and Faber, London, 1954 ; Robert MILLAR, The New Classes, Longmans, London, 1966 ; T. B. BOTTOMORE, Classes in Modern Society, George Allen and Unwin, London, 1965. Cependant, il semble que la proportion d'électeurs qui voient peu de différences entre le parti conservateur et le parti travailliste s'élève. Elle était de 39 pour cent en 1959 et de 49 pour cent en 1964. Il faut dire aussi que les partis britanniques s'efforcent de plus en plus de donner d'eux-mêmes l'image rassurante de mouvements qui favorisent l'? unité nationale ?. Voir S. BEER, ? Democratic One party Government in Britain ?, Political Quarterly, vol. 32, n? 2, 1961, 114-123 et Modern British Politics, London, 1969 ; Allen POTTER, Organized Groups in British National Politics, Faber and Faber, London, 1961. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 102 TABLEAU N? l Répartition des suffrages selon les partis pour cinq catégories socio- professionnelles lors de l'élection britannique de 1951 (en pourcentage) Retour à la table des matières Conservateurs Travaillistes Autres Groupes d'affaires de rang supérieur 80 8 12 Professionnels de rang supérieur 78 6 16 Collets blancs supérieurs 63 13 24 Collets blancs inférieurs 48 29 23 Travailleurs manuels 28 51 21 Source : John BONHAM, The Middle Class Vote, Faber and Faber, London, 1954. Une autre étude, faisant état des résultats de toutes les élections britanniques d'après-guerre et qui se fonde sur des catégories socio-professionnelles différentes, montre une polarisation encore plus grande du vote que la précédente (tableau n? 2). TABLEAU N? 2 Répartition des suffrages selon les partis pour quatre catégories socio- professionnelles lors des élections d'après-guerre en Grande-Bretagne Retour à la table des matières % pour ConservaTravaillAutres l'ensemble teurs istes de la population Classe moyenne supérieure 15 85 10 5 Classe moyenne inférieure 20 70 25 5 Classe ouvrière inférieure 30 35 60 5 (manuels) Classe ouvrière supérieure 35 30 65 5 Source : Mark ABRAMS, Class Distinctions in Britain. The Future of the Welfare State. Dans Robert MILLAR, The New Classes, Longmans, London, Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 103 1966. Ces relations entre partis et catégories socio-professionnelles se vérifient également là où n'existent pas de liens officiels entre eux. Ainsi, aux États-Unis, de fortes différences dans les orientations partisanes des électeurs d'une même catégorie socio-économique séparent ceux qui sont membres de groupes et ceux qui ne le sont pas. Campbell, Converse, Miller et Stokes, qui ont mesuré les différences dans trois élections présidentielles chez des catégories d'électeurs qui votent en majorité pour le parti démocrate, montrent en effet que les membres de groupes favorisent les démocrates dans une proportion bien plus élevée que les non-membres (tableau n? 3). TABLEAU N? 3 Différences dans la tendance à voter pour le parti démocrate entre les membres de groupes et les non-membres (en pourcentage) Retour à la table des matières 1948 1952 1956 Famille des membres d'une union +35,8 +19,8 +18,1 ouvrière Membres d'une union ouvrière +24,9 +21,4 Catholiques +16,2 +12,8 +7,1 Noirs +41,2 +24,7 À l'extérieur du Sud +50,8 +33,1 Dans le Sud +17,6 - 1,1 Juifs +31,9 +40,8 Source : Angus CAMPBELL, Philip E. CONVERSE, Warren, E. MILLER, Donald E. STOKES, The American Voter, John Wiley, New York, 1960, 302. En outre, un degré élevé d'identification au groupe accroît considérablement l'effet de groupe sur l'orientation politique d'un individu. Plus un individu s'identifie au groupe, plus il tend à penser et à agir de façon différente des non- Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 104 membres. Campbell et collaborateurs produisent la vérification empirique de cette hypothèse en ce qui concerne le vote (tableau n? 4). Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 105 TABLEAU N?4 Proportion des électeurs démocrates fortement ou faiblement identifiés à leur groupe (en pourcentage) Retour à la table des matières Fortement Faiblement Différence identifiés identifiés Famille des membres d'une union 64 36 +28 ouvrière Catholiques 51 39 +11 Noirs pas de données À l'extérieur du Sud 72 63 +9 Dans le Sud pas de données Juifs 83 55 +28 Source : CAMPBELL et Coll., op. cit., 309. Pour l'ensemble, l'articulation des partis au système social tient surtout aux liens, officiels ou non officiels, qui les unissent aux groupes d'intérêt. Sans aucun doute, les attaches des partis s'étendent à tous les paliers de la structure sociale : écologie, démographie, technologie, économie, stratification sociale, politique et culture. Mais ce sont les groupes d'intérêt qui, le plus souvent, sont les instruments de ces contacts. On fait aussi état des réseaux de contacts associés aux groupes primaires (la famille, le cercle d'amis, les compagnons de travail) pour expliquer les tendances partisanes. Fréquemment, toutefois, ces réseaux passent par les canaux des media de communication et des groupes d'intérêt ou, du moins, il s'établit entre eux des convergences. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 106 II. INTERRELATIONS DES PARTIS ET DES GROUPES D'INTÉRÊT Retour à la table des matières Partis et groupes d'intérêt occupent une même position dans les sociétés libérales en tant que mécanismes d'interactions systémiques. La logique même de leur propre mouvement les pousse mutuellement à se rechercher ou tout au moins à se retrouver à toutes les occasions. Aucune étude n'a encore reconstitué de façon méthodique les interrelations nombreuses et diverses, tantôt harmonieuses et tantôt conflictuelles, qui s'établissent entre eux, les laissant parfois parfaitement distincts les uns des autres et, d'autres fois, les unissant jusqu'à entraîner virtuellement leur fusion. Nous nous proposons ici, non pas de mener cette étude qui serait pourtant si utile, mais de poser certains jalons préliminaires. Nous allons nous interroger successivement sur les interrelations au niveau des structures et des fonctions pour ensuite considérer ces inter-relations en tant que telles, les ranger et en chercher les significations dans une optique d'ensemble. Ce faisant, nous n'avons pas l'intention de prendre position dans le débat qui oppose fonctionnalistes et structuralistes. Structures et fonctions apparaissent dans notre approche comme complémentaires et également nécessaires à l'encadrement et à la vie des groupes. Privilégier les unes au détriment des autres au nom d'une position doctrinale ou théorique nous empêcherait à coup sûr de saisir ou de comprendre certains aspects essentiels des caractères et du mouvement du réel. 1. Interrelations structurales Partis et groupes possèdent une structure, c'est-à-dire une unité d'agencement qui leur permet d'exister comme des totalités ou des unités collectives. Séparés les uns des autres, les individus qui composent ces unités sont cependant liés les uns aux autres par des rapports de réciprocité généralement stables. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 107 On peut examiner les interrelations structurales des partis et des groupes d'intérêt du point de vue des premiers ou de celui des seconds. Les aspects mis en relief diffèrent selon que nous partons des uns ou des autres. Sans aucunement viser à une étude exhaustive d'un sujet en lui-même fort complexe, nous allons centrer l'analyse sur les partis. Notre attention se portera sur trois niveaux de structures : le régime électoral et le régime de partis, l'organisation des partis et les idéologies. a) Régime électoral et régime de partis. - Certains estiment que le régime électoral influe en tant que tel sur la vitalité des groupes d'intérêt dans un pays. Ainsi, sous un régime de représentation proportionnelle, qui permet une meilleure représentation des régions, des secteurs d'activité et des caractéristiques de la population dans chaque circonscription électorale, les groupes d'intérêt seraient anémiques tandis qu'ils resplendiraient de santé sous un régime de scrutin majoritaire à un tour ou même à deux tours, même là où il y a plus de deux partis. En réalité, de tels rapports de cause à effet entre régimes électoraux et groupes d'intérêt n'existent pas : la qualité de la représentation que permet la proportionnelle est aléatoire et dépend de plusieurs conditions, notamment du nombre et de la qualité des partis. Sous la proportionnelle, les partis sont souvent trop faibles pour agir comme des mécanismes de représentation valables et, même là où ils sont forts, les groupes d'intérêt peuvent se révéler très actifs, comme dans la République fédérale allemande dont le régime électoral allie le scrutin majoritaire et la représentation proportionnelle. Les effets du régime électoral ne sont donc pas automatiques. Par ailleurs, dans son ouvrage classique : les Partis politiques, Maurice Duverger a mis en évidence la portée du régime électoral sur les régimes de partis : le scrutin majoritaire à un tour favoriserait le bipartisme tandis que le régime de représentation proportionnelle maintiendrait le multipartisme. En outre, Duverger affirme que le bipartisme permet la stabilité politique tandis que le multipartisme entraîne l'instabilité. Dans sa critique du livre de Duverger, Georges Lavau a montré que le régime électoral et le régime de partis en tant que Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 108 tels ont une portée plus modeste que ne l'estime Duverger, la nature des moeurs et 41des réalités sociales affectant les effets de ces régimes sur la vie politique . Tout ce débat nous paraît assez stérile tant que, dans la considération des partis, on fait abstraction de l'ensemble socio-politique dans lequel ceux-ci s'insèrent obligatoirement. Sans doute, peut-on souhaiter qu'un pays atteigne un degré d'intégration socio-politique assez élevé pour permettre le bipartisme, quel que soit le régime électoral choisi. Ou encore on peut opter pour un régime électoral qui favorise le multipartisme en dépit d'une intégration socio-politique poussée. Pour l'ensemble cependant, le régime électoral découle de certains choix concernant l'ordre social souhaité. Les effets du régime électoral sur le régime des partis ne sont toutefois pas automatiques : des contraintes d'ordre socio-politique en restreignent sérieusement la portée. Même en régime de scrutin majoritaire à un tour, plus de deux partis peuvent exister et faire élire des candidats. C'est le cas au Canada et en Autriche et même, jusqu'à un certain point, en Grande-Bretagne. Dans un même pays, des tendances opposées peuvent se contrarier mutuellement. Ainsi Martin Seymour Lipset a écrit au sujet du Canada : ? Le problème des partis politiques canadiens résulte de ce que la structure sociale de ce pays fait émerger des divisions politiques essentiellement comparables aux modèles américain et français, tandis qu'existe une forme de gouvernement qui requiert des partis parlementaires disciplinés prohibant des alliances inter-partis à la Chambre des 42Communes ... ? La plupart des auteurs estiment que la démocratie libérale moderne exige le pluripartisme tandis que le parti unique représenterait un rouage majeur des dictatures de droite ou de gauche. On peut d'ailleurs se demander avec Jeanne 43Hersh si la notion de parti ? unique ? n'est pas en elle-même une absurdité . Dans la mesure où la tâche des partis consiste à donner une voix aux pluralismes sociaux et où on accepte que l'idée de faction et celle de compétition électorale sont sous-jacentes à la notion de parti, il est clair que, par définition, le 41 Georges LAVAU, op. cit. Aussi Douglas W. RAE, The Political Consequences of Electoral Laws, Yale University Press, Princeton, 1967. 42 M. Seymour LIPSET, ? Democracy in Alberta ?, Canadian Forum, vol. 34, November and December 1954, 197, dans Leon D. EPSTEIN, op. cit., 62. 43 Jeanne HERSH, Idéologies et Réalités. Essai d'orientation, Plon, Paris, 1956, Sur le rôle du parti unique dans les démocraties populaires, voir Ghita Ionescu, l'Avenir politique de l'Europe orientale, Futuribles, Paris, 1967. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 109 pluripartisme est requis. Mais on peut également imaginer un ordre social qui vise à nier ou à surmonter le pluralisme de même qu'à empêcher les factions. Un tel ordre social peut théoriquement être démocratique mais il requiert l'absence de toute source d'antagonismes sociaux majeurs. En d'autres termes, la démocratie qu'il rend possible peut être ? populaire ?, ? centraliste ?, ? cogestionnaire ? ; elle ne saurait être libérale. Le pluripartisme revêt deux formes différentes : le bipartisme et le 44multipartisme . En réalité, rares sont les pays où ces formes existent à l'état pur. Le bipartisme ne peut être que dominant : il s'accommode de régions d'unipartisme ou encore de multipartisme. De même le multipartisme peut conduire à des coalitions bipartistes douées d'une grande stabilité. Pour comprendre les relations qui s'établissent entre partis et groupes d'intérêt sous cet aspect, il faut tenir davantage compte de la situation de fait que, du régime officiel considéré dans l'abstrait. C'est ainsi que le bipartisme américain est en réalité un ? pseudo-bipartisme ?. D'une part, du fait de la ? séparation des pouvoirs ?, il existe en réalité quatre partis au Congrès : outre les républicains et les démocrates officiels, il y a le ? parti ? de ceux qui appuient le Président - parti constitué des Représentants et Sénateurs progressistes ou conservatistes au sein des deux partis selon l'orientation idéologique du Président - et le ? parti ? de ceux qui s'opposent au 45Président . D'autre part, par suite d'ancrages historiques remontant souvent à la guerre civile, de nombreux États vivent sous un unipartisme de fait, les républicains ou les démocrates, selon les cas, étant pratiquement absents de la course. La base réelle des partis se trouvant au niveau des États, les répercussions de ce phénomène atteignent profondément la vie politique nationale. Selon V.O. Key, une compétition réelle entre les deux partis dominants n'existe que dans le tiers des États. Les deux autres tiers connaissent un pseudo-bipartisme ou encore, 44 Sur cette question, voir spécialement Maurice DUVERGER, ? Sociologie des partis politiques ?, dans Georges GURVITVH, Traité de sociologie, Presses universitaires de France, Paris, 1960, tome second, 32ss ; Leon EPSTEIN. op. cit., 46ss ; Avery LEISERSON, ? The Place of Parties in the Study of Politics ?, The American Political Science Review, vol. 51, n? 4, 1957, 943- 957, dans William J. CROTTY et coll., op. cit., 8-22, 45 Voir James McGregor BURNS, The Deadlock of Democracy. Four-Party Politics in America, Prentice-Hall, New York, 1963. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 110 comme dans le Sud, vivent sous un régime à peine mitigé de parti unique. Sous l'impact de l'urbanisation et de l'industrialisation, on constate toutefois depuis dix 46ans un progrès appréciable du bipartisme . Il existe quatre partis officiels au Parlement canadien. Mais les libéraux et les conservateurs ayant été les deux seuls partis jusqu'ici à gérer le gouvernement et, sauf au cours de la première grande guerre, ayant gouverné sans recourir à des coalitions, ce pays connaît un bipartisme dominant. Des auteurs, dont Maurice Duverger, considèrent que le parti communiste constitue un facteur de grave perturbation du régime français de partis. Ce parti, qui obtient l'appui de 20 à25 pour cent de l'électorat et qui détient plusieurs sièges à l'Assemblée nationale, n'est pas représenté au sein du gouvernement et ne reconnaît même pas, en principe tout au moins, la légitimité du système politique au sein duquel il agit. Toutefois, on l'a vu après la dissolution de l'Assemblée nationale en juin 1968, le parti communiste français ne peut être considéré comme franchement ? antisystémique ?. L'ardeur qu'il a mise à persuader les travailleurs d'abandonner le mouvement de grèves pour l'action électorale montre l'importance que la persistance du système représente pour lui. Néanmoins, par suite du rôle équivoque que le parti communiste joue dans le système, près du quart de l'électorat français, malgré sa cohésion électorale et l'importance des intérêts qui le soudent en un bloc solide, se trouve dans l'impossibilité de faire sentir pleinement son influence au sein de l'Assemblée et du gouvernement. Il en résulte également la faiblesse chronique de la gauche française, impuissante qu'elle est à surmonter ses divisions internes. Il s'ensuit finalement que la marginalité du parti 46 V.O. KEY Jr., Politics, Parties and Pressure Groups, 288-299. Aussi, du même auteur, Southern Politics in State and Nation, Alfred A. Knopf, New York, 1950. Outre le bipartisme et 1'unipartisme, existe aux États-Unis ce qu'on peut appeler le pseudo-partisme ou le non-partisme. Plus de 800,000 postes électifs sont en effet remplis à la suite d'élections où le nom de partis n'apparaît pas sur les bulletins de vote. Ce sont des grou-pes d'intérêt particulièrement puissants qui font l'office de partis au cours de ces élections ? non partisanes ?. Voir Charles R. ADRIAN, ? Some General Characteristics of Non partisan Elections ?, The American Political Science Review, vol. 46, n? 4, 1952, 768 ; Hugh A. BONE, ? Political Parties and Pres-sure Group Politics ?, The Annals of the Academy of Political and Social Science, vol. 319, 1958, 74-75 ; Leon D. EPSTEIN, op. cit., 93, 95. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 111 communiste français conduit ses dirigeants à s'en servir, en conjonction avec la 47puissante C.g.t., comme d'un instrument de pression sur le gouvernement . La multiplication des cercles ou clubs politiques, mouvements de protestations, ? fronts ? et partis-météores (flash parties) contribue depuis quelques années à brouiller encore davantage la distinction entre bipartisme et multipartisme. Il faut voir dans ces développements récents une insatisfaction croissante parmi des couches souvent considérables de la population, insatisfaction non seulement à l'endroit du jeu traditionnel des partis mais aussi vis-à-vis des groupes d'intérêt, jugés oligarchiques et sclérosés, et plus généralement à l'égard du système politique tout entier. On peut faire état de nombreux jugements concernant l'impact du nombre de partis sur les relations entre partis et groupes d'intérêt. C'est ainsi que les partis régionaux, comme la C.C.F. en Saskatchewan, les créditistes en Alberta et en Colombie-Britannique, les démocrates dans les États américains du Sud, les unionistes en Irlande du Nord, rempliraient l'office de groupes d'intérêt au niveau politique national. Le bipartisme canaliserait bien imparfaitement les idéologies et les intérêts, d'où la prolifération des groupes d'intérêt dans ces régimes. Par ailleurs, comme le bipartisme convient aux peuples satisfaits et bien intégrés, la position importante qu'y tiennent les groupes d'intérêt n'entraîne généralement pas de trop graves conséquences. C'est dans les régimes multipartistes que les relations entre partis et groupes d'intérêt seraient les plus intenses et aussi les plus diverses. Dans certains cas, les partis rempliraient pratiquement les tâches des groupes et tendraient à se substituer à eux. Dans d'autres cas, au contraire, ce seraient les groupes d'intérêt qui deviendraient tout-puissants, et les partis, que 47 Maurice DUVERGER, la Démocratie sans le peuple. Par contre, dans un article récent, Georges LAVAU se demande si le parti communiste, ? théoriquement révolutionnaire, n'est pas arrivé à remplir en fait des fonctions latentes au profit d'un système politique qu'il continue à récuser au moins en principe ?. Pans : ? À la recherche d'un cadre théorique pour l'étude du parti communiste français ?, Revue Française de science politique, vol. 18, n? 3, 1968, 446. Aussi, du même auteur : le Communisme en France, Cahier n? 175 de la Fondation nationale des sciences politiques, Librairie Armand Colin, Paris, 1969. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 112 leur nombre même affaiblirait, tomberaient en veilleuse ou ne seraient que des 48marionnettes . Tous ces jugements ne valent guère mieux que des suppositions. En réalité, nous ignorons dans quelle mesure le régime de partis intervient dans la détermination des nombreux types d'interrelations des partis et des groupes d'intérêt. Sans doute faut-il faire intervenir d'autres facteurs, comme le moment de la formation des partis, le caractère de la structure sociale et la nature du système politique. Par ailleurs, supposer un rapport automatique entre le nombre ou la force des partis et la vigueur des groupes d'intérêt, c'est imaginer que la fonction de médiation est univoque, c'est-à-dire que les interactions systémiques sont homogènes et peuvent être effectuées indifféremment par les partis ou les groupes d'intérêt, de telle sorte que si les premiers sont très actifs, les seconds le sont moins et inversement. En réalité, il n'en est pas ainsi : partis et groupes d'intérêt remplissent leurs fonctions de médiation d'une manière différente. En outre, les uns et les autres ont des tâches spécifiques à remplir (vaquer au bien-être professionnel ou récréatif de leurs membres pour les groupes d'intérêt ; voir aux élections et au choix des gouvernants pour les partis) qui assurent leur utilité pour la société, quelle que soit par ailleurs la façon dont ils s'acquittent de la fonction de médiation intersystémique. b) Organisation des partis. - Le deuxième niveau de structures concerne l'organisation des partis. Plusieurs ordres de questions susceptibles d'influer sur les relations entre partis et groupes d'intérêt se posent à ce niveau. À un degré aussi poussé que les groupes d'intérêt, les partis sont des organisations hiérarchiques composées de dirigeants, de cadres, de simples membres et d'une clientèle de sympathisants. Malgré de nombreux gestes rituels et actions symboliques qui laissent croire à l'existence d'une démocratie ? interne ?, les grands partis sont généralement des organisations oligarchiques. C'est Roberto Michels qui, le premier, a montré le caractère implacable de ? la loi 48 Sur ce sujet complexe, voir, entre autres, la plupart des études de même que le compte rendu de la Table ronde reproduits dans : Henry W. EHRMANN, editor, Interest Groups on Four Continents, University of Pittsburgh Press, 1958 ; Leon D. EPSTEIN, op. cit., 69ss ; Dayton David McKEAN, Party and Pressure Politics, Houghton Mifflin, Boston, 1949, 639ss. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 113 d'airain de l'oligarchie ? à laquelle même les partis qui professent les principes les 49plus démocratiques finissent fatalement par succomber . Sa longue expérience des partis socialistes européens l'avait convaincu que le grand nombre est congénitalement inapte à se gouverner et que des contraintes inhérentes à l'organisation (recherche de l'efficacité, exigences de l'action, poids de la procédure, routine administrative, besoin d'un chef parmi les masses, etc.) conduisent très tôt les partis à se régir d'après le principe du chef et à s'en remettre à quelques-uns pour la direction effective de l'organisation. Le nombre de ceux qui participent à la direction du parti varie selon les circonstances (? théorie de l'accordéon ?) mais ce nombre est toujours fort restreint. Dès lors que les partis sont un peu anciens et nourrissent des ambitions électorales, le mal de l'oligarchie les ronge ; il gagne même les partis de masses dont les aspirations démocratiques sont particulièrement poussées. Un des principaux inspirateurs des activistes au sein du parti travailliste britannique, R.H.S. Crossman, a écrit à ce sujet : ... Dès lors qu'il ne pouvait pas, comme ses adversaires, se payer le luxe d'une armée de travailleurs rémunérés, le parti travailliste avait besoin de militants - c'est-à-dire de socialistes politiquement éveillés et capables de prendre en charge les circonscriptions. Mais, comme ces militants tendaient à être ? extrémistes ?, pour neutraliser leur enthousiasme, on imagina une constitution créant en toute apparence une démocratie de parti intégrale mais privant les militants de tout pouvoir véritable. D'où l'octroi en théorie de pouvoirs souverains aux délégués de la Conférence annuelle et la suppression en pratique de la majeure partie de cette souveraineté par 49 Roberto MICHELS, Political Parties, The Free Press of Glencoe, 1915. Michels faisait aussi état des conclusions similaires auxquelles son analyse des partis américains et européens avait conduit M. OSTROGORSKI, dans la Démocratie et l'Organisation des partis politiques, Calmann-Lévy, Paris, 1903, deux volumes ; voir, en outre, Robert McKENZIE, op. cit., 635-650 : Maurice DUVERGER, les Partis politiques, 161-236. Pour une étude générale sur l'organisation des partis, voir : Joseph A. SCHLESINGER, Political Party Organization, dans James G. MARCH, editor, Handbook of Organizations, Rand McNally, Chicago, 1965, 764-802. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 114 l'attribution au bloc parlementaire du parti d'une indépendance complète 50par rapport au bloc des syndicalistes . Par ailleurs, la ? loi ? de l'oligarchie, tirée de l'expérience des partis socialistes européens qui prétendaient adhérer aux principes de la démocratie ? interne ?, a été étendue, un peu trop à la légère, aux partis de type américain. Il est douteux, en effet, que les mêmes règles vaillent pour les partis de masses et pour les partis de cadres. L'aspiration démocratique ne s'exprime pas dans les deux situations de la même manière. Les partis américains, par définition, ne peuvent pas suivre les méthodes démocratiques qu'appliquent les partis socialistes européens. En effet, les membres des partis américains, extrêmement peu nombreux, constituent déjà une sorte d'oligarchie par rapport à la masse des ? partisans ?, c'est-à-dire des électeurs qui votent pour le parti. L'application étroite des thèses de Michels aux partis américains risque d'obscurcir les vices majeurs qui les rongent : l'usurpation de l'organisation partisane par la ? machine ? et par les bosses et le règne du 51favoritisme (? patronage ?) . 50 R. H. S. CROSSMAN, Introduction to the Fontana edition of W. BAGEHOT, The English Constitution, 1963, cité avec faveur dans Robert McKENZIE, op. cit., 641. 51 Voir Frank J. SORAUF, op. cit., 48-58. Aux États-Unis, la longue lutte menée par les populistes, les progressistes et plus tard par les intellectuels libéraux et plus récemment encore par les ? démocrates amateurs ? contre les oligarchies partisanes fut dirigée contre les ? machines ?, les bosses et le ? patronage ?. Les partis se sont aujourd'hui dans une bonne mesure guéris de ces maux. On doit cette réhabilitation moins aux efforts des réformateurs qu'à l'intégration plus poussée des groupes ethniques et des minorités religieuses, à l'élévation des niveaux de vie, au progrès de l'instruction de même qu'au développement de la sécurité sociale qui ont enlevé aux machines et au patronage une bonne partie de leur raison d'être. L'importance croissante des questions de portée nationale et internationale a graduellement sapé le pouvoir de la ? machine ? et du boss ancré au niveau local. Voir aussi James Q. WILSON, The Amateur Democrat, The University of Chicago Press, 1966 ; Arnold M. ROSE, The Power Structure. Political Process in American Society, Oxford University Press, 1967, 53-70 ; Leon D. EPSTEIN, op. cit., 104-111 ; Fred I. GREENSTEIN, ? The Changing Pattern of Urban Politics ?, The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 353, mars 1964, 1-13 ; Edward C. BANFIELD et James Q. WILSON, City Po1itics, Harvard University Press et MIT Press, Cambridge, Mass., 1963. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 115 Les méthodes par lesquelles les partis américains réalisent la démocratie diffèrent de celles des partis de masses européens. Le péril majeur auquel ces derniers essaient d'échapper, c'est la centralisation. Or, les partis américains sont remarquablement décentralisés du fait même de leurs assises qui sont locales et étatiques. C'est au sein de petites circonscriptions de base (les precincts groupant trois à six cents électeurs) que se trouvent les bases réelles de la démocratie des partis américains. Plusieurs estiment même que l'autonomie locale est excessive : en dehors des périodes électorales, les dirigeants nationaux ont très peu d'influence réelle sur le parti. Ce dernier risque constamment de se fragmenter en une multitude de parcelles que dominent les élites locales qui, en même temps, se trouvent fréquemment à la tête des groupes d'intérêt, très actifs à ce niveau. D'où il suit que les efforts des dirigeants nationaux pour contrôler la nomination du personnel supérieur du parti de même que les ressources dont la distribution se fait par voie de ? patronage ? font comme un contrepoids aux tendances vers l'effritement. De même, les problèmes que pose à la démocratie le choix des candidats aux élections diffèrent pour les partis de masses européens et pour les partis américains. Les premiers sont aux prises avec la cooptation de même qu'au recours à des mises en candidature et à des prises de votes truquées. Chez les seconds, les candidats sont désignés à la suite de véritables élections ouvertes à tous les électeurs (direct primaries). Il est vrai que cette règle parfaitement démocratique peut être jusqu'à un certain point contournée par les mises en 52candidature que les dirigeants du parti peuvent parfois manipuler . Si la ? loi de l'oligarchie ? ne peut s'étendre qu'avec une certaine transposition aux partis américains, par contre elle s'applique intégralement aux grands groupes d'intérêt tant américains qu'européens. La démocratie intra-groupe n'est le plus souvent que fictive, nominations et décisions étant généralement le fait d'un petit 52 Au Canada, on ignore les direct primaries. Les candidats sont nommés par les partisans au cours de réunions appelées ? conventions ? inspirées de la coutume britannique et, quand il s'agit de chefs de partis, empruntant les méthodes qui ont cours lors des ? conventions ? présidentielles américaines. Le parachutage des candidats y est de règle. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 116 53nombre de dirigeants virtuellement indélogeables . Les interrelations des partis et des groupes prennent donc très souvent la forme de rencontres d'oligarques. Un deuxième aspect pertinent de l'organisation des partis concerne la distinction, établie par Maurice Duverger, entre parti de cadres et parti de masses. Les premiers, plus anciens, ne visent pas à grouper le plus possible d'adhérents mais à réunir des notables ; les seconds, plus récents, font écho à l'élargissement des aspirations démocratiques et s'ouvrent à l'ensemble des électeurs désireux d'y 54adhérer . Bien que cette distinction soit sujette à des qualifications, elle est utile à notre sujet. 53 Il existe toutefois certaines exceptions à cette tendance générale. Quelques grands groupes d'intérêt tolèrent de véritables partis en leur sein et les élections y sont loyalement et chaudement disputées. Pour l'exposé d'un tel cas, voir Martin Seymour LIPSET, Martin Trow et James COLEMAN, Union Democracy. The Inside Politics of the International Typographical Union, The Frec Press of Glencoe, 1956. 54 Maurice DUVERGER, les Partis politiques, et ? Sociologie des partis politiques ? dans Georges GURVITCH, op. cit., 23-32. Les critères de différenciation que mentionne Duverger tiennent au type d'organisation et surtout au nombre d'adhérents. C'est ainsi que le parti travailliste britannique (dix millions et demi de membres individuels et affiliés) et le parti conservateur (deux millions et demi de membres), groupant ensemble 25 pour cent de l'électorat, peuvent être considérés comme des partis de masses, tandis que les partis démocrate et républicain américains, avec à peine quelques centaines de milliers d'adhérents chacun équivalant à 2 ou 3 pour cent de l'électorat, constituent des partis de cadres. Tous les partis français, à l'exception du parti communiste qui compte 400,000 membres, se présentent comme des partis de cadres (1 à 4 pour cent seulement de l'électorat français adhèrent à un parti). Les partis allemands auxquels adhèrent entre 4 et 5 pour cent de l'électorat, à l'exception du parti social-démocrate (650,000 membres) et des démocrates chrétiens (320,000 membres), sont aussi des partis de cadres. Voir, pour la Grande-Bretagne, A.H. BIRCH, ? Angleterre et pays de Galles ?, Revue internationale des sciences sociales, vol. 12, n? 1, 1960, 17- 29 ; Robert McKENZIE, op. cit., 484 ; Leon D. EPSTEIN, op. cit., 112ss ; pour la France, Maurice DUVERGER, Démocratie sans le peuple, 7 ; Georges DUPEUX, ? France ?, Revue internationale des sciences sociales, vol. 12, n? 1, 1960, (46) ; pour les États-Unis, Stein ROKKAN et Angus CAMPBELL, ? Norvège et États-Unis d'Amérique ?, Revue internationale des sciences sociales, vol. 12, n? 1, 1960, 83-84 ; Leon D. EPSTEIN, ? British Mass Parties in Comparison with American Parties ?, Political Science Quarterly, vol. 71, n? 1, 1956, 97-125 ; Philip E. CONVERSE et Georges Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 117 Les partis de cadres ont généralement des origines parlementaires, constituent surtout des machines électorales et leur objectif principal consiste à faire élire un 55nombre assez élevé de candidats pour obtenir la gestion du gouvernement . Dans le but de faire élire leurs candidats, ces partis, qui comptent peu d'adhérents, doivent disposer de ressources susceptibles de leur gagner l'adhésion d'une pluralité d'électeurs. Comme les ressources intangibles - notamment les idéologies - qu'ils peuvent mettre en oeuvre sont généralement insuffisantes par suite de l'hétérogénéité de leurs sympathisants, ils doivent mettre l'accent sur les ressources tangibles, notamment le ? patronage ?. À cette fin, ils doivent disposer d'une ? caisse électorale ? constituée surtout d'importantes souscriptions émanant de personnes, entreprises ou associations, généralement peu nombreuses et dont la générosité ne s'inspire pas toujours de la pure philanthropie. Les parlementaires et quelques ? permanents ?, s'appuyant sur des ? organisateurs ? locaux et régionaux, suffisent à la bonne marche du parti qui, en dehors des périodes électorales, est plus ou moins en veilleuse. Par contraste, les partis de masses se greffent sur des mouvements sociaux antérieurs et, du moins à leurs débuts, ils ne nourrissent pas surtout des visées électorales mais plutôt l'ambition de propager une idéologie. Le souci de faire élire des candidats et d'assumer la gérance du gouvernement, qui se développe tôt ou tard chez ces partis, ne signifie pas l'abandon de leur zèle à l'endroit d'un DUPEUX, ? Politicization of the Electorate in France and the United States ?, The Public Opinion Quarterly, vol. 26, n? 1, 1962, 1-24 ; pour l'Allemagne, Gerard BRAUNTHAL, The Federation of German Industry in Politics, Cornell University Press, Ithaca, 1965, 171. Les chiffres varient selon les auteurs et sont sujets à caution. La signification du terme ? membre de parti ? est loin d'être la même partout. Très précise en Grande-Bretagne, elle signifie peu aux États-Unis où n'existent pas de listes d'ensemble d'adhérents ni de statistiques relatives aux adhésions. Dans ce pays où l'appartenance à un parti signifie peu de chose, le degré d'identification psychologique à un parti est par contre particulièrement élevé. 55 Dans un système où existe la séparation des pouvoirs, comme les États-Unis, la victoire du candidat à la présidence suffit à procurer au parti la gestion du gouvernement. L'élection d'une majorité de Représentants et de Sénateurs n'en est pas moins recherchée fiévreusement parce qu'elle facilite l'exercice du pouvoir et aussi parce que le parti qui fait élire son candidat à la présidence remporte ordinairement la victoire dans la majorité des circonscriptions électorales lors des élections présidentielles. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 118 programme d'action précis. Pour permettre l'élection de candidats, le parti compte surtout sur ses membres qui sont nombreux et qui, par suite de l'homogénéité de leurs caractéristiques socio-économiques, partagent essentiellement les mêmes idées politiques. Les cotisations des membres et des souscriptions de la part des organisations affiliées permettent, dans une large mesure, le financement du parti. Ses principales ressources sont intangibles (défense ou promotion d'idéologies). Le parti de masses est, selon l'expression d'Epstein, un parti de programme (programmatic) plutôt que de ? patronage ?. Une direction composée de délégués élus par les membres et choisis parmi les parlementaires et les membres des organisations affiliées veille aux destinées du parti qui, conservant de ses origines comme mouvement social un certain goût pour le prosélytisme, même en dehors des campagnes électorales s'engage dans des tâches d'éducation et de propagande. Des liens de nature différente unissent partis de cadres et de masses aux groupes d'intérêt. Le parti de cadres ne comporte pas de groupes d'intérêt qui lui soient officiellement rattachés bien que certaines organisations peuvent entretenir avec un des groupes d'intérêt des liens privilégiés. Pour l'ensemble, les groupes d'intérêt demeurent étrangers au parti de cadres et ils s'efforcent de l'influencer de l'extérieur, de s'en faire un allié, et ainsi de suite. De la même manière, le parti de cadres ne vise pas à refléter les vues de groupes d'intérêt particuliers, effort qui lui aliénerait d'autres groupes dont l'appui lui est indispensable, il cherche plutôt à se présenter comme un conciliateur de tendances diverses et un porte-parole d'intérêts différents. Les groupes - agissant de leur propre chef ou comme intermédiaires d'individus ou de corporations - fonctionnent comme des bailleurs de fonds ou comme des stimulateurs d'électeurs et, en retour de leurs services, ils s'attendent à ce que le parti, dans son programme électoral et dans son action sur les députés et les ministres, se montre favorable à leurs intérêts. Dans leur recherche d'un maximum de protection, certains groupes accordent leurs faveurs à plus d'un parti, bien que généralement les préférences se portent vers un parti particulier. La relation par excellence entre partis de cadres et groupes d'intérêt, c'est celle de ? patronage ? qui consiste essentiellement dans un échange de sommes d'argent fournies par les groupes et de faveurs de toutes sortes promises par les partis. Une autre relation possible consiste dans l'offre d'un support électoral de la part d'un groupe d'intérêt contre la promesse d'un soutien politique de la part d'un parti. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 119 Les interrelations des partis de masses et des groupes d'intérêt sont officielles et beaucoup plus intimes. La structure de la plupart des partis de masses est déterminée par les groupes d'intérêt qui leur servent de support. Le parti conservateur britannique constitue jusqu'à un certain point une exception puisque ses trois millions d'adhérents ne sont pas membres d'un groupe d'intérêt. Mais il tient sa puissance de cohésion des appuis indéfectibles de la Fédération of British Industries et autres grandes associations d'affaires et de la vigueur d'une organisation spécifique : la National Union of Conservative and Unionist Associations. Chaque parti de masses n'est relié qu'à un seul groupe d'intérêt ou du moins qu'à un nombre restreint de groupes qui partagent les mêmes objectifs. Le groupe agit comme pourvoyeur des fonds et des votes et le parti, à son tour, se fait le défenseur et le promoteur en titre des intérêts et des idéologies du groupe. Ils fusionnent partiellement leurs fins et adoptent les mêmes modes d'action : d'une certaine manière le parti agit comme groupe d'intérêt et le groupe d'intérêt, comme parti. Dans son ouvrage, les Partis politiques, Maurice Duverger estima que les partis de l'avenir étaient les partis de masses et les succès électoraux considérables des partis socialistes à l'époque le conduisirent à parler d'une ? contagion par la gauche ?. Mais les tendances en cours vont à l'opposé des prévisions de Duverger. Partout les partis de masses voient s'effriter leurs assises (réduction importante du nombre d'adhérents par suite notamment de la crise du syndicalisme, perte de ferveur idéologique imputable à la diminution de l'homogénéité des classes sociales, etc.). Il est vrai que les partis de cadres ont eux-mêmes subi un déclin certain, les ressources du ? patronage ? leur étant de plus en plus refusées. Au premier abord, les nouveaux facteurs de conditionnement des partis, notamment les media de communication, ainsi que la prépondérance croissante des objectifs généraux sur les visées d'ordre particulier favorisent les partis qui, dans leur organisation, se rapprochent des partis de cadres traditionnels ou qui comptent moins sur une clientèle électorale fidèle mais qui les lie et parfois les paralyse que sur leur capacité, par la propagande et le noyautage, de persuader une fraction suffisante de l'électorat à leur accorder ses suffrages. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 120 Constatant ces tendances évolutives, Epstein conclut à une ? contagion par la 56droite ?. Il semble toutefois que la mutation en cours affecte tout autant les partis de cadres traditionnels que les partis de masses. Les partis de l'avenir représenteront une symbiose des deux types actuels de partis. Comme les partis de cadres, ils auront une organisation restreinte et une orientation idéologique visant l'ensemble de l'électorat. Comme les partis de masses cependant, ils s'ancreront, du moins à leurs débuts, dans un mouvement social, ils seront soucieux de l'opinion des électeurs, ils essaieront, par des moyens inédits, notamment l'animation, de les rassembler autour d'objectifs généraux mais rejoignant néanmoins certaines aspirations profondes des collectivités. Ces partis - dont l'U.n.r. en France, le Crédit social et le Parti québécois au Canada représentent peut-être des anticipations -nous suggérons de les appeler, eu égard à leur double vocation, partis de stratèges-animateurs. Il est bien certain par ailleurs que les relations entre ce nouveau type de parti et les groupes d'intérêt différeront de ce qu'elles sont dans le contexte tant des partis de cadres que des partis de masses. Un troisième aspect de l'organisation concerne la distinction entre parti à l'intérieur du système politique et parti à l'extérieur du système politique. On s'étonne qu'une différenciation aussi centrale retienne si peu l'attention, même celle des spécialistes. Robert McKenzie, l'un des rares à avoir distingué les deux niveaux de parti, s'exprime ainsi à propos des partis britanniques : Une bonne partie de la confusion au sujet de la structure de pouvoir au sein des partis vient de l'usage non rigoureux des termes et de l'incapacité de faire la distinction entre plusieurs organisations autonomes qui sont associées pour la poursuite en commun de buts politiques. Deux partis parlementaires se font face à la Chambre des Communes : c'est avec justesse qu'on les appelle ? le parti conservateur ? et ? le parti travailliste parlementaire ?. Chacun constitue une organisation autonome qui, pour des fins électorales, bénéficie du support d'une organisation de masses : 56 Leon D. EPSTEIN, op. cit., 257ss. Pour démontrer l'existence d'une ? contagion par la droite ? et la mutation des partis, Epstein cite le cas des partis britanniques, ouest-allemands et français. Le parti gaulliste (I'U.n.r.) est un exemple d'un parti de type nouveau. Epstein parle d' ? américanisation ? des partis pour caractériser les tendances en cours mais cette formule ne nous paraît pas heureuse, bien que ce soient les partis américains - et canadiens - qui, les premiers, aient éprouvé les effets des facteurs d'évolution. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 121 les conservateurs de la National Union of Conservative and Unionist Associations ; le ? parti travailliste parlementaire ?, d'une organisation 57connue sous le nom de ? parti travailliste ?. À l'intérieur du système politique, le parti est composé des parlementaires et, le cas échéant, des ministres élus sous l'égide du parti. Ce qui institue le parti à ce niveau, c'est une solidarité et une pensée communes, dont la ? ligne du parti ? et le caucus représentent les principales manifestations. Le parti s'intègre alors fermement aux composantes du système politique, particulièrement à l'Assemblée législative et, le cas échéant, au gouvernement, mais aussi, quoique de façon moins précise et trop souvent perverse, à l'administration et même à la magistrature. À l'extérieur du système politique, le parti, c'est l'organisation du parti, la ? machine ? électorale, le secrétariat, les diverses commissions d'études et d'action du parti de même que l'ensemble des rouages qui le relient à ses membres, aux sympathisants et à l'ensemble de l'électorat. À l'intérieur du système politique, le parti est tourné vers le système politique dont il est un mécanisme essentiel ; à l'extérieur du système politique, il est orienté vers le système social, vers les citoyens et les groupes. La tâche du premier consiste à assumer des responsabilités législatives et gouvernementales ; celle du second, à maintenir la loyauté des électeurs et à faire élire des candidats. Sans aucun doute, les lignes de démarcation entre les deux niveaux de parti ne sont pas, dans la pratique, aussi précises que l'analyse ne le laisse supposer. Elles sont plus ou moins brouillées, des considérations électorales étant sous-jacentes aux préoccupations des parlementaires et des rapports étroits se nouant entre parlementaires et dirigeants de l'appareil du parti. Il y a donc des liens obligés et utiles entre les deux niveaux du parti. Mais la bonne santé des sociétés exige que la dualité fonctionnelle soit maintenue. Cette exigence s'impose avec une force particulière au parti qui assume la responsabilité du gouvernement. De fait, les tensions qui se produisent 57 Robert McKENZIE, op. cit., 636. Sur les conséquences sur le plan de l'analyse qui résultent de la non-différenciation des deux niveaux de partis, voir l'excellente étude de Howard A. SCARROW, ? The Function of Political Parties : A Critique of Literature and the Approach ?, The Journal of Politics, vol. 29, n? 4, 1967, 770-790 ; aussi Richard Rose, Influencing Voters, Faber and Faber, London, 1967, 61 ; Samuel H. BEER et Coll., Patterns of Government, Random House, New York, 1962, 189 ss. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 122 assez souvent entre l'? aile parlementaire ? et l'? aile marchande ? des partis manifestent la portée concrète de la distinction. Les rapports entre les deux niveaux de partis varient considérablement selon les systèmes politiques. Dans les systèmes de type britannique, c'est-à-dire en régime de responsabilité ministérielle, les différenciations sont nettes et les rôles respectifs bien définis. L'organisation tend à avoir plus d'importance quand le parti est dans l'opposition que lorsqu'il est au pouvoir et quand il s'agit d'un parti de masses que dans le cas de partis de cadres. En outre, les caractéristiques et les tendances personnelles du chef de parti influent sur la nature des relations entre les deux niveaux. Toutefois, le principe de l'indépendance des parlementaires par rapport à l'organisation est sacré. Ceux-ci, surtout s'ils gèrent le gouvernement, se proclament responsables devant la nation et l'ensemble des citoyens et non pas devant les seuls groupes qui ont contribué à leur élection. Il ne faut pas croire, toutefois, que ce principe soit toujours d'application facile. C'est ainsi que sous un gouvernement travailliste, les syndicats, pourtant puissants au sein de l'organisation, expriment fréquemment leur déception de se voir traiter comme des ? étrangers ? et des ? intrus ? par les députés et les ministres qui leur doivent leur élection. Àcertaines occasions, les délégués des unions ouvrières à la Conférence annuelle et surtout au Conseil exécutif national ont tenté, mais en vain, d'obtenir que les résolutions du parti lient le gouvernement. Ceux qui, à l'instar de Winston Churchill, ont exprimé des craintes que les parlementaires du parti travailliste ne soient soumis aux directives du parti, ont toujours reçu l'assurance de la part du chef de ce parti que la Grande-Bretagne ne courait aucunement un tel risque. Et semblables garanties sont incontestablement fondées dans la pratique. C'est ainsi que les efforts répétés du président du Conseil exécutif national, Harold Laski, d'obliger le chef du parti et premier ministre de 1945 à 1951, Clement Attlee, à suivre les directives du Conseil exécutif, lui méritèrent de vifs reproches de la part de ce dernier. Attlee déclara avec force qu'un gouvernement travailliste, même s'il doit sa victoire surtout aux travailleurs et aux unions ouvrières, se doit de légiférer en fonction des intérêts de la nation entière et non pas des seuls intérêts des unions ouvrières. Dans une lettre privée à Laski, en 1946, il écrivait : ? Vous n'avez aucun droit de parler au nom du gouvernement. Je peux vous assurer que par vos agissements vous suscitez beaucoup de mécontentement Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 123 au sein du parti et qu'on vous saurait gré de garder le silence pendant quelque 58temps . ? Aux États-Unis, en dehors des périodes électorales, les parlementaires ont peu de comptes à rendre à l'organisation, celle-ci étant en veilleuse. Et au moment des campagnes électorales, le Président et les parlementaires, s'appuyant sur des ? organisateurs ?, ont la haute main sur le parti au niveau national. Toutefois, par suite de la séparation des pouvoirs et du caractère fédéral du système politique, les parlementaires sont individuellement vulnérables à l'action des ? machines ? et 59des bosses locaux et étatiques . En France, la situation varie selon les partis. C'est ainsi que le Président et les parlementaires de l'U.d.r. dominent nettement ce parti tandis que ce sont les dirigeants de l'organisation du parti communiste - qui contrôle en même temps la 60puissante C.g.t. - qui dictent aux parlementaires leur ligne de conduite . Dans l'ensemble des pays continentaux européens d'ailleurs, exception faite des communistes qui représentent un cas d'espèce, les députés sont généralement peu redevables dans leurs conduites parlementaires à l'organisation du parti. Les relations que les groupes d'intérêt entretiennent avec les partis diffèrent selon qu'il s'agit du parti à l'intérieur du système politique ou du parti à l'extérieur du système politique. Mais la situation ne se présente pas de la même manière pour les partis de masses et pour les partis de cadres. Les groupes demeurent à 58 Cité par Robert McKENZIE, op. cit., 333. Bien entendu, on ne peut refuser au premier ministre et au chef de l'opposition, eux à qui on demande de tenir compte des avis des groupes d'intérêt et même de ceux des autres partis, de prêter une oreille attentive aux vœux des membres de leur propre parti. 59 Donald C. BLAISDELL, American Democracy Under Pressure, The Ronald Press Co., New York, 1957, 125-166 ; Donald E. STOKES et Warren E. MILLER, ? Party Government and the Saliency of Congress ?, Public Opinion Quarterly, vol. 26, 1962, dans Edward C. DREYER et Walter A. ROSENBAUM, editors, op. cit., 365-381, Georges LAVAU, ? Partis et systèmes politiques : interactions et fonctions ?, Revue canadienne de science politique, vol. II, n? 1, 1969, 18-45. 60 Maurice DUVERGER, la Démocratie sans le peuple, 227 ; Georges LAVAU, ? Partis et systèmes politiques : interactions et fonctions ?, op. cit., 23 ; Jean CHARLOT, l'UNR. Étude du pouvoir au sein d'un parti politique, Cahier n? 153 de la Fondation nationale des sciences politiques, Armand Colin, Paris, 1967. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 124 l'extérieur de ces derniers mais l'expérience leur apprend à distinguer entre les deux niveaux de parti, les modalités d'accès et la nature des contacts étant bien différentes dans les deux cas. En ce qui concerne les partis de masses, le poids des groupes au sein de l'organisation crée une tension virtuellement permanente entre les dirigeants du parti et les parlementaires. Comme le montre toutefois le parti travailliste britannique, cette tension ne met aucunement en danger les institutions parlementaires ; députés et ministres, tout en prenant l'avis de la Conférence annuelle et du Conseil exécutif national, demeurent en principe autonomes dans leur actes parlementaires. Mais s'il est requis que le parti à l'intérieur du système politique, dans le contexte général du programme d'action grâce auquel il a été porté au pouvoir ou a fait élire des candidats, ne soit mû que par le souci du bien de la société entière et, qu'à vrai dire, il s'efface comme parti pour céder le pas aux parlementaires, au chef de l'opposition, au premier ministre, il est également normal, obligatoire même, qu'à l'extérieur du système politique, il se préoccupe de ses objectifs particuliers, de sa clientèle, de sa ? machine ? électorale, bref qu'il maintienne une vie partisane aussi intense que possible. Un parti doit maintenir un haut degré de cohésion interne. Une opposition permanente entre les dirigeants non parlementaires de l'organisation et les parlementaires sur les principes de base de même que des conflits majeurs d'autorité entre les dirigeants des deux niveaux de parti suscitent forcément une crise qui risque de réduire dangereusement l'efficacité de ce dernier ou même de provoquer son éclatement. On ne saurait tolérer sans dommage grave qu'il y ait ? un parti au sein même du parti ? ou encore que le parti ? soit divisé contre lui-même ?. Par contre, il est normal que les différences dans les positions respectives des dirigeants non parlementaires de l'organisation et les parlementaires se traduisent par des différences d'optique ou d'accent dans la façon d'aborder et de résoudre les problèmes. L'unité de décision étant sauve et le principe de la suprématie finale des parlementaires étant acquis en ce qui concerne les décisions politiques, il est sain qu'une dialectique se crée entre les deux niveaux du parti, pourvu que cette dialectique en soit une de dialogue et non de conflit. Ces tensions créatrices empêchent le parti de s'enliser dans la routine, de se laisser éblouir par les succès Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 125 d'un jour, ou au contraire, de se laisser paralyser par les déboires. Elles constituent un gage de perpétuelle jeunesse et de renouvellement constant. Le dialogue entre les deux niveaux de parti sera d'autant plus riche et profitable qu'il se poursuivra sous les auspices d'une division du travail. S'il est des rôles que les dirigeants de l'organisation ne peuvent légitimement remplir, notamment ceux de la législation et du gouvernement, de même existe-t-il des tâches qui conviennent parfaitement à l'organisation et auxquelles les parlementaires ne peuvent s'adonner sans une certaine gêne. On sait, par exemple, que députés et ministres, dont le mandat est d'une brève durée et qui sont aux prises avec des problèmes qui s'imposent à leur attention immédiate, répugnent d'instinct à fixer leur attention sur les questions dont l'urgence ne se fera sentir que dans plusieurs années. Ils sont par définition des hommes de l'immédiat. C'est même à ce fait qu'on doit, dans une bonne mesure, attribuer la difficulté de légiférer sur des problèmes pourtant de portée majeure et qui, depuis longtemps, se posent comme questions sociales : en effet, il faut généralement un laps de temps fort long - entre 25 et 75 ans - avant qu'une question sociale ne devienne problème politique et fasse l'objet d'un projet de loi. Or, malheureusement, la plupart du temps on ne tire pas profit de ce long intervalle. On fait plutôt l'autruche et on va même jusqu'à nier l'existence des problèmes. Quand enfin les gouvernants se décident à procéder à des consultations et à des négociations, c'est sous la menace d'un Livre Blanc ou d'un projet de loi que les individus et les groupes sont invités à faire connaître leur point de vue. Dans ces conditions, il devient impossible de procéder à l'examen de ces questions ? à froid ? ; il faut agir ? à chaud ?, c'est-à-dire à un moment où la montée des passions et l'urgence de la situation ne permettent plus un accord sur la nature de l'intérêt public général ni une action réfléchie. Sous cet aspect, les partis ont l'avantage de ne pas être tournés vers des questions particulières, touchant à un secteur restreint de la société, comme le sont pour ainsi dire congénitalement les groupes d'intérêt, mais plutôt vers de grands problèmes s'étendant à la société entière : les charges qui leur incombent par 61ailleurs en tant que rouages du gouvernement les y contraignent . Pourquoi donc, 61 Voir la conclusion identique de Harry ECKSTEIN, pour qui les groupes d'intérêt relient des opinions portant sur des questions restreintes à des Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 126 eux qui se doivent de survivre aux accidents de la vie politique, ne s'équipent-ils pas pour procéder à l'examen de ces problèmes vitaux à longue échéance et auxquels il faudra tôt ou tard trouver des solutions, tels que les inégalités socio-économiques et régionales, la pollution, les différences ethniques et linguistiques, le statut et le fonctionnement des universités et ainsi de suite ? Les conclusions de ces discussions ne lieraient pas les parlementaires membres du parti mais ceux-ci y trouveraient une ample matière à la réflexion ainsi que les bases d'une action éventuelle. De tels débats favoriseraient la valorisation du rôle du député, aujourd'hui plus ou moins à la marge du processus législatif surtout parce qu'il ne sait pas poser correctement les questions qui l'intéressent ou encore parce qu'il ne dispose pas d'informations suffisantes pour se former une opinion personnelle sur les sujets qui font l'objet de projets de loi. c) Partis el idéologies. - Le troisième et dernier niveau de structures que nous considérerons a trait aux idéologies. Dans notre tome premier, nous avons dit des idéologies qu'elles ? constituent des ensembles plus ou moins systématiques de représentations faites sous l'influence d'une situation de groupe par référence à la société globale ou à l'une de ses composantes en vue de procurer les éléments intellectuels et affectifs d'identification au groupe, d'expliquer la situation du groupe et de légitimer les projets d'action envisagés ?. Cette définition fait politiques particulières et les partis, des opinions orientées vers des questions de grande envergure à des politiques générales. Dans Pressure Group Politics. The Case of the British Medical Association, Allen und Unwin, London, 1960, 162-163. Aussi E.E. SCHATTSCHNEIDER, The Semi-Sovereign People, Holt, Rinehart and Winston, New York, 1960, 49-61. SCHATTSCHNEIDER dénonce la nocivité des groupes de ? pression ? en tant que promoteurs des intérêts particuliers (private interests) et s'en remet aux partis pour la promotion de l'intérêt public général (public interest). Si les partis échouent dans cette tâche, alors d'autres organisations seront formées dans le dessein de concrétiser les possibilités du système politique. Ce qui est avant tout requis, conclut l'auteur, c'est une ? théorie de l'action politique susceptible de définir cette exigence ?. Par ailleurs, il s'impose de souligner que les objectifs que poursuivent les groupes d'intérêt coïncident assez souvent avec des préoccupations d'ordre général : ainsi, les unions ouvrières se font les champions de la sécurité sociale pour tous, de la gratuité de l'éducation, de l'assurance santé universelle, etc. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 127 paraître les idéologies comme des structures, c'est-à-dire comme des totalités complexes et unifiées et comme des systèmes de relations. Une interprétation superficielle de Marx laisse croire que celui-ci considérait les idéologies comme de simples reflets du système de production. Or, particulièrement dans des monographies comme le 18-Brumaire et la Guerre civile en France, il a fait ressortir le rôle actif des idéologies sur le cours des événements et les conduites des hommes. Rôle non pas autonome certes, ni susceptible de déclencher les grands mouvements historiques, mais néanmoins considérable. La contribution majeure de Marx dans l'approfondissement de nos connaissances des idéologies consiste à avoir montré que, dans la mesure où elles s'imposent aux hommes, c'est 62en tant que structures qu'elles le font . La genèse des idéologies constitue un phénomène obscur et complexe dans lequel interviennent des niveaux de la réalité aussi différents que l'inconscient individuel et collectif, les passions et la raison des hommes, de même que la technologie, l'économie et la stratification sociale. Synthèse des bornes du perçu et des données du vécu, l'idéologie ne devient elle-même une réalité objective - un ? en soi ? doué d'effets propres - que par le truchement des mécanismes qui la portent et la propagent. En ce qui concerne les idéologies associées au mouvement intersystémique, nous connaissons ces mécanismes : partis, groupes d'intérêt, media de communication et conseils consultatifs. Chacun de ces quatre mécanismes produit, véhicule et propage les idéologies d'une façon qui lui est particulière. Les partis et les groupes d'intérêt offrent, de ce point de vue, un riche champ d'investigation. Les partis sont-ils perméables aux idéologies ? Constituent-ils de bons ou de médiocres porteurs d'idéologies ? Ces questions sembleront saugrenues à ceux qui se souviennent qu'à leurs débuts les partis furent les instruments du combat que menèrent les groupes religieux, ethniques et sociaux défavorisés pour le triomphe de leurs visées sur le monde et sur la vie. Malgré le passage du temps, il serait étonnant que ces anciens sédiments idéologiques, même cristallisés, se soient complètement érodés et aient cessé d'influencer la vie des partis. Si toutefois on espère trouver dans les grands partis contemporains la ferveur propre aux sectes, on sera déçu : sans nul doute les convictions idéologiques y sont-elles d'assez 62 Voir Louis ALTHUSSER, Pour Marx, François Maspero, Paris, 1966. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 128 faible tonalité et au surplus s'y expriment-elles avec le rationalisme qu'impose le froid calcul des avantages et des coûts. Mais encore faut-il distinguer entre dirigeants et simples membres de même qu'entre les divers régimes de partis. Les représentations qu'entretiennent les dirigeants et les simples membres des partis sur les questions les plus diverses divergent considérablement. Une enquête menée aux États-Unis a montré que les dirigeants adhèrent plus fermement aux ? règles du jeu ? que les simples membres ou les sympathisants. Ils sont plus tolérants, plus respectueux des droits des individus, moins cyniques à l'endroit de la politique et plus confiants dans leur capacité d'influencer les gouvernants. L'étude établit en outre que les variations dans les représentations sont plus grandes parmi les dirigeants que chez les électeurs : ainsi les dirigeants républicains se montrent de loyaux fidèles du credo capitaliste tandis que les dirigeants démocrates croient fermement aux préceptes du Welfare State, pour la première fois énoncés dans le New Deal. Phénomène plus instructif encore : les dirigeants républicains se montrent, sur ces ? principes de base ?, bien plus conservatistes que les électeurs du même parti qui se révèlent presque aussi progressistes que les électeurs démocrates. De même, les dirigeants du parti 63démocrate se révèlent beaucoup plus progressistes que les électeurs de ce parti . Ces tendances suggèrent les deux hypothèses suivantes : 1. les dirigeants adhèrent avec plus de force aux principes de base des partis que les simples membres ou les électeurs, les dirigeants des partis de 63 Herbert MCCLOSKY, ? Consensus and Ideology in American Politics ?, The American Political Science Review, Vol. 58, 1964, dans Edward C. DREYER et Walter A. ROSENBAUM, editors, Political Opinion and Electoral Behavior, Wadsworth, Belmont, California, 1966, 237-264 ; Herbert MCCLOSKY, Paul H. HOFFMAN et Rosemary O'HARA, ? Issue Conflict and Consensus among Party Leaders and Followers ?, The American Political Science Review, vol. 54, 1960, 405-427 ; Frank J. SORAUF, op. cit., 59-80. Sorauf distingue trois niveaux idéologiques dans un parti : le niveau des cadres, celui des candidats et celui des électeurs. Dans un parti de masses, il faudrait ajouter un quatrième niveau, celui des simples membres. Aussi John MEISEL, ? Recent Changes in Canadian Parties ?, dans Hugh THORBURN, Party Politics in Canada, Prentice-Hall, Toronto, 1967 ; Koula MELLOS, ? Quantitative Comparison of Party Ideology ?, Canadian Journal of Political Science, vol. 3, n? 4, 1970, 540-558. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 129 droite étant plus conservatistes que les électeurs de ces partis, et ceux des partis de gauche étant plus progressistes que les électeurs de ces partis ; 2. les positions idéologiques des dirigeants des partis conservatistes et progressistes tendent à être relativement éloignées les unes des autres, tandis que la distance idéologique entre les simples membres et électeurs de ces partis est faible. En d'autres termes, ce sont les dirigeants et non les membres qui maintiennent l'identité idéologique des partis et qui, dans une bonne mesure, permettent aux partis de conserver un caractère idéologique. Les écarts dans les représentations des dirigeants et celles des simples membres et sympathisants confirment les distinctions faites par Philip E. Converse entre idéologues (1 à 2 pour cent des individus), quasi-idéologues (10 à 20 pour cent des individus) et non-idéologues, c'est-à-dire ceux qui suivent simplement le mouvement de leur groupe ou ne font 64. En que subir les courants émanant des enjeux (80 à 90 pour cent des individus) outre, de nombreux sondages montrent que ces degrés de structuration idéologique sont directement liés à la stratification sociale. Le contenu de l'idéologie partisane des couches supérieures diffère fondamentalement de celui des couches inférieures. Par ailleurs, du moins à en croire Maurice Duverger et nombre d'observateurs, les partis européens seraient ? idéologiques ? tandis que les partis américains seraient pragmatiques. Lord Bryce disait des deux grands partis américains qu'ils étaient comme deux frères siamois, l'un étant tweedledee et l'autre tweedledum. Selon la terminologie d'Epstein, les partis européens seraient programmatic et les partis américains de ? patronage ?. Il est vrai que pour l'essentiel les partis américains ne se distinguent guère sur le plan des principes puisqu'ils adhèrent au même credo démocratique et, à un degré moindre, à celui du capitalisme. Il est également vrai qu'une faible fraction d'électeurs américains - environ 7 pour cent - disent être influencés dans le choix d'un parti au moment des élections par le 64 Philip E. CONVERSE, ? The Nature of Mass Belief Systems in Mass Publics ?, dans David E. APTER, Ideology and Discontent, The Free Press of Glencoe, 1964, 206-261. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 130 programme des partis ou par les positions de ceux-ci sur les grandes questions de l'heure : ils jugent beaucoup plus importants le parti lui-même et la personnalité des candidats. Néanmoins, outre le fait que les partis divergent de façon assez marquée sur un grand nombre de questions, les électeurs perçoivent des différences notables entre eux - les démocrates, nous l'avons vu, sont perçus de gauche et les républicains, de droite - ces perceptions servant elles-mêmes de justification pour le choix du parti au moment des élections. Les électeurs conçoivent les partis comme des véhicules propres à faire valoir auprès des agents politiques les convictions associées à la région qu'ils habitent, à la classe et au groupe ethnique auxquels ils appartiennent, à la religion qu'ils professent, et ainsi 65de suite . Depuis l'élection de 1948, il semble qu'il y ait eu un regain de ferveur idéologique au sein des deux grands partis, du moins au niveau national et, en particulier, que la distance et les conflits entre le progressisme et le conservatisme se soient accentués. En outre, des problèmes comme la question raciale, la guerre du Vietnam, l'agitation étudiante, la pollution, qui polarisent et opposent radicaux et modérés, révolutionnaires et gradualistes (ou libéraux), ne pourront manquer tôt ou tard de rompre la monotonie du consensus sur les principes fondamentaux que les dirigeants des deux partis s'efforcent de préserver. Inversement, le caractère idéologique de la majorité des partis européens est bien moins affirmé qu'on ne le croit généralement. C'est ainsi que le parti travailliste et les conservateurs britanniques ont convergé depuis vingt ans vers 66une position moyenne , que les partis allemands et norvégiens ne diffèrent plus 67guère les uns des autres , et que, à l'exception des communistes, les partis 65 Sur la façon dont les partis permettent l'expression des opinions et constituent eux-mêmes des agents de formation des opinions, voir Angus CAMPBELL et coll., The American Voter, 188-215 ; V.O. KEY Jr., Public Opinion and American Democracy, 432-457 ; Mildred A. SCHWARTZ, Public Opinion and Canadian Identity, University of California Press, 1967, 127-145 ; Dayton David McKEAN, Party and Pressure Politics, Houghton Mifflin, Boston, 1949, 365-393. 66 Samuel H. BEER, op. cit., 242, 318 ; Robert McKENZIE, op. cit. 67 Gerard BRAUNTHAL, op. cit. ; Gerhard LOEWENBERG, Parliament in The German Political System, Cornell University Press, 1967 ; Harry ECKSTEIN, Division and Cohesion in Democracy. A Study of Norway, Princeton University Press, 1966, 145-146. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 131 68français ont perdu leur souffle . Partout, l'esprit des public relations et les exigences de la public image semblent avoir entraîné l'affadissement doctrinal des partis, phénomène sur lequel s'appuient surtout les prophètes de la ? fin des 69idéologies ?. Au terme d'un examen attentif du comportement des partis politiques dans les sociétés libérales, Leon D. Epstein conclut que les partis politiques, par suite des autres tâches qui leur incombent et notamment de leurs responsabilités électorales, ne peuvent être de bons mécanismes de la formulation et de la propagation des idéologies. À l'exception de quelques petits partis pour qui la défense ou la promotion d'une idéologie prime sur les préoccupations électorales, le caractère idéologique des partis serait aujourd'hui assez peu marqué. Selon Epstein, formuler et propager les idéologies revient bien davantage aux groupes d'intérêt dont c'est là la tâche principale. Epstein rejoint ici un excellent spécialiste des partis américains, Frank J. Sorauf, selon qui les individus font bien plus confiance aux groupes d'intérêt qu'aux partis pour l'expression et la promotion de leurs besoins et de leurs aspirations. À tout le moins peut-on dire que les groupes d'intérêt partagent avec les partis la lourde responsabilité de canaliser vers le 70système politique les clameurs et les prières d'un monde aux abois . L'aube paraît s'être levée d'une ère de contestation globale de la société : le heurt des idées qui s'affrontent, en effet, est violent. Une question cependant se pose : quels canaux ces mouvements et ces contre-mouvements d'idées emprunteront-ils ? Pour l'instant, ils boudent souvent les moyens classiques ou conventionnels comme les partis et, à un degré moindre, les groupes d'intérêt et ils 68 Maurice DUVERGER, la Démocratie sans le peuple. 69 Voir Edward SHILS, ? The End of Ideology ? ? Encounter, vol. 5, 1955, 52- 58 ; Daniel BELL, The End of Ideology, The Free Press of Glencoe, 1960 ; Ralf DAHRENDORF, Class and Class Conflict, Stanford University Press, 1959 ; Jean MEYNAUD, Destin des idéologies, Chemin Mornex, Lausanne, 1961. 70 Leon D. EPSTEIN, op. cit., 275-288, Frank J. SORAUF, op. cit., 72-80. La grande question qui vient à l'esprit à ce propos, et que nous avons posée dans notre tome premier, concerne l'aptitude des groupes d'intérêt à faire référence de façon authentique à la société globale. Cette aptitude paraît plus prononcée chez les partis qui, eux, oeuvrent en fonction d'une conception générale de la société. Inversement, toutefois, la capacité de ces derniers d'exprimer une situation de groupe est moindre que chez les groupes d'intérêt. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 132 s'expriment plutôt par le truchement de véhicules d'un genre inédit (clubs, fronts, comités de citoyens, groupuscules de tout genre). Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 133 2. Interrelations fonctionnelles Retour à la table des matières Si on accepte assez facilement que les partis, par la dynamique qui les meut, représentent un lieu stratégique des interrelations du social et du politique, par contre l'unanimité est loin de s'être faite sur la façon de considérer les actions et les contre-actions dont ils sont le centre. Selon une conception, les partis constituent comme un marché au sein duquel des agents politiques (dirigeants de partis, organisateurs, candidats) agissant comme des courtiers, échangent des valeurs politiques (idéaux, programmes, promesses) avec des agents sociaux (individus ou groupes) eux-mêmes détenteurs d'une ressource appréciable : leur vote. Selon une autre conception, les partis, tels des transformateurs d'énergie, agrègent et convertissent en programmes politiques les loyautés et les besoins des diverses couches de la société. Ces deux approches certes font voir les partis sous un jour différent mais toutes deux mettent en évidence la vocation des partis à agir comme mécanismes d'interactions systémiques. Depuis que Gabriel A. Almond, dans son importante introduction à l'ouvrage 71collectif, The Politics of Developing Areas , a suggéré de caractériser la façon dont les partis et les groupes d'intérêt remplissent leur tâche de production des inputs politiques par l'agrégation pour les premiers et l'articulation pour les seconds, l'usage s'est répandu de parler de la fonction agrégative des partis et de la fonction d'articulation des groupes d'intérêt. La réalité est loin d'être aussi simple et les deux ? fonctions ? chevauchent comme Almond l'a d'ailleurs noté. Il semble que, du moins dans une première étape, il soit préférable de différencier davantage les fonctions des partis, réservant pour une deuxième opération la question des interrelations sous cet angle des partis et des groupes d'intérêt. Ce qui frappe au premier abord quand on considère l'action des partis dans les régimes libéraux, c'est que leur présence se fait sentir à travers le système politique tout entier. Cette constatation surprend : selon une supposition fort répandue en effet, les partis politiques, longtemps tenus pour suspects, ne seraient 71 Gabriel A. ALMOND et James S. COLEMAN, editors, The Politics of Developing Areas, Princeton University Press, 1960, 39ss. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 134 encore admis qu'à l'arrière-scène de la politique. Il se peut qu'il en soit officiellement ainsi dans certains pays dotés de constitutions remontant à la fin du dix-huitième siècle ; mais, depuis longtemps, les nécessités pratiques ont conduit les systèmes politiques à convertir les partis en rouages majeurs de leur fonctionnement. Qu'il s'agisse de la socialisation politique, de l'intégration nationale, de la participation, du choix des agents responsables, de l'émergence des enjeux, des débats sur les questions controversées ou de la prise des décisions, il est impossible d'ignorer complètement les partis et souvent c'est au centre des processus d'output aussi bien que d'input systémiques qu'on les voit à l'oeuvre. C'est précisément cette imprégnation, à des degrés divers, de l'ensemble du système politique par les partis qui rend si difficile la désignation de leurs fonctions propres. Les typologies sont nombreuses et variées et il ne serait guère profitable de les recenser. Une bonne part du flottement tient àce que les critères choisis et les objectifs poursuivis varient considérablement d'un auteur à l'autre. Comme l'a montré Howard A. Scarrow dans un article remarquable, le fait que les auteurs tantôt adoptent un modèle théorique et tantôt partent d'inductions tirées de l'observation des tâches concrètes que remplissent les partis rend pratiquement impossibles non seulement les comparaisons entre les typologies mais encore des 72jugements sur leur validité fondés sur des prémisses fonctionnalistes . Il semble donc bien que toute tentative de standardisation des typologies existantes est illusoire. Aussi vaut-il mieux renoncer à cet effort qui risquerait d'être inutile et s'engager plutôt sur une piste secondaire, certes, mais plus prometteuse. Cette piste concerne non plus les fonctions elles-mêmes mais les activités qu'elles visent. On constate en effet que l'assignation des fonctions porte le plus souvent sur trois aspects de la vie des partis : aspects électoraux, gouvernementaux et médiateurs. Les aspects électoraux concernent le recrutement, la nomination et l'élection des candidats : les partis y sont ainsi considérés comme un appareil de légitimation et d'intégration du système politique ; les aspects gouvernementaux ont trait à la relève politique, à la formation des majorités et des 72 Howard A. SCARROW, ? The Function of Political Parties : A Critique of the Literature and the Approach ?, The Journal of Politics, vol. 29, n? 4, 1967, 770-790. Aussi William J. CROTTY, ? Political Parties Research ?, dans Michael HAAS et Henry S. KARIEL, Approaches to the Study of Political Science, Chandler, Scranton, Penn., 1970, 267-322. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 135 minorités parlementaires, à la désignation des gouvernants de même qu'à l'élaboration et à l'adoption des projets législatifs : de la sorte, les partis constituent un véhicule du pouvoir ; les aspects médiateurs, enfin, portent sur les interrelations des citoyens et des gouvernants à l'occasion de l'expression par les individus et les groupes de leurs intérêts et idéologies de même que de l'énoncé par les gouvernants des possibilités politiques : par là les partis se présentent 73comme des relais intersystémiques . L'activité électorale, qui est la plus connue, est aussi celle dont ils s'acquittent le mieux, la seule peut-être qu'il leur est obligatoire de remplir comme semble l'indiquer la facilité avec laquelle ils s'effacent au lendemain des campagnes électorales. Mais on connaît moins leur activité gouvernementale et leur activité médiatrice et, en négligeant de s'en préoccuper, il est possible qu'on les ait empêchés d'atteindre la stature à laquelle ils étaient destinés. Nous le noterons, sous chacun de ces aspects, les partis doivent compter avec d'autres organisations qui parfois conjugent avec eux leur action et parfois, au contraire, leur font obstacle. Au nombre de ces organisations, il faut sans conteste ranger les groupes d'intérêt qui interviennent à titres divers dans le processus électoral et les tâches du gouvernement et, bien entendu, dans les médiations intersystémiques. Il est dommage que ces dédoublements, substitutions ou chevauchements de fonctions entre partis et groupes d'intérêt soient le plus souvent passés sous silence puisqu'ils représentent un des aspects les plus fascinants de la vie des partis. Nous en ferons état par la suite. a) Activité électorale. - Partis politiques et élections n'ont pas entre eux un lien obligé mais l'histoire les a intimement soudés ensemble. Les uns et les autres, 73 Parmi les nombreux efforts de catégorisation des ? fonctions ? des partis, mentionnons ceux de Frank J. SORAUF qui différencie la mobilisation des votes, la propagande des attitudes et des idées, la socialisation politique, l'organisation de la mécanique politique (dans Political Parties in the American System, 2ss) ; de Georges LAVAU : légitimation - stabilisation, tribunitienne, relève politique (dans ? Partis et systèmes politiques : interactions et fonctions ?, op. cit., 38-42) ; et de James Q. WILSON : recrutement des candidats, mobilisation des votes, concentration du pouvoir au sein du gouvernement. Dans The Amateur Democrat, University of Chicago Press, 1966, 16ss. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 136 longtemps proscrits, puis tolérés tout en étant tenus pour suspects, représentent aujourd'hui une condition nécessaire de la démocratie libérale. Les partis constituent le moyen ordinaire du recrutement des candidats aux postes électifs, de la mobilisation des votes dont le compte, au terme de campagnes électorales qui se sont déroulées grâce à leurs bons offices, permet la proclamation des élus, le dégagement des formations partisanes majoritaires et minoritaires et, finalement, la constitution d'une équipe gouvernementale (de même que la destitution de celle-ci en temps utile). Tous sont d'accord sur ce point : si les partis ne s'acquittent pas convenablement de leurs responsabilités électorales, il est illusoire d'escompter qu'ils rempliront adéquatement d'autres tâches. Ils ne constituent dans ces conditions que de pauvres déchets bons à mettre au rebut. Ce jugement vaut aussi bien, quoique de façon différente, pour les petits partis qui ne réunissent qu'une fraction minime du vote populaire que pour les grands partis qui jouissent du support d'un pourcentage élevé de l'électorat. En effet, un groupement qui se désintéresserait de la conquête du suffrage ou qui échouerait à se faire un minimum de clientèle électorale ne pèserait pas lourd dans le jeu des alliances et des influences gouvernementales ni dans celui des médiations intersystémiques. Plutôt qu'un parti, un tel groupement représenterait un para-parti, un ? front ?, un ? comité d'action ?, ou encore un simple ? groupuscule ?. De la sorte, la majesté dont est revêtu l'acte du vote rejaillit sur les partis. Le suffrage électoral, dont l'émergence et la généralisation représentent sans conteste 74la plus belle conquête de la démocratie moderne , symbolise et incarne les idées et les aspirations les plus nobles qui fondent nos systèmes politiques. Le vote institue le citoyen comme membre actif du souverain. Dans les termes de John Stuart Mill : ? Dans toute élection, l'électeur est sous l'obligation morale absolue de considérer les intérêts du public, non pas son avantage propre, et de donner son vote, au meilleur de son jugement, exactement comme il serait obligé 74 Voir, entre autres, Robert E. LANE, Political Life : Why People Get Involved in Politics, The Free Press of Glencoe, 1959, 8-44 ; Leslie LIPSON, The Dernocratic Civilization, Oxford University Press, 1964, 273-306. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 137 de le faire s'il était le seul électeur et que l'élection ne dépendait que de lui 75seul . ? Manifestation non équivoque de la perte de l'unanimité qui exprimait la solidarité du groupe dans les sociétés traditionnelles, le suffrage universel, par delà les inévitables divisions au sein des sociétés industrielles, s'est vu confier la 76redoutable tâche de concrétiser la volonté générale d'où émane cette ? télé ? qui, selon Georges Lavau, pourrait être l'élément spécifique du politique. Acte élémentaire et en lui-même insignifiant, le vote tire sa noblesse de sa destination éminente ; la transformation de la force en loi par la légitimation du pouvoir. D'où, dans les régimes fondés sur l'autorité de la personne et dans les dictatures modernes, le recours au suffrage qui, sous la forme du plébiscite, réaffirme au moment opportun la dévotion et la confiance collective au chef. D'où aussi le devoir que la morale politique impose aux citoyens d'exercer leur droit de vote. Il existe deux grandes traditions dans les études sur les élections - que d'aucuns voudraient élever au rang de ? science ? et appellent pséphologie : la tradition ? française ? qui étudie les statistiques électorales en fonction des ancrages historiques (régionaux et religieux surtout) et la tradition ? américaine ?qui aborde les campagnes et les résultats électoraux en fonction de critères psycho-sociaux (caractéristiques personnelles des candidats et des électeurs, techniques électorales, facteurs démographiques, ethniques et socio-professionnels du vote, etc.). Les études britanniques, surtout sous l'impulsion de David E. Butler, insistent sur le déroulement des campagnes électorales et 77peuvent être considérées comme l'amorce d'une troisième tradition . La liste des 75 John Stuart MILL, cité par Bernard BERELSON dans ? Democratic Theory and Public Opinion ?, Public Opinion Quarterly, vol. 16, n? 3, 1952, 310-330, reproduit dans Heinz EULAU, Samuel J. ELDERSVELD et Morris JANOWITZ, editors, Political Behavior, The Free Press of Glencoe, 1959, 107-115. 76 Georges LAVAU, ? Les sciences sociales mettent-elles en cause la spécificité du pouvoir politique ?, Recherches et Débats, n? 53, 1966, 21-39. 77 François GOGUEI., ? La sociologie électorale. La France ?, dans Georges GURVITCH, Traité de sociologie, tome second, Presses universitaires de France, Paris, 1960, 46-63 ; Georges DUPEUX, ? La sociologie électorale. Pays anglo-saxons ?, ibid., 64-75 ; David E. BUTLER, ? Some Recent Studies of Voting. Three Styles in Psychology ? Political Studies, Vol. 3, n? 2, 1955, 147. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 138 travaux qui se rattachent à l'une ou l'autre de ces ? traditions ? s'allonge à un rythme rapide et porte sur un nombre croissant de pays. Il serait fastidieux de dresser cette liste qui serait d'ailleurs déjà périmée avant d'être complétée. Une démocratie saine tolère, exige même, un certain abstentionnisme. Dans les régimes dictatoriaux où virtuellement tous les inscrits vont aux urnes, c'est la contrainte physique ou morale ou encore le fanatisme beaucoup plus que le sens 78civique qui pousse les électeurs à remplir leur bulletin de vote . Dans plusieurs pays toutefois, on juge insuffisant le rendement électoral. Un taux élevé d'abstentionnisme suscite en effet l'inquiétude. Aussi s'efforce-t-on de l'abaisser. On considère l'abstentionnisme moins comme un refus ou un désaveu du système - ce qu'il est dans certains cas particuliers - que comme un signe d'indifférence. Aussi vise-t-on à corriger les vices qui s'opposent à l'équité du scrutin dont les trois critères, tels que définis par Stein Rokkan, sont les suivants : l'universalité 79d'accès, l'égalité d'influence et le caractère privé et secret de l'acte du vote . En outre, par la mise en oeuvre de nombreux moyens, les partis s'efforcent de stimuler les électeurs à se présenter aux urnes. Le souci du bien public et le sens du devoir seuls ne suffisent pas à convaincre le grand nombre. On doit trouver des raisons plus concrètes et plus personnelles de susciter une démarche en elle-même peu onéreuse mais qui dérange tout de même la routine de la vie quotidienne. On l'a vu plus haut, les moyens traditionnellement adoptés pour stimuler les électeurs varient dans les partis de masses et les partis de cadres : les premiers, déjà assurés de l'encadrement automatique de l'électeur par l'organisation annexe, se fient surtout à l'idéologie, au programme et aux enjeux ; les seconds, disposant d'un état-major aguerri et d'une machine électorale bien pourvue en ressources diverses, notamment en argent, se livrent à des promesses et au favoritisme 78 Dans les régimes despotiques, hélas très nombreux, depuis 1920, l'abstentionnisme peut être considéré comme une sorte de vertu politique, l'opposition au régime se présentant sous la forme d'une apathie apparente. Voir W. H. Morris JONES, ? ln Defense of Apathy. Some Doubts about the Duty to Vote ?, Political Studies, vol. 2, n? 1, 1954, 26-37. 79 Stein ROKKAN, ? The Comparative Study of Political Participation : Notes Toward a Perspective on Current Research ?. Dans Austin RANNEY, editor, Essays on the Behavioral Study of Politics, University of Illinois Press, Urbana, 1962, 67. Toutes les sociétés libérales, à des degrés divers, violent plus ou moins ouvertement ce code d'éthique, les États-Unis offrant un piètre exemple d'équité démocratique sous cet aspect. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 139 ( ? patronage ? ). La récente mise au point de nouvelles techniques électorales fondées sur les relations publiques et les télémedia, surtout la télévision, bouleverse les moeurs et les styles électoraux traditionnels et provoque la transformation des partis. L'électeur d'aujourd'hui est aux prises avec des sollicitations opposées, résultat du heurt de deux âges politiques. L'électeur de demain sera plus avide de rationalité que celui d'hier mais les choix à faire seront plus complexes ; mieux informé, il sera aussi plus conscient de son ignorance ; plus exposé à la propagande des partis, il sera plus susceptible de brusques volte-face. L'issue des élections sera plus aléatoire, les nouveaux partis, notamment, n'étant plus confrontés au même degré aux obstacles quasi insurmontables de jadis. Par ailleurs, l'allégement des procédures électorales et surtout l'envahissement par la politique de la vie quotidienne accroîtront la proportion de ceux qui se prévaudront de leur droit de vote. Dans les sociétés libérales, même celles où le suffrage est légalement obligatoire et où celui qui l'élude est passible d'amende, la proportion des suffrages reste, et sans doute restera, bien inférieure à 100 pour cent. Les pourcentages varient sensiblement : l'Italie, la Hollande, l'Autriche, la France, la Belgique, la République fédérale allemande, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, le Danemark et la Suède accusant un rendement élevé (entre 80 et 90 pour cent d'électeurs), la Norvège, la Grande-Bretagne, le Canada et la Finlande, occupant une position moyenne (entre 70 et 80 pour cent d'électeurs), et les États-Unis, une 80position inférieure (entre 40 et 65 pour cent d'électeurs) . Ces pourcentages 80 Le cas des États-Unis, où pourtant le suffrage a été élargi très tôt et où il a été octroyé aux femmes depuis longtemps, est intrigant et c'est à juste titre qu'il retient l'attention des spécialistes. Dans les élections présidentielles, ce n'est que depuis 1952 que la proportion des électeurs atteint régulièrement 60 pour cent. Mais quand il s'agit de l'élection des Représentants au Congrès national, la proportion n'atteint pas 60 pour cent et peut baisser à 45 pour cent dans les élections bi-annuelles (46,7 pour cent en 1962). Plusieurs facteurs expliquent ce faible rendement : nombre élevé de non-citoyens (environ trois millions) inaptes à voter ; nécessité de s'enregistrer soi-même sur les cartes électorales ; obstacles à l'enregistrement portant sur le lieu de résidence dans un district électoral (20 pour cent des Américains changent de résidence à chaque année) ; faible durée de la période d'enregistrement ; ? épurations ? fréquentes des listes, tests d'alphabétisme préliminaires à l'enregistrement, etc. On fait en outre état de nombreux cas de suppression du droit de vote (pour incapacité mentale, félonie, etc.) ; de règlements touchant les élections (les scrutins se Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 140 valent pour l'échelon national et sont en général sensiblement moindres, dans les pays fédéraux, à l'échelon étatique ou provincial et à l'échelon local. Pour les chercheurs, l'étude des élections perdrait beaucoup de son intérêt si toutes les personnes habilitées à voter se présentaient aux urnes le jour du scrutin. En effet, l'abstentionnisme résulte de choix personnels et des conditionnements auxquels l'économie et la stratification sociale exposent les individus. C'est ainsi qu'on parle des ? dimensions ? et des ? facteurs ? du vote. Le résultat global d'une élection peut être considéré comme une ? décision collective ? ou comme le choix d'un être ? collectif ? traduisant l'influence prépondérante de certaines conditions de l'environnement, de certains traits de personnalité, de certaines préférences culturelles, et ainsi de suite. Les individus se montrent sensibles à une multitude d'influences les plus diverses conformément à leurs caractéristiques personnelles et socio-économiques : ici comme dans d'autres sphères d'activité, l'individu porte la marque de son degré d'instruction, de son revenu, de sa profession, de son lieu de résidence, de sa religion et de sa race. Certes, un certain nombre, par la sublimation ou la réflexion, échappent à ces conditionnements. Mais la majorité s'y soumet. C'est ce comportement collectif qui permet de dire que les ouvriers, les hommes d'affaires ou les femmes de telle région et dans telles conditions votent à telle proportion pour tel parti. La connaissance des mêmes données empiriques permet de dire qu'au niveau du district électoral, le vote de telle ou telle catégorie a été prépondérant. Plus encore, compte tenu des circonstances de temps et de lieu, cette connaissance permet de prévoir le résultat du scrutin à l'échelle d'un comté, d'une région ou d'un pays. Aucun phénomène collectif ne montre mieux la dépendance de l'individu à l'égard des groupes que le vote : même dans l'acte politique pour lui le plus personnel et le plus intime, il trahit ses origines et ses convictions. Personne pourtant n'a espionné le geste qu'il a accompli dans le secret de l'isoloir ; personne tiennent dans les jours ouvrables, etc.) ; de certaines disqualifications liées à la race et à la religion : la loi a aboli ce dernier obstacle, mais dans le Sud surtout, les Noirs notamment sont encore l'objet de pressions qui les incitent à ne pas se présenter aux urnes. Voir Richard M. SCAMMON, ? Electoral Participation ?, The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 371, 1967, 60-71. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 141 n'a par la suite regardé en faveur de quel parti et de quel candidat il a fait sa ? croix ?. Ce sont de simples coordonnées personnelles et socio-économiques inscrites sur la liste électorale sous son nom qui le trahissent. Et s'il n'a pas voté, il sera quand même repéré puisqu'on établira - peut-être avant le jour du scrutin - la 81chance qu'il a d'être ou non électeur . L'artisan indispensable du rituel qui entoure le vote, c'est le parti politique. Prolongeant l'image de René Rémond pour qui ? le recours au suffrage universel 82est le sacrement moderne des régimes politiques ?, on peut dire des partis qu'ils sont les églises modernes du culte politique. Sacrement cependant trop souvent traité avec irrévérence et sans conscience de la grâce qu'il procure, églises souvent désertées et qui ressemblent parfois plutôt, lorsqu'on y afflue, à des arènes sportives ! En effet, par suite même des intérêts qu'ils mettent en cause et du pouvoir qu'ils instituent, l'interposition de machines ou d'? organisateurs ? peut détourner les partis de leurs fins électorales. En outre, la qualité du verdict que les élections prononcent est souvent mise en question : absence de différenciation entre le parti, le programme et le candidat ; achat des consciences ; imprécision des enjeux ; non-synchronisation de la date des élections et du rythme des événements ; hasards de la température ; non-pondération du degré d'intensité des vues parmi les électeurs - autant de facteurs qui brouillent le véritable sens de la 83volonté populaire . Malgré toutes ces lacunes, on doit toutefois convenir que, pour l'ensemble, les partis s'acquittent bien de leur activité électorale. 81 Évitons toutefois de pousser cet argument trop loin. Il faut éviter l'erreur écologique qui consiste à attribuer à chaque membre d'un groupe un trait ou un comportement caractéristique de la majorité. Sauf dans les cas d'unanimité, la rigueur oblige à dire que les chances sont x qu'un individu ait, dans des conditions données, telle conduite. L'effet de groupe, d'ailleurs, fluctue sensiblement d'une élection à l'autre. Il varie selon que les enjeux, les programmes, les candidats et les partis placent ou non le groupe en position stratégique vis-à-vis ses membres et le grand public. Ainsi, sous l'influence de ces facteurs, la tendance des ouvriers syndiqués américains à voter en faveur du parti démocrate varie considérablement d'une élection à l'autre. 82 René RÉMOND, ? Le fait de la socialisation et les idéologies démocratiques ?, dans la Société démocratique, 50e semaine sociale de France, Caen, 1963, Paris, Le Centurion, 1963, 32. 83 Voir notre article ? Democracy as Perceived by Public Opinion Analysts ?, The Canadian Journal of Economics and Political Science, vol. 28, n? 4, 1962, 571-585. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 142 b) Activité gouvernementale. - L'examen de l'organisation des partis a révélé chez eux un double niveau d'existence : celle qu'ils mènent hors du système politique, surtout comme machines électorales, et celle qui les caractérise au sein du système politique en tant que rouages de la législation et de gouvernement. Dans la plupart des sociétés libérales, les partis représentent un rouage dominant du fonctionnement des Assemblées législatives qu'ils animent selon des formules qui varient suivant les régimes. D'après le jeu des majorités et des minorités que les élections ont dégagé, ils départagent les députés en deux groupes distincts : ceux du gouvernement et ceux de l'opposition. Ce clivage se concrétise sous des formes diverses et de façon plus ou moins nette dans la discipline de parti, c'est-à-dire dans l'obligation plus ou moins stricte qui est faite aux députés de voter selon la ligne choisie par les chefs du parti et adoptée en ? caucus ?. Ce clivage et cette discipline sont cependant beaucoup plus fermes dans les régimes de ? responsabilité ministérielle ? de type britannique, où les ministres élus comme députés et membres de la formation partisane majoritaire doivent répondre de leurs actes devant l'Assemblée, que dans les régimes de ? non-responsabilité ? de type américain, où les ministres choisis directement par le Président sans avoir été au préalable élus et souvent sans allégeance partisane officielle n'ont pas à rendre régulièrement compte de leurs actes devant l'Assemblée et, par conséquent, sont en principe beaucoup plus indépendants vis-à-vis du parti majoritaire. Eu égard à la prépondérance des fonctionnaires dans l'élaboration des projets de loi ainsi qu'au souci de l'intérêt général qui anime ministres et députés, il serait excessif de dire que c'est le parti, en tant que rouage parlementaire, qui dicte les lois. Mais il est incontestable qu'il en influence 84grandement l'orientation générale . L'enjeu majeur des luttes électorales consiste à déterminer quel parti assumera la gérance du gouvernement. Certains pays maintiennent à la tête de l'État une personne (roi ou président) qui, par delà les gouvernements de passage, assure la permanence de l'autorité légitime. En général, toutefois, ces personnes ont depuis longtemps été écartées du pouvoir réel et remplissent surtout des fonctions de caractère symbolique. Dans les sociétés libérales, les premiers ministres ou 84 Sur cette question, voir notre tome premier, 306ss. Aussi Richard ROSE, ? The Variability of Party Government : A Theoretical and Empirical Critique ?, Political Studies, vol. 17, n? 4, 1969, 413-445. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 143 présidents, sont non seulement des élus du peuple selon des modes divers, mais encore sont, dans la plupart des cas, les chefs de leur parti. Cette double allégeance est également le lot obligé de tous les ministres, sauf aux États-Unis où ceux-ci, choisis directement par le Président, peuvent ne pas être des hommes du parti. Mais, en même temps, députés et ministres insistent sur leur parfaite liberté d'action vis-à-vis de leur parti. Ils ne poursuivent d'autres buts, affirment-ils, que le bien du peuple entier : les sollicitations partisanes dont ils sont l'objet ne sauraient les détourner de la poursuite de l'intérêt public général. En effet, la majorité des députés affirment suivre leur conscience plutôt que les vues de leurs électeurs ou la ligne de leur parti. Mais il faut conclure qu'il existe entre la dictée de la conscience et la ligne du parti une étrange coïncidence puisque l'on sait que la plupart des députés suivent toujours la ligne de l'aile parlementaire de leur parti. Il faut toutefois tenir compte du fait que le chef du gouvernement et les ministres dominent le parti et qu'il leur est ainsi loisible d'imposer leur conception de l'intérêt public général au parti. Seule une enquête en profondeur et difficilement menable établirait si, et dans quelle mesure, l'allégeance partisane des gouvernants colore la perception qu'ils se font de l'intérêt public général. Compte tenu de la nature particulière des convictions politiques et de la dépendance des députés à l'endroit des partis au sujet de leur réélection, il serait surprenant, sinon anormal, que leurs vues sur un grand nombre de questions n'aient aucune coloration partisane : les gouvernements passent, les partis, d'ordinaire, demeurent. Bien que de nos jours officiellement tenus à l'écart des administrations, les partis s'y infiltrent de plusieurs manières. Sans doute, dans toutes les administrations publiques, le favoritisme a cédé au mérite : nominations, promotions, révocations se font selon des normes objectives contraignantes. Officiellement, la carrière du fonctionnaire se déroule sans entraves ? partisanes ?. Dans les faits, il n'en est pas toujours ainsi. Certes, l'appareil administratif comme tel et le gros des fonctionnaires échappent aux influences directes émanant des partis. Mais on passe trop souvent sous silence un phénomène majeur : la direction des ministères, elle, demeure soumise aux influences partisanes. Il subsiste un segment du fonctionnarisme, quantitativement négligeable mais qualitativement capital, qui demeure fortement politisé. Il s'agit des secrétaires personnels, conseillers, chefs de cabinet du premier ministre et des ministres. En Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 144 outre, dans tous les systèmes politiques, nombre de postes clés dans les secteurs d'activité les plus divers (magistrature, diplomatie, entreprises publiques, commissions d'enquêtes, etc.) relèvent d'une prérogative discrétionnaire du chef du gouvernement ou du Conseil des ministres. Une telle prérogative ouvre de toute évidence une voie royale au favoritisme partisan, la pression de l'opinion ne réussissant guère à faire contre-poids. Aucune étude n'a encore été menée sur cette question du favoritisme dans la nomination du haut personnel administratif et des responsables de postes clés, dont la portée pratique ne devient manifeste qu'à la suite d'un changement d'équipes gouvernementales. Le reclassement intensif de l'ancien personnel ? politisé ? et le grand nombre de nouvelles nominations, choisies la plupart du temps parmi les partisans fidèles, et parfois les parents, ne peuvent manquer de frapper pour un temps l'opinion. C'est ainsi qu'à la suite de l'élection de Dwight David Eisenhower à la présidence des États-Unis en 1952, qui se trouvait à être le premier républicain à occuper la Maison Blanche en vingt ans, le Comité national du parti républicain estimait qu'au moins 150,000 vacances volontaires ou obligées seraient comblées par voie de ? patronage présidentiel ?. Herbert Kaufmann a estimé à plus de 315,000, soit environ 8 pour cent de l'ensemble de l'administration civile américaine, le nombre de postes ne relevant pas de la compétence de la Commission de la fonction publique (Civil Service 85Commission) . Sans aucun doute, dans tous les pays, la loi et les moeurs ont largement entamé la prérogative du favoritisme administratif. Par ailleurs, l'accroissement du nombre et de la complexité des tâches administratives, l'intervention directe des gouvernements dans les domaines de la prospective, de la recherche scientifique et de la sécurité sociale, de même que l'importance croissante des questions d'ordre technique et militaire ont multiplié les occasions de recours à des procédures spéciales de sélection des candidats qui, très souvent, laissent la voie libre au favoritisme partisan. c) Activité médiatrice. - Tout comme les autres mécanismes d'interactions systémiques, les groupes d'intérêt permettent le raccord des systèmes. Les agents 85 Herbert KAUFMAN, The Federal Government Service, The American Assembly, New York, 1954, 20ss. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 145 sociaux empruntent ce canal pour faire connaître aux agents politiques leurs demandes et leurs soutiens ; ces derniers se servent du même véhicule pour énoncer leur conception des possibilités politiques. S'il y a divergence entre les deux catégories d'agents, les partis servent souvent de terrain de rencontre, de discussion et, le cas échéant, de bataille. Et ce sont les partis qui manient les armes utilisées au cours des ? campagnes ? électorales à l'issue desquelles ceux qui obtiennent le plus de suffrages ont gain de cause. Plus encore peut-être que les groupes d'intérêt, les partis dérangent le cercle qui se veut clos de la logique politique. Les partis sont le siège d'une double poussée populaire émanant l'une, du système politique et l'autre, du système social. La médiation du système politique par le parti se manifeste de plusieurs manières et tout d'abord par l'action des parlementaires qui en sont membres au moment d'élections ou de congrès spéciaux. En empruntant le canal du parti pour s'adresser aux citoyens, députés ou ministres formulent les possibilités et les volontés du système politique et incitent individus et groupes à choisir le même canal pour faire connaître leurs demandes et leurs soutiens. Mais c'est surtout par les programmes électoraux que le système politique se rend présent aux citoyens par le truchement des partis. Un programme électoral est un énoncé de principes généraux et de mesures particulières, à la formulation, duquel ont participé des agents politiques et des agents sociaux engagés dans le parti et qui est censé contenir les perceptions que le parti se fait des possibilités politiques et refléter les aspirations et les besoins du peuple. Certes, les programmes électoraux ne sont pas impératifs puisqu'en réalité ils ne constituent qu'un catalogue de ? promesses ? faites par des candidats qui attachent un grand prix à leur élection. Et comme la mémoire des électeurs est notoirement courte, l'élu viole fréquemment les engagements solennels du candidat. Bien des hommes politiques et même des partis ont cependant appris à leurs dépens ce qu'il peut parfois en coûter de tromper la bonne foi des gens : stigmatisés par l'opinion, ils sont condamnés pour toujours à la défaite. Les partis font la médiation du système social de plusieurs manières : en tant qu'instruments de socialisation, ils procurent aux citoyens les moyens de mieux comprendre et de mieux juger les intentions et les actes des agents du système politique. En outre, ce sont les partis qui, de tous les appareils de mobilisation Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 146 populaire, rassemblent le plus grand nombre de citoyens à un moment donné en vue d'une action précise. Les partis deviennent ainsi des ? groupes de référence ? dont la valeur formative peut être inestimable si les dirigeants savent tirer profit de la situation. Les partis contribuent de la sorte à la clarification des opinions publiques dont l'inconstance et les contradictions sont parfois si pénibles et si déroutantes pour les gouvernants. Il est un trait spécifique à l'activité médiatrice dont il s'impose de faire mention : chez les grands partis traditionnels tout au moins elle s'accomplit le plus souvent à l'occasion de l'exercice des deux autres activités, l'activité électorale et l'activité gouvernementale. On comprend aisément pourquoi il en est ainsi. Ces deux dernières activités, en effet, sont exclusives aux partis : s'ils ne s'en acquittent pas de façon convenable, c'est toute la mécanique socio-politique qui se détraque. Il n'en est pas de même de l'activité médiatrice : il s'agit d'une fonction socio-politique dont les partis partagent la responsabilité avec d'autres mécanismes, notamment les groupes d'intérêt et les media de communication. Et il est fréquent que les partis restreignent leur obligation vis-à-vis de cette fonction aux seules actions requises pour l'accomplissement de leurs autres fonctions, particulièrement de la fonction électorale. Cette constatation toutefois ne doit pas inciter à considérer comme secondaire l'activité médiatrice des partis. En effet, c'est en mettant en relief leur activité médiatrice, d'ailleurs complémentaire des deux précédentes, que les partis pourraient le plus contribuer à l'orientation de la société vers la concertation. Ils sont splendidement équipés pour engager le dialogue avec le peuple et leurs succès électoraux prouvent qu'ils sont capables de susciter de vastes mouvements. Mais encore faudrait-il que les parlementaires s'intéressent autant à l'action politique qu'à leur propre réélection et que le parti ne soit pas contraint, comme c'est trop souvent le cas, à n'être qu'une simple machine à recueillir des votes. En même temps, par certains signes, on décèle chez les partis traditionnels, de cadres et de masses, les débuts d'une mutation susceptible de les conduire à accorder beaucoup plus d'importance à leur activité médiatrice. C'est ainsi qu'ils se préoccupent moins du nombre de leurs effectifs que de leur action sur l'ensemble de la population. Ce qu'ils recherchent avant tout, c'est de pouvoir compter sur un certain nombre de militants actifs qui, bien répartis dans tous les secteurs d'activité et dans toutes les régions, ne sont plus perçus simplement Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 147 comme des organisateurs d'élections mais comme des animateurs. Par ailleurs, de nouvelles formations partisanes, que nous avons désignées sous le nom de partis de stratèges-animateurs, sont en train de se constituer. Ces nouvelles formations mettent précisément l'accent sur leur activité médiatrice et commencent, de ce fait, à représenter une sérieuse menace pour les partis traditionnels, de cadres ou de masses. Mais il ne faut pas se faire illusion : nous sommes encore loin de tels partis de stratèges-animateurs. De vieux ancrages historiques devront être levés, d'anciennes habitudes devront être mises au rancart. Plus encore que des considérations d'intérêt public général, le souci du rendement électoral pousse inéluctablement les partis dans cette direction. Par-dessus tout restent à définir les conditions d'une saine dialectique entre le parti comme rouage du gouvernement et le parti comme organisation. L'urgence de la situation oblige à procéder sans délai à la recherche de cette définition. De la sorte, si ceux qui ont le pouvoir de décision le veulent, les partis, sans renoncer à leur activité électorale pour laquelle ils existent au premier chef, cesseront, comme ils l'ont fait jusqu'ici trop souvent, d'esquiver les vrais problèmes et deviendront un puissant instrument du rapprochement si nécessaire entre ? instituants ? et ? institués ?. Ils entreprendront des missions d'information et d'animation, tiendront des colloques, procéderont à des enquêtes, prendront le pouls de l'opinion et contribueront à sa formation. Plus encore, ils solliciteront l'avis des individus et des groupes sur diverses questions, se mueront en forums de discussion publique et deviendront le lieu qu'individus et groupes choisiront spontanément et librement quand ils voudront discuter ensemble, avec ou sans le concours de spécialistes, de leurs propres affaires. d) Agrégation et articulation. - Une question se pose : comment s'y prennent les partis pour s'acquitter de leurs tâches ? L'usage s'est répandu aux États-Unis de dire qu'ils procèdent par agrégation (des suffrages, des idéologies, des intérêts et des groupes eux-mêmes). Par contraste, les groupes d'intérêt agiraient par articulation (des idéologies, des intérêts et des pressions). La grande difficulté que soulève cette distinction concerne le sens des termes ? agrégation ? et ? articulation ?. Les deux notions connotent l'idée d'un Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 148 assemblage d'objets distincts mais relativement homogènes en vue d'en faire un tout. La notion d'articulation se rapporte surtout au dispositif qui rend possible la réunion de ces objets tandis que celle d'agrégation suggère plutôt la simple image de l'action de rassemblement ou encore le terme de cet acte, c'est-à-dire les objets assemblés. C'est à partir de ces façons de voir, semble-t-il, qu'on attribue une ? fonction d'agrégation ? aux partis et une ? fonction d'articulation ? aux groupes d'intérêt. En d'autres termes, on juge que si l'un et l'autre mécanismes d'interactions permettent la conversion des outputs sociaux en inputs politiques, ils ne le font pas de la même manière. Mais on n'a jamais précisé ce qui différencie en pratique la façon d'agir des partis et celle des groupes d'intérêt. À considérer la façon dont ces deux types d'organisation se créent, évoluent et se comportent à l'égard de leurs membres et de leur environnement, ce sont d'abord des similitudes qui s'imposent à l'intention bien qu'il faille aussi prendre note de différences appréciables. Il semble qu'on a surtout à l'esprit les différences dans les objets que les partis et les groupes d'intérêt rassemblent. Les partis, en effet, du moins à l'occasion de leur activité la plus apparente, l'activité électorale, se préoccupent surtout des personnes et de leurs dispositions politiques tandis que les groupes d'intérêt s'attachent avant tout aux intérêts que suscitent les enjeux politiques. Et il se peut dès lors qu'il soit légitime de dire qu'on agrège ou réunit des personnes (ou leurs suffrages) parce que celles-ci constituent chacune une totalité singulière, complète en elle-même et, en ce sens, non articulable tandis qu'on, articule des individus et des groupes aux questions soulevées par le rythme des événements, leurs réactions risquant de demeurer amorphes ou éparses à moins d'être soudées ensemble par le groupe. Mais alors, il faut s'empresser d'ajouter que les partis aussi s'intéressent aux réactions des individus à l'égard des problèmes politiques tout comme d'ailleurs les groupes d'intérêt se soucient des personnes. Il se révèle donc que la portée analytique de la distinction est faible et qu'on ne peut escompter qu'un maigre profit d'une problématique conçue selon semblables prémisses. Par contre, il importe beaucoup de jauger l'aptitude réelle des partis à agréger ou articuler les idéologies et les intérêts. Chez la plupart des grands partis, cette aptitude se révèle étrangement faible. D'une part, malgré l'obligation que les tâches qu'ils remplissent au sein du système politique leur créent de se préoccuper Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 149 de l'ensemble de la société, malgré le fait qu'ils se proclament, souvent eux-mêmes, défenseurs de l' ? unité ?fondamentale de la nation, les partis sont congénitalement conflictuels et ils divisent immanquablement les individus en factions opposées et parfois même ennemies. Pas plus que les groupes d'intérêt, les partis ne permettent une intégration politique qui mette les peuples à l'abri des conflits de classes et des guerres civiles. D'autre part, on se demande si les partis traditionnels - surtout ceux qui ont une vocation gouvernementale et qui dès lors visent à réunir le plus grand nombre de suffrages possibles - ne cherchent pas davantage à éluder, refouler ou travestir les questions sociales qu'à les convertir honnêtement en problèmes politiques. On note que les préoccupations électorales - la crainte de perdre des électeurs, le désir d'en gagner - tendent à prendre le pas sur leur vocation pourtant manifeste de relais intersystémiques. D'où l'ambiguïté des programmes et la recherche de communs dénominateurs par des slogans flamboyants. D'où aussi l'absence d'une démarcation idéologique claire entre les partis, non seulement parmi les partis de cadres mais aussi chez les partis de masses, comme les partis britanniques, dont la convergence idéologique depuis vingt ans est frappante. L'art de concilier les différences, qui serait l'apanage des 86partis, est trop souvent l'art de les ignorer . Dès lors, c'est sans surprise qu'on constate que les agents sociaux, comme d'ailleurs les agents politiques eux-mêmes, empruntent d'autres canaux que les partis, notamment les groupes d'intérêt, pour faire le raccord du social et du politique, procéder à l'examen de la situation, solutionner les litiges ou résoudre 87les conflits . Mais les groupes d'intérêt eux aussi ont leurs déficiences. Ils ont surtout le défaut, grave dans les circonstances, d'être partiels : souffrant de myopie 86 Voir notre article : ? Political Ideology as a Tool of Analysis in Socio- Political Dynamics ?, The Canadian Journal of Economics and Political Science, vol. 30, n? 1, 1959, 47-60. Dans Richard H. Cox, editor, Ideology, Politics and Political Theory, Wadsworth, Belmont, California, 1970, 315- 331. Aussi Arnold J. BORNFRIEND, ? Political Parties and Pressure Groups ?, Academy of Political Science, vol. 29, n? 4, 1969, 55-67 ; Howard A. SCARROW, ? The Function of Political Parties ?, The Journal of Politics, vol. 29, n? 4, 1967, 770-791 ; Leon D. EPSTEIN, op. cit., 291, 305, Theodore J. Lowi, The End of Liberalism, W.W. Norton, New York, 1969, 78. 87 Roy C. MACRIDIS a exposé ce point avec force dans ? Interest Groups in Comparative Analysis ?, The Journal of Politics, vol. 23, n? 1, 1961, 36ss. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 150 chronique, il leur est impossible, sauf par moments, de percevoir les questions générales et d'embrasser la société entière. On conclut de là que la façon d'agir des partis et celle des groupes d'intérêt sont complémentaires. Au lieu de les opposer les uns aux autres, comme de vieux préjugés incitent à le faire, il faut les considérer comme conjointement solidaires de l'agrégation et de l'articulation des intérêts et des idéologies. De la sorte, on présente une image beaucoup plus conforme à la réalité : partis et groupes d'intérêt ont en effet souvent partie liée. Les partis reçoivent fréquemment le concours des groupes d'intérêt lors de la cueillette des votes et ces derniers recourent très souvent aux premiers pour la défense ou la promotion de leurs objectifs. En définitive, partis et groupes transmettent la même matière d'output social vers le système politique. Les styles de leur action et leurs finalités respectives font toutefois que la forme que revêtent finalement les inputs politiques diverge substantiellement dans l'un ou l'autre cas. Le ? style ? des groupes d'intérêt est direct, intransigeant, parfois violent. Celui des partis est indirect, conciliant, souvent apologétique. L'énergie politique que les groupes d'intérêt libèrent est ? sauvage ?, celle que les partis canalisent est ? apprivoisée ?. Si l'énergie sous sa forme ? apprivoisée ? paraît plus apte à actionner le système politique, en revanche, l'entropie subie risque d'être considérable. On peut citer de nombreux exemples de mouvements sociaux qui furent de puissants agents de réformes socio-politiques tant qu'ils s'exprimèrent par le truchement de groupes d'intérêt mais qui perdirent leur allant et périclitèrent dès lors qu'ils se muèrent en partis. 3. Modalités d'interrelations Retour à la table des matières Malgré l'intimité des liens susceptibles de s'établir entre eux - intimité qui peut aller dans certains cas jusqu'à leur fusion virtuelle - partis et groupes d'intérêt constituent des réalités différentes par nature et par vocation. Nombre de questions que les partis estiment essentielles laissent parfaitement indifférents les Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 151 groupes d'intérêt et, réciproquement, la majorité des tâches auxquelles les groupes d'intérêt se livrent ne rejoignent guère les préoccupations des partis. Tandis que les efforts de ces derniers visent finalement à se mériter la gérance du gouvernement, ceux des groupes tendent à se frayer un accès auprès des législateurs, des administrateurs et des gouvernants. Les uns ne peuvent être vis-à-vis des autres que des instruments auxiliaires de leur action respective. Néanmoins, même si le terrain où ils se croisent est plutôt restreint, ils le jugent de portée primordiale, sinon vitale, pour la poursuite de leurs objectifs propres. Et même si souvent leurs objectifs concrets s'opposent, leur commune nature de mécanismes d'interactions les rend interdépendants et solidaires dans la poursuite d'une vocation identique : l'activation de la politique. En outre, les partis et les groupes n'occupant pas la même position relative dans chaque pays, l'ampleur des interrelations est susceptible de varier considérablement d'une situation à l'autre. Mais dans toutes les sociétés libérales, partis et groupes d'intérêt se recherchent à certaines occasions ou pour l'accomplissement de certaines tâches. Leurs interrelations soulèvent trois ordres de considérations : les modalités d'interrelations des partis et des groupes d'intérêt ; les sources d'accès aux partis qui s'ouvrent aux groupes d'intérêt ; l'influence qui 88s'attache à ces rapports . 88 Gabriel A. ALMOND suggère de centrer l'étude des interrelations des partis et des groupes d'intérêt sur la recherche de la direction de l'influence et il ouvre cinq champs de recherche : ? 1) quelle est la vigueur financière respective des partis et des groupes d'intérêt ? Jusqu'à quel point le groupe d'intérêt finance-t- il le parti et inversement ? Quels sont les modes de financement des élections ? 2) Quel est leur potentiel respectif en ce qui concerne le support électoral ? Le parti dépend-il des groupes d'intérêt en ce qui touche les cadres, comme c'est le cas pour les partis catholiques ou socialistes, ou dispose-t-il plutôt d'un personnel propre ? 3) Quelle est l'efficacité relative des organisations de base des partis et de celles des groupes d'intérêt ? Par exemple, le parti a-t-il une organisation centralisée et s'en remet-il aux groupes d'intérêt pour pénétrer les localités, ou, au contraire, le parti dispose-t-il d'une organisation locale propre ? 4) Jusqu'à quel point y a-t-il double appartenance chez les membres et parmi la direction ? 5) Quelles sont les caractéristiques des particularismes et des idéologies des groupes d'intérêt et des partis, et comment les modalités de l'influence s'en trouvent-elles affectées ? ? Dans ? A Comparative Study of Interest Groups ?, The American Political Science Review, vol. 52, n? 2, 1958, 277. Dans l'exposé qui suit nous reprenons ces interrogations de même que Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 152 a) Typologie des rapports. - Les rapports entre partis et groupes d'intérêt sont infiniment complexes et défient la taxonomie. Ces rapports se présentent sous trois formes générales possibles : la séparation, l'interconnexion et la compénétration. Chacune de ces formes générales de rapports se subdivise en formes particulières : la séparation comprend la neutralité par rapport aux partis ou le soutien des candidats quel que soit leur parti ; l'interconnexion, l'établissement de liens privilégiés ou le soutien de facto d'un parti ; la compénétration, la formation d'un parti par un groupe d'intérêt, la soumission à un parti, la capture d'un parti et la formation d'une organisation annexe (Front organization). Par ailleurs chacune de ces formes de rapports ne se présente pas au hasard mais dépend de façon plus ou moins étroite de la nature du parti (schéma n? 3). C'est ainsi que la séparation constitue la forme générale des rapports entre groupes d'intérêt et partis dans les partis de cadres et dans les partis de stratèges-animateurs tandis que la compénétration est caractéristique des partis de masses. L'interconnexion représente une catégorie intermédiaire plus propre aux partis de cadres et de stratèges-animateurs qu'aux partis de masses, bien que certains groupes d'intérêt ne soient liés à des partis de masses que par un simple soutien de facto du parti. Les modes de rapports sont susceptibles de varier s'il s'agit du parti à l'intérieur du système politique et du parti à l'extérieur du système politique. Seule une enquête que nous n'avons pu mener permettrait de ranger les modes possibles d'interrelations des groupes et des partis dans les 24 cases de notre grille. Nous estimons cependant que celle-ci, notamment grâce à la différenciation des catégories de partis qui procure une caractérisation à deux dimensions, représente 89un progrès considérable sur les typologies existantes . d'autres de même nature reliées à nos préoccupations. Voir aussi Hugh A. BONE, ? Political Parties and Pressure Group Politics ?, The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 319, 1958, 73-84 ; V.O. KEY, Politics, Parties and Pressure Groups, 154ss ; Geoffrey K. ROBERTS, Polilical Parties and Pressure Groups in Britain, Weindenfeld and Nicolson, London, 1970. 89 La catégorisation proposée par Jean Meynaud, bien qu'elle soit unidimensionnelle est la plus complète qui ait été effectuée jusqu'ici. Jean Meynaud distingue les cinq modes de rapports suivants : (1?) la neutralité du Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 153 groupe ; (2) le soutien du groupe aux hommes qui lui sont favorables, quel que soit leur parti ; (3?) l'établissement de liens privilégiés entre un groupe et un parti ; (4?) la formation par le groupe d'un parti capable d'assurer sa défense ; (5?) la soumission des groupes aux partis. Pour des études de cas de la séparation des partis et des groupes d'intérêt, voir J. Leiper FREEMAN, The Political Process. Executive Bureau - Legislature Committee Relations, Random House, New York, 1955 ; Gerard BRAUNTHAL, The Federation of German Industry in Politics, Cornell University Press, Ithaca, 1965, 88, 145, 152 ; Charles M. HARDIN, The Politics of Agriculture, The Free Press of Glencoe, 1952 ; pour des exemples d'interconnexion entre partis et groupes : Sidney LENS, The Crisis of American Labor, A.S. Barnes, New York, 1961 ; Charles M. REHMUS et Doris B. McLAUGHLIN, eds, Labor and American Politics, The University of Michigan Press, Ann Arbor, 1967 ; Nicholas A. MASTERS, ? The Organized Labor Bureaucracy as a Base of Support for the Democratic Party ?, Law and Contemporary Problems, vol. 27, no 2, 252-265, dans H. R. MAHOOD, editor, Pressure Groups in American Politics, Charles S. Scribner's Sons, New York, 1967, 146-165 ; Avery LEISERSON, ? Organized Labor as a Pressure Group ?, The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 274, 1951, 108-117, 128-134 ; James L. DEVITT, ? The Role of the AFL in Politics ?, The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 274, 1951, 135-138 ; Jack KROLL, ? The CIO-PAC ?, ibid., 138-144 ; John HUTCHINSON, ? Labor Politics in America ?, Political Quarterly, Vol. 33, n? 2, 1962, 138- 140 ; Grant McCONNELL, Private Power and American Democracy, Alfred A. Knopf, New York, 1967, 246-336 ; Harry M. SCOBLE, ? Organized Labor in Electoral Politics ?, The Western Political Quarterly, Vol. 16, n? 3, 1963 ; Peter ODEGARD, Pressure Politics. The Story of the Anti-Saloon League, Columbia University Press, New York, 1928 ; enfin, pour des cas de compénétration, Allen POTTER, Organized Groups in British National Politics, Faber and Faber, London, 1961, 293-312 ; Dayton David McKEAN, Party and Pressure Politics, Houghton Mifflin, Boston, 1949, 443-460 ; W.A. TOWNSLEY, ? Pressure Groups in Australia ?, dans Henry W. EHRMANN, Interest Groups on Four Continents, 21-24 ; Gunnar HECKSCHER, ? Interest Groups in Sweden : Their Political Role ?, dans Ibid., 161-165 ; Leon D. EPSTEIN, op. cit., 121, 147ss ; Alan F. WESTIN, ? The John Birch Society. Fundamentalism on the Right ?, Commentary, vol. 32, 93-104, dans MAHOOD, op. cit., 204-226 ; Mary R. DEARING, Veterans in Politics. The Story of the G.A.R., Louisiana State University Press, Baton Rouge, 1952. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 154 SCHÉMA N?3 Modalités des interrelations des groupes et des partis Retour à la table des matières Séparation Interconnexion Compénétration TYPE DE Neutralité Soutien de Liens Soutien de Formation Soumission Capture OrganisatioPARTI candidats privilégiés facto d'un d'un parti au parti d’un parti n annexe parti d’un parti Parti de masses Parti de cadres Parti de stratèges- animateurs Laboratoire de cartographie, Institut de géographie, université Laval. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 155 b) Accessibilité des partis. - Se frayer un accès auprès des centres de décision politiques, tel est le premier souci des groupes d'intérêt. C'est ce souci majeur qui les conduit à tenter de se concilier les partis. Ceux-ci, en effet, constituent un centre de décisions sui generis d'une importance considérable : en plus d'être le moyen ordinaire du choix des députés et des gouvernants, ils représentent tout à la fois l'avant-scène et l'arrière-scène des composantes centrales du système politique, particulièrement à l'Assemblée et au gouvernement. Dans les termes de David Truman : ? On considère maintenant le parti politique comme le moyen de choisir les candidats. Bien qu'il ne constitue pas, pour les groupes d'intérêt, le seul point d'accès au gouvernement, ni même nécessairement le plus considérable, 90l'accès à ce mécanisme peut être important pour les groupes d'intérêt . ? Trois ordres de facteurs entrent en ligne de compte dans la détermination des conditions d'accès aux partis : l'origine du parti (selon que celui-ci est issu des combats politiques, des groupes, des luttes parlementaires ou encore d'un large mouvement social) ; la nature du parti (selon que le parti est de cadres, de masses ou de stratèges-animateurs) ; et les tâches du parti (selon qu'il s'agit de l'activité électorale, gouvernementale ou médiatrice). Parmi les nombreuses constatations qui résultent de l'examen de l'accessibilité des partis pour les groupes sous ces trois ordres de conditions, il en est une qui se dégage avec une netteté particulière : certains partis, d'ordinaire des partis de masses, ouvrent officiellement toutes grandes leurs portes à un seul groupe et les ferment virtuellement à tous les autres groupes tandis que d'autres, généralement des partis de cadres, ne permettent officiellement l'accès à aucun groupe mais offrent en pratique une chaleureuse hospitalité à certains d'entre eux. 90 David TRUMAN, op. cit., 270. Il est opportun de mentionner à ce moment un point sur lequel nous insisterons dans le dernier chapitre de cet ouvrage : quand nous parlons des ? groupes d'intérêt ? et des ? partis ?, il faut se rappeler qu'ils se composent de dirigeants et de simples membres. Les interrelations impliquent ou des dirigeants exclusivement, ou des dirigeants et des simples membres ou bien encore seulement des simples membres. Il est évident que le niveau de ces interrelations tend à varier selon la nature de l'accès visé. Ainsi un accord conclu entre dirigeants concernant le support électoral d'un groupe à un parti risque de n'avoir que peu d'effets si on ne recherche ni n'obtient l'approbation des simples membres du groupe. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 156 Cette dernière situation est d'un intérêt particulier puisque les conditions et les modes d'accès n'étant pas prévus par des statuts sont susceptibles de varier beaucoup selon les cas. Néanmoins, il s'impose de ne pas perdre de vue le problème dans son ensemble. Nous nous adressons les questions suivantes : quels sont les aspects des partis que visent les groupes d'intérêt ; à quels moments de la vie des partis les pressions des groupes se font-elles sentir ; comment ceux-ci s'y prennent-ils dans leur action ; et finalement quels sont les résultats de leurs efforts ? Les voies d'accès aux partis qui s'offrent aux groupes sont presque toujours très nombreuses mais elles varient considérablement selon les régimes de parti. Parmi les plus empruntées, on retrouve presque toujours : (1?] l'organisation centrale du parti : le secrétariat et ses diverses commissions, le conseil exécutif et, à un degré moindre, le congrès du parti ; (2?) le parti parlementaire et plus particulièrement les commissions parlementaires et le caucus ; (3?) les organisations du parti au niveau de la circonscription, de la région et de la localité ; (4?) les dirigeants du parti ou les parlementaires, individuellement ou répartis en faisceaux d'intérêts. Ce n'est donc pas toujours, loin de là, le parti dans son ensemble ou même en tant que tel que visent les groupes. Bien au contraire, en dehors des campagnes électorales, ces derniers cherchent la plupart du temps à le rejoindre par le truchement de canaux relativement secondaires en apparence mais susceptibles, au moment opportun, de se révéler, pour eux, stratégiques. Les groupes, en effet, s'efforcent avec une constance et un art inégaux d'intervenir dans toutes les activités de la vie des partis qui concernent la vie 91politique : l'élaboration des programmes électoraux , le choix des candidats aux 9293postes électifs et les campagnes électorales . En outre, l'activité 91 Hugh A. BONE, ? Political Parties and Pressure Group Politics ?, The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 319, 1958, 73- 83 ; Donald C. BLAISDELL, American Democracy Under Pressure, 159ss ; Leon D. EPSTEIN, op. cit., 120-167. 92 Allan POTTER, Organized Groups in British National Politics, 245-270, 293- 306 ; John H. BUNZEL et Eugène C. LEE, ? The California Democratic Delegation of 1969 ?, dans Edwin A. BOCK et Alan K. CAMPBELL, Case Studies in American Government, Prentice-Hall, Englewood Cliffs, 1962, 133- 175 ; H. R. MAHOOD, Pressure Groups in American Politics, Charles Scribner's Sons, New York, 1967, 122-123 ; Austin RANNEY, Pathways to Parliament, 3-19, 269-282 ; Duncan MACRAE Jr., Parliament, Parties and Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 157 parlementaire et gouvernementale des partis retient l'attention des groupes, mais c'est par l'examen des interventions de ces derniers auprès des composantes internes du système politique elles-mêmes que l'on perçoit le mieux cette attention. Toutes ces pressions, nombreuses et variées, visent finalement un objectif unique, fondamental pour les groupes : se gagner l'appui des députés, fonctionnaires, ministres ou juges afin que ceux-ci adoptent des mesures conformes à leurs intérêts. Society in France, 1946-1958, St-Martin's Press, New York, 1967 ; Gerard BRAUNTHAL, The Federation of German Industry in Politics, Cornell University Press, 1965, 134-149 ; Charles M. REHMUS et Doris B. McLAUGHLIN, eds, Labor and American Politics, The University of Michigan Press, Ann Arbor, 1967, 265-317 ; Leon D. EPSTEIN, op. cit., 201- 232. 93 J. MEYER, Élections dans les pays des communautés européennes et dans le Royaume-Uni, Cahiers de Bruges, 1967 ; Perti PESONEN, ? Studies on Finnish Political Behavior ?, dans Austin RANNEY, editor, Essays on the Behavioral Study of Politics, University of Illinois Press, Urbana, 1962, 217- 235 ; V.O. KEY Jr., Public Opinion and American Democracy, 500-535, et Politics, Parties and Pressure Groups, 314-453 ; Harmon ZEIGLER, Interest Groups in American Society, Prentice-Hall, Englewood Cliffs, New Jersey, 1964, 270ss ; S. E. FINER, Anonymous Empire, Pall Mall Press, London, 1966, 83, 100 ; Grant MCCONNELL, Private Power and American Democracy, Alfred A. Knopf, New York, 1967 ; Harry M. SCOBLE, ? Organized Labor in Electoral Politics : Some Questions for the Discipline ?, The Western Political Quarterly, vol. 16, n? 3, 666-685, dans H. R. MAHOOD, Pressure Groups in American Politics, 121-146 ; Nicholas A. MASTERS, ? The Organized Labor Bureaucracy as a Base of Support for the : Democratic Party ?, Law and Contemporary Problems, vol. 27, n? 2, 252-265, dans H. R. MAHOOD, ibid., 146-166 ; Richard W. GABLE, ? NAM : Influential Lobby or Kiss of Death ?, The Journal of Politics, vol. 15, n? 2, 1953, 254-273, dans Henry A. 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Faire une description des promesses échangées et des accords conclus entre dirigeants de groupes et de partis dans les situations concrètes tient souvent davantage de l'enquête policière que de l'analyse scientifique. Nous nous bornerons ici à un rapide survol. Parmi ces moyens, mentionnons : contrôle par les groupes des media de 94communication et le recours à la publicité et aux relations publiques ; création de comités, clubs et fronts d'action politique et conduite de campagnes de 95formation politique ; infiltration des partis par le truchement de la double 96appartenance ; collaboration aux campagnes électorales de diverses manières, 97particulièrement par des contributions financières . 94 Bernard RUBIN, Political Television, Wadsworth, Belmont, California, 1967 ; William A. GLASER, ? Television and Voting Turnout ?, The Public Opinion Quarierly, vol. 29, no 1, 1965, 51-87 ; Theodore H. WHITE, The Making of the President, 1964, Atheneum, New York, 1965 ; Herbert A. SIMON et Frederick STERN, ? The Effect of Television upon Voting Behavior in Iowa in the 1952 Presidential Election ?, The American Political Science Review, vol. 49, n? 3, 1955, 470-477 ; V.O. KEY Jr., Public Opinion and American Democracy, 370-405 ; Leon D. EPSTEIN, op. cit., 233-242 ; Martin MAYER, Madison Avenue, U.S.A., Harper, New York, 1958 ; Hearings Before the Sub- Committee on Rules and Administration, ? Maryland Senatorial Elections of 1950 ?, 81st Congress, 2d Session, 181-307, dans Henry A. TURNER, Politics in the United States, 367-375 ; Howard B. WHITE, ? The Processed Voter and the New Political Science ?, Social Research, vol. 28, n? 2, 1961, 127-151 ; Stanley KELLEY Jr., Professional Public Relations and Political Power, The John Hopkins Press, Baltimore, 1956 ; Carey MCWILLIAMS, ? Government by Whitaker and Baxter ?, The Nation, vol. 172, 346-348, 366- 369, 418-421. 95 Harry M. SCOBLE, op. cit. ; James L. McDEVITT, ? The AFL League for Political Education ?, dans Henry A. TURNER, op. cit., 135-138 ; Jack KROLL, ? The CIO Political Action Committee ?, dans Henry A. TURNER, op. cit. ; Charles M. REHMUS et Doris B. McLAUGHLIN, op. cit., 191-222 ; Gerard BRAUNTHAL, op. cit., 88-111 ; Arnold J. BORNFRIEND, ? Political Parties and Pressure Groups ?, American Academy of Political Science, vol. 29, n? 4, 1969, 55-67 ; James Q. WILSON, The Amateur Democrat, The University of Chicago Press, 1962. 96 Henry W. EHRMANN, ? Pressure Groups in France ?, The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 319, 1958, 141-148 ; Joseph LAPALOMBARA, Interest Groups in Italian Politics, Princeton University Press, 1964, 252-349 ; Allen POTTER, Organized Groups in Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 159 La mise au rancart des grandes machines politiques du passé, la disparition des bosses de même que l'étiolement des formes traditionnelles de favoritisme ont certes beaucoup contribué à l'assainissement des partis. Ces derniers offrent toutefois une hospitalité encore généreuse à des individus qui travaillent pour le compte d'intérêts anonymes et clandestins et qui souvent réussissent à les compromettre dans des aventures douteuses. L'indignation morale seule demeure impuissante à extirper ce mal dont les partis souffrent depuis toujours. La réhabilitation complète des partis va requérir une action vigoureuse sur les sources mêmes du mal qui les étreint. On doit, notamment, soumettre au contrôle British National Politics, Faber and Faber, London, 1961, 285-315 ; W. L. GUTTSMAN, The British Political Elite, Macgibbon and Kee, London, 1965, 313-327, 352-362. Les parlementaires et les dirigeants de partis préfèrent habituellement taire leurs liens avec les groupes d'intérêt. Peu ont la franchise d'un Winston Churchill qui déclarait devant le Committee of Privileges of the House of Commons : ? ... chacun ici a des intérêts privés : certains sont directeurs d'entreprises, certains sont propriétaires... Et il y a ceux qui sont ici pour représenter des organisations particulières, des groupes d'un caractère non politique et cela encore nous devons le reconnaître comme une des conditions de notre vie complexe. Nous ne sommes pas censés être une assemblée de gentilshommes qui n'ont pas d'intérêts, ni d'associations d'aucune sorte. Cela pourrait arriver au ciel, mais non ici heureusement ?. Dans W. L. GUTTSMAN, op. cit., 319. 97 Joseph LAPALOMBARA, op. cit., 199-251 ; S. E. FINER, op. cit., 45-65 ; Charles M. REHMUS et Doris B. McLAUGHLIN, op. cit., 160, 329-370 ; Congressional Quarterly Weekly Report, ? Lobby Spending Plunges ?, vol. 11, n? 17, 1953, 507-509 et ? 1953 Lobby Finances ?, vol. 12, n? 15, 1954, 442, dans Henry A. TURNER, op. cit., 91-95 ; Seymour E. HARRIS, The Economics of the Political Parties, Macmillan, New York, 1962 ; The Journal of Politics, vol. 25, n? 4, 1963 (numéro spécial) ; Ralph M. GOLDMAN, ? Political Conflict, Campaign Funds and the Law ?, dans Henry A. TURNER, editor, Politics in the United States, McGraw-Hill, New York, 1955, 396-403 ; Hugh A. BONE, ? Political Parties and Pressure Group Politics ?, The Annals, vol. 319, 1958, 73-84 ; Harry M. SCOBLE, op. cit. ; James R. CAREY, ? Organized Labor in Politics ?, The Annals, vol. 319, 1958, 52-63 ; Nicholas A. MASTERS, ? The Organized Labor Bureaucracy as a Base of Support for the Democratic Party ?, Law and Contemporaty Problems, vol. 27, n? 2, 1962, 252-265 ; Arnold M. ROSE, The Power Structure, 456-482 ; Alexander HEARD, The Costs of Democracy, The University of North Carolina Press, Chapel Hill, 1960 ; Comité des dépenses électorales, Rapport et Études du financement des partis politiques canadiens, Imprimeur de la Reine, Ottawa, 1966 ; Leon D. EPSTEIN, op. cit., 242-250. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 160 public les activités des partis, rendre publiques toutes leurs sources de 98financement et défrayer les dépenses électorales à même les fonds publics . Semblables mesures sont requises non seulement pour les partis de cadres, qui ne disposent pas de sources régulières de revenus, mais aussi pour les partis de masses, dont les fonds proviennent officiellement d'un groupe reconnu, comme c'est le cas des partis socialistes qui dépendent des unions ouvrières. En effet, de nombreux incidents le montrent, cette dépendance des partis à l'égard d'un seul groupe comporte certaines conséquences non désirables et notamment celle de lier en quelque sorte leur sort à celui de ce groupe. En outre, il importe de reconnaître dans les faits et non seulement en théorie que les partis peuvent légitimement véhiculer vers le système politique les demandes et les soutiens des individus et des groupes, c'est-à-dire que les partis constituent des mécanismes d'inputs politiques d'une importance d'autant plus considérable qu'ils imprègnent profondément les composantes politiques majeures. C'est en les amenant à agir au grand jour que les chances de voir enfin s'éclipser les personnages douteux qui les hantent encore et qui trop souvent réussissent à les induire en tentation sont les meilleures. 98 Harmon ZEIGLER, Interest Groups in American Society, 249-264 ; Donald BLAISDELL, op. cit., 144ss ; D. W. BROGAN, Politics in America, Doubleday, Garden City, 1960, 104-149 ; Eugene BURDICK et Arthur J. BRODBECK, editors, American Voting Behavior, The Free Press of Glencoe, Illinois, 1959, 225-247 ; Fred I. GREENSTEIN, ? The Changing Pattern of Urban Party Politics ?, The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 355, 1964, 1-13. Parmi les nombreuses monographies sur la machine politics américaine et les bosses, mentionnons Alexander B. CALLOW Jr, The Tweed Ring, Oxford University Press, New York, 1966 et Walton BEAN, BOSS Ruefs San Francisco, University of California Press, 1967. Pour certaines indications sur la situation dans d'autres pays, voir S. E. FINER, op. cit., 49-61 ; Gunnar HECKSCHER, ? Interest Groups in Sweden : Their Political Role ?, dans Henry W. EHRMANN, Interest Groups on Four Continents, 165-168 ; Frederick C. ENGELMANN et Mildred A. SCHWARTZ, Political Parties and the Canadian Political Structure, Prentice-Hall of Canada, Scarborough, 1967, 92-115. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 161 c) Influence sur les partis. - Quel est le succès de ces efforts des groupes pour s'assurer d'une audience auprès des partis ? Cette interrogation soulève le problème plus général de l'influence. Quelques indications sommaires suffiront ici. Le degré d'interpénétration des groupes et des partis, estime-t-on généralement, dépend du rapport des forces en présence. Les partis ? faibles ? seraient plus vulnérables à l'action des groupes que les partis ? forts ?. De la même manière, l'emprise des groupes ? faibles ? sur les partis est moindre que celle des groupes ? forts ?. Certains estiment en outre que, dans des pays comme les États-Unis et la France, les partis sont congénitalement ? faibles ?tandis qu'ils sont naturellement ? forts ? en Grande-Bretagne. Et il en serait de même pour les groupes d'intérêt qui seraient plus ? forts ? aux États-Unis et en Grande-Bretagne qu'ailleurs. Ces vues sont intéressantes et soulèvent nombres d'hypothèses sur les rapports entre groupes et partis. Malheureusement, il n'existe pas encore d'indices permettant de mesurer avec précision la ? force ? relative des groupes et des partis de même que d'établir de façon objective le rapport réel de force qui s'établit entre 99. eux Par ailleurs, les groupes qui entretiennent avec les partis des rapports officiels habituellement intimes retiennent plus facilement l'attention de ces derniers que ceux dont les liens officiels avec les partis sont lâches ou inexistants. Le recours à des techniques à basse température suffit aux premiers tandis que les seconds doivent oeuvrer à haute température. C'est ainsi que les groupes organisés depuis 99 Samuel H. BEER, ? Group Representation in Britain and the United States ?, The Annals, vol. 319, 1958, 130-141 ; Joseph LAPALOMBARA, Interest Groups in Italian Politics, 82-83 ; Roy C. MACRIDIS, R., ? Interest Groups in Comparative Analysis ?, The Journal of Politics, vol. 23, n? 1, 1961, 36 ; Georges LAVAU, ? Political Pressures by Interest Groups in France ?, dans Henry W. EHRMANN, Interest Groups on Four Continents, 60-96 ; Kiyoski TSUJI, ? Pressure Groups in Japan ?, dans Henry W. EHRMANN, ibid., 145- 153 ; Henry W. EHRMANN, ? Pressure Groups in France ?, The Annals, vol. 319, 1958, 141-148 ; Donald C. BLAISDELL, American Democracy under Pressure, 65-66 ; Belle ZELLER, editor, American State Legislatures, Thomas I. Crowell, New York, 1954, 192ss ; Abraham HOLTZMAN, Interest Groups and Lobbying, Macmillan, New York, 1966, 63-71 ; Robert McKENZIE, ? Pressure Groups and the British Political Process ?, The Political Quarterly, vol. 29, n? 1, 1958, 5-16 ; Harmon ZEIGLER, Interest Groups in American Society, 264-266 ; Leon D. EPSTEIN, op. cit., 281-285 ; Arnold M. ROSE, The Power Structure, 69-88. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 162 longtemps n'ont généralement pas à élever la voix pour se faire entendre tandis que les groupes ? nouveaux ?, organisés depuis peu et constitués d'éléments laissés jusqu'à récemment à eux-mêmes, tels que les éléments défavorisés des villes et des campagnes, doivent littéralement crier pour qu'on tende l'oreille à 100leurs demandes . On doit également distinguer les cas où les objectifs des groupes correspondent à ceux des partis de ceux où ils divergent. Les partis se montrent évidemment plus réfractaires aux groupes dans cette dernière éventualité que dans la première. C'est ici que le rôle de ceux qui appartiennent à la fois au groupe et au parti devient capital. La double affiliation engendre un conflit de loyauté qui contraint les individus à tenter de réconcilier les positions de leur groupe et de leur parti. L'échec de cette tentative peut entraîner la rupture avec l'une ou l'autre organisation, sinon avec les deux. Le dilemme se pose avec une acuité particulière pour le parlementaire, surtout par suite du caractère public de ses prises de position. Son comportement dépend surtout de l'importance que revêt pour lui le groupe de même que du degré de rigidité de la ligne du parti. En général, il s'efforce de concilier les sollicitations contraires résultant de sa double allégeance. C'est ainsi qu'il se réfugie dans l'ambiguïté : ses paroles et ses actes revêtent un sens pour le groupe et un autre sens pour le parti. Le plus souvent, le parlementaire défend les intérêts du groupe en paroles mais il vote conformément à la ligne du parti. Pour l'ensemble, l'accessibilité des partis est d'autant plus grande que les groupes peuvent faire tangiblement la preuve de leur utilité, voire de leur nécessité, pour les premiers. Or, les partis ont de bonnes raisons de croire que, du moins dans le cas de certains groupes, cette preuve, elle est faite : ils attribuent en effet en grande partie leur bonne ou leur mauvaise fortune au support plus ou moins empressé qu'ils reçoivent de ces derniers. 100 Arnold J. BORNFRIEND, ? Political Parties and Pressure Groups ?, American Academy of Political Science, vol. 29, n? 4, 1969, 55-67. C'est d'ailleurs parce qu'on ne les entend pas quand ils emploient des moyens licites que ces groupes sont finalement tentés de recourir à la violence. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 163 Les groupes contrôlent plus ou moins certaines ressources qui sont 101indispensables aux partis : informations, argent, votes, etc. . Il leur est loisible, sans pour autant devoir renoncer à leurs objectifs, de se détourner de partis revêches tout en leur faisant payer le plus chèrement possible leur refus de collaboration. D'autres voies d'accès s'offrent à eux : l'administration, le gouvernement, l'Assemblée et le judiciaire, en outre, bien entendu, de la 101 Il est cependant fort difficile de faire la preuve de l'aptitude des groupes à produire réellement ces ressources et à les répartir à leur guise entre les partis. Ainsi, la décision des dirigeants de groupes d'apporter un soutien électoral à un parti n'a d'effet concret que dans la mesure où les membres acceptent de suivre leurs directives. Le cas des unions ouvrières est particulièrement éloquent. Le contrôle du vote de leurs membres par les unions ouvrières est presque entier en France en ce qui concerne la C.g.t., imposant en Grande-Bretagne, faible au Canada et incertain aux États-Unis. Les quelques tentatives sérieuses d'évaluation de l'emprise de l'AFL-CIO sur leurs membres aboutissent à des conclusions fort différentes. C'est ainsi que, partant du fait que 50 pour cent environ des seize millions d'ouvriers membres de l'AFL-CIO se présentent aux urnes lors des élections présidentielles et que 70 pour cent environ de ces derniers votent pour le parti démocrate, E. E. SCHATTSCHNEIDER conclut que le gain net pour ce parti est d'à peu près 20 pour cent du total, soit 3,200,000. Mais, comme la proportion des ouvriers non syndiqués qui votent démocrate s'élève à 60 pour cent, le gain imputable à l'action directe de la Fédération ouvrière n'est que de 6 pour cent, soit environ 960,000 suffrages. (Dans The Semi-Sovereign People, Holt, Rinehart and Winston, New York, 1960, 49-51.) Fondant ses calculs sur d'autres bases, notamment en établissant la différence dans les suffrages ouvriers accordés aux partis qui s'ensuivrait en supposant, d'une part, que tous les syndiqués se comportent comme les non-syndiqués et, d'autre part, que tous les non-syndiqués se comportent comme les syndiqués, Harry M. SCOBLE aboutit à la conclusion que le gain pour les démocrates imputable à l'action de la Fédération est de 20 pour cent (2,830,500 voix) et que, par ailleurs, la perte non subie par les républicains, par suite de l'imparfaite pénétration du syndicalisme parmi les travailleurs, est de plus de 20 pour cent (3,019,000 voix). Scoble s'est aussi interrogé sur la portée des soutiens que l'AFL-CIO accorde à des candidats particuliers, presque toujours démocrates. Il montre qu'entre 1946 et 1960 la proportion de victoires varie entre 23 et 67 pour cent à la Chambre des Représentants et entre 24 et 61 pour cent au Sénat, les pourcentages dans tous les cas fluctuant selon la bonne ou mauvaise fortune du parti démocrate. (Dans ? Organized Labor in Electoral Politics ?, op. cit.) Aussi Nicholas A. MASTERS, ? The Organized Labor Bureaucracy as a Base of Support For the Democratic Party ?, op. cit., et Charles M. REHMUS et Doris B. MCLAUGHLIN, op. cit., 265-409. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 164 disponibilité d'autres partis. Les propos de William Allen White, tenus par référence à la situation américaine des années 20, sont encore actuels, bien que le pouvoir réel de pression des groupes s'y trouve fortement exagéré, tout au moins eu égard aux conditions qui prévalent aujourd'hui : ? Les partis sont les instruments des groupes tant qu'ils sont utiles à ces derniers ; mais chaque fois qu'ils leur barrent la route, ce gouvernement invisible les ignore... Les présidents des associations nationales de fermiers contrôlent au Congrès un bloc de votes que ni le président national du parti, ni le whip du parti, ni le Président lui-même 102ne peuvent entamer . ? III. TENDANCES ÉVOLUTIVES Retour à la table des matières Si les groupes déploient tant d'efforts pour se frayer un accès auprès des partis, c'est qu'ils espèrent que ces derniers, dans l'exercice de leurs fonctions électorales, médiatrices ou gouvernementales, leur seront favorables. L'ampleur des avantages dépend de la portée relative des partis dans le processus politique. Cette importance varie selon les systèmes politiques et les époques. On ne l'a cependant jamais mesurée de façon méthodique. Les significations que revêtent aux yeux des citoyens l'appartenance aux partis de même que le rôle qui leur est assigné dans la formation des opinions constituent des tests subjectifs de leur importance. Par ailleurs, tout comme bon nombre de rouages des sociétés libérales, les partis sont présentement aux prises avec des difficultés d'un caractère inédit qu'ils parviennent mal à définir et encore moins à surmonter. Et il ne semble pas que ces difficultés se ramènent à de simples malaises qui, avec un peu de chance, se dissiperont éventuellement d'eux-mêmes. C'est plutôt d'une véritable crise, annonciatrice de mutations et de brisures profondes, qu'il s'agirait. Si la direction des tendances évolutives est pour l'instant imprécise, on perçoit aisément que la 102 William Allen WHITE, The Citizen's Business, Macmillan, New York, 1924, 14. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 165 contribution des partis à l'action politique, et notamment leurs rapports avec les groupes d'intérêt, s'en trouvera de toute manière affectée. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 166 1. Appartenance aux partis Retour à la table des matières La démocratie libérale élève le peuple à la dignité insigne de souverain. Elle s'accommode fort bien cependant d'une participation minime de la part des citoyens à la vie politique. À la suite de tant de tentatives sans lendemain, on peut mettre en doute l'aptitude des rouages de la démocratie libérale à permettre un accroissement sensible de la participation de la population, notamment parmi les catégories défavorisées. Les partis ne sont pas seuls en cause mais ils sont sans conteste au centre des préoccupations de l'heure. C'est parce qu'ils constituent le cadre ordinaire de la polarisation des suffrages que le plus souvent ils s'imposent à l'attention. Le cérémonial sévère et empreint de mystère dont on entoure l'acte de vote, l'intérêt soutenu que l'on porte au régime électoral et aux modes de scrutin de même que l'examen minutieux du résultat des élections auquel se livrent spécialistes et praticiens manifestent la portée insigne que le vote revêt pour la société entière. Les élections ne représentent-elles pas le moyen par excellence par lequel s'exprime la volonté populaire ? Ne prononcent-elles pas le verdict qui décide de la composition de la direction politique, du caractère des programmes d'action de même que de l'orientation générale de la vie politique ? Tant de sollicitude porte ses fruits. En effet dans la plupart des sociétés libérales, le taux de participation aux élections fluctue entre 70 et 85 pour cent, les États-Unis, dont le taux de participation se situe autour de 60 pour cent pour les élections présidentielles, constituant la grande exception à la règle. Mais c'est là la seule conduite partisane qui jouisse de la ferveur générale. C'est ainsi que la proportion d'adhérents aux partis ne dépasse 20 pour cent des électeurs inscrits que dans de rares cas et qu'elle peut même être inférieure à 5 pour cent comme aux États-Unis et au Canada. La proportion des électeurs qui offrent des contributions (argent, temps, etc.) aux campagnes électorales s'élève rarement à plus de dix pour cent. C'est surtout comme machines à agréger des votes que les partis remplissent une fonction utile pour la persistance des sociétés libérales. Pour Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 167 l'accomplissement de cette fonction on pourrait toutefois à la rigueur s'en passer. À preuve, les multiples cas d'élections non partisanes au plan des régions et des secteurs. Dans ces conditions, il est vrai, la démocratie connaît une existence précaire. Elle ne survivrait probablement pas à la disparition des partis 103nationaux . Par ailleurs, la longue histoire des partis de cadres et l'évolution récente des partis de masses européens montrent que le souci électoral pousse les partis à miser sur le plus grand commun dénominateur idéologique dans l'élaboration des programmes. Or, si la tiédeur idéologique accroît le rendement électoral des partis, elle entraîne en même temps leur dégradation comme centres d'accueil et rouages d'action politique. Pourquoi en effet adhérer à un parti ? Ce geste comporte généralement peu de compensations tangibles et c'est se faire illusion que de s'en remettre à la seule conscience civique des individus. L'exemple de la majorité des partis de masses européens est éloquent : l'affaissement récent des idéologies au sein de ces partis s'est accompagné d'une réduction sensible du nombre de leurs 104membres . Par ailleurs, les formes de la conscience partisane étant devenues moins cohérentes et moins contraignantes, l'appartenance à un parti ne revêt plus qu'une signification politique relativement mineure. Et dans la mesure où la participation 103 D'après deux sondages du Survey Research Center de l'Université du Michigan, effectués l'un en 1952 et l'autre en 1956, 2 à 3 pour cent appartiennent à un parti, 2 à 3 pour cent prennent une part active aux campagnes électorales, et 5 pour cent font des contributions financières. Et si 15 pour cent des électeurs norvégiens sont membres de partis, la proportion de ceux qui prennent une part active à la vie des partis n'est guère plus, élevée en ce pays qu'aux États-Unis. Voir Stein ROKKAN et Angus CAMPBELL, ? La Norvège et les États-Unis d'Amérique ?, Revue internationale des sciences sociales, vol. 12, n? 1, 1960, 83-84. 104 Les partis communistes constituent la grande exception à la règle générale. Mais même chez ces partis on constate un affaissement idéologique certain. C'est ainsi que, au cours du mois de mai 1968, le parti communiste français, en s'opposant aux groupes anarchistes et au mouvement de grèves, s'est fait le défenseur de l'ordre établi et, par là, a réussi à conserver sa clientèle électorale presque intacte aux élections législatives qui suivirent. Sur l'évolution idéologique du parti communiste français, voir Georges LAVAU, Le Parti communiste dans le système politique français, dans Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques, n? 175, Armand Colin, Paris, 1969, 7-83. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 168 à la vie des partis est un indice de l'importance que les individus attribuent à ces derniers, on doit conclure qu'ils ne leur prêtent pas un rôle prépondérant dans le processus politique. S'agit-il là d'une tendance irréversible ou simplement passagère, attribuable à l'état de la conjoncture générale ? Au cours de la décennie précédente, plusieurs ont conclu à la ? fin des 105idéologies ? ou à la ? dépolitisation ? . Ces conclusions se fondaient de façon immédiate sur des impressions liées à certaines orientations au sein des rouages politiques, notamment les partis. Mais, de façon plus lointaine, elles reflétaient des généralisations à la mode durant les années 50 dans les ouvrages américains de sociologie des sociétés globales. La plupart de ces travaux, en effet, faisant état d'une émancipation à l'égard des anciens tabous moraux, de l'existence d'un consensus plus large à l'égard des objectifs collectifs, de la diminution des tensions sociales et des conflits de classe par suite de l'accroissement de la productivité et de la hausse des niveaux de vie et de l'élaboration d'une nouvelle technostructure planétaire, tendaient à mettre les idéologies au passé. Ainsi, l'homme extériorisé de Riesman, qui règle ses attitudes et ses comportements d'après la ? mode ? qui prévaut à un moment donné au sein des groupes auxquels il adhère, est déjà beaucoup moins ? idéologique ? que l'homme de la tradition ou l'homme ? intériorisé ? qui se détermine d'après des codes éthiques rigoureux. De plus, de la façon dont Riesman identifie la direction des processus d'évolution en cours, l'homme ? extériorisé ? est destiné à parvenir à un état complètement non idéologique : en devenant un ? automate ? des processus sociaux par suite d'une conformisation excessive (over-adjustment) ou, au 105 Ce fut Edward Shils qui, dans son rapport sur la conférence de Milan pour la liberté culturelle, en septembre 1955, énonça pour la première fois la thèse de la fin des idéologies. Voir Edward SHILLS, ? The End of Ideology ?, Encounter, n? 5, November 1955. Aussi Daniel BELL, The End of Ideology, The Free Press of Glencoe, Illinois, 1960 ; Martin Seymour LIPSET, Political Man, Doubleday, New York, 1960. (Ce livre se termine par une longue postface sous le titre de ? The End of Ideology ? ?) Pour une discussion générale, voir Jean MEYNAUD, Destin des Idéologies, Études de science politique, 4, Lausanne, 1961. Sur la dépolitisation, voir Georges VEDEL, directeur de la publication, la Dépolitisation, mythe ou réalité, Armand Colin, Paris, 1962. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 169 contraire, une ? personne autonome ? qui, pour l'ensemble, conformera sa conduite aux normes sociales tout en conservant sa pleine liberté de choix. L' ? homme de l'organisation ? de William H. Whyte, tout comme l'homme superconformisé de Riesman, est un ? automate ? soucieux de répondre parfaitement aux attentes de son groupe de voisinage ou de travail. Quant à l'élite de puissance de C. Wright Mills, elle est constituée de ceux qui détiennent les postes de commande dans tous les secteurs de la société : rendue homogène par sa formation, son mode de vie, ses intérêts et ses aspirations, cette élite, pour toutes fins pratiques, a aboli les différences idéologiques en son sein et entre les groupes sociaux et elle fait prévaloir partout la règle de l'efficience par l'harmonisation des objectifs et des règles de conduite. Enfin, dans la société ? opulente ? de John K. Galbraith ou de David M. Potter, la possibilité ouverte à tous de jouir des biens de confort que la société produit en masse a supprimé la nécessité et même le désir de poursuivre des luttes idéologiques, les objectifs des penseurs les plus radicaux du passé ayant été atteints ou même dépassés. Bref, la société moderne, ayant 106. réalisé ses buts, serait parvenue à l'ère post-idéologique 106 David RIESMAN, Nathan GLAZER et Reuel DENNEY, The Lonely Crowd, Yale University Press, 1950 ; William H. WHYTE, The Organization Man, Simon and Schuster, New York, 1956 ; C. Wright MILLS, The Power Elite, Oxford University Press, New York, 1957 ; John Kenneth GALBRAITH, The Affluent Society, Houghton Mifflin, Boston, 1958 ; David M. POTTER, People of Plenty. Economics of Abundance and the American Character, The University of Chicago Press, 1954. Le grand fossoyeur des idéologies, c'était l'abondance. Notant qu'auprès du niveau de vie des Américains les grandes anticipations marxistes elles-mêmes paraissaient ternes, Walter LIPPMANN parlait des États-Unis comme d'une completed society. De son côté, la commission présidentielle sur les ? buts nationaux ? créée en 1959 par le Président Eisenhower, partant de l'hypothèse que, dans une société prospère, les buts ne peuvent être que généraux, concluait que, dorénavant, les fins collectives se définiraient exclusivement en fonction de critères de rendement et d'efficacité et non plus d'après de larges schémas idéologiques comme dans le passé. Voir Goals for Americans. The Report of the President's Commission on National Goals, Prentice-Hall, New York, 1960. Aussi Robert THEOBALD, The Challenge of Abundance, Clarkson N. Potter, New York, 1961 ; John K. Jessup et coll., The National Purpose, Holt, Rinehart and Winston, New York, 1960. Précisons que les épigones ont souvent faussé la position véritable des chefs de file. Ainsi, plusieurs n'ont retenu de Galbraith que les analyses laissant prévoir un apaisement des idéologies et ont ignoré celles - qu'il devait reprendre dans des ouvrages Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 170 Toutes ces anticipations, grandioses ou naïves selon les points de vue, se sont effondrées comme des châteaux de cartes devant les assauts successifs des mouvements de contestation radicale dont l'ampleur ne cesse de croître depuis 1960. Et c'est précisément cet ordre social au sein duquel les idéologies se seraient assoupies que la contestation vise en plein coeur. Au règne des machines, au poids du ? système ?, à l'emprise des concepts ? opératoires ?, on oppose une société plus humaine, l'abolition des privilèges de castes et la promotion sociale des catégories défavorisées ainsi que la participation de tous à la gestion des affaires publiques. L'incapacité apparente des sociétés libérales de répondre convenablement à ces revendications pressantes et même de les comprendre laisse présager pour les années qui viennent des affrontements d'une extrême violence et susceptibles même de déclencher une révolution intégrale d'une portée historique 107comparable à la révolution française . Le climat qui prévaut aujourd'hui est propice à la résurgence des idéologies. D'origine souvent non occidentale, une fois transplantées en Europe et en Amérique, ces idéologies sont susceptibles de prendre des formes insolites, sinon monstrueuses. Le maoïsme devient terrorisme pur ; le communalisme se mue en anarchisme à vide. Les supports sociaux de ces idéologies émergentes sont pour l'instant divers et diffus. Ils prennent la forme de comités de citoyens, de groupements de Noirs, d'étudiants, de travailleurs industriels et agricoles, de déshérités sociaux, de minorités ethniques ou nationales. Les ? pouvoirs ? qu'ils représentent sont distincts et parfois antagonistes mais il n'est pas exclu qu'à la faveur des circonstances ils effectuent éventuellement une jonction. La rapidité et la facilité croissantes avec laquelle des ? fronts communs ? contre le ? pouvoir légitime ? se constituent laissent présager des alliances plus durables et des unions plus intimes. postérieurs - montrant la persistance d'amples aires idéologiques dans la société contemporaine. On sait que C. Wright Mills dénonçait le pouvoir tentaculaire et asphyxiant qu'une cooptation des élites supérieures imposerait à toute la société. 107 Nous estimons avec Jean-François REVEL (Ni Marx ni Jésus, Robert Laffont, Paris, 1970) que si cette révolution se produit, ce sera aux États-Unis. il se pourrait que ce soit le Canada - et plus particulièrement le Québec où nombre de sources de malaise se trouvent réunies - qui serve de détonateur à cette révolution possible. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 171 Dans quelle mesure les partis voudront-ils et pourront-ils canaliser ou apprivoiser ces énergies ? sauvages ? qui sont déjà ? subversives ? ou risquent de le devenir à brève échéance ? Eux que la relative accalmie d'après-guerre dans la plupart des sociétés libérales a habitués à une douce quiétude, à peine troublée par des périodes électorales où les événements se déroulaient conformément à un scénario familier, sauront-ils se mettre au diapason des conditions des temps houleux qui viennent ? Ou encore de nouveaux partis surgiront-ils de ces remous qui menacent de bouleverser l'histoire ? S'il est fort possible que les partis traditionnels - conservateurs, libéraux ou socialistes - resteront sourds aux appels pressants que leur adressent les observateurs clairvoyants, il est par contre probable que des partis d'un genre inédit prendront la relève et tenteront de canaliser ou encore d'endiguer les courants révolutionnaires. L'U.n.r. en France paraît s'être donné pareille mission. Le Crédit social et le Parti québécois répondent aussi, chacun à sa façon et jusqu'à un certain point, aux urgences de l'heure au Québec. Les visées, la clientèle et les moyens d'action de ces partis diffèrent de ceux des partis traditionnels. Ils respectent toutefois les grandes règles du jeu démocratique établies il y a plus de cent ans. On pressent que d'autres formations partisanes se constitueront, dont l'organisation et les méthodes d'action, fondées sur la notion d'autogestion et sur les techniques d'animation, représenteront un redoutable défi pour le régime libéral dans son ensemble. Adhérer à de tels partis, c'est se lier. C'est prendre position de façon vitale, dramatique, déchirante même. C'est conclure à la coïncidence essentielle de son projet existentiel personnel avec le projet institutionnel d'un groupe. En pratique, c'est renoncer à une certaine impeccabilité intellectuelle mais bornée à sa subjectivité propre pour se rendre solidaire d'une cause chargée des imperfections de la collectivité qui la porte mais capable de praxis historique. La distinction entre projet existentiel et projet institutionnel permet de saisir toute la différence entre le fait d'être marxiste français et celui de devenir membre du parti communiste français, d'être séparatiste québécois et celui d'adhérer au Parti québécois. Adhérer au Parti québécois pour un séparatiste, c'est abandonner une simple position intellectuelle et affective au sujet du système politique canadien pour se rendre solidaire de l'oeuvre de destruction de ce système qu'accomplit ce parti et partager, dans l'espoir d'un meilleur sort, tous les risques présents et futurs que comporte cette entreprise. Ici, la conscience partisane devient virtuellement Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 172 108coextensive à la conscience politique . Dans ce cas, le parti incarne ce que Franz Fanon appelle ? l'authenticité négative ?, cet envers d'une authenticité positive dont il permet la germination. Ici nous sommes plus près des anciens partis à doctrine que des partis traditionnels qui nous sont familiers. Le parti redevient l'âme et le moteur de toute action politique valable. Il occupe à nouveau le centre de la culture politique. 2. Partis et formation des opinions Retour à la table des matières Un aspect central de la vocation des mécanismes d'interactions consiste à rendre possible la confrontation des demandes et des soutiens politiques émanant des agents du système social et des possibilités politiques telles que les agents du système politique les perçoivent. Ce sont parfois les partis, par suite des tâches spécifiques qu'ils remplissent, qui représentent le lieu privilégié des négociations intersystémiques. En effet, ils constituent le moyen ordinaire de polarisation des vues au sujet des programmes d'action politique et des enjeux que le rythme des événements fait émerger de même que l'instrument officiel de formation des majorités et des minorités concernant les décisions et les actions politiques. Les partis représentent dès lors, en principe tout au moins, un centre majeur de formation et de cristallisation des opinions. Dans quelle mesure toutefois infléchissent-ils réellement les opinions dans les situations concrètes ? Nombre de distinctions s'imposent. Les conditions diffèrent selon les régimes de partis et selon les individus, selon qu'on est simple membre ou dirigeant et, finalement, selon la situation sociale des individus. Ces conditions se ramènent finalement à deux ordres de considérations concernant, l'un, le degré d'attention que les individus accordent aux partis et, l'autre, l'aptitude des partis à véhiculer les opinions. Pour qu'un parti puisse influencer la pensée et l'action d'un individu, il ne suffit pas que ce dernier lui accorde son suffrage, ni même qu'il en devienne 108 Sur ces notions, voir Pierre FOUGEYROLLAS, la Conscience politique dans la France contemporaine, Denoël, Paris, 1963. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 173 109membre . De fait, il arrive fréquemment qu'on vote pour un parti et même qu'on soit membre d'un parti sans que pour autant on en adopte les positions. Ce n'est que dans les cas où le parti représente un groupe auquel on s'associe par référence (reference group) ou encore auquel on s'identifie psychologiquement qu'il devient effectivement un centre de formation des opinions. Or, le degré de cette association ou identification diffère grandement d'un régime de parti à l'autre. Plutôt faible en Europe où le taux d'appartenance tend pourtant à être assez élevé, il est considérable aux États-Unis où, par ailleurs, le nombre d'adhérents est très 110bas . Le geste du citoyen qui s'identifie psychologiquement à un parti n'aurait toutefois guère d'effets pratiques si le parti lui-même n'engendrait ni ne véhiculait des vues sur les divers objets qui traversent le champ politique. Quelle est donc l'aptitude des partis comme créateurs et véhicules des opinions ? Les partis projettent d'eux-mêmes une image : ils sont perçus comme étant de droite ou de gauche, unis ou divisés, puissants ou faibles, efficaces ou inefficaces, 111honnêtes ou malhonnêtes, modernes ou traditionnels . Aux États-Unis tout au 109 Selon Richard Rose, le simple électeur britannique n'est pas influencé par les positions du parti pour lequel il vote. Dans Politics in England, 75. 110 La littérature sur cette question est abondante mais de qualité médiocre. La meilleure étude est celle de Philip E. CONVERSE et Georges DUPEUX, ? Politicization of the Electorate in France and the United States ?, The Public Opinion Quarterly, vol. 26, n? 1, 1962, 1-23, dans William J. CROTTY, editor, Political Parties and Political Behavior, Allyn and Bacon, Boston, 1966, 583-601. Aussi Leon D. EPSTEIN, op. cit., 78-85. Pour la notion d'identification au parti, voir Angus CAMPBELL et coll., editors, The American Voter, 120-145 ; Warren E. MILLER, ? The Political Behavior of the Electorate ?, op. cit. ; V.O. KEY Jr., Public Opinion and American Democracy, 65-76 ; Robert E. LANF, Political Life, 299-301. Ces travaux montrent la complexité de cette notion et la difficulté de la rendre opératoire : l'identification est plus ou moins prononcée selon les tempéraments individuels et les couches sociales ; elle est susceptible d'être source de conflits psychologiques quand les positions du parti heurtent des intérêts personnels ou de groupe ; elle peut enfin se confondre plus ou moins avec l'identification à un groupe d'intérêt, particulièrement dans le cas des partis de masses. 111 Voir John MEISEL, ? Party Images in Canada ?, A Paper Presented to the Forty-Second Annual Meeting of the Canadian Political Science Association, Winnipeg, 1970 (Miméo) ; James W. PROTHRO et Donald C. MATTHEWS, Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 174 moins, ces images paraissent douées d'une grande stabilité. Même à une époque de profonds remous et où le rythme haletant des événements engendre le remplacement presque quotidien des objets d'opinions de même que l'inconstance des attitudes, l'image des partis paraît remarquablement stable. La bonne ou mauvaise fortune électorale des partis s'explique dans une large mesure par le 112degré de correspondance entre cette image et les conditions du moment . Seuls des efforts considérables de leur part et le concours d'une conjoncture favorable permettent aux partis de modifier leur image de façon sensible. Ces images sont aussi réelles, sinon davantage, en tant que stéréotypes dont les électeurs se servent pour percevoir les partis que comme la résultante des orientations des partis eux-mêmes. En s'identifiant à un parti, on se trouve implicitement à donner son adhésion à un large schéma politique ou, plus fréquemment peut-être, à projeter dans un parti le canevas de ses propres valeurs politiques. D'une manière ou de l'autre, par son image, le parti procure les prédispositions ou attitudes générales qui préfigurent les opinions sur les divers objets politiques. L'homme n'étant pas toujours logique avec lui-même, des incongruités et des contradictions se produisent, certes, entre les attitudes générales et les opinions particulières sur une question donnée. Ces attitudes servent néanmoins de levain d'où jaillissent les opinions. En outre, les partis, dans leurs programmes généraux et leurs prises de position sur des questions spécifiques, deviennent pour les électeurs de véritables écoles de formation des opinions. Dans quelle mesure exercent-ils sur eux une influence réelle ? Peu d'études ont abordé cette question mais les données dont ? The Concept of Party Image and Its Importance for the Southern Electorate ?, dans M. Kent JENNINGS et L. Harmon ZEIGLER, editors, The Electoral Process, Prentice-Hall, Englewood Cliffs, New Jersey, 1966, 139- 174 ; Mildred A. SCHWARTZ, ? Canadian Voting Behavior ?, dans Richard ROSE, editor, Political Behavior in Modern Industrial Society, Free Press, New York (À paraître). 112 Philip, E. CONVERSE, ? The Nature of Belief Systems in Mass Publics ?, dans David E. APTER, editor, Ideology and Discontent, The Free Press of Glencoe, 1964, 238-245 ; Robert E. LANE, Political Life, 299-303 ; Richard ROSE, Politics in England, Little Brown, Boston, 1964, 151. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 175 nous disposons indiquent que les électeurs tendent à adopter les vues du parti avec 113lequel ils s'identifient . Par leur action sur les opinions, les partis favorisent l'harmonisation du système politique et du système social. D'une part, cette action contribue à rendre les projets de loi et autres mesures politiques conformes aux demandes et aux soutiens politiques des individus et des groupes. D'autre part, elle permet d'anticiper les réactions des individus et des groupes aux décisions et actions politiques et, le cas échéant, de modifier ces dernières. De la sorte, les partis constituent pour les agents politiques des signaux avertisseurs des limites et des possibilités d'action du système politique. Mais, en même temps, les partis constituent des mécanismes de contrôle des décisions et des actions politiques. À titres divers et à des degrés différents selon les régimes, ils sont les instruments de la rétroaction que les systèmes politiques mettent en oeuvre pour connaître les effets de leur action sur les agents sociaux et, le cas échéant, pour modifier cette action. Mais les partis ne représentent qu'une des nombreuses sources de formation et de contrôle des opinions. À côté de la famille, du cercle d'amis, de l'Église et 114même du groupe d'intérêt, leur effet est probablement minime . Leur action sur 115les opinions se fait surtout sentir à l'occasion des campagnes électorales . Même alors - on le sait de façon précise depuis que Katz et Lazarsfeld ont énoncé 116la fameuse loi de la circulation de l'information à deux temps - ils requièrent le support des groupes secondaires et des réseaux d'influence primaires qui, eux, diffusent et interprètent leurs messages. 113 V.O. KEY Jr., op. cit., 432-455. 114 Bernard R. BERELSON, Paul F. LAZARSFELD et William N. MCPHEE, Voting, University of Chicago Press, 1954, 168 ; Howard E. FREEMAN et Morris SHOWEL, ? Differential Political Influence of Voluntary Associations ?, The Public Opinion Quarterly, vol. 15, 1951-52, 703-714 ; Robert E. LANE, op. cit., 300. 115 Ainsi l'identification des électeurs aux partis est bien plus forte durant les campagnes électorales qu'en période non électorale. Voir Angus CAMPBELL, Gerald GURIN, et Warren E. MILLER, The Voter Decides, Row, Peterson, Evanston, Illinois, 1954, 93. 116 Elihu KATZ et Paul F. LAZARSFELD, Personal Influence, The Free Press of Glencoe, 1955. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 176 En ce moment émergent des partis d'un type inédit, plus habiles à exploiter les ressources de la télévision et en même temps plus profondément ancrés au sein des groupes, en particulier parmi les couches défavorisées, et employant en outre de façon méthodique les techniques de l'animation qui semblent exercer sur les opinions une influence bien plus considérable que dans le cas des partis traditionnels. 3. La crise des partis Retour à la table des matières C'est avant tout à la remarquable performance électorale des partis que les systèmes politiques doivent leur persistance. Les élections constituent la méthode la plus simple et la plus pacifique de choix des gouvernants et de leur remplacement en temps utile. Grâce à elles, l'épineux problème de la succession des chefs qui est la pierre d'achoppement de tant de régimes ne se pose pas. Selon la maxime anglaise, il vaut mieux compter les têtes que les couper. On s'attendrait dès lors à ce que les partis jouissent partout d'une grande faveur. L'absence de sondages méthodiques exclut toutefois un jugement péremptoire à ce sujet. Dans certains milieux cependant les partis sont en butte à d'acerbes critiques. Ces critiques fusent des milieux les plus divers. Le mouvement semble avoir pris naissance en France où les partis, moins bien structurés qu'ailleurs et longtemps tout-puissants à l'Assemblée nationale, sont tenus comme les grands responsables de la faillite des troisième et quatrième 117républiques. En outre, les reproches sévères adressés aux partis débordent souvent les partis eux-mêmes et visent plus ou moins directement les composantes internes du système politique, plus particulièrement l'Assemblée. La crise des partis se constate à nombre de signes, d'inégale portée, mais qui, considérés dans leur ensemble, sont de mauvais augure. 117 Pour un premier exposé dans ce sens, voir LE CLUB JEAN MOULIN, l'État et le Citoyen, Éditions du Seuil, Paris, 1961. Aussi Maurice DUVERGER, la Démocratie sans le peuple. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 177 C'est ainsi que les partis, notamment les partis de masses, ont perdu nombre 118d'adhérents depuis quelques années et cette tendance semble s'accentuer . En outre, la perte de ferveur idéologique au sein des partis de même que les contraintes sévères imposées au favoritisme partisan (? patronage ?) ont rendu difficile le recrutement des cadres des partis. Par ailleurs, ces derniers sont contraints par vocation de préserver une unité d'orientation qui fait violence aux divisions idéologiques qu'imposent le pluralisme des objectifs et la multiplicité des projets collectifs dans nos sociétés engagées dans de profondes mutations. De façon paradoxale, le souci d'accroître leur rendement électoral contribue à la déchéance des partis comme structures d'encadrement des individus et des groupes. L'organisation géante et rigide qu'ils se donnent et le langage abstrait auquel ils recourent leur font perdre le contact avec le réel de tous les jours. Les individus délaissent ces cadres trop lointains au sein desquels ils s'estiment mal représentés et se sentent étrangers et impuissants. On a cru un moment que ce mouvement de retrait était un symptôme de dépolitisation. On sait maintenant que ce n'est pas l'intérêt pour la politique qui a diminué mais plutôt l'aptitude des partis à le canaliser. La soif de politique est plus ardente que jamais. Elle s'abreuve à des sources plus vives, plus accueillantes et plus stimulantes que les 119partis : clubs, fronts ou para-partis . En outre, l'évolution de la conjoncture contribue au déclin des partis. Ces derniers visent avec plus ou moins d'ardeur et de bonheur à canaliser les conflits qui émergent des antagonismes sociaux. Leur vision du monde s'en trouve morcelée : elle s'explicite sous la forme de thèmes parcellaires. Or, les préoccupations majeures d'aujourd'hui portent sur des problèmes généraux, d'envergure nationale, voire planétaire : gestion, développement, rénovation urbaine, pollution, criminalité, violence, radicalisme de la jeunesse. Ces préoccupations ne se prêtent guère à des programmes électoraux : en tant qu'options générales, elles font l'unanimité parmi les partis ; en tant que problèmes particuliers, elles se prêtent à des considérations trop complexes pour alimenter la propagande électorale. 118 Leon D. Epstein, op. cit., 250-256. 119 Louis ESTRANGIN, ? Groupes, partis et forces vives dans la démocratie contemporaine ?, dans la Société démocratique, 50e Semaine sociale de France, 1963, Chronique sociale de France, Paris, 1963, 95-115. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 178 Une nouvelle culture politique est en train de naître. Cette culture pousse l'exigence de participation à un degré inconnu jusqu'ici dans l'histoire. Elle s'inspire d'un humanisme renouvelé, fruit d'une jonction inédite de l'universel et du particulier. Or, cette nouvelle culture, les partis paraissent inaptes à l'absorber. Ils livrent même contre elle une lutte plus ou moins ouverte - lutte menée au nom des valeurs libérales mais fondée finalement sur l'incompréhension et la peur du changement. La crise des partis n'est finalement que la métastase du mal qui frappe les Parlements, ces centres d'ancrage par excellence des partis au sein du système politique. Exclus des grands choix politiques, coincés entre les technocrates et les ministres et réduits en quelque sorte à un rôle de légitimation d'actes qu'ils n'ont ni inspirés, ni préparés, les législateurs s'estiment de plus en plus à la marge du processus politique. La perte d'influence tout comme le déclin de prestige qui résultent pour eux de cette évolution, rejaillissent directement sur les partis, ces instruments ordinaires du choix des députés et ces marchés par excellence au sein desquels s'échangent les ressources des députés, des dirigeants et des simples membres. À mesure que s'effrite le principal support de leur respectabilité et de leur influence, les partis se font plus déserts. L'action conjuguée de ces facteurs corrode les partis à la base même. Bien qu'aucune étude méthodique n'ait encore été menée sur l'état réel des partis, plusieurs prévoient une accélération de leur déclin et leur mort éventuelle. Les uns estiment que les groupes d'intérêt sont appelés à se substituer graduellement aux partis. D'autres croient que la conscience politique déserte les groupes d'intérêt tout autant que les partis et trouve refuge dans des mouvements d'un genre 120inédit . Ces prévisions sont prématurées. Les indices sur lesquels elles se fondent sont incertains. Les groupes d'intérêt, il est vrai, remplissent certaines tâches 120 Jean MEYNAUD, Nouvelles Études sur les groupes de pression en France, Armand Colin, Paris, 1962, 356 ; LE CLUB JEAN MOULIN, l'État et le Citoyen, 166-173 ; Philip E. CONVERSE et Georges DUPEUX, ? Politicization of the Electorate in France and the United States ?, op. cit., 584 ; Frank J. SORAUF, Political Parties in the American System, 54 ; James Q. WILSON, The Amateur Democrat. Club Politics in Three Cities, The University of Chicago Press, Chicago, 1962 ; Georges VEDEL, directeur de la publication, la Dépolitisation, mythe ou réalité ? 147. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 179 concernant par exemple la représentation, qu'on a longtemps attribuée en exclusivité aux seuls partis. En outre, l'essor de la politique consultative les favorise au détriment des partis. Pour l'ensemble cependant, les groupes d'intérêt ne sauraient se substituer aux partis sans renier leur vocation propre. En outre, ils éprouvent eux aussi les mêmes problèmes qui assaillent les partis. Eux aussi parviennent mal à véhiculer les demandes politiques qui s'inspirent des nouvelles tendances culturelles. Le destin des groupes d'intérêt paraît lié à celui des partis. Si ces derniers périssent, il est improbable que les premiers puissent survivre. Par ailleurs, partis-météores, comités de citoyens et ? fronts ? constituent de toute évidence des retraites provisoires pour la conscience politique plutôt que des formes définitives de l'action politique. Leur multiplication représente un symptôme majeur de la crise qui secoue les partis et les groupes d'intérêt. Elle témoigne de la grande faim de politique que ressentent individus et groupes et, en même temps, elle manifeste l'incapacité des groupes d'intérêt et des partis à remplir convenablement un aspect majeur de leur mission : être un relais permanent entre gouvernés et gouvernants. Une tendance évolutive, moins spectaculaire que le développement de para-partis et le déferlement de la violence, est également à l'œuvre. Elle concerne la transformation des partis par l'intérieur. Ces derniers changent sous l'influence du nouvel environnement où ils évoluent. Nous l'avons noté plus haut : partis de cadres et partis de masses tendent à se muer en partis de stratèges-animateurs. L'avènement de la télévision et les exigences de la démocratie de participation sont les instruments majeurs de ces mutations. Si ces tendances se concrétisent, il est permis d'entrevoir que partis et groupes d'intérêt, les uns et les autres selon leur vocation propre, sont appelés à devenir des instruments d'action politique de première grandeur. S'ils parviennent à créer et à maintenir en permanence un dialogue entre agents sociaux et agents politiques, ils aideront grandement à conjuguer la menace d'éclatement qui pèse sur la civilisation. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 180 Société et politique : la vie des groupes. Tome second: Dynamique de la société libérale (1972) Troisième partie : Groupes d’intérêt et mécanisme d’interaction systémiques Chapitre II Groupes et politique consultative Retour à la table des matières La diversification de l'organisation socio-économique et la croissance du système politique ont multiplié les instances de décision et intensifié les rapports entre agents sociaux et agents politiques. Partis et groupes d'intérêt ne suffisent pas à véhiculer vers le système politique les intérêts, idéologies et pressions émanant du système social. D'autres canaux, moins connus, ont cependant pris depuis quarante ans une ampleur considérable et parmi eux ce sont les conseils consultatifs qui ont revêtu le plus de relief. Leur importance s'est accrue à un tel point ces récentes années qu'on doit les considérer comme un mécanisme d'interactions systémiques d'une portée comparable à celle des groupes d'intérêt ou des partis. De fait, les conseils consultatifs sont devenus un rouage majeur des systèmes politiques et toute tentative de les exclure est d'avance vouée à l'échec. Cette nouvelle importance des conseils consultatifs en tant que rouages de la mécanique socio-politique ne ressort toutefois guère de la littérature spécialisée. Institutionnalistes comme behavioristes boudent la politique consultative, les premiers parce qu'elle leur apparaît extérieure aux circuits officiels de la prise des Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 181 décisions et les seconds, parce qu'elle leur semble un simple moyen 121supplémentaire d'action des groupes d'intérêt . Par suite de ce désintérêt et de ce manque de rigueur parmi les spécialistes, c'est sans surprise que nous constatons l'imprécision flagrante de la notion de consultation politique. La réalité que cerne cette expression se retrouve cependant sous tous les régimes politiques, qu'ils soient d'inspiration socialiste ou libérale, mais cette réalité se présente sous des formes diverses selon les pays. Deux jugements d'ensemble s'imposent au départ. D'une part, les valeurs qu'engage la politique consultative débordent les cadres étroits de la pensée libérale traditionnelle qui s'est surtout préoccupée de la question de la représentation des citoyens auprès des centres de décision et des moyens de concrétiser cette représentation. Par contre, ces valeurs se sont trouvées bien davantage approfondies dans le socialisme qui, lui, notamment par la doctrine du centralisme démocratique, fait porter l'accent sur la participation des citoyens à tous les paliers de la vie des 122sociétés . Cette situation explique l'intérêt des politologues pour les sociétés socialistes, en particulier la Yougoslavie. 121 L'abondante littérature sur la participation politique elle-même néglige presque entièrement le phénomène de la consultation. Ces études, bien entendu, procurent de précieuses connaissances sur des conduites politiques souvent élémentaires mais néanmoins essentielles à la vie démocratique. Leur utilité n'est donc pas à démontrer ici. Elles ignorent toutefois des dimensions importantes de la participation, notamment la participation aux conseils consultatifs. La consultation politique ne constitue pas simplement une forme supplémentaire de participation à la vie politique susceptible d'être abordée par les techniques et les concepts déjà bien rodés dans la littérature sur les élections et les partis. De toute évidence, il s'agit là d'un ordre de phénomène tout autre, susceptible de n'être traité de manière convenable que par l'élaboration d'une problématique propre. 122 D'autres raisons expliquent aussi cette différence d'accent entre régimes libéraux et socialistes sur la participation. Mentionnons l'importance bien plus grande que l'État revêt dans la doctrine socialiste pour l'aménagement des conditions matérielles et spirituelles de la vie des citoyens. La participation aux tâches de l'État est considérée dans ces régimes comme la seule façon normale de vivre. C'est précisément l'accroissement des responsabilités de l'État dans les régimes libéraux qui rend aujourd'hui si urgente la recherche de moyens propres à assurer une participation réelle aux individus et aux groupes. Par ailleurs, si les régimes libéraux ont souvent négligé la participation Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 182 D'autre part, il est clair que, pour définir convenablement les conseils consultatifs en tant que rouages socio-politiques, il faut inventer un angle de vision différent de celui de l'idéologie libérale classique. La greffe des conseils consultatifs sur les régimes libéraux, à partir d'un certain point, met en question non seulement le vocabulaire traditionnel mais aussi les mentalités et la mécanique politique libérale. Le grand juriste français, Hauriou, distingue trois espèces d'administration : exécutive, délibérante et consultative. Par administration consultative, il entend ? celle où un conseil délibère sur une décision à prendre mais sans pouvoir 123exprimer autre chose qu'un avis ?. Dans le contexte d'aujourd'hui tout au moins, la définition d'Hauriou est inadéquate : le champ de la consultation s'étend bien au-delà de la stricte administration, ne serait-ce que par le fait que l'appareil administratif, loin d'être autonome, est intimement lié à l'ensemble du système politique. En outre, la compétence du conseil consultatif peut aller au-delà de l'avis et même jusqu'à englober en quelque sorte la décision elle-même. Loin d'être une simple comme valeur politique, ils ont reconnu pour les individus le droit de contestation qu'excluent fréquemment les régimes socialistes. 123 V. M. HAURIOU, Précis de droit administratif et de droit public, Sirey, Paris, 1le édition, 1927, 88, cité dans Roland DRAGO et André HEILBRONNER, ? L'administration consultative en France ?, Revue internationale des sciences administratives, vol. 57, n? 1, 1957, 57. De même, pour Yves WEBER qui écrit de la fonction consultative qu'? elle peut s'entendre comme l'expression juridique d'opinions émises individuellement ou collégialement à l'égard d'une autorité administrative, seule habilitée à prendre l'acte de décision à propos duquel intervient la consultation... L'autorité consultante ne doit jamais se considérer liée par le contenu de l'acte consultatif ?. Dans l'Administration consultative, Librairie générale de droit et de jurisprudence, Paris, 1968, 1, 224. Toutefois, Weber écrit ailleurs que par extension on peut parfois incorporer à la consultation elle-même la décision qui suit de l'acte consultatif : ? ... l'emploi du terme de procédure consultative pour désigner toute procédure nécessaire à l'émission d'une décision prise sur un acte consultatif, résulte d'une conception extensive qui englobe, et confond parfois, les principes qui régissent la compétence consultative et ceux qui concernent l'acte pris sur consultation ?. (Ibid., 204.) Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 183 124? technique de l'administration active ?, la consultation politique doit être considérée comme un rouage essentiel de la mécanique socio-politique. Plutôt que d'? administration consultative ?, il convient de parler de politique consultative. Les sociétés libérales font une place inégale à la politique consultative. En France, bien qu'on y recoure de plus en plus fréquemment, surtout depuis la création du Conseil économique et social, plusieurs l'associent encore aux procédés corporatistes de l'Ancien Régime et aux méthodes autoritaires de l'ère napoléonienne. Par contre, en Suède, elle est devenue un des principaux rouages de la mécanique politique. De leur côté, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Italie, les États-Unis et le Canada accordent à la consultation plus ou moins d'importance selon les secteurs d'activité et ont négligé jusqu'ici de lui octroyer un statut clair et précis. Mais, par vocation sinon toujours dans les faits, la politique consultative représente une voie de médiation politique directe et sûre des idéologies, pressions et intérêts sociaux. Par l'établissement de liens officiels entre agents sociaux et agents politiques, elle vise à normaliser et à démocratiser les rapports entre les catégories d'agents. Elle favorise l'expression et la conciliation des oppositions qui surgissent entre eux. Elle facilite la recherche d'un accord sur les objectifs de même que la prise en commun des décisions. La consultation consiste dès lors dans la mise en place d'un dispositif (commission, conseil, comité) permanent ou temporaire, propre à réunir de façon utile et démocratique des agents sociaux et des agents politiques, afin qu'ils échangent leurs informations sur des questions d'intérêt commun, mènent des études, formulent des avis et participent à la définition des problèmes, au choix des règles du jeu et des fins collectives et, d'une manière plus ou moins finale, aux décisions qui s'ensuivent. Les conseils consultatifs constituent ainsi des mécanismes d'interactions systémiques dont la portée est comparable aux groupes d'intérêt, aux partis et aux media de communication. Leur tâche propre consiste à rendre possibles la confrontation et la réconciliation des demandes et des soutiens des agents sociaux de même que l'expression des volontés et des possibilités des agents politiques. 124 Roland DRAGO et André HEILBRONNER, op. cit., 66. Yves WEBER cite B. CHENOT qui a dénombré 4,700 conseils, comités ou commissions consultatives en France (op. cit., 3). Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 184 Dans l'accomplissement de leur tâche, les conseils consultatifs posent des ponts entre le système social et le système politique et ils entrent en contact avec les autres mécanismes d'interactions. Une boucle de rétroaction qui va d'un système à l'autre en passant par les autres mécanismes d'interactions permet de mesurer les résultats de chaque activité de consultation. Ces interactions et rétroactions peuvent s'exprimer sous une forme schématique (schéma n? 4). SCHÉMA N? 4 Interrelations des conseils consultatifs avec leur environnement Retour à la table des matières Dans le présent chapitre, nous allons traiter de l'impact de la politique consultative sur les composantes internes du système politique, des relations des conseils consultatifs et des autres mécanismes d'interactions et, finalement, de la nécessité d'une révision du statut de la politique consultative dans les sociétés libérales. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 185 I. POLITIQUE CONSULTATIVE ET COMPOSANTES INTERNES DU SYSTÈME POLITIQUE Retour à la table des matières On décèle la présence d'éléments consultatifs au sein du judiciaire ou du juridictionnel. C'est ainsi que des personnes étrangères à un différend peuvent être appelées à témoigner comme spécialistes afin d'aider la cour à trancher le litige. Aux États-Unis, des personnes appelées amici curiae peuvent d'elles-mêmes demander à être entendues. Des pratiques analogues se retrouvent ailleurs. Mais c'est surtout au niveau des autres composantes du système politique, la législation, le gouvernement et l'administration, qu'il convient de suivre la trace de la politique consultative. Dans les régimes socialistes, la constitution et des lois particulières prévoient l'articulation de la politique consultative aux divers rouages politiques. Il s'ensuit que l'origine, le fonctionnement et les effets des structures propres à l'effectuer font l'objet de décisions et de contrôles précis. Il en est autrement dans les sociétés libérales. Le cas que ces dernières font de la politique consultative varie grandement d'un pays à l'autre : d'où la grande diversité des mécanismes consultatifs et les formes multiples qu'ils revêtent ; d'où également les effets inégaux de la consultation sur les composantes internes du système politique ; d'où finalement les représentations contradictoires que s'en font les diverses catégories d'agents appelés à siéger aux conseils consultatifs. 1. Formes de la politique consultative Au sens littéral, consulter, c'est prendre conseil auprès de quelqu'un. Le recours à la consultation entendue dans ce sens est, depuis toujours, un procédé courant parmi les individus et au sein des collectivités. Dès lors que surgit une situation insolite ou que les règles du jeu deviennent complexes, on recherche l'avis de personnes qui, grâce à leur expérience ou à leurs connaissances, sont Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 186 susceptibles de servir de guides ou de supports. Aussi n'est-on pas surpris de constater que le terme consultation revêt les acceptions les plus diverses et qu'il englobe une gamme extrêmement vaste de processus différents : simples échanges de vue, demandes officieuses ou officielles d'avis, négociations ou codécisions. Les consultations les plus nombreuses sont purement interindividuelles : ainsi, consulte-t-on son médecin, son avocat ou son confesseur. Tous les paliers de la société, toutes les sphères d'activité se prêtent à la consultation. De fait, il existe de très complexes réseaux de consultation dans le domaine de la culture ou de l'économie. C'est peut-être cependant dans la vie politique qu'on recourt le plus à la consultation et que la gamme de modes de consultation est le plus étendue. De nombreuses catégories de comités consultatifs existent, depuis le simple avis que le député requiert de ses électeurs jusqu'au rapport d'un conseil dont les conclusions lient le gouvernement et l'Assemblée législative. Également consultatifs, bien qu'à des degrés divers, sont les comités administratifs ou gouvernementaux spéciaux où siègent côte à côte des membres du gouvernement et de l'administration de même que des délégués de groupes d'intérêt ; les grandes commissions d'enquête suédoises, britanniques ou canadiennes, composées de personnes extérieures au gouvernement et parfaitement autonomes à l'intérieur de leur mandat, disposant d'un budget propre, habilitées à poursuivre des études et à recueillir, sous forme de mémoires ou de déclarations à l'occasion d'audiences publiques ou privées, les avis des individus et des groupes intéressés, et qui formulent leurs conclusions sous la forme de recommandations adressées au gouvernement et généralement rendues publiques ; les négociations collectives dans le secteur public ou parapublic au cours desquelles l'État-employeur et ses employés cherchent à parvenir à une entente sur les salaires de même que sur les normes et les conditions de travail ; les Conseils supérieurs créés par des lois spéciales et rattachés à des ministères particuliers, composés de spécialistes et de praticiens dans la sphère d'activité que recouvre le ministère et qui ont pour mandat de mener des études, de recueillir les avis de la population et de faire rapport au ministre responsable sur des questions reliées à l'activité du ministère ; les commissions parlementaires devant lesquelles des fonctionnaires, des spécialistes et des praticiens sont appelés à témoigner et, dans certains pays, à servir comme membres réguliers ; les conseils économiques, constitués de représentants des diverses catégories professionnelles et dont la compétence et Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 187 l'autorité varient grandement selon les situations ; les organes de planification, enfin, où siègent des spécialistes, des délégués des grandes catégories socio-économiques et des représentants du gouvernement et qui sont chargés de recueillir les données et de préparer des programmes d'action en vue du développement social et économique. Cette énumération n'épuise pas, loin de là, tous les cas possibles. Elle montre cependant que le procédé consultatif revêt des formes multiples que l'on peut classer suivant différents critères, notamment selon leur degré de publicité, celui de l'officialité et celui de l'impérativité. Sous l'optique de la publicité, on distingue les consultations privées, lorsque l'avis ne doit servir qu'aux fins personnelles de celui qui le sollicite (ainsi le député qui recueille l'opinion de ses électeurs ou le ministre qui cherche conseil auprès d'un spécialiste ou d'un journaliste influent) ; les consultations secrètes, quand le contenu de l'avis ne peut être divulgué hors du cercle de ceux qui ont pris part aux délibérations, les consultations publiques, enfin, quand l'avis doit être communiqué à l'ensemble de la population. Sous l'angle de l'officialité, on distingue les consultations non officielles (qui se font à l'impromptu, qui ne sont ni ordonnées ni sanctionnées par une autorité reconnue et qui ne suivent pas des normes précises) ; les consultations officieuses (qui, tout en étant ordonnées par une autorité reconnue, ne suivent pas de normes précises et ne font pas l'objet de sanctions manifestes) ; et les consultations officielles (qui sont ordonnées par une autorité reconnue, qui suivent certaines règles précises et font l'objet de sanctions prédéterminées). Les consultations officielles elles-mêmes peuvent être non organiques (quand elles sont provoquées par les circonstances et qu'il n'existe pas de mécanisme spécifique permanent de consultation) ; organiques (quand existe un mécanisme permanent de consultation au sein du système politique). Selon l'aspect de l'impérativité, on distingue les consultations facultatives (quand l'autorité consultante n'est pas tenue de prendre avis) ; la consultation obligatoire (quand l'autorité consultante est tenue de prendre avis mais n'est pas obligée d'agir conformément à l'avis) ; les consultations exécutoires (quand l'autorité consultante doit prendre avis et est obligée d'agir conformément à cet avis). Dans le procédé consultatif, l'autorité consultante est toujours l'une ou l'autre des composantes du système politique qui, tout en s'obligeant à des degrés divers, demeure en tant que telle autonome par rapport aux divers pouvoirs sociaux représentés dans la consultation. C'est pourquoi la cogestion et Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 188 l'autogestion, qu'on inclut souvent dans le procédé consultatif, représentent des formes de participation non consultatives parce que l'autorité dont relève la négociation est ou mixte (dans le cas de la cogestion) ou indépendante (dans le cas de l'autogestion), celle-ci pouvant être elle-même déléguée (dans le cas des corporations professionnelles) ou autonome (dans le cas où une organisation ne dépend d'aucune autorité extérieure pour la fixation et l'exercice des normes qui la 125régissent) . TABLEAU N? 5 Modes de consultation dans une société libérale Retour à la table des matières I. Selon l'angle de la publicité 1. Privé 2. Secret 3. Public II. Selon les angles de l'officialité et de l'impérativité 1. Non officiel 2. Officieux 3. Officiel a) Non organique b) Organique - Facultatif - Obligatoire - Exécutoire La question de la publicité est centrale puisqu'elle s'étend virtuellement à toutes les catégories de consultation. Elle soulève des problèmes qui, débordant largement le procédé consultatif, s'étendent à l'ensemble des processus politiques (le secret administratif, diplomatique, etc.). Aussi doit-on la considérer comme une question spéciale et la traiter comme telle, indépendamment des deux autres critères de la consultation. Par contre, ces deux critères - celui de l'officialité et 125 Ces formes n'incluent pas les nombreuses instances consultatives au sein du système politique (comités interministériels, etc.). Nous restreignons notre étude aux consultations ? externes ?. Par ailleurs, des instances consultatives peuvent se greffer sur les organes de cogestion ou d'autogestion. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 189 celui de l'impérativité - sont homogènes l'un par rapport à l'autre et ils permettent d'établir une catégorisation assez précise des modes de consultation dans les sociétés libérales (tableau n? 5). Le degré selon lequel les pays recourent à la consultation comme méthode d'action politique et officialisent les conseils consultatifs est sujet à de grandes variations. En Scandinavie et particulièrement en Suède, non seulement la consultation est-elle considérée comme un élément, régulier du processus politique mais encore les mécanismes qui l'instituent s'intègrent au système politique de façon au moins aussi intime que les partis et le Parlement. En Grande-Bretagne existent un grand nombre de conseils consultatifs - les uns établis par des lois particulières, les autres fondés sur d'anciens usages et conventions et d'autres encore simples prolongements des administrations. Ces conseils recouvrent la quasi-totalité de l'appareil politique britannique. Ils jouissent, pour l'ensemble, d'un excellent crédit auprès de la population. En France, le procédé consultatif, déjà fort répandu sous l'Ancien Régime, devint un des traits majeurs du gouvernement de style napoléonien. Le discrédit moral qui affecta les institutions corporatistes de l'Ancien Régime lors de la Révolution française s'étendit au procédé consultatif. D'où le statut ambigu qui est le sien sous le régime républicain. Les gouvernements républicains, qui jusqu'à 1958 se sont succédé à un rythme rapide, ont multiplié les instances consultatives mais se sont refusés, même lors de la création d'une institution aussi centrale que le Conseil économique et social, à leur reconnaître un statut légal précis. De là l'extrême confusion des dispositions juridiques, gouvernementales et administratives à l'endroit de cette multitude de mécanismes consultatifs. En Italie, le recours à la consultation est depuis longtemps à l'honneur. Dans les administrations de type vertical, elle revêt une forme spéciale, appelée clientela, qui témoigne de la vitalité des traditions corporatistes dans ce pays. Aux États-Unis comme au Canada, de nombreux comités consultatifs existent au niveau administratif mais on ne se préoccupe guère de leur statut juridique qui reste souvent imprécis. Les spécialistes tendent à voir dans ces comités des corps étrangers aux institutions régulières, croient y déceler des tendances corporatistes et dénoncent les accès privilégiés auprès des centres de décision qu'ils procurent à certains groupes. Les commissions autorégulatrices américaines qui groupent des fonctionnaires responsables de larges secteurs administratifs, tel que le commerce Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 190 inter-étatique, et les délégués des groupes directement impliqués, font l'objet de critiques particulièrement sévères. Au Québec, l'administration consultative a pris un essor considérable depuis 1960 mais on ne s'est guère interrogé sur le statut 126politique qu'il convient de lui octroyer . 2. Composantes internes du système politique et consultation Retour à la table des matières L'imprécision des cadres juridiques de la politique consultative dans la plupart des pays explique le caractère improvisé, sinon désordonné, de leur développement. Particulièrement intrigante est l'absence de toute analyse poussée des formes différentes qu'elle revêt selon qu'elle s'exerce auprès du Parlement, de l'administration ou du gouvernement, de même que des effets divers qu'elle engendre chez chacune de ces composantes internes du système politique. Sans doute estime-t-on que les conseils consultatifs ne constituent que des rouages 126 Gunnar HECKSCHER, ? Interest Groups in Sweden : Their Political Role ?, dans Henry W. EHRMANN, Interest Groups on Four Continents, University of Pittsburgh Press, 1964, 154-172 ; POLITICAL AND ECONOMIC PLANNING, ? Advisory Committees in British Government ?, vol. 26, January 1960, 1-140 ; Allen POTTER, Organized Groups in British National Politics, Faber and Faber, London, 1961 ; S. E. FINER, Anonymous Empire, Pall Mall Press, London, 1966 ; Yves WEBER, op. cit. ; Roy PIERCE, French Politics and Political institutions, Harper and Row, New York, 1968 ; J. E. S. HAYWARD, Private Interests and Public Policy. The Experience of the French Economic and Social Council, Longmans, London, 1966, Joseph LAPALOMBARA, Interest Groups in Italian Politics, Princeton University Press, 1964 ; Marven H. BERNSTEIN, Regulating Business by Independent Commissions, Princeton University Press, 1955 ; Thomas E. CRONIN et Stanford D. GREENBERG, The Presidential Advisory System, Harper and Row, New York, 1969 ; THE INSTITUTE OF PUBLIC ADMINISTRATION, ? Advisory Committees in Administration ?, Ninth Annual Conference of the Canadian Institute of Public Administration, 1957 ; ? To Commission or not to Commission ?, Canadian Public Administration (numéro spécial sur l'administration consultative au Canada), vol. 5, n? 3, 1962, 253-367 ; Jean LALIBERTÉ, la Participation des étudiants aux comités gouvernementaux, thèse de maîtrise, Université Laval, 1968 ; Micheline DE SÈVE, les Comités de planification au ministère de l'Éducation, thèse de maîtrise, Université Laval, 1969. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 191 auxiliaires du système politique et que, pour autant, ils ne sauraient influer en profondeur sur les composantes majeures du système. Et pourtant, députés, fonctionnaires, ministres l'éprouvent tous les jours, le recours croissant à la consultation affecte sensiblement la dynamique des composantes politiques, tant en elles-mêmes que dans les relations qui se nouent entre elles. a) Consultation et Assemblées législatives. - Dans un passage célèbre, Saint- Simon déclare sans ambages que la perte subite de ses cinquante premiers savants, ingénieurs et techniciens ? ferait de la nation un corps sans âme à l'instant où elle les perdrait, tandis que la perte des 30,000 individus réputés parmi les plus importants dans l'État... ne causerait du chagrin que sous le rapport sentimental, car il n'en résulterait aucun mal politique pour l'État ?. Aujourd'hui peu d'observateurs proclameraient de façon aussi péremptoire l'inutilité de l'ensemble des agents politiques. Toutefois, assez nombreux restent ceux qui soutiendraient que le jugement sévère de Saint-Simon vaut toujours pour les législateurs. Certains sont enclins à juger les Assemblées législatives par référence à un âge d'or parlementaire mythique. Certes, les députés sont les porte-parole du peuple souverain qui les délègue pour agir en son nom. De cette vocation sublime découlent certains traits qui sont censés établir la grandeur des Parlements : une permanence relative (les élections législatives ayant lieu tous les trois, quatre ou cinq ans) au sein du flux rapide des événements ; une multiplicité des vues, reflet des différences socio-économiques parmi la population et des diversités d'ordre régional ; une ampleur des jugements, enfin, résultat de l'éminence de l'angle de 127vision . Par ailleurs, l'influence et le prestige des Parlements varient énormément d'un pays à l'autre. C'est ainsi qu'il n'existe pas de commune mesure entre le Congrès des États-Unis et l'Assemblée nationale française : le premier, en dépit de l'accroissement des prérogatives de l'administration et du Président, conserve des compétences exclusives ou partagées considérables et utilise avec sagacité le procédé des commissions parlementaires ; la seconde, par contre, paraît avoir atteint le creux d'une longue période de déclin. 127 Raymond BOISDÉ, Technocratie et Démocratie, Plon, Paris, 1964, 133. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 192 De plus en plus nombreux sont les analystes qui s'attaquent, par delà les formes, à la substance de la fonction législative. Déjà en 1942, Leonard D. White prévoyait le déclin des Assemblées : ? Les organes représentatifs demeureront le siège officiel du pouvoir ; mais la détermination des modalités pratiques du pouvoir, la définition des conditions par lesquelles le pouvoir s'exerce et la détermination des finalités du pouvoir continueront sans doute à passer des organes représentatifs électifs à des corps que caractérise la possession de connaissances spécialisées plutôt que leur aptitude sur le plan de la 128représentation . ? Pour Stein Rokkan, qui écrit vingt-quatre ans plus tard, le déclin des Parlements n'est plus affaire de conjoncture mais de diagnostic : Ce sont les votes qui comptent dans le choix des gouvernants mais ce sont d'autres ressources qui décident de l'orientation politique des autorités... Ce sont rarement les partis ou le Parlement qui prennent les décisions importantes en matière de politique économique : le centre stratégique se trouve à la table des négociations où les représentants du gouvernement rencontrent les dirigeants des unions ouvrières, les représentants des fermiers, des petits propriétaires et des pêcheurs de même que les délégués de l'association des employeurs. Ces négociations annuelles ont plus de portée pour les simples citoyens que les élections. Dans un processus d'interactions intensives, les notions parlementaires d'un membre, un vote et de règle de majorité ont peu de sens. Ce n'est pas en comptant les personnes qu'on prend les décisions, mais par suite de considérations complexes concernant les avantages à courte et à longue échéance que comportent les compromis possibles... Les ministres sont au faîte de la hiérarchie élective mais ils ne représentent qu'une des quatre 129parties présentes à la table des négociations . 128 Leonard D. WHITE, ? The Public Service of the Future ?, dans The Future of Government in the United States : Essays in the Honor of Charles E. Merriam, Harper, New York, 1942, 202 ; cité dans Dayton David McKEAN, Party and Pressure Politics, Houghton Mifflin, Boston, 1949, 605 ; Thomas E. CRONIN et Stanford D. GREENBERG, op. cit. 129 Stein ROKKAN, ? Numerical Democracy and Corporate Pluralism ?, dans Robert A. DAHL, Political Oppositions in Western Democracies, Yale University Press, New Haven, 1966, 106-107. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 193 Rivero va plus loin puisqu'il dénonce ce qui lui paraît comme une contradiction entre la théorie et les faits : II Il y a contradiction entre le concept classique de la loi et la signification politique et économique profonde de la 130planification qui est de faire des plans et des superlois . ? Commentant cette déclaration, Marcel Merle écrit : ? Les Parlements ne sont plus qualifiés pour agir et leurs pouvoirs disparaissent un à un sous la pression des exigences gouvernementales... Les Assemblées continuent, comme par le passé, d'occuper le devant de la scène politique. En fait, le pouvoir de décision leur échappe à partir 131du moment où elles se heurtent aux lois inexorables de la technique . ? 130 J. RIVERO, ? Le plan Monet et le droit ?, Droit social, mars 1950 ; cité par Marcel MERLE, ? L'influence de la technique sur les institutions politiques ?, dans Politique et technique, Centre de sciences politiques de l'institut d'études juridiques de Nice, III, Presses universitaires de France, Paris, 1950. 131 Marcel MERLE, op. cit., 59 ; dans le même sens, citons Maurice CROIZAT qui, après avoir dit que la planification marque un dessaisissement de l'homme politique, écrit : ? Dans le cas français, la date de l'examen parlementaire confirme le rôle secondaire du Parlement dans le processus de décision. Le premier plan ne fut jamais soumis au Parlement. Le deuxième plan est entré en application le 1er janvier 1954, le vote du Parlement n'est intervenu que le 27 mars 1956, soit deux ans après. Un progrès a été enregistré pour le quatrième plan puisque le retard n'a été que de 8 mois. Dans ces conditions, quelle est l'utilité d'une intervention parlementaire portant sur un plan dont l'exécution est commencée ? Il s'agit plus d'un hommage - pour le moins humoristique - rendu aux représentants de la nation que de la manifestation d'une volonté politique. ? Dans ? Les incidences de la planification sur les structures ?, l'Actualité économique, vol. 42, n? 1, 1966, 31, note 40. Aussi P. CORBEL, le Parlement et le Plan, Cahiers de l'Institut d'études politiques de Grenoble, Cujas, Paris, 1969 ; Léo HAMON, ? Le Plan et sa signification politique ? dans Jean-Daniel REYNAUD, directeur de la publication, Tendances et Volontés de la société française, Futuribles, S.E.D.E.I.S., Paris, 1966, 197-229 ; Charles ROIG, ? Planificateurs et planification ?, l'Actualité économique, vol. 43, n? 3 et n? 4, 1967 ; vol. 44, n? 1, 1968 ; CAHIERS DE LA FONDATION NATIONALE DES SCIENCES POLITIQUES, la Planification comme processus de décision, Librairie Armand Colin, Paris, 1965 ; Lucien NIZARD, ? Réflexions sur les raisons réelles de l'inaptitude des parlementaires à influencer effectivement le processus de planification ?, Colloque de l'Association française de science politique, consacré à l'évolution des institutions parlementaires, 6-7 novembre 1970 (ronéo). Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 194 La liste des jugements critiques formulés à l'endroit des Assemblées pourrait s'allonger indéfiniment. Tous se ramènent aux points fondamentaux suivants : 1. Les parlementaires ne sont pas également représentatifs de toutes les catégories socio-économiques. Les catégories inférieures sont virtuellement absentes de l'Assemblée. 2. Les parlementaires, contrairement à l'opinion reçue, sont loin de la réalité quotidienne dans laquelle vivent les citoyens parce que leurs réseaux d'informations sont périmés et que leurs rôles les maintiennent à la périphérie du processus politique. 3. Encore à l'encontre d'une fiction consacrée, les parlementaires sont inaptes à définir le contenu de l'intérêt public général parce que leur jugement ne se fonde pas sur une information sérieuse ni sur des motifs désintéressés. 4. La procédure est source d'un ralentissement des travaux parlementaires d'autant plus incongru que la poussée des demandes sur le système politique se fait toujours plus pressante. 5. La loi, qui est la forme propre de ? solution ? parlementaire, est d'un caractère très général, très rigide et très stabilisateur ; parce qu'elle s'adapte mal aux variations parmi les secteurs et les régions, des techniques d'application et de réglementation qui échappent au contrôle parlementaire doivent compenser son manque d'opérationnalité. 6. L'exclusion plus ou moins totale des Parlements du processus de planification rend flagrante leur inadaptation ; la planification constitue pourtant aujourd'hui dans plusieurs pays un facteur essentiel de la dynamique sociale et de la dynamique politique : les instruments de la planification ne se substitueront pas nécessairement aux Assemblées législatives mais ils les éclipseront en influence réelle, comme c'est déjà le cas en France. 7. Les Parlements ont prouvé leur incompétence dans le domaine des questions économiques. Dans nombre de pays, les hommes d'affaires s'abstiennent de se porter candidats aux élections et dédaignent les débats parlementaires : à l'instar de la plupart des autres groupes économiques, ils Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 195 misent sur d'autres centres de décisions politiques jugés par eux plus rentables. 8. Les Parlements ont été traditionnellement considérés comme le principal canal institutionnel d'expression d'une opposition légale ; mais l'ampleur des divergences émanant d'un pluralisme social plus accentué rend ce procédé de moins en moins efficace et oblige à l'invention de nouvelles techniques permettant des échanges de vue propices à la négociation et axés sur les problèmes réels de la population. Ces déficiences des Assemblées législatives deviennent manifestes quand on les considère à la lumière des possibilités qu'ouvre la politique consultative. Ce sont sans doute les Assemblées qui subissent le moins les effets directs de la consultation puisque, dans la plupart des pays, elles n'y recourent guère. Par contre, elles en ressentent fortement les à-coups du fait que les autres composantes du système politique, notamment l'administration, s'y adonnent de façon intensive. Les conseils consultatifs qui se forment à l'extérieur des Assemblées ont, sur ces dernières, d'incontestables avantages. Ils tendent même à supplanter les Assemblées sous des aspects longtemps considérés comme des éléments de force 132de celles-ci. Ainsi en est-il, par exemple, de la question de la représentation . Même en l'absence d'un droit officiel de représentation reconnu aux personnes qui siègent sur un conseil consultatif, leur représentativité y est souvent bien plus grande que chez les parlementaires. De nombreux conseils consultatifs, parmi les plus importants, sont composés de façon à permettre la présence de porte-parole de toutes les catégories sociales, économiques et régionales intéressées. La vocation de représentativité des conseils consultatifs est évidente. Pour l'instant, ce sont les secteurs d'intérêt dont le poids électoral direct est léger qui témoignent le plus d'enthousiasme pour la politique consultative et qui, probablement, en retirent le plus d'avantages ; mentionnons le monde de la culture, celui de l'éducation et celui des affaires. L'attitude des groupements syndicaux envers la 132 Sur l'ensemble de la question de la représentation à propos des partis, des Assemblées, des groupes d'intérêt et des conseils consultatifs, voir notre tome premier. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 196 politique consultative varie selon les pays : très favorable en Suède et en Grande-Bretagne, elle est plutôt négative en France. On doit prévoir que même ces réticences de la part de certains groupes s'estomperont à mesure que l'opinion et la loi garantiront le droit strict de représentation pour tous les intérêts, forts ou faibles, impliqués dans un processus de consultation. Plusieurs préconisent une double structure de représentation qui se concrétiserait par la création, à côté du Parlement (dont les membres seraient, comme à présent, élus selon des découpages du territoire en circonscriptions électorales et à qui incomberait la définition des ? grandes finalités politiques ?), d'une Chambre sociale et économique, constituée de représentants des divers secteurs et régions socio-économiques et qui se verrait confier le problème des ? moyens ? et plus particulièrement les questions de croissance et de planification. En France, il y a eu, depuis toujours, de nombreux partisans de cette solution et de Gaulle, par la réforme du Sénat qu'il a préconisée dès son avènement au pouvoir en 1958 et qu'il n'a pas réussi à faire approuver par une majorité des électeurs français lors du référendum de 1969, a ajouté son nom à une longue et respectable 133liste de théoriciens et de praticiens en ce domaine . En Suède et autres pays scandinaves, les intérêts sociaux et économiques sont déjà intégrés directement au processus politique par leur présence aux délibérations qui se tiennent au niveau même du gouvernement. Dans ces pays, le centre d'où émane la décision finale est parfois entièrement constitué de délégués d'associations. Ces tendances se heurtent cependant aux objections de ceux qui disent y déceler des tendances corporatistes. Ce risque est réel, d'autant plus que la politique consultative se rattache historiquement à des régimes autoritaires de type napoléonien ou fasciste. Mais l'identification trop rapide de la politique consultative au corporatisme peut conduire à la méconnaissance de sa vocation propre. Rappelons la remarque de Marx, qui s'applique à bien des situations analogues, à propos de la Commune de Paris dans la Guerre civile en France : ? C'est généralement le destin des nouvelles créations historiques d'être considérées à tort comme la contrefaçon de formes de vie sociale anciennes et 133 J. E. S. HAYWARD, op. cit., 1ss ; René RÉMOND et coll., la Démocratie à refaire, Colloque ? France-Forum ? de Saint-Germain-en-Laye, les Éditions ouvrières, Paris, 1963, 105ss. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 197 souvent disparues avec lesquelles elles peuvent cependant avoir quelques 134similitudes . ? Si la création d'une ? seconde Chambre ? est improbable dans les conditions qui existent aujourd'hui dans la plupart des pays, il paraît par contre acquis que le développement de mécanismes consultatifs comme les Conseils économiques et sociaux, les Conseils supérieurs rattachés aux ministres et les Conseils ministériels, ira s'intensifiant. La facilité relative avec laquelle les autorités politiques et les groupes d'intérêt peuvent s'y faire représenter incite toutes les parties à y recourir. Par ailleurs, les conseils consultatifs échappent jusqu'à un certain point au grave reproche fait aux Parlements d'être loin du peuple. Les premiers ont même la mission de compenser l'éloignement des seconds. Ils constituent le pont indispensable que doivent emprunter les gouvernants pour connaître les demandes des individus et des groupes et pour faire connaître les possibilités politiques. Sans doute, des problèmes spécifiques de ? distance ?physique et psychologique se posent au sein des groupes d'intérêt, entre les membres délégués aux conseils consultatifs et les autres membres. Ces problèmes se présentent surtout dans le cas des grands conseils qui se voient confier des prérogatives de décision virtuellement finales. Nonobstant le mode de leur désignation, les délégués des groupes jouissent généralement, pour plusieurs raisons, d'une grande autonomie personnelle et faibles sont les contrôles qui s'exercent sur eux. Par suite de cette confiance implicite envers les délégués, se crée entre ceux-ci et les autres membres de l'organisation une ? distance ? qui, à la limite, peut fermer le circuit entre le social et le politique que la politique consultative a pour fonction d'ouvrir. Des groupes ont contrarié le développement de conditions aussi fâcheuses par la création d'un circuit de communication qui permet aux membres délégués de rendre périodiquement compte de leur mandat. Autre avantage des conseils consultatifs sur les Assemblées : par contraste avec la lenteur proverbiale de celles-ci, ceux-là, s'ils sont constitués en temps utile, sont éminemment propres à permettre des solutions rapides aux problèmes concrets, au fur et à mesure qu'ils se présentent. Les solutions qu'ils préconisent, 134 Karl MARX, la Guerre civile en France, Paris, 1953, 44. [Livre disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT] Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 198 généralement fruits d'un compromis entre les intérêts en présence, sont d'une plus grande souplesse que les lois votées par les Assemblées : elles sont facilement adaptables aux particularismes des secteurs et des régions. C'est surtout à partir du moment où sont mis en oeuvre des instruments de planification que les conseils consultatifs imposent leur supériorité sur les Assemblées législatives. En effet, tandis que de nombreux et importants mécanismes consultatifs sont greffés sur les rouages planificateurs, c'est à peine si on y retrace la présence active des Assemblées. Une étude de l'expérience de planification en divers pays conduit Andrew Shonfield à conclure à l'impuissance des Parlements en ce domaine : Un plan est un instrument souple de politique économique, s'adaptant constamment à des circonstances changeantes et subissant parfois des changements majeurs de façon à permettre la poursuite d'objectifs devenus dans l'entre-temps prioritaires. Le parlement occidental traditionnel, corps non-expert et par instinct non-interventionniste sauf en cas d'abus manifestes ou de besoin de législation, est particulièrement mal équipé pour diriger l'intervention systématique que la planification implique. Cette condition sert de justification de l'accord tacite parmi les planificateurs qu'en général il est préférable d'ignorer les 135processus parlementaires . C'est sans conteste le rapport de la politique consultative avec l'intérêt public général qui soulève le plus d'interrogations. L'absence de critères précis de l'intérêt public général complique la question. Au sein des conseils consultatifs, des agents sociaux et des agents politiques se réunissent dans le but de confronter leurs vues et de s'influencer les uns les autres. Il serait excessif d'imaginer que le poids penche toujours d'un seul côté. Entre les parties, il y a échanges d'informations, confrontation des points de vue et négociations. Qu'en résulte-t-il en définitive ? L'intérêt d'une simple faction, aussi importante puisse-t-elle être ou, plutôt, un accord qui coïncide avec le bien de l'ensemble de la société ? Cette interrogation ne comporte pas de réponses catégoriques. Il est cependant permis de croire qu'en provoquant le choc des idées la consultation en favorise un rapprochement dans le sens de l'intérêt public 135 Andrew SHONFIELD, Modern Capitalism. The Changing Balance of Public and Private Power, Oxford University Press, New York, 1965, 230. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 199 général. Le travail en commun modifie en effet les perceptions des agents politiques et des agents sociaux. Il ajoute aux informations techniques et à l'expérience ? humaine ? des premiers et il permet aux seconds de transcender les points de vue restreints qui les motivaient au départ. Progressivement, s'impose dans leur esprit la légitimité des objectifs d'autres catégories sociales de même que des points de vue plus généraux des agents politiques. Il se crée de la sorte chez tous une disposition favorable à la recherche de solutions globales. Dès lors, la consultation permet un consensus certainement propice de soi à l'émergence d'un intérêt commun aux membres du conseil consultatif et dans nombre de cas à la clarification de la nature de l'intérêt public général. Toutefois, par suite de l'importance qu'acquièrent certains conseils consultatifs, il y a risque de création de centres de décision virtuellement autonomes par rapport aux organisations générales qui disposent de la prérogative officielle de décision. Il s'ensuivrait la pulvérisation de l'intérêt public général. Deux voies de solutions s'offrent pour dissiper ce danger. D'une part, on peut imaginer un mécanisme général de coordination de tous les conseils consultatifs qui établirait l'ordre des priorités, assignerait les tâches et examinerait les résultats. À la limite, on revient à la proposition d'une deuxième Chambre, proposition que nous avons déjà examinée et dont nous avons vu les faiblesses. D'autre part, on peut greffer fermement tous les conseils consultatifs sur des rouages politiques à vocation générale. De la sorte, le prestige résultant des succès de la politique consultative rejaillira sur ceux-ci tandis que ceux-là seront empêchés de se réfugier dans un déplorable isolement. La greffe des conseils consultatifs sur les organisations politiques à vocation générale représente certainement une des conditions de la mise en convergence de la consultation vers l'intérêt public général. Mais nous ne faisons alors que reporter le problème de l'intérêt public général à un autre niveau. Or, les facteurs d'inaptitude que nous avons relevés chez les Parlements agissent aussi, sous des formes diverses, au sein de l'administration et du gouvernement lui-même. Toutefois, malgré toutes leurs déficiences, la supériorité des organisations politiques à vocation générale est sous cet aspect assez évidente : elles sont plus directement soumises au contrôle direct des citoyens que ne le sont les conseils consultatifs. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 200 Le conseil consultatif constitue un lieu de rencontre privilégié entre agents sociaux et agents politiques. Les premiers ont la possibilité d'y exposer directement leurs demandes et leurs soutiens politiques et les seconds d'y faire connaître les possibilités du système politique. Il se crée généralement entre les catégories d'agents un climat favorable aux échanges et à la conciliation des divergences de vues. Les échanges permettent notamment l'expression des soutiens et des oppositions aux programmes du gouvernement. L'exercice de la fonction d'opposition au sein des conseils consultatifs est d'une importance particulière. À prime abord, il paraît contredire la vocation normale de la consultation qui est de favoriser l'harmonisation des points de vue entre les parties. Or, il arrive que le processus consultatif, du moins dans un premier temps, fasse émerger des antagonismes d'une ampleur telle qu'il semble virtuellement impossible de les résorber. Imputer la responsabilité de ces antagonismes au processus consultatif lui-même constitue une faute fréquente. En réalité, de tels antagonismes sont bien plus souvent imputables à de graves contradictions au sein de la société qu'à des erreurs d'aiguillage dans le déroulement de la consultation. De même que les affrontements qu'a entraînés l'implantation du syndicalisme dans les relations de travail ont permis l'amélioration du statut personnel et collectif des travailleurs, de même les heurts qui se produisent au sein des conseils consultatifs peuvent être le coût qu'il faut accepter de payer pour procurer des gains considérables à de larges secteurs de la population et même à la société entière. Le fait que, des oppositions s'expriment au sein des conseils consultatifs devrait susciter à leur endroit des jugements approbateurs plutôt que des condamnations. En effet, il est difficile d'exagérer l'importance de la présence active d'une opposition vigoureuse pour la bonne santé des sociétés au sein des démocraties de type libéral. Or les Assemblées, auxquelles incombe depuis si longtemps la responsabilité de faire s'exprimer la ? loyale ?opposition au gouvernement, paraissent faillir à la tâche et deviennent de moins en moins aptes à véhiculer les sentiments des ? forces vives ?. Il se peut dès lors que les conseils consultatifs soient en quelque sorte appelés à prendre la relève des Assemblées ou tout au moins à les seconder. Toutefois, si l'on voit assez bien comment les conseils consultatifs font émerger et véhiculer les antagonismes sociaux, les Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 201 modes selon lesquels ce procédé pourrait officialiser les oppositions restent à préciser. Devant l'évidence de tant de déficiences anciennes et nouvelles et face aux réalisations ou aux promesses de la politique consultative, quelles sont les réactions des Assemblées législatives ? Se retranchent-elles derrière leurs droits acquis et se contentent-elles de dénoncer comme un crime de lèse-majesté toute tentative d'empiétement sur leurs prérogatives traditionnelles ou, au contraire, s'efforcent-elles de comprendre les conditions des temps nouveaux et de s'imprégner de l'esprit de réforme ? Les orientations varient grandement selon les pays. Assez réceptives aux idées de changement dans certains cas, les Assemblées restent jalousement sur leurs positions dans d'autres cas. Pour l'ensemble, toutefois, elles donnent l'impression de mener un combat d'arrière-garde. C'est ainsi que les Assemblées s'efforcent de contrarier la tendance croissante des gouvernements à agir par voie de réglementation, décrets, arrêtés ministériels et à se faire ? déléguer ?, par la préparation de lois-cadres ou autrement, une part de plus en plus substantielle de la compétence législative. Ces efforts se retournent contre elles. Ils provoquent de vigoureuses contre-attaques de la part des membres des commissions gouvernementales qui se disent autorisés, comme c'est d'ailleurs souvent le cas, non pas à présenter de simples avis, mais à définir la politique dans le champ de leurs prérogatives. Plus récemment, on a tenté de distinguer entre le cadre général ou les ? principes de base ? des programmes dont les Parlements auraient la charge et les ? détails ? de leur préparation et de leur mise en exécution, qui seraient confiés aux administrations et aux conseils consultatifs. Pareille distinction, pour attrayante qu'elle soit à première vue, se révèle sans valeur pratique. Comme l'a bien montré un parlementaire d'expérience, Pierre Pflimlin, à propos du Plan en France, ce sont ceux qui établissent la programmation initiale qui, en réalité, se trouvent à décider des principes : Tous ceux qui ont collaboré au Plan n'ont pris aucune décision au sens juridique du mot... C'est le Parlement qui, en définitive, décidera... Mais en quoi consistera précisément le rôle du Parlement ? Il sera appelé à voter un article unique portant approbation générale du Plan... On arrive ainsi à découvrir ce paradoxe que juridiquement le Parlement a dans ce domaine la plénitude des pouvoirs, mais que, dans la réalité, les parlementaires ne sont que des figurants qui, placés devant une oeuvre monumentale Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 202 élaborée en dehors d'eux, sont appelés à accomplir un geste rituel sans portée pratique. Cela montre jusqu'à quel point certains scrupules sont 136périmés . En se livrant à de simples tentatives de freinage du cours des choses, les Assemblées se créent de nouveaux adversaires et ne font que retarder le moment où il leur faudra lâcher prise. Il leur serait plus profitable d'acquérir une vision progressiste de l'évolution socio-politique et de s'engager d'elles-mêmes sur des voies nouvelles. Plutôt que de s'acharner à dénoncer les empiètements dont elles se disent victimes, elles devraient viser à remplir leur fonction législative de façon plus adéquate. C'est ainsi que dans nombre de pays on ne parvient pas à réformer les procédures et les méthodes de travail parlementaires. Dans la plupart des cas, les députés sont sous-employés et mal utilisés. En Chambre, selon qu'ils sont du parti du gouvernement ou de celui de l'opposition, ils se comportent comme des machines à voter les lois ou ils se livrent à des tactiques d'obstruction. Dans un cas comme dans l'autre, ils se plient à la règle du parti. En dehors de la Chambre, le développement de la sécurité sociale a pratiquement mis fin au ? patronage administratif ? qui fut pendant longtemps la source de leur pouvoir auprès de leurs électeurs. Par ailleurs, la révolution des méthodes et des styles politiques qu'a suscitée l'avènement des télémedia ne les a guère touchés. Aussi risquent-ils de se voir confinés à des rôles subalternes, sinon de figuration, dans le grand jeu de la politique. Un redressement de la situation s'impose, mais selon quelles formules ? Seules des investigations poussées dans des directions jusqu'ici peu abordées procureront des réponses adéquates à cette interrogation. Toute réforme valable du Parlement, nous semble-t-il, doit déborder la simple fonction législative qu'il assume, du moins sur le plan juridique, et être étendue à toutes les tâches politiques dont il pourrait s'acquitter avec bonheur s'il s'y adonnait de façon méthodique et appliquée. Pour l'ensemble, les Assemblées ont jusqu'ici boudé la politique consultative. Elles doivent dorénavant se convaincre que les promesses de cette dernière valent pour elles tout autant que pour les autres composantes du système politique. Un recours judicieux au procédé consultatif par les députés, 136 Pierre PFLIMLIN, dans René RÉMOND et Coll., op. cit., 216-217. Aussi Maurice LAMONTAGNE, ? The Influence of the Politician ?, Canadian Public Administration, vol. 11, n? 3, 1968, 263-271. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 203 tant à l'Assemblée qu'au dehors de l'Assemblée, serait propre à faire émerger les nouveaux rôles qu'ils cherchent et que, dans certains cas, ils ont même commencé à assumer. L'examen des réformes possibles doit se poursuivre dans plusieurs directions à la fois. La décentralisation politique et la déconcentration administrative, déjà assez avancées dans certains pays et qui s'amorcent sérieusement ailleurs, mènent à la création d'instances régionales qui, par leur regroupement, leur hiérarchisation et leur articulation à des centres de décisions appropriés au niveau national, se muent en quasi-gouvernements régionaux. Or, partis et députés dans la plupart des pays sont exclus des délibérations de ces centres de pouvoir intermédiaires. On invoque la sauvegarde de la ? division des pouvoirs ?, c'est-à-dire l'obligation de tenir distinctes administration et législation. En réalité, on se méfie des députés et de l'esprit de favoritisme qui a si longtemps inspiré et inspire encore aujourd'hui assez souvent leur action au sein des circonscriptions électorales. De leur côté, très souvent les députés adoptent une attitude négative par rapport à ces instances et même, parfois, s'efforcent de contrarier leur consolidation. Il se crée ainsi entre partis et députés, d'une part, et réseaux de pouvoirs régionaux, d'autre part, une incompréhension qui risque d'être fatale aux parties concernées et qui, par ricochet, engendre un sérieux malaise au sein du système politique tout entier. Il faut trouver le moyen d'intégrer les députés au sein des instances consultatives régionales. Ils devraient d'ailleurs, en tant qu'élus de la population, être appelés a y siéger sans restriction aucune et bénéficier pleinement des prérogatives conférées aux autres membres. Pour qu'il en soit ainsi, cependant, de vieilles habitudes devront être mises au rancart, les mentalités et les comportements devront, de part et d'autre, être modifiés. Les parlementaires doivent en outre être invités à rejeter l'ombre pour la proie : plutôt que de se réfugier dans l'illusoire sécurité de leurs prérogatives parlementaires et de se refuser à tout compromis ou toute initiative, ils doivent se plier à de nouvelles règles de jeu. C'est ainsi, comme c'est déjà le cas notamment en Suède et en Grande-Bretagne, qu'ils feront partie en tant que membres réguliers de nombre de conseils consultatifs au sein de l'administration et du gouvernement. Le plein exercice de ce rôle comportera bien sûr pour les députés de nouveaux apprentissages et pour les fonctionnaires et les délégués de groupes la franche acceptation d'une catégorie supplémentaire de partenaires. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 204 Finalement, il est une autre voie de réformes qu'il incombe aux Assemblées législatives elles-mêmes de tracer : convertir les commissions parlementaires en véritables commissions consultatives qui laisseraient intactes les prérogatives essentielles des Assemblées. Les commissions de la Chambre des représentants et du Sénat aux États-Unis ne sont pas à strictement parler consultatives bien que des fonctionnaires et des spécialistes soient appelés à s'y présenter comme témoins ou conseillers. Pour être pleinement consultatives, il faudrait que ces commissions ne se limitent pas à mener des enquêtes, comme c'est fréquemment le cas aujourd'hui, mais qu'elles poursuivent des études en vue de programmes généraux, ce qu'elles font peu souvent ; il faudrait, en outre, que fonctionnaires, spécialistes ou praticiens siègent sur les commissions parlementaires, non seulement comme témoins de passage, mais, dans certains cas et sous certaines conditions, à titre de conseillers pour la durée des délibérations. Cette pratique aurait pour résultat de ? dépolitiser ? les débats, de créer un milieu propice à l'expression des intérêts enjeu, aux échanges d'informations et aux négociations, bref d'accroître sensiblement la qualité du travail qui s'effectue dans les Assemblées. L'instauration du procédé consultatif au sein des Assemblées suppose cependant la mise en place d'un dispositif complexe que bien peu d'entre elles possèdent à l'heure actuelle : réduction du temps de travail en séances régulières et en comité plénier, existence de bibliothèques et de services de documentation et de recherches, respect des méthodes de travail en comité, droit pour le président d'une commission de convoquer toutes les personnes, qu'elles soient agents politiques ou agents sociaux, susceptibles d'aider au bon déroulement des délibérations, assurance morale que l'Assemblée recevra favorablement les conclusions de la Commission et les fera rapidement siennes, et ainsi de suite. Point essentiel : il s'impose que les commissions parlementaires jouissent d'une certaine marge d'initiative par rapport au gouvernement. Dans certains pays, cette marge a été réduite au cours de ces dernières décennies. C'est ainsi qu'en France la réduction du nombre de commissions parlementaires permanentes de dix-neuf à six alloue à chacune d'elles un champ trop large pour leur permettre d'être compétentes. En outre, les commissions ont perdu le droit de substituer, lors des discussions en séance plénière, leur propre texte au projet législatif du gouvernement. De fait ; rares sont les Assemblées qui réunissent les conditions requises pour s'engager dans la consultation législative sur une haute échelle. À vrai dire, il n'y a qu'aux États-Unis que les chances de réformes Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 205 majeures soient bonnes dans l'immédiat. Ailleurs, on devra préalablement effectuer d'importantes réformes au parlementarisme avant de s'engager résolument dans la voie de la politique consultative. Ces nouveaux rôles permettront aux législateurs de tirer profit des possibilités de la politique consultative. Leur plein exercice va cependant requérir une vaste réforme s'étendant à l'ensemble du système politique. Il faudra se résoudre à bousculer de vénérables mais archaïques orthodoxies parlementaires et administratives qui paralysent l'esprit de réforme. Les gains escomptés sont appréciables : le recours lucide au procédé consultatif rapprochera les élus des forces vives et fera poindre une pousse de démocratie directe sur l'arbre centenaire de la démocratie représentative. Ainsi se confirmera l'ancienne vocation des Assemblées législatives d'être porte-parole et garantes de l'intérêt publie général. b) Consultation et administration. - L'examen un peu rigoureux des systèmes politiques a détruit le mythe de la ? séparation des pouvoirs ? qui fut longtemps, 137en particulier aux États-Unis, un dogme de foi . Mais on commence tout juste à dissiper une autre illusion entretenue depuis l'avènement des fonctions publiques modernes : celle d'une séparation radicale entre administration et politique alors qu'en pratique les deux sont intimement soudées l'une à l'autre. Et les pressions qui s'exercent aujourd'hui sur les systèmes politiques vont toutes dans le même sens : elles accroissent l'intégration de l'appareil administratif à l'organisation gouvernementale. Croire que l'administration est un simple ? instrument ? du gouvernement représente une troisième illusion, plus répandue encore que les deux précédentes. En réalité, l'administration est plutôt le maître à penser du 137 Parmi les services administratifs, on distingue ceux qui remplissent des tâches strictement administratives, comme les directions générales de ministères, ceux qui exercent des fonctions quasi législatives, telles certaines grandes régies ou agences et ceux, enfin, qui ont une compétence quasi juridictionnelle, comme les commission régulatrices. Ces trois types différents d'administrations sont bien caractérisés aux États-Unis mais on les retrouve à des degrés divers dans tous les pays. Pour les États-Unis, voir Marven H. BERNSTEIN, Regulating Business by Independent Commissions, Princeton University Press, 1955 ; William L. CAREY, Politics and the Regulatory Agencies, McGraw-Hill, New York, 1967 ; Thomas E. CRONIN et Stanford D. GREENBERG, op. cit. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 206 gouvernement et elle le devient chaque jour davantage. Loin de se borner à aider à l'application des lois, elle prépare les programmes qui servent d'inspiration aux ministres et députés. De fait, la défense de leurs programmes consume une part importante de l'énergie des fonctionnaires. Nombreuses et sévères sont les critiques à l'endroit des administrations. On dénonce leur lenteur, leur lourdeur et la résistance qu'elles opposent au changement. Ces critiques sont très souvent fondées. Que de projets de réformes politiques ont échoué ou ont été détournés de leurs fins premières pour s'être heurtés à l'incompréhension, à la mauvaise volonté ou au refus camouflé de fonctionnaires dont la collaboration sincère était pourtant obligatoirement requise pour le succès de l'entreprise. Se servant de leurs prérogatives comme de boucliers protecteurs et convertissant leur position en retranchements stratégiques, les fonctionnaires répugnent d'instinct à tout changement qui leur paraît comporter un risque pour leur sécurité ou leur carrière. S'ajoutent à ces motivations la bonne conscience et la morgue que procurent la garde et la connaissance des dossiers, la responsabilité d'interpréter et d'appliquer les lois et les règlements de même que, dans certains cas, la possession de certaines informations ou connaissances spéciales. Et pourtant, malgré tout le bien-fondé de ces critiques, de toutes les composantes du système politique, ce sont fréquemment les administrations qui acceptent le mieux certaines formes de changement et qui en tirent le plus grand profit. Non seulement les administrations absorbent-elles avec facilité le choc de la révolution technique, mais encore elles sont, dans certains de leurs segments, un moteur de cette révolution. Tandis que les parlements se complaisent dans leur splendide isolement et voient chaque jour s'accroître leur inutilité fonctionnelle, que les rouages gouvernementaux eux-mêmes, malgré la bonne volonté parfois émouvante des hommes, s'alourdissent toujours davantage sous l'effet des conventions vétustes qui les commandent, les administrations, au contraire, depuis un siècle, du moins dans leurs services créés précisément pour corriger la tendance proverbiale des vieux rouages à l'enlisement dans la routine, se sont admirablement pliées aux exigences du rendement et de la rationalité. Elles ont recueilli les meilleurs fruits du développement technologique tant sur le plan de l'organisation interne que sur celui des relations humaines. Elles détiennent Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 207 virtuellement le monopole des ressources spécialisées dont dispose un système politique à un moment donné. C'est à cette souplesse de certains de leurs services de pointe que les administrations doivent les transformations de leur organisation interne au cours des quatre dernières décennies. Et c'est surtout grâce à cette souplesse unique d'un segment de leur appareil administratif que les systèmes politiques ont jusqu'ici réussi à atténuer les tensions et à résorber les crises qui accompagnent l'accroissement constant des interactions de la dynamique sociale et de la dynamique politique. Une des manifestations les plus évidentes de cette souplesse consiste précisément dans l'aisance avec laquelle les rouages administratifs ont absorbé le procédé consultatif. De toutes les composantes du système politique, c'est l'administration qui a le plus contribué au développement de la politique consultative et qui, incontestablement, en a tiré le plus de profit. Et cela au point où plusieurs ne voient dans ce procédé qu'une ? technique de l'administration active ? alors que, par vocation, il constitue - à côté des partis, des groupes d'intérêt et des media de communication - un important mécanisme d'interactions systémiques. L'administration a réussi à mettre la consultation au service de ses objectifs propres. Or, la défense et la promotion de leurs objectifs est vitale pour les services administratifs. Elle les engage dans une dure lutte dont l'enjeu est parfois leur propre survivance. Cette lutte les met aux prises avec d'autres services administratifs, les députés, les gouvernants et le grand public. Pour avoir gain de cause, ils mettent en oeuvre toutes leurs ressources et font pression sur tous les points critiques du système. C'est ainsi que les grandes administrations, dans le but de promouvoir leur ? image ? et de ? faire valoir leurs programmes ?, non seulement auprès du public mais aussi auprès des autres composantes du système, disposent de services de publicité et de relations publiques. Aux États-Unis, cette technique a été poussée à un point tel que le Congrès a dû légiférer pour restreindre dans certains cas le recours, par les agences administratives, aux Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 208 services d'experts en publicité et pour prohiber l'emploi, par celles-ci, de fonds 138publics destinés à faire pression sur les législateurs . Dans ces luttes pour le prestige et la survivance, les administrations recherchent tout naturellement le support de la population. À cette fin, la technique de la consultation leur est spécialement utile. C'est ainsi que par référence au contexte canadien on a pu écrire : ? Quand les fonctionnaires rêvent d'un projet qui étende leur empire, ils ont recours à un comité consultatif pour obtenir l'appui du public... Par là même, ils engagent le ministère, sinon le gouvernement, et ils font naître en faveur de leur projet un groupe de pression qui 139autrement n'aurait pas existé ?. Dans la mesure même où, par le jeu des systèmes politiques, les administrations ont des intérêts particuliers à promouvoir, le simple recours à l'indignation morale, comme moyen d'endiguer les excès où cette poursuite peut les conduire, est parfaitement saugrenu et sans effet permanent. Ce sont les règles du jeu qu'il faut changer si une des composantes du système parvient à les faire servir indûment à son avantage. Il est bien certain que, grâce à un recours sagace au procédé consultatif, une multitude de services administratifs suscitent entre eux et leurs publics des sympathies dont ils peuvent tenter de tirer profit dans leurs luttes pour le pouvoir. Mais ce n'est là qu'un des multiples effets de la politique consultative. Et cet effet, il est possible de l'enrayer comme en font foi les pays où le procédé consultatif est devenu un instrument essentiel de gouvernement comme en Scandinavie et, à un degré moindre, en Grande-Bretagne. Le procédé consultatif noue entre fonctionnaires et publics des liens étroits favorables à la suppression des malentendus et à la création d'un climat de confiance réciproque. Ainsi se dissipent des conflits possibles et s'établissent des rapports mutuellement profitables aux parties. Mais des résultats aussi prometteurs peuvent être en partie annulés par la manipulation des délégués des publics par les fonctionnaires ou, inversement, par la perte de leur autonomie par les administrations au profit de groupes auxquels la consultation fournit l'occasion de Mousser leurs intérêts particuliers. Les fonctionnaires risquent de succomber à 138 Abraham HOLTZMAN, Interest Groups and Lobbying, Macmillan, New York, 1966, chapitre 5 ; V.O. KEY Jr., Politics, Parties and Pressure Groups, Thomas Y. Crowell, New York, 1964, chapitre 24. 139 THE INSTITUTE OF PUBLIC ADMINISTRATION, op. cit., 156-157. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 209 la tentation de manipuler les publics quand ceux-ci sont nombreux, faibles ou peu organisés ; à l'inverse, ils s'exposent à leur tour à devenir captifs de leurs publics quand ces derniers sont forts et que leurs intérêts sont homogènes. Quand, au surplus, les fonctionnaires se trouvent spontanément acquis à ces intérêts par leur profession d'origine ou la nature de leurs contacts personnels, il s'établit entre eux 140et leurs clientèles une complicité que les groupes exploitent à leur profit . Ainsi, l'Office américain des vétérans fait généralement siennes les revendications de l'Union des vétérans. Dans le cas où un même intérêt a plus d'un porte-parole au sein du conseil consultatif, l'administration jouit d'une plus grande indépendance. L'Office américain de l'agriculture se trouve dans cette situation. Sans doute, la principale organisation de fermiers, l'American Farm Bureau, tente souvent de lui en imposer. Mais l'Office contrecarre les efforts du Farm Bureau par une utilisation sagace des trois autres organisations nationales de fermiers dont les intérêts divergent souvent de ceux de leur grand partenaire. Le recours à une consultation intégrale, c'est-à-dire qui assure la représentation au sein des conseils de tous les groupes impliqués et non pas d'un seul groupe ou encore de quelques groupes coalisés, garantit le maintien d'un sain équilibre entre groupes et administrations. Nombre de commissions constituées de fonctionnaires et de représentants de groupes se couvrent du manteau de l'? apolitisme ? pour s'adonner à outrance à la poursuite d'objectifs dont la nature politique est indéniable. C'est ainsi que la prétention des commissions autorégulatrices américaines d'être neutres par rapport à la politique est une pure fiction. Fiction mystificatrice puisqu'elle leur permet de faire de la politique tout en échappant aux contrôles auxquels elles devraient se soumettre si leur vocation politique était franchement reconnue. Or, cette fiction survit même à la preuve - abondamment faite - que les commissions autorégulatrices s'attachent à la poursuite des intérêts de leurs membres, tant des fonctionnaires que des représentants de groupes. Le recours à tous les artifices pour masquer la tendance naturelle de semblables commissions à se ? politiser ? est donc pure hypocrisie de même que vaines sont les croisades visant à obtenir 140 Marven H. BERNSTEIN, op. cit. ; Williarn L. CAREY, op. cit. ; Arnold A. ROGOW, Harold D. LASSWELL, Power, Corruption and Rectitude, Prentice-Hall, Englewood Cliffs, New Jersey, 1963, 1-32 ; Yves WEBER, l'Administration consultative, 25-54. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 210 leur abolition. Il vaut mieux les prendre pour ce qu'elles sont, c'est-à-dire des mécanismes particuliers d'interactions systémiques. En tant que tels, les tâches qu'elles assument sont d'une nature doublement politique : véhiculer les demandes politiques des groupes et faire connaître les volontés des agents politiques. C'est ainsi que la façon à la fois la plus simple et la plus sûre de permettre aux régies, commissions régulatrices, groupes de travail mixtes, etc., de révéler au grand jour le caractère politique qui est en réalité le leur, c'est de les convertir en conseils officiellement consultatifs. Par exemple en Grande-Bretagne et en Suède, au lieu de prétendre à une indépendance par rapport à la politique qui ne peut être que fallacieuse, ces régies ou commissions s'articulent de façon plus ou moins intime à des rouages politiques. Cette articulation les conduit même parfois à adopter ouvertement des points de vue ? partisans ?. En Suède, la division de l'administration en deux réseaux distincts place la politique consultative dans une position de premier plan. Dans ce pays, en effet, l'administration se répartit, d'une part, en services restreints reliés directement aux ministères, dont la tâche consiste à préparer et à appliquer les mesures législatives et budgétaires et, d'autre part, en agences administratives verticales de dimension parfois considérable, dont la compétence s'étend aux secteurs d'activité et aux régions. C'est le gouvernement qui fonde et légitime les deux types d'administration. Toutefois, tandis que les administrations générales n'ont pas d'existence propre en dehors des ministères, les administrations verticales, qui se fondent sur le procédé consultatif, jouissent d'une large sphère d'autonomie et exercent parfois même une prérogative 141décisionnelle sans appel . La structure bicéphale de l'administration suédoise ouvre aux groupes, auxquels le Parlement et le gouvernement accordent une existence officielle, et aux administrations elles-mêmes une voie royale auprès des composantes internes du système politique. En même temps, elle accroît énormément les possibilités de la politique consultative. C'est ainsi qu'il n'est pas inusité de voir deux conseils consultatifs se prononcer l'un et l'autre au nom du gouvernement, mais de façon opposée, sur une même question. Sans doute, les agents impliqués ont généralement intérêt à empêcher semblable dénouement. La plupart du temps, 141 POLITICAL AND ECONOMIC PLANNING, Advisory Committees in British Government ; Gunnar HECKSCHER, ? interest Groups on Four Continents ?, University of Pittsburgh Press, 1958, 158-168. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 211 c'est au début du processus consultatif que les divergences de vue entre deux conseils différents se produisent, Le conseil le mieux organisé et qui offre les meilleures garanties d'un travail fructueux supplante son rival et continue seul la tâche. Si toutefois ce conseil se révèle en cours de route inadéquat, un autre, composé de personnes ayant des points de vue différents ou plus aptes à faire les nécessaires conciliations, peut lui être substitué. Cette éventualité n'a rien d'exaltant et, dans leur intérêt, les membres des conseils consultatifs s'efforcent de la prévenir. D'où le remarquable esprit de conciliation qui existe généralement au sein des conseils consultatifs. Le procédé consultatif, enfin, facilite l'articulation des régions aux centres de décision politiques. On doit même le considérer comme un instrument indispensable au succès de la décentralisation politique et de la déconcentration administrative, ces voies qu'empruntent de plus en plus les pays afin de corriger l'hypertrophie des organes politiques centraux de même que le sous-développement des régions excentriques. Le procédé consultatif procure une voix à ces régions défavorisées qui, pendant longtemps, n'ont eu comme porte-parole attitrés que leurs députés et quelques fonctionnaires isolés et sans influence. Jean-Luc Bodiguel écrit à ce sujet : ? Les organismes consultatifs doivent réserver une place aux particularismes régionaux car les sections régionales d'un groupement n'ont pas forcément la même façon de voir les choses que l'organisation centrale. Par là serait écarté le danger d'ignorer l'opinion véritable des organisations de 142? base ? . ? Le procédé consultatif constitue une pièce majeure des appareils mis en oeuvre dans plusieurs pays en vue de la création de réseaux administratifs déconcentrés et même de quasi-gouvernements régionaux au sein desquels députés, fonctionnaires et délégués de groupes collaborent. Le recours judicieux au procédé consultatif permet la greffe des groupes aux centres de décision régionaux, notamment aux instances régionales de planification, de même que la jonction de ces derniers aux centres de décision nationaux. Le succès de ces expériences de décentralisation politique et de déconcentration administrative n'est toutefois pas garanti d'avance. Les cas d'échec sont assez nombreux. Ici, la 142 Jean-Luc BODIGUEL., ? La consultation régionale, résultats, leçons ?, Expansion régionale, n? 49, 1968, 12. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 212 faiblesse des centres de décision régionaux prive la consultation de tout effet concret et conduit individus et groupes à l'apathie ou à la révolte ; là, le mauvais étagement des centres de décision régionaux et centraux est source de communications inadéquates ou même de ruineuses ruptures de contact ; là encore, ce sont les rouages consultatifs régionaux ou au sein des relais verticaux qui sont défectueux. L'ensemble de la mécanique socio-politique requiert de sérieux ajustements pour que l'application du procédé consultatif au niveau régional produise tous les fruits escomptés. Le recours à la consultation par les administrations pose de façon aiguë le problème de leur mise au service de l'intérêt public général. Deux tentations différentes doivent être surmontées. Tantôt ce sont les fonctionnaires qui succombent à la pression indue de groupes particulièrement puissants. Sous la contrainte de la force ou du chantage, dans la recherche des nécessaires compromis, ils peuvent témoigner d'une faiblesse excessive envers les grands groupes en adoptant leurs positions sans discernement ou sans examen sérieux. Tantôt, au contraire, ce sont les groupes qui se trouvent à la merci d'administrations puissantes qui utilisent la consultation surtout dans le dessein d'accroître leur pouvoir. Fortes des avantages que leur procurent la possession de connaissances spécialisées uniques et leur position stratégique au sein du système politique, les administrations font montre à l'endroit des délégués de groupes d'une arrogance qui ne favorise guère la patiente recherche de solutions communes à laquelle, pourtant, l'esprit de la politique consultative les convie. Dans la plupart des cas où des difficultés surgissent, ce n'est pas d'abord la politique consultative qui se trouve mise en cause mais plutôt les comportements des délégués des groupes ou les fonctionnaires. Est-il possible de trouver une formule qui empêche les conseils consultatifs au niveau de l'administration de dévier de leur vocation propre ? Il est illusoire de s'en remettre exclusivement à la ? haute conscience professionnelle ? des délégués de groupes et des fonctionnaires : en l'absence d'un code d'éthique explicite et de contrôles supérieurs, trop d'éléments subjectifs entrent en jeu pour permettre de juger convenablement de la conduite des membres des conseils consultatifs. Peut-on imaginer des procédures institutionnelles qui freinent la tendance normale des conseils consultatifs à identifier l'intérêt public général avec le jugement intéressé de leurs membres ? Ces procédures restent à inventer. On Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 213 peut cependant escompter que la mise au point d'une formule qui permettrait la représentation de tous les intérêts, forts ou faibles, au sein des conseils consultatifs offrirait un début, tout au moins, de solution. Le maintien de l'administration consultative au service de l'intérêt public général pose un problème d'autant plus aigu qu'il concerne au plus haut degré le bon fonctionnement du système politique dans son ensemble. Les décisions et actions du système politique (lois, règlements, ordonnances, décrets, etc.) s'imposent en effet à toute la société et sont censées répartir équitablement les coûts et les avantages parmi toutes les catégories de citoyens. Or, c'est à ce niveau surtout de l'administration que se formulent aujourd'hui, en pratique sinon en droit, les programmes d'action les plus décisifs pour l'ensemble de la société. L'habileté des fonctionnaires à plier la consultation à leurs besoins transforme celle-ci en un atout majeur de leur pouvoir. À défaut d'être une technique d'action au service du système politique tout entier, la politique consultative risque par là de devenir, si elle ne l'est pas déjà, un instrument de plus au service de visées technocratiques. c) Consultation et gouvernement. - Le procédé consultatif a soudé de façon très intime l'administration au gouvernement, c'est-à-dire à ce qu'on appelle l'exécutif, le Cabinet ou le Conseil des ministres. On ne sait, en fin de compte, qui sont les bénéficiaires de cette soudure : les fonctionnaires qui utilisent les instruments du pouvoir (ressources financières, connaissances spécialisées, contacts, secret) ou le gouvernement qui est censé procurer ces instruments dont il conserve, en principe, la maîtrise et qui est ultimement responsable de leur utilisation devant le peuple. Il importe certes que le gouvernement surveille l'action de l'ensemble des conseils consultatifs, quelles que soient par ailleurs leurs assises, et qu'en conséquence il coordonne leurs activités de façon à ce qu'ils soient constamment au service de l'intérêt public général. Cependant il n'en est pas toujours ainsi : l'administration se trouve sous plusieurs aspects stratégiques dans une position de quasi-autonomie. La seule façon pour le gouvernement d'affirmer sa suprématie et sa capacité réelle de contraindre les autres composantes centrales du système Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 214 politique, notamment l'administration, consiste finalement dans le développement de conseils consultatifs qui lui soient propres. De fait, après les administrations, ce sont les gouvernements qui ont adopté à l'égard de la politique consultative l'attitude la plus positive. Très souvent, la consultation administrative dépend directement des ministres responsables. Ceux-ci en ont sanctionné l'implantation, ont pu présider certaines séances des conseils, en ont suivi et peut-être inspiré les travaux ; ils reçoivent en outre les avis des conseils et, en l'absence de dispositions légales contraires, en principe tout au moins, décident en dernière analyse du sort de ces avis. De plus, dans plusieurs pays comme en Grande-Bretagne et en Suède, les gouvernements recourent fréquemment à la consultation au niveau même du Cabinet. Cette pratique procure à ce dernier une certaine indépendance par rapport aux administrations et confirme en même temps la respectabilité de la politique consultative. Le développement de la politique consultative aura certainement plusieurs conséquences sur l'évolution des gouvernements. Certains effets commencent à se préciser. La politique consultative a contribué à la transformation récente, souvent notée, des conditions d'exercice de la ? responsabilité ministérielle ?. C'est une fiction que de concevoir le Conseil des ministres comme un collège de personnes également compétentes, intéressées et influentes, quels que soient les sujets discutés. En réalité, dans les conditions ordinaires, les séances du Conseil des ministres consistent dans la présentation rapide par un ministre bien documenté, grâce aux bons offices de ses conseillers, d'un projet à propos duquel la plupart de ses collègues n'ont pas d'opinion précise et ne possèdent aucun moyen de porter jugement. La création de comités du Cabinet ayant la compétence de prendre des décisions dans des domaines précis, outre qu'elle renforce la position du Cabinet en faisant de lui un corps plus mobile, plus rapide et plus compétent, ne fait, en définitive, que consacrer officiellement la division du travail qui s'est depuis longtemps imposée dans la pratique. Lorsqu'une commission consultative donne à propos d'un projet un avis qui va dans le sens de la proposition du ministre responsable, la force de persuasion de celui-ci au sein du Cabinet ou d'un comité du Cabinet n'en sera que plus grande. Par contre, si l'avis va dans un sens opposé Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 215 à la proposition du ministre et de ses conseillers, le sort de cette proposition sera aléatoire. Et même, dans certains pays comme la Grande-Bretagne, il arrive que toute décision doive être reportée jusqu'à ce que de nouvelles négociations aient 143permis la réconciliation des points de vue . La même situation prévaut à l'occasion des débats parlementaires. Quand il présente ses projets de loi, le gouvernement, s'il peut s'appuyer sur l'avis favorable d'un conseil consultatif, triomphe aisément des objections de l'opposition ; dans le cas contraire, c'est l'opposition qui se trouve en position de force. Si la tâche des conseils consultatifs consiste à présenter un avis au ministre responsable, pour plusieurs raisons qui tiennent aux intérêts impliqués et au légitime souci d'efficience et de responsabilité chez les membres du comité, cet avis a généralement la portée d'une requête pressante et parfois d'un mandat exécutoire. À moins que la loi ne stipule que les recommandations du conseil doivent être transmises directement au Parlement pour examen et action, le ministre peut opposer son veto aux conclusions de ce conseil, mais, surtout en Grande-Bretagne et en Suède et à des degrés divers dans d'autres pays, c'est seulement dans des conditions exceptionnelles qu'il rejette catégoriquement les avis du conseil ou refuse d'agir dans le sens de ses propositions. De graves conflits peuvent suivre d'un désaccord complet entre les vues du conseil et celles du ministre. Quand de tels conflits se produisent, les parties en cause en profitent généralement pour remettre en question les modalités du processus consultatif. En outre, le recours à la consultation renforce la position du gouvernement auprès des divers publics et facilite la création d'un climat d'opinion favorable à ses projets. En effet, quand un conseil composé de délégués des groupes impliqués et d'agents politiques a d'avance approuvé et souvent aidé à formuler les programmes d'action du gouvernement, on doit s'attendre à ce que ces programmes, lorsqu'ils sont rendus publics, reçoivent l'approbation des porte-parole des intérêts impliqués et de l'opinion en général. Sans doute, il n'en est pas toujours ainsi. Les groupes, pour de multiples raisons légitimes, refusent de se voir liés à l'avance par l'avis du conseil et tiennent à maintenir une distinction 143 POLITICAL AND ECONOMIC PLANNING, Advisory Committees in British Government : Allen POTTER, Organized Groups in British National Politics, Faber and Faber, London, 1961, 198-227 ; S. E. FINER, Anonymous Empire. A Study of Lobby in Great Britain, Pall Mall Press, London, 1966. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 216 nette entre consultation et revendication. Par contre, les ministres ne conserveront pas longtemps la faveur du public si, dans la présentation de leurs programmes d'action, ils négligent systématiquement de tenir compte des avis des conseils consultatifs. Les gouvernements font actuellement face à une situation grave en elle-même aussi bien que dans ses conséquences possibles : ils se tiennent, malgré eux, dans un superbe éloignement du peuple. Un recours systématique à la consultation peut contribuer à permettre le rapprochement qui s'impose avec le peuple. La politique consultative constitue à l'heure actuelle - par la représentativité des intérêts qu'elle permet, les contacts réels et les informations concrètes qu'elle procure, les débats publics qu'elle suscite - une des méthodes les plus éprouvées qui permette aux gouvernants de gouverner avec le peuple. Cette méthode met leurs projets à l'épreuve comme le ferait un laboratoire et leur facilite la connaissance des demandes des groupes sociaux, elle crée un milieu éminemment propice à des échanges de vue préliminaires à la négociation et à la prise des décisions. La technique consultative représente, pour les gouvernants, un baromètre constamment fixé sur le peuple et qui leur donne la possibilité, à chaque moment, de constater le climat parmi les secteurs d'activité et au sein des régions. Par là même, elle favorise l'établissement des conditions propices à la mise en oeuvre de programmes politiques équitables pour tous les citoyens. Le recours sagace à une consultation qui les mette en contact immédiat avec les ? forces vives ? permet aux gouvernants de faire contrepoids, c'est-à-dire d'agir sur les tendances qui entraînent les sociétés dans toutes les directions en même temps. De la sorte, confiants de connaître les situations réelles, ils exercent avec maîtrise leurs responsabilités de coordonnateurs et d'ordonnateurs de dernière instance. S'il est en effet une composante du système politique à qui incombent la définition et la garde de l'intérêt public général, c'est bien le gouvernement. Celui-ci, cependant, s'en remet très souvent à d'autres instances, surtout à l'administration, pour l'exercice concret de cette responsabilité essentielle. Quand les ministres se prononcent sur le contenu de l'intérêt public général, c'est souvent en fonction de critères et de données dont ils sont inaptes à juger la validité. Le recours méthodique à la consultation par le gouvernement corrige jusqu'à un Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 217 certain point ces carences qui tiennent fondamentalement à la dimension colossale des systèmes politiques contemporains. Il a pour effet de concrétiser des questions que le gouvernement est, par ailleurs, le plus apte à résoudre dans le meilleur intérêt du plus grand nombre, et cela, sinon par la qualité des hommes qui le composent, du moins par l'ampleur des ressources dont théoriquement il dispose. Quant aux conséquences de la consolidation du procédé consultatif sur le 144système politique, il est certes prématuré de porter un jugement catégorique . La direction générale du mouvement demeure imprécise. Toutefois, l'examen des effets déjà visibles de la consultation sur les diverses composantes du système politique montre qu'elle influence ces dernières à des degrés divers et dans des directions opposées. Il est incontestable qu'elle contribue à modifier leur position relative les unes par rapport aux autres. Elle accentue la déchéance des Assemblées et consolide le pouvoir des administrations, peut-être même aux dépens de ceux qui sont officiellement investis de la responsabilité de gouverner, c'est-à-dire les ministres. L'essor de la politique consultative est concomitant à la grave crise politique qui sévit actuellement dans plusieurs pays. La consultation influera-t-elle sur les tendances en cours et, si oui, dans quel sens ? Le procédé consultatif englobe tout le système politique. Le décor institutionnel traditionnel demeure inchangé mais il n'est pas exclu que le procédé consultatif soit la source de profondes mutations. Il s'impose cependant de bien saisir la nature de l'évolution en cours. Ce n'est pas à l'essor de la politique consultative qu'il faut imputer les malaises actuels au sein du système politique. L'essor de la consultation politique est plutôt le résultat et le signe d'un état nouveau de société auquel toutes les parties du corps social s'efforcent tant bien que mal de s'adapter. Et il se peut qu'en cours de route 144 C'est ainsi qu'on considère le procédé consultatif comme une cause de retard dans le déroulement du processus politique. De toute évidence, il en est souvent ainsi dans le contexte actuel. Pareil résultat ne doit cependant pas être imputé au procédé consultatif lui-même mais aux conditions dans lesquelles il s'exerce. Trop souvent, par scrupule démocratique ou pour tenter de résorber des divisions profondes au sein de la société, on n'y recourt que dans les toutes dernières étapes d'un projet législatif. La consultation ne produit tous ses fruits que si elle se fait par le truchement de conseils permanents dotés de prérogatives précises et si elle débute dès qu'une question sociale devient problème politique, c'est-à-dire généralement bien avant la présentation d'un projet de loi. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 218 certaines organisations disparaissent et que d'autres prennent la relève. Que des ajustements s'imposent au sein des Assemblées, des administrations et des gouvernements qui n'ont pas évolué au rythme de la technologie et de la culture, que de nouveaux dispositifs doivent être imaginés, cela n'est pas douteux. L'âge vénérable que ces organismes ont atteint n'est pas de soi un gage de pérennité. 3. Représentations contradictoires de la politique consultative Retour à la table des matières L'impossibilité où nous sommes de juger de façon plus précise des effets ultimes de la politique consultative sur les composantes internes du système politique tient surtout aux ambiguïtés que comporte la notion même de politique consultative. L'identification de ces ambiguïtés permettra de déblayer les obstacles qui obstruent les voies de l'analyse. Une source majeure d'ambiguïté tient à l'organisation, au statut juridique et au fonctionnement de la politique consultative : la diversité des situations à l'intérieur d'un même système politique est extrême. Qu'il s'agisse des types de conseils consultatifs, de leurs relations avec les composantes internes du système politique ou avec les autres mécanismes d'interactions, des raisons d'être de leur existence et de leurs fonctions dans le processus politique, des contrôles juridictionnels qui les encadrent, du statut des membres quant à leur représentativité, droits et obligations ou des procédures de travail - sur ces points, il existe presque invariablement de larges zones d'imprécision qui permettent des définitions souvent opposées. Les agents politiques, qui sont d'ordinaire les membres les plus actifs et les plus influents des conseils consultatifs, favorisent souvent ces ambiguïtés qui les autorisent à prendre toutes les initiatives sans risquer d'enfreindre des règlements. Par contre, ces ambiguïtés sont fréquemment une cause d'embarras et de frustration pour les agents sociaux qui, étant de l'extérieur et plus ou moins bien informés sur les intentions de l'administration et du gouvernement, réclament des définitions plus précises et des points de repère plus stables. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 219 Ces ambiguïtés au niveau de l'organisation et du fonctionnement des conseils consultatifs expliquent la confusion des perceptions que les diverses catégories d'agents se font de la consultation elle-même ainsi que du statut des conseils consultatifs. Les parlementaires ont de la consultation une conception empreinte de naïveté et d'ignorance. Pour eux, elle ne représente qu'une forme plus ? apprivoisée ? de pression des groupes et c'est avec soulagement qu'ils voient les organisations, qui pourtant auraient été désireuses d'établir avec eux un mode de consultation, s'orienter finalement vers l'administration ou le gouvernement. Mais, en même temps, les députés adversaires d'un projet de loi s'empressent de faire état de l'avis d'un conseil consultatif si cet avis va dans le sens de leur propre position. Bref, dans leur très grande majorité et dans la plupart des pays, les députés ne voient pas dans la consultation une technique d'action susceptible de faciliter leur tâche et de hausser la position du Parlement dans le système politique. Ils y ont peu recours eux-mêmes, ne prisent guère son utilisation par l'administration ou le gouvernement et n'en font état que pour étayer leur argumentation dans les débats parlementaires. Le gouvernement, pour sa part, voit surtout dans la consultation une technique qui lui permet de soustraire à l'appareil administratif principal, jugé trop lourd, des tâches urgentes et complexes pour les confier à des rouages plus autonomes en même temps que plus sensibles à son influence. Il y voit également un moyen de mener des enquêtes, d'échanger des informations spécialisées, de sonder l'état des opinions, de concilier les divergences entre groupes, de faciliter aux publics intéressés la connaissance de ses intentions et de favoriser l'acquiescement général aux actions et aux décisions politiques. Il arrive que le gouvernement articule des rouages consultatifs aux structures gouvernementales elles-mêmes mais, le plus souvent, il les greffe sur les services administratifs les plus politisés et les plus dynamiques. De tous les agents appelés à participer à la consultation, ce sont les fonctionnaires qui s'en font la conception la plus précise. Mais cette conception elle-même est ambivalente. D'une part, les conseils consultatifs leur apparaissent comme des laboratoires pour éprouver la valeur d'un projet, un moyen de recruter des alliés, de susciter des courants d'opinion favorables à leur propre position et, parfois même, de se soustraire à leur responsabilité. Bref, les conseils consultatifs Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 220 représentent pour eux une source d'autorité, de prestige et de pouvoir. Mais, d'autre part, les fonctionnaires sont peu enclins à considérer les conseils consultatifs comme un milieu propice à l'approfondissement des questions. Ces derniers leur apparaissent fréquemment comme une source d'alourdissement de l'action administrative, une perte de temps, la négation même de la tournure technicienne de leur esprit. Les représentants des groupes d'intérêt qui siègent sur les conseils consultatifs voient dans la consultation un moyen privilégié de faire connaître le point de vue de leur groupe dans le cadre même du processus politique, de participer à la définition des problèmes, à l'élaboration des programmes et, finalement, d'influer sur la prise des décisions. Le procédé consultatif représente avant tout pour eux un instrument supplémentaire de pression, une des phases de leur combat politique. Et ce moyen supplémentaire de pression, nombre de groupes le jugent important. Aussi dépensent-ils beaucoup d'énergie pour se faire représenter au sein des conseils consultatifs. Mais il arrive qu'ayant conquis le droit de présence, ils ne montrent guère d'intérêt à l'égard des délibérations du conseil. Tout se passe comme s'ils estimaient que l'accréditation d'un délégué au sein du conseil offre à elle seule une garantie des bonnes dispositions des instances décisionnelles à leur endroit. Les groupes sont conscients qu'ils constituent la principale raison d'être de toute consultation. Ils connaissent également l'ampleur des ressources dont ils disposent et qu'ils peuvent engager ou au contraire retirer : une expérience directe du climat social, des informations pratiques et spécialisées uniques, le support des simples membres et le sentiment de leur indispensabilité lors de la mise en oeuvre de tout programme touchant leur secteur d'activité. Ces convictions justifient à leurs yeux les avantages considérables qu'ils attendent de la consultation. Par ailleurs, tout en étant soucieux de tirer le maximum de profit du procédé consultatif, les groupes se refusent, sauf dans des cas précis, à se déclarer à l'avance obligatoirement liés par les conclusions du conseil. Ils tiennent à conserver le droit de se dédire et de revendiquer. Sous la pression des simples membres dont, en dernière instance, ils doivent respecter la volonté quand elle s'exprime, les dirigeants de groupes se voient parfois contraints de dénoncer publiquement les conclusions que leurs délégués ou eux-mêmes ont auparavant endossées au cours de la consultation. Pareille situation est certes déplorable mais, dans le contexte des sociétés libérales, il Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 221 serait vain d'espérer qu'elle puisse être sensiblement corrigée. Exiger que la position adoptée au sein de conseils consultatifs soit sans restriction contraignante pour les groupes, équivaudrait à conférer un statut politique à ces derniers ou, plus exactement, à faire éclater l'enveloppe protectrice de la vie privée des individus. En outre, une telle exigence limiterait sérieusement le champ d'application du droit de revendication qui, dans les régimes libéraux, est premier, inaliénable et inconditionnel. Mais le maintien du droit de contestation par les groupes impliqués dans le processus de la consultation place les agents sociaux dans une position contradictoire. D'une part, l'atmosphère de camaraderie qui s'établit au sein des conseils consultatifs entre les porte-parole des intérêts rivaux ainsi que la commune recherche de solutions rationnelles, qui est la raison même d'être des conseils consultatifs, les poussent à la coopération ; mais, d'autre part, l'opposition essentielle dans la chaîne de commandement que la politique consultative laisse subsister entre gouvernants et gouvernés perpétue la nécessité pour eux, sous l'instigation des simples membres et dans l'intérêt du groupe, de tenir en réserve et, 145. au besoin, d'employer les techniques de division On ne supprimera les ambiguïtés trop manifestes de la politique consultative que par la clarification des prérogatives qui doivent lui être reconnues de même que par la détermination aussi précise que possible de la position qui doit lui être assignée dans le système politique. 145 La position ambiguë des groupes à l'endroit de l'autorité dont doit disposer le conseil consultatif devient manifeste quand il s'agit de décider du statut concret des membres et de la publicité qu'il convient d'accorder aux conclusions du conseil, L'absence de dispositions juridiques sur ces questions dénote des divergences de vues considérables parmi les catégories de membres du conseil. Les fonctionnaires souhaitent le plus souvent que les membres siègent à titre personnel et que les délibérations et les conclusions du conseil soient tenues confidentielles. Quant aux groupes, ils désirent généralement que leurs membres siègent en tant que leurs délégués et favorisent la publicité des délibérations et des conclusions du conseil. Mais leur souci de maintenir leur autonomie par rapport au Conseil atténue grandement la conviction avec laquelle ils expriment leurs arguments. L'ambiguïté de la position des groupes est bien plus prononcée quand il s'agit de consultations facultatives ou obligatoires que dans les cas de consultations exécutoires. Quand, en effet, l'avis consultatif lie les agents politiques et le gouvernement lui-même, les agents sociaux acceptent plus volontiers de s'obliger eux-mêmes. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 222 II. CONSEILS CONSULTATIFS, PARTIS ET GROUPES D'INTÉRÊT Retour à la table des matières Les conseils consultatifs représentent un mécanisme d'interactions du système social et du système politique d'un caractère tellement particulier qu'on est tenté de conclure qu'ils diffèrent essentiellement des partis, des groupes d'intérêt et des media de communication. Néanmoins, les liens organiques et fonctionnels qui rattachent les conseils consultatifs aux autres mécanismes d'interactions sont solides et leur procurent certains de leurs traits essentiels. Les relations qu'ils entretiennent avec les media de communication paraissent plutôt ténues : elles concernent surtout la question souvent soulevée de la publicité des délibérations et des conclusions des conseils consultatifs. Par contre, leurs rapports avec les partis et les groupes d'intérêt sont beaucoup plus nombreux et fort complexes. Il convient de s'y arrêter. Les conseils consultatifs, par comparaison aux partis et aux groupes d'intérêt, procurent aux agents politiques un moyen plus direct et plus spécifique de communiquer avec les groupes. Les agents politiques sont même enclins à considérer ce moyen comme un simple prolongement des composantes internes du système politique, plus particulièrement de l'administration. Le fait toutefois que des lois spéciales régissent souvent les compétences et les procédures propres aux conseils consultatifs de même que les attributions des diverses catégories d'agents sociaux et politiques qui en font partie oblige à nuancer cette façon de voir. Pour les agents sociaux, les conseils consultatifs apparaissent comme une voie supplémentaire d'accès au système politique, un autre lieu privilégié où ils peuvent faire état de leurs revendications politiques. Ils perçoivent facilement les différences entre ces méthodes d'action et les autres moyens à leur disposition. C'est ainsi que J'accessibilité des agents politiques est automatique pour tous les groupes représentés aux conseils, alors qu'elle est aléatoire quand ils agissent par le truchement des groupes d'intérêt et lointaine ou douteuse lorsqu'ils empruntent la voie des partis. En même temps, ils se rendent tôt compte que les règles du jeu Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 223 sont beaucoup plus précises et contraignantes au sein des conseils consultatifs 146qu'à l'intérieur des groupes d'intérêt ou des partis . Les contacts entre agents sociaux et agents politiques au sein des conseils consultatifs sont d'une valeur inestimable. Par l'intimité et la franchise des échanges qu'elle rend possibles de même que par la portée des conclusions auxquelles elle aboutit, la consultation ne peut manquer d'avoir de profondes répercussions au sein de la société. Par contraste avec la politique partisane qui discrimine entre sympathisants et adversaires et la politique des groupes d'intérêt qui favorise certaines organisations au détriment d'autres organisations, la consultation permet la confrontation et la réconciliation de tous les points de vue, la présence d'agents politiques au sein des conseils offrant la garantie qu'on 146 Bien que des individus non affiliés siègent souvent aux conseils consultatifs, notamment à titre de spécialistes, pour l'ensemble, les agents sociaux appelés à la consultation viennent généralement des associations. À première vue, il paraît donc légitime de considérer la participation des associations aux conseils consultatifs comme une simple technique supplémentaire de leur action politique. Et comme la consultation apparaît surtout comme un procédé administratif, on est également justifié de dire que, pour les groupes d'intérêt, la consultation est à l'administration ce que le lobbying est à la législation. Le souci de permettre au procédé consultatif d'atteindre sa véritable stature oblige cependant à plus de rigueur. Groupes d'intérêt et conseils consultatifs se distinguent sous plusieurs aspects. En premier lieu, par leur composition : les premiers sont constitués exclusivement d'agents sociaux tandis que les seconds comprennent obligatoirement des agents sociaux et des agents politiques. En second lieu, par la forme de leur action : les voies d'action accessibles aux premiers (lobbying, etc.) les laissent à l'extérieur du système politique tandis que les seconds permettent la négociation et autres procédés qui conduisent agents sociaux et agents politiques à œuvrer ensemble de l'intérieur du système politique. En troisième lieu, par la nature de leur action : tandis que l'action des premiers est souvent occulte et furtive, celle des seconds est publique et officielle. En quatrième lieu, par l'effet de leur action : les premiers laissent agents sociaux et agents politiques étrangers les uns aux autres et les maintiennent dans une situation virtuellement conflictuelle alors que les seconds nouent de solides liens entre les deux catégories d'agents et les mènent sur la voie de la concertation. Enfin, par la nature de leur statut officiel : les conseils consultatifs, généralement créés par les agents politiques, ont un certain degré d'existence juridique ; les groupes d'intérêt sont les prolongements que les associations volontaires se donnent pour mener leur combat politique et, en tant que tels, ils n'ont pas de statut politique défini. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 224 tentera de faire émerger l'intérêt public général. Si la vocation des mécanismes d'interactions est de permettre un ajustement des points de vue entre agents sociaux et agents politiques, cet ajustement ne se fait pas de la même manière selon qu'il s'agit des partis, des groupes d'intérêt ou des conseils consultatifs. Les premiers procèdent par favoritisme, les seconds, par contrainte externe, et les 147derniers par accord mutuel . 1. Consultation et partis Retour à la table des matières Les partis politiques sont généralement exclus des conseils consultatifs. On craint qu'en s'insinuant dans les délibérations des conseils l'esprit partisan ne brouille des situations parfois bien délicates et ne fomente le favoritisme. Là où siègent des fonctionnaires, cette exclusion est absolue. Leur souci d'éviter au sein des conseils la présence de clans, source de points de vue partiels, de même que la montée de sentiments contraires àla rationalité et à l'efficacité des délibérations est tel que les fonctionnaires préconisent généralement que les membres siègent à titre personnel plutôt que comme délégués de leurs organisations respectives. Bien que les partis soient officiellement absents des conseils, leur voix s'y fait néanmoins assez souvent entendre. Les relations étroites qu'ils entretiennent avec certains groupes, la ? politisation ? de certains fonctionnaires ou agents sociaux, la présence de députés ou encore la sollicitude plus lointaine de ministres, 147 Ce sont là évidemment des caractérisations très grossières visant à fixer les contrastes entre les méthodes d'action des mécanismes d'interactions plutôt qu'à identifier avec précision ces méthodes d'action. Le favoritisme, nous l'avons vu, n'est pas la seule visée des partis, surtout quand on se situe dans une optique évolutive. De même, la violence et les menaces sont loin d'être les seuls procédés des groupes d'intérêt. Ils peuvent aussi recourir à la persuasion, à l'offre de leurs bons offices, etc. Tout en n'ayant pas clairement à l'esprit nos mécanismes d'interactions, Charles E. LINDBLOM a proposé une caractérisation qui se rapproche de la nôtre. Il parle en effet de ? coordination through partisan mutual adjustment ?, de ? coordination through manipulated adjustment ? et de ? coordination through Central Decision making bodies ?. Dans The Intelligence of Democracy. Decision Making Through Mutual Adjustment, The Free Press, New York, 1965. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 225 permettent qu'il en soit ainsi. En Grande-Bretagne, les représentants des unions ouvrières expriment le point de vue du parti travailliste, les délégués des associations patronales, celui du parti conservateur. En Italie, la parentela que le parti démocrate chrétien pratique à l'endroit de certains groupes lui garantit des sympathies certaines au sein des conseils. En Allemagne, aux États-Unis et à vrai dire dans tous les pays, existent de larges brèches par où les partis peuvent s'infiltrer dans les conseils. Si les partis, malgré leur exclusion officielle des conseils consultatifs, parviennent souvent d'une façon ou d'une autre à s'y introduire, cette présence indirecte et non avouée ne contribue guère à leur prestige. Au contraire, le développement de la politique consultative doit être considéré, à côté de la montée des groupes d'intérêt et du déclin des Parlements, comme une source majeure de la récente mise en question des partis. La politique consultative, en même temps qu'elle noue des liens étroits entre agents sociaux et agents politiques, accentue l'éloignement des partis d'avec les forces vives. Dans l'État et le Citoyen, le Club Jean Moulin exprime très bien ce sentiment parmi les groupements syndicaux en France : Dirigeants et cadres de certains groupements de caractère syndical ou para-syndical (C.f.t.c.) se sont trouvés... associés de près ou de loin aux travaux de commissions ou de comités qui participaient à la préparation et à la mise en oeuvre de décisions politiques dans le domaine économique, social et culturel. Ils ont pris conscience des problèmes politiques sous un jour limité mais concret à partir de leurs préoccupations immédiates et sans passer par l'intermédiaire des grandes machines partisanes. Cet accès direct semble les avoir libérés d'une certaine timidité à l'égard de la politique en même temps qu'il leur a mieux fait prendre conscience des raisons, jusque-là confuses et assez instinctives, de leur 148réticence à l'endroit des partis traditionnels . Nous sommes ici au début d'une évolution dont l'issue est encore incertaine. Cette évolution sourd du besoin d'un style d'action plus direct et plus exigeant, en même temps que plus souple et plus conforme aux normes d'efficience, que celui que les partis ont adopté. Par ailleurs, les interlocuteurs que les porte-parole des 148 CLUB JEAN MOULIN, l'État et le Citoyen, Éditions du Seuil, Paris, 1961, 172-173. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 226 groupes estiment souvent les plus valables, c'est-à-dire les fonctionnaires, sont absents des cénacles partisans. La consultation constitue une méthode politique bien adaptée au contexte d'aujourd'hui. Sa mise en place conserve aux partis l'exercice de leurs fonctions traditionnelles mais elle en restreint sérieusement l'importance relative. Par opposition aux partis qui se targuent, souvent de façon manifestement abusive, de définir et de satisfaire les besoins des citoyens par des techniques qui font surtout appel à l'imagination et aux sentiments, le processus consultatif oblige à la patiente découverte des besoins réels et à la recherche de solutions rationnelles et raisonnables. Tandis que, par son contexte même tout autant que par son contenu, la discussion partisane est passionnée et centrée sur les personnes plutôt que sur les situations, la consultation obéit aux règles de la discussion en comité et s'axe sur la recherche de compromis : la première est une technique politique à ? haute température ? et atteint son meilleur rendement à l'occasion des campagnes électorales ; la seconde représente une formule d'action politique à ? basse température ? éminemment propice à l'étude des problèmes et à l'inventaire des choix. Mais, comme le montrent les partis réformistes et même certains partis à vocation gouvernementale, ces derniers ne sont pas exclusivement liés à leur tâche électorale ni à celle de recrutement d'une partie du personnel politique, qu'ils poursuivent d'ailleurs ordinairement avec bonheur. Les partis ont une tâche de relais intersystémique certaine à remplir. Dans le passé, cet objectif fut relégué au dernier rang. Récemment, toutefois, théoriciens comme praticiens ont fait grand état de la fonction d' ? animation ? des partis. Certes, à en juger par les timides expériences menées à grands renforts de publicité mais trop souvent demeurées sans lendemain, la probabilité de la création prochaine de ? partis d'animation ? ou, comme nous les avons appelés, de stratèges-animateurs, est faible. Chez la plupart des partis, le processus qui conduirait à l'émergence de partis de stratèges-animateurs n'est pas encore sérieusement amorcé et des hommes de parti sincères cessent, après bien d'inutiles efforts, de croire à la possibilité de réformes profondes. Mais si les partis parviennent à s'engager résolument dans cette voie difficile mais prometteuse, ils adopteront tout naturellement la Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 227 technique consultative en la modelant conformément à leur destin propre et, de la sorte, ils retrouveront sans aucun doute un regain de vitalité. 2. Consultation et groupes d'intérêt Retour à la table des matières Autant les partis sont à la marge des conseils consultatifs, autant les groupes d'intérêt s'y tiennent au centre. Par les associations dont ils émanent, les groupes d'intérêt se trouvent à participer directement à toute consultation. Au sein de tout conseil consultatif, ils remplissent un rôle capital. Sans leur présence, la consultation n'a plus de raison d'être et sans leur collaboration active, elle traîne en longueur et n'aboutit nulle part. On connaît malheureusement assez mal les rapports qui se nouent entre conseils consultatifs et groupes d'intérêt. On affirme souvent que la consultation représente un effort en vue d'? institutionnaliser ? ou d'? apprivoiser ? la politique de ? pression ? et que le développement de la première entraîne la diminution de la seconde. Ces jugements ne sont cependant pas fondés. C'est ainsi qu'en Grande-Bretagne, où un grand nombre de conseils consultatifs ont, depuis trois décennies, été créés au sein de l'administration et du gouvernement, on ne décèle aucun 149déclin dans les activités des groupes d'intérêt . Des conditions semblables prévalent sans doute dans d'autres pays. L'absence de relation apparente entre l'importance des conseils consultatifs et les activités des groupes d'intérêt est imputable au fait que les deux types de mécanismes remplissent leur fonction d'interactions systémiques d'une manière fort différente. En premier lieu, tandis que l'action des groupes d'intérêt ne permet généralement qu'un contact superficiel et furtif entre agents sociaux et agents politiques, les conseils consultatifs produisent la greffe directe des demandes et 149 S. E. FINER, Anonymous Empire. A Study of the Lobby in Great Britain, Pall Mall Press, London, 1966, 25, 31, 33, 36. Selon Finer, les groupes préfèrent recourir aux techniques du lobbying pour la défense ou la promotion d'intérêts momentanés ou d'importance secondaire et s'orientent vers la consultation pour les questions d'intérêts permanents ou de première importance. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 228 des soutiens sociaux sur l'appareil politique ; en second lieu, alors que, par suite de leur division interne ou de leur manque d'organisation, les groupes d'intérêt, sur nombre de questions, sont impuissants à appliquer une pression vraiment ferme, les conseils consultatifs s'étendent sans restriction à tous les besoins sociaux (v.g. les conseils de la famille, les comités pour la consommation, etc., qui s'occupent de problèmes fort importants mais qui ne suscitent guère d'activités de pression organisées) ; enfin, s'il arrive parfois que les agents politiques soient à l'origine d'activités de pression, dans le cas de la consultation, ils en sont généralement les initiateurs et, par la suite, les plus, fermes protagonistes. La politique consultative est source d'un accroissement considérable du poids des groupes sur les centres de décision politiques. Dans nombre de cas, certes, par l'exploitation habile des divisions parmi les groupes, de l'inexpérience ou encore du manque d'information de leurs délégués, les agents politiques membres des conseils, notamment les fonctionnaires, parviennent à dominer les délibérations. Mais les avantages dont ils profitent sont dans une bonne mesure seulement temporaires. Les délégués des groupes, désarçonnés pendant un certain temps, finissent par se ressaisir et surmontent ces désavantages initiaux. Ils prennent bientôt conscience des atouts en leurs mains et ils mettent en oeuvre une stratégie qui peut varier selon les circonstances. Tantôt ils menacent de retirer leur soutien qui est indispensable au bon déroulement des travaux du conseil. Dans d'autres cas, ils en appellent à des instances politiques supérieures susceptibles de trancher les litiges en leur faveur. Ils peuvent enfin s'en remettre au tribunal de l'opinion publique qui est généralement bien disposée à l'endroit de groupes aux prises avec une technocratie ? arrogante ? ou avec des ? politiciens tyranniques et stupides ?. Malgré des déboires assez nombreux dont on fait souvent état, les groupes, dans la politique consultative, disposent d'un instrument de première valeur pour pénétrer profondément le système politique et, par là même, exercer une influence directe et profonde sur les décisions qui s'y prennent. Selon l'heureuse formule de Jean Meynaud, le procédé consultatif marque ? le début d'un procédé d'intégration 150permanente des intérêts organisés à l'appareil gouvernemental ?. 150 Jean MEYNAUD, Nouvelles Études sur les groupes de pression en France, 241. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 229 Il faut veiller à ce qu'un outil d'une si grande importance, par suite d'une utilisation non équitable ou maladroite, ne contribue à accroître les inégalités que les conditions socio-économiques et les circonstances de la vie ont déjà créées entre les groupes. Certes, les conseils consultatifs sont en principe accessibles aux groupes puisque le processus consultatif même requiert leur présence. Mais, en pratique, on constate que les groupes tirent un profit fort inégal de la politique consultative. Certains groupes se destituent eux-mêmes et boudent le processus consultatif alors que d'autres exploitent au maximum l'occasion qu'il leur fournit de se faire entendre. C'est ainsi qu'en France les unions ouvrières ne consentent qu'à une présence mitigée au Conseil économique et social et n'offrent qu'une collaboration parcimonieuse à l'élaboration du Plan tandis que les chefs d'entreprise déploient dans les deux cas une activité fort intense. En choisissant de restreindre ses contributions à ces importantes assises, le monde syndical renforce la tendance pro-capitaliste du Conseil économique et social et du Plan. Dans les termes de François Perroux : la Le monde du travail n'exerce pas d'influence prépondérante, ni même d'influence vraiment efficace sur le choix des moyens. La planification indicative en France, moyennant des concessions sociales que l'on peut juger très timides, valorise et renforce l'économie décentralisée de type 151capitaliste . ? Cette position de demi-refus à l'endroit de la consultation de la part du monde du travail est évidemment préjudiciable à ses intérêts. On comprend que, dans ce champ encore mal défriché, les groupes qui se sentent vulnérables ou menacés s'engagent avec prudence. Mais dans le dur combat politique qu'ils livrent pour s'assurer d'une part équitable du fruit du labeur collectif, ces groupes ne peuvent indéfiniment se contenter d'intervenir du dehors, contester sans se lier. Les 151 François PERROUX, le IVème plan français, Paris, 1963, 109. Sur les 3 138 personnes qui participèrent à l'élaboration du IVe plan, il y eut 281 syndicalistes, soit moins de 10 pour cent, pour 715 chefs d'entreprise, soit près de 25 pour cent. Andrew SHONFIELD exprime une option similaire ; selon lui, en effet : ? Le développement de la planification française peut être considéré comme une collusion volontaire entre les hauts fonctionnaires et les dirigeants des grandes entreprises. Les hommes politiques et les représentants des unions ouvrières furent largement laissés pour compte. La conspiration en vue de l'intérêt public entre la grande entreprise et les hauts fonctionnaires a réussi dans une large mesure parce qu'elle sert l'avantage des deux parties.) Dans Modern Capitalism, 128. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 230 remarques d'Étienne Borne concernant l'engagement mitigé du syndicalisme français à l'endroit des partis valent également à propos de la politique consultative : Si le syndicalisme libre persiste à prendre ses distances à l'égard des partis, pour indéfiniment les influencer du dehors, les contester, les juger, s'il se limite toujours à la revendication même la plus légitime, il ne sera au total que le plus honorable, le plus honnête et le moins clandestin des groupes de pression, mais il aura manqué cette reconversion et cette promotion politiques indispensables à l'avenir de la démocratie. Le syndicalisme ne peut pas à la fois vouloir s'engager et éviter avec soin les servitudes de l'engagement. Participer à la vie démocratique, c'est à la fois maintenir des exigences et accepter des responsabilités, rompre avec une certaine sorte de pureté abstraite, formelle et qui finit par ne savoir 152s'exprimer que dans la négation et l'opposition . III. STATUT DE LA POLITIQUE CONSULTATIVE DANS LES SOCIÉTÉS LIBÉRALES Retour à la table des matières Quand elle cesse d'être un phénomène non officiel et non organique pour devenir une procédure organique obligatoire et parfois même exécutoire, la consultation devient une puissante technique de concertation au sein des sociétés libérales. En obligeant les agents politiques à reconnaître et à surmonter les contradictions au sein des classes et des groupes sociaux, elle brise le cercle de la logique close du conflit dans laquelle les agents sociaux et politiques se meuvent tant qu'ils œuvrent isolément et à contre-courant les uns des autres. Elle introduit un élément de dialectique au sein même des composantes internes du système politique : elle humanise l'administration, soulage le législatif de ses tendances schizophréniques et rompt la bruyante solitude des gouvernements. Elle crée des conditions propices à l'émergence d'une solidarité commune et d'une unanimité essentielle. À l'issue de la consultation, il n'y a, en général, ni vainqueur, ni vaincu, 152 Étienne BORNE, dans René RÉMOND et coll., la Démocratie à refaire, Les Éditions ouvrières, Paris, 1963, 183. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 231 ni violence, ni répression, mais des partenaires qu'unit un large consensus sur les fins et les moyens dans un secteur spécifique d'action collective. Dans le contexte des sociétés libérales, agents sociaux et agents politiques préfèrent souvent d'autres méthodes aux démarches de la consultation : les premiers, le recours à des pressions qui les laissent à l'extérieur du système politique, c'est-à-dire les modes d'interactions propres aux groupes d'intérêt ; les seconds, le procédé traditionnel des réglementations, ordonnances et décrets émis de façon unilatérale, c'est-à-dire sans impliquer directement les agents sociaux dans le processus politique. Les conditions propres à permettre la bonne marche de la consultation sont en effet fort exigeantes. Dans la plupart des pays, la consultation remplit rarement toutes ses promesses. Souvent on enregistre un constat d'échec partiel ou même total. Ces échecs engendrent à son endroit le scepticisme, sinon la suspicion. Les craintes ou hésitations qu'elle suscite, jointes à la nécessité pratique d'y recourir, expliquent l'utilisation malhabile et erratique qu'on en fait de même que l'imprécision de son statut politique. L'ambiguïté de la consultation transparaît dans les accusations de corporatisme qu'on porte à son endroit, dans les problèmes qu'elle soulève concernant la valeur de la représentation qu'elle permet, dans la confusion qu'elle est censée créer entre l'intérêt public particulier et l'intérêt public général et dans l'imprécision du rapport qui la lie avec la prise de décision. 1. Consultation et corporatisme Retour à la table des matières Non seulement la consultation resserre-t-elle les liens entre agents sociaux et agents politiques mais encore elle tend à modifier la nature même de la relation politique telle que le régime libéral l'institue. La consultation, en effet, introduit le groupe dans la relation politique. Cette dernière en devient plus concrète et plus particularisée. Cette acquisition de nouveaux traits risque toutefois de se faire aux dépens de l'objectivité, de la généralité et de l'universalité que le credo libéral prescrit comme normes de la relation politique. D'où de fortes réticences à l'endroit de la consultation. Par la création de corps particuliers naturellement portés à étendre au maximum leurs prérogatives et leur champ d'action, la Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 232 consultation n'aboutit-elle pas au morcellement du système politique en fractions nombreuses correspondant aux professions, aux secteurs d'activité, aux régions, de même qu'au fractionnement de la capacité de décision en une multiplicité de volontés quasi souveraines et plus ou moins coordonnées dans des structures centrales échappant à l'emprise des citoyens dans leur ensemble ? Cette crainte d'un ? dessaisissement ? des centres de décision officiels par les conseils consultatifs vise surtout les Parlements, mais il arrive qu'elle s'étende aux administrations régulières elles-mêmes. L'intensification indéfinie de la consultation, estime-t-on, peut conduire à la création de Chambres économiques et professionnelles qui déposséderont les Parlements de leurs prérogatives de législateurs souverains. De même, dit-on, la croissance de l'administration consultative dont bénéficieront surtout les services verticaux entraînera la déchéance et la mise en tutelle des administrations générales. Le développement de la consultation aboutirait donc au remplacement du gouvernement du ? peuple ? par un gouvernement de ? corps ?, à la substitution de la démocratie ? juridique ? par une démocratie ? fonctionnelle ?. Ce pessimisme est-il justifié ? Il faut se garder de jugements fondés sur des représentations partielles ou franchement erronées de la réalité. C'est ainsi, qu'outre l'intensification de la consultation, plusieurs facteurs contribuent à la déchéance récente des Parlements, dont on exagère d'ailleurs l'importance réelle qu'ils ont pu avoir dans le passé. Par ailleurs, on perçoit souvent la consultation de façon globale et univoque. En réalité, nous l'avons vu, la notion de consultation couvre une grande variété de processus distincts et fort différents les uns des autres. La plupart des modes consultatifs s'articulent facilement aux rouages politiques des sociétés libérales. À vrai dire, seules les consultations exécutoires pourraient éventuellement contribuer à réorienter les sociétés vers le corporatisme. Encore faudrait-il qu'elles soient coordonnées et unifiées dans des rouages centraux et que ceux-ci tendent à se substituer aux composantes internes régulières du système politique. Or, semblables rouages n'existent qu'à l'état embryonnaire. Nulle part ne trouve-t-on de Chambres économiques et professionnelles dotées d'attributions leur permettant de supplanter fonctionnellement les Parlements ou les administrations régulières. Et il est douteux que de telles Chambres se créent dans le proche avenir. Le courant depuis quelque temps va plutôt en sens inverse. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 233 Que la procédure consultative tende à injecter dans le système politique des éléments corporatistes, cela par contre n'est pas douteux. C'est ainsi que les conseils consultatifs ? verticaux ?, c'est-à-dire constitués de fonctionnaires chargés d'un secteur socio-économique ou professionnel et de délégués des groupes de ce secteur, sont particulièrement enclins à se substituer aux instances régulières, surtout s'ils se sont vu attribuer des prérogatives quasi législatives, quasi gouvernementales et quasi juridictionnelles. D'ailleurs, il y va de l'intérêt commun de ces fonctionnaires et représentants de groupes de chercher à étendre indéfiniment leurs prérogatives : ils partagent les mêmes visées, sont aux prises avec les mêmes difficultés et, dans certains cas, ils ont les mêmes adversaires. Si le secteur impliqué est considérable, par exemple s'il recouvre une profession entière ou encore l'ensemble du patronat ou du monde ouvrier, il y a risque de dessaisissement de l'Assemblée et de l'administration régulière au profit du conseil consultatif en ce qui touche le secteur d'activité impliqué et même, eu égard à l'importance sociale souvent considérable de ce secteur, jusqu'à un certain point, en ce qui concerne l'ensemble de la politique gouvernementale. Les pays réagissent de façon différente à ces tendances. Dans certains cas, comme en Suède et, à un degré moindre, en Italie où la pratique de la consultation verticale est particulièrement intense, non seulement ne cherche-t-on pas à les contrecarrer, mais même on avoue sans répugnance l'orientation corporatiste que la consultation imprime au régime politique. Dans d'autres cas, beaucoup plus nombreux, on cherche plutôt à contrarier ces tendances corporatistes : soit en tenant fermement sous contrôle les conseils consultatifs par la mise au point d'une procédure sévère qui garantisse leur subordination par rapport aux rouages réguliers, soit encore en veillant à diversifier la composition des conseils consultatifs de façon à prévenir qu'un intérêt public particulier, à la faveur d'une coïncidence d'objectifs entre agents sociaux et agents politiques, ne s'érige en pouvoir parallèle et ne se substitue graduellement aux rouages responsables de la 153poursuite de l'intérêt public général . Aucune des méthodes visant à freiner les tendances corporatistes de certains modes consultatifs n'entraîne toutefois d'effets 153 Voir Jean MEYNAUD, Planification et Politique, Études de science politique, Lausanne, 1963, 161-165 ; Maurice CROIZAT, ? Les incidences de la planification sur les structures ?, l'Actualité économique, vol. 42, n? 1, 1966, 27. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 234 automatiques. C'est ainsi que si les membres d'un conseil consultatif sont suffisamment solidaires les uns des autres, ils peuvent déjouer les procédures les plus strictes visant à contrôler leurs activités et à contenir leurs ambitions. Par ailleurs, la présence au sein des conseils consultatifs de personnes moins directement impliquées ou encore représentant des intérêts rivaux risque 154d'entraîner des conflits internes graves pouvant paralyser l'action des conseils . Il n'y a, en définitive, qu'un seul moyen sûr d'éjecter des systèmes politiques les germes corporatistes que la consultation risque d'y introduire : la suppression radicale du procédé consultatif lui-même. D'aucuns préconisent cette solution mais ils représentent dans tous les pays une minorité parmi les praticiens aussi bien que chez les spécialistes. Il est d'ailleurs possible que la greffe de certains éléments corporatistes sur les régimes libéraux, dont le juridisme extrême sert trop souvent de paravent à la perpétuation de droits acquis injustifiables, si elle se fait de façon méthodique et contrôlée, produise des effets bénéfiques pour les systèmes politiques. 2. Consultation et représentation Retour à la table des matières Le procédé consultatif procure aux groupes un moyen non négligeable de représentation politique. Il comporte même des avantages certains sur les Assemblées législatives, pourtant considérées dans les sociétés libérales comme le rouage représentatif par excellence. Ainsi, les députés viennent de circonscriptions électorales dont le découpage suit tout autant des caprices de l'Histoire, des contingences géographiques ou de considérations d'ordre partisan que du souci de refléter les conditions socio-économiques, les régions et les grands secteurs d'activité. En outre, le nombre forcément restreint des députés de même que leurs caractéristiques personnelles et socio-économiques, ne leur permettent guère de se faire les interprètes de toutes les réalités humaines, physiques, régionales et socio-économiques dont la voix mérite d'être entendue des agents politiques. Enfin, quel que soit le jugement émis sur la portée politique réelle du travail parlementaire, on doit obligatoirement reconnaître qu'elle 154 YVES WEBER, op. cit., 276. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 235 n'embrasse pas, loin de là, tous les intérêts et toutes les idéologies qui réclament des porte-parole politiques. C'est ainsi que les conseils consultatifs apparaissent comme des voies supplémentaires de représentation. Libres des contraintes rigides qu'imposent les bornes des circonscriptions électorales, les conseils consultatifs épousent avec une remarquable facilité les multiples facettes du réel : individus, groupes, secteurs d'activité et régions peuvent s'y tenir à l'aise. Par ailleurs, le procédé consultatif s'étend virtuellement à toutes les composantes du système politique et possède par conséquent une remarquable aptitude à faire porter la voix de ceux qui l'empruntent là où elle doit être entendue. La représentation politique par les conseils consultatifs soulève toutefois plusieurs problèmes non résolus de divers ordres - problèmes concernant la définition même de la représentation ainsi effectuée, la nature de l'officialisation qu'il convient de lui octroyer, de même que l'étendue des effets qu'il est loisible de lui concéder en ce qui touche les sujets et les objets représentés. Ainsi s'inquiète-t-on du petit nombre de groupes et de secteurs d'activité effectivement présents aux conseils consultatifs. Ce sont les grands groupes d'intérêt - patronaux, industriels, professionnels - qui sont le mieux partagés. Eux qui déjà, grâce à leur puissance ou à leur nombre, exercent de l'extérieur sur le système politique des pressions que ceux-ci ne peuvent ignorer impunément, dominent la plupart du temps les délibérations au sein des conseils. C'est ainsi que le procédé consultatif, par la concertation qu'il rend possible entre les agents sociaux les plus puissants et les agents politiques, risque d'être un facteur supplémentaire des inégalités sociales déjà si criantes dans les sociétés libérales. Comme les gouvernants possèdent généralement la prérogative finale de nomination des membres, ils doivent veiller à ce que les intérêts plus faibles et moins bien organisés soient représentés. Des considérations d'efficacité limitent nécessairement l'exigence d'équité. En invitant les uns, en délaissant les autres, les gouvernants se trouvent sans le vouloir à accentuer les inégalités entre les groupes. Au même titre que les groupes d'intérêt et que les partis eux-mêmes, le procédé consultatif représente un rouage virtuellement indispensable de l'appareil socio-politique libéral. Pas plus que dans le cas des groupes d'intérêt et des partis son existence ne saurait se justifier en se fondant exclusivement sur son utilité Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 236 concrète pour les systèmes politiques. Nombreuses et sévères sont en effet les critiques qu'on peut soulever à son endroit. On lui reproche de ralentir, sinon de paralyser, le processus politique, d'aggraver les inégalités entre les individus, d'être source de conservatisme et même de favoriser l'érosion de la règle de droit. On doit convenir que semblables reproches sont souvent fondés. Mais, s'il fallait éliminer tous les modes d'action politique qui se révèlent déficients à l'usage, c'est toute la mécanique socio-politique qu'il faudrait saborder. C'est en regard de leur vocation propre et des chances qu'ils ont de la réaliser raisonnablement, plutôt que par rapport à leur seul fonctionnement concret, qu'il faut juger des mérites des divers modes d'action socio-politique. Les critères dont s'inspirent les agents responsables du choix des délégués aux conseils consultatifs sont imprécis et, dans plusieurs cas, inexistants. Cette lacune doit être corrigée. Des critères de représentation garantissant l'équité du processus consultatif pour tous les groupes doivent être établis. On rejoint ici la préoccupation d'André Chandernagor qui va même jusqu'à proposer un embryon de système de représentation pour le Conseil économique et social : ? La répartition des sièges devrait, semble-t-il, tenir compte à la fois du nombre des membres de chaque catégorie socio-professionnelle (c'est l'application du principe de l'égalité des citoyens entre eux) et du poids de chaque catégorie dans la vie 155économique tel qu'il apparaît dans la formation du produit national . ? À ces critères d'ordre quantitatif, on devrait sans doute ajouter d'autres facteurs d'ordre qualitatif tels que la nature de l'information dont le groupe dispose, le degré de solidarité du groupe et l'intérêt des dirigeants à l'égard de la 156question à l'examen . 155 André CHANDERNAGOR, Un parlement, pour quoi faire, Gallimard, Paris, 1967, 138. Toute considération d'efficacité mise à part, la représentation au sein des conseils est, comme l'a bien fait ressortir John Stuart MILL dans The Representative Government, une question de fierté personnelle : ? C'est un motif de profond découragement pour un individu et encore davantage pour une classe d'être laissés en dehors de la constitution ; d'en être réduits à supplier du dehors les arbitres de leur destinée et de n'être pas invités, de l'intérieur, à des consultations. ? 156 Une enquête menée auprès de quatre comités consultatifs du ministère de l'Éducation du Québec identifie trois critères dont le ministre semble s'être servi pour juger de l'aptitude d'un groupe à faire partie d'un comité : le degré Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 237 De même, la représentativité réelle des membres des conseils consultatifs - agents sociaux et agents politiques - est-elle souvent mise en question. Et cette question soulève des problèmes délicats auxquels on ne peut répondre de façon péremptoire. Lorsqu'on refuse de considérer les membres comme des porte-parole autorisés de leurs groupes respectifs, comme c'est souvent le cas, leur degré de représentativité devient problématique. Malgré tout, on témoigne de beaucoup de réticence à considérer les membres comme étant de plein droit et sans restriction représentants de leurs groupes. L'autorité consultante elle-même, dans le but de conserver plus de souplesse aux conseils, insiste souvent, quand la loi le lui permet, pour que tous les membres siègent à titre personnel. Du côté des groupes, les points de vue sont particulièrement complexes. Quand les membres siègent comme représentants et non à titre personnel, ils se sentent davantage liés par les points de vue de leurs groupes et la bonne marche des délibérations risque d'en être entravée. Par ailleurs, les simples membres de groupes et leurs dirigeants répugnent à considérer sans restriction aucune leurs membres aux conseils consultatifs comme leurs représentants et, en même temps, à leur concéder une pleine liberté d'action. Les conseils consultatifs leur apparaissent davantage comme des centres de négociation que de délibération. Les groupes craignent que, par le jeu d'une représentation aux conseils consultatifs consentie sans réserve, ils ne deviennent l'objet d'une mobilisation et d'une manipulation politiques préjudiciables à leurs intérêts. Par-dessus tout, ils redoutent que leurs délégués, qui entretiennent des relations souvent intimes avec les représentants d'autres groupes et les agents politiques membres des conseils, adoptent graduellement des d'implication du groupe dans le problème à l'étude ; la représentativité du groupe et le degré d'organisation du groupe. (Dans Micheline De SÈVE, op. cit.) De son côté, Joseph LAPALOMBARA énumère les critères suivants : la représentativité du groupe ; la respectabilité du groupe ; la fonctionnalité du groupe ; l'autorité du groupe et, finalement, la proximité du groupe des agents politiques. (Dans Interest Groups in Italian Politics, 285-303.) Aussi Allen POTTER, op. cit., 204-207 ; S. E. FINER, op. cit., 36 ; Kenneth W. GALBRAITH, Capitalism, The Concept of Countervailing Power, Houghton Mifflin, Boston, 1952, 141-159. Des personnes non affiliées à des groupes siègent souvent aux conseils consultatifs à titre individuel. On ne saurait dire si, outre leur compétence et leur sagesse dont on peut faire bénéficier les conseils, on voit en elles un moyen d'y faire s'exprimer la voix de groupes absents ou si, au contraire, ces membres accroissent le poids de groupes déjà amplement représentés. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 238 positions étrangères ou même antagonistes aux intérêts qu'ils ont eu comme mandat de promouvoir. Les groupes qui acceptent pleinement le jeu de la représentation dans les conseils consultatifs s'exposent à de graves crises internes : révolte ou perte de loyauté parmi les membres, éloignement physique et psychologique de la direction par rapport aux membres, dissensions parmi les dirigeants, dénonciation des positions adoptées par les délégués, refus d'adhésion à l'avis du conseil consultatif que les représentants des groupes ont pourtant endossé, et ainsi de suite. En d'autres termes, l'attribution de la qualité de représentants à leurs délégués aux conseils consultatifs requiert chez les groupes un esprit de corps et un degré de loyauté rares au sein des grandes associations volontaires. À défaut d'un sens communautaire suffisamment intense, c'est souvent la règle oligarchique qui triomphe. Dans les termes de Theodore J. Lowi : ? Plus la représentation d'un groupe dans le processus politique (? policy formation ?) est manifeste et légitime, moins volontaire est l'appartenance à ce groupe et plus grande est l'exigence de loyauté envers leurs dirigeants de la part de ceux qui partagent les mêmes intérêts. Plus la pratique officielle consiste à ne 157reconnaître que les intérêts organisés et plus la société devient hiérarchique . ? Ces considérations n'épuisent pas, loin de là, l'éventail des difficultés que soulève la question de la représentation au sein des conseils consultatifs. Ces difficultés ne sont sans doute pas insurmontables. À défaut toutefois de rectifications majeures à la procédure consultative et surtout de précisions quant au rapport de la consultation avec la prise de décisions, on doit prévoir qu'un nombre croissant de groupes refuseront de concéder à leurs délégués aux conseils le statut de représentants. On doit par ailleurs convenir que la représentation des groupes ne peut être qu'une fin secondaire de la consultation politique. Si les membres doivent être en effet le plus possible représentatifs des diverses catégories sociales, c'est que la consultation, au-delà des points de vue des groupes particuliers, doit faire émerger l'intérêt de la collectivité entière. La consultation, en effet, a pour but premier de procurer aux agents sociaux et aux agents politiques un terrain commun de rencontre propre à faire se dégager les justes perspectives sans lesquelles les actions et les décisions politiques risquent d'être mal avisées. 157 Theodore J. Lowi, The End of Liberalism. Ideology, Policy and the Crisis of Public Authority, W. W. Norton, New York, 1969, 88. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 239 3. Consultation, ? intérêt privé ? et ? intérêt public ? Retour à la table des matières L'intensification et la complexité croissantes des relations entre agents sociaux et agents politiques rendent très difficile la détermination de distinctions claires entre ? intérêt privé ? et ? intérêt public ?. Dire des grands groupes, telles que les entreprises industrielles et les unions ouvrières, qu'ils poursuivent des intérêts ? privés ? revient à encourager et à légitimer leurs égoïsmes. En réalité, ces géants de l'organisation socio-économique, bien que ne possédant pas de statut public officiel, assument à l'égard de la société des responsabilités qu'il faut considérer comme publiques. Cette condition qui est la leur nous a conduit à les considérer comme étant d' ? intérêt public particulier ? par contraste à l'intérêt public général - ou au bien commun - dont les agents politiques ont la charge. En outre, la socialisation récente de certains services et professions a produit le gonflement du secteur public et para-public. Or ces développements favorisent ou même requièrent le recours au procédé consultatif. À son tour, la consultation accentue sensiblement le brouillage entre ? intérêts privés ? et ? intérêts publics ?. Elle apprivoise et articule les interventions des agents sociaux auprès des agents publics et elle sensibilise ces derniers aux besoins et aux aspirations des premiers. Plus encore : pour les deux catégories d'agents, les conseils consultatifs représentent un mécanisme intermédiaire favorable à la réconciliation de leurs points de vue respectifs et à l'adoption d'une position commune. Or, cette position est non assimilable aux objectifs qu'agents sociaux et agents politiques détermineraient s'ils œuvraient isolément les uns des autres. Elle correspond plutôt au bien de la société tel que les deux catégories d'agents sont parvenus à le concevoir au cours de leurs délibérations. La consultation devient de la sorte un instrument indispensable de la concertation. Tout en respectant l'autonomie essentielle des catégories d'agents, elle les dispose à réconcilier leurs différences et à coordonner leurs efforts. Ces tendances, dont certaines sont à peine esquissées, suscitent cependant beaucoup de méfiance en divers milieux. Elles pourraient aboutir, craint-on, à une Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 240 regrettable confusion des intérêts ? prives ? et ? publics ?. Cette confusion serait préjudiciable, selon les points de vue, ou aux groupes ou à la société dans son ensemble. C'est ainsi qu'on exprime des craintes concernant la possibilité d'une dilution du pluralisme social, dont les groupes sont les garants, en un consensus général dont l'essence totalitaire, pour n'être pas doctrinale, n'en serait que plus insidieuse. C'est ainsi également qu'on appréhende le risque de l'annihilation de l'intérêt public général au profit des intérêts publics particuliers des grands groupes. Ou on estime que ce sont les groupes qui sortiront perdants de la consultation, ou on prévoit que ce sera la société. Il est en effet difficile d'imaginer que dans le contexte des sociétés libérales, où les litiges se règlent généralement selon le mode conflictuel, une concertation authentique puisse être possible. Seuls les naïfs ou les idéalistes paraissent capables d'un tel acte de foi. Mais c'est peut-être dans un tel acte de foi que réside le salut de la société elle-même. 4. Consultation et décision Retour à la table des matières La détermination du rapport correct entre consultation et décision constitue sans conteste la principale pierre d'achoppement de toutes les analyses de ce puissant mécanisme d'interactions systémiques. Que la consultation intervienne dans le processus de décision, cela ne fait pas de doute. Mais de quelle manière et jusqu'à quel point, voilà ce qui fait problème. Dans nombre de cas cependant, la question ne se pose guère. C'est ainsi que les nombreuses consultations de modes inférieurs - les consultations non officielles et non organiques - ne font pas officiellement partie du processus de décision. Dans ces cas, aucune stipulation juridique ne fixe à l'avance le poids de la consultation sur l'autorité consultante. Pour l'ensemble, c'est l'influence personnelle de l'agent consulté - telle que la déterminent son autorité, son prestige et son pouvoir - qui décide du poids de l'avis sur la décision. C'est à partir du moment que s'instaurent des structures permanentes de la consultation que les difficultés surgissent : les problèmes se posent différemment selon le statut particulier de chaque conseil consultatif, c'est-à-dire selon qu'il est Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 241 facultatif, obligatoire ou exécutoire. Par ailleurs, les centres de décision eux-mêmes sont souvent fort mal définis et ne s'incarnent pas toujours dans une personne. L'adage connu : ? délibérer est le fait de plusieurs ; agir est la responsabilité d'un seul ? s'applique fort mal dans la réalité. Au sein des organisations modernes, l'action découle souvent d'un processus collégial de décision, ou, tout au moins, d'un processus collégial d'étude et de délibération. De la sorte, que la décision relève nominalement de la compétence d'une seule personne ou d'un collège, elle est plus ou moins contrainte par le processus qui l'engendre. On constate une tension au sein des conseils entre ceux qui voudraient que soit supprimée, par la consultation, toute instance extérieure et ceux qui cherchent à engager la consultation sur une voie d'évitement par rapport à la prise finale des décisions. Les fonctionnaires, pour leur part, n'attendent le plus souvent du processus consultatif que des suggestions et non pas un avis qui les lie. La politique consultative étant pour plusieurs d'entre eux une concession plus ou moins obligée à la démocratie, ils ne voient en elle qu'une ? couverture ? pour ce qu'ils considèrent leur véritable tâche, c'est-à-dire l'action technicienne. Pour les groupes, la portée de la consultation est tout autre : elle doit aboutir, non pas à de simples suggestions, mais, sans préjudice au droit inconditionnel de revendication qu'ils entendent conserver, à des avis contraignants. En outre, le sentiment de participer à la formulation de la politique dans leur secteur d'activité propre engendre une certaine griserie chez les membres délégués de groupes. Aussi, leur déception est-elle grande lorsqu'ils constatent que les agents politiques se servent du conseil consultatif comme d'un simple paravent. Ils deviennent alors agressifs ou, plus souvent, indifférents au travail sinon à la vie des conseils. Une technique souvent employée dans les Anciens Régimes, chez les gouvernements autoritaires et même, quoique de façon plus subtile, dans les démocraties libérales, pour contrarier cette tendance à l'apathie chez les membres déçus du peu de poids réel des conseils consultatifs, consiste, à défaut de leur concéder une autorité véritable, à leur conférer des honneurs. Dans l'Ancien Régime et la révolution, Tocqueville a montré l'inutilité des nombreux ? corps intermédiaires ? français qui combinaient ? l'extrême impuissance à l'extrême vanité ? : ? Quand on compare ces vaines apparences de la liberté avec l'impuissance réelle qui y était jointe, on découvre déjà en petit comment le Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 242 gouvernement le plus absolu peut se combiner avec quelques-unes des formes de la plus extrême démocratie de telle sorte qu'à l'oppression vienne encore s'ajouter 158le ridicule de n'avoir pas l'air de la voir . ? L'absence fréquente d'étagement organique et de coordination des structures de consultation entraîne tôt ou tard, parmi les groupes, la frustration, le dépit ou la colère. Mais l'étagement organique et la coordination des structures de consultation ne suffisent pas à garantir le succès de la consultation. Tout le réseau consultatif doit s'intégrer parfaitement aux rouages politiques et administratifs réguliers au plan des régions et des secteurs d'activité. Plus particulièrement, il doit se greffer pleinement aux centres de décision. On permet même, bien entendu dans des contextes précis et soigneusement définis, que la consultation englobe pour toutes fins pratiques la décision elle-même. On peut alors dire du procédé consultatif qu'il est exécutoire. Cette condition contredit certaines conceptions juridiques selon lesquelles ? l'autorité consultante ne doit jamais se considérer liée 159par le contenu de l'acte consultatif ?. Trop nombreux, toutefois, sont les cas de consultation exécutoire ou de codécision pour qu'on se rallie sans réserve à une distinction dérivée du credo de la division des pouvoirs. En réalité, le fait que la consultation contraigne le plus possible les agents responsables de la prise des décisions doit être considéré comme une condition majeure de son succès. Mais si la consultation peut aller et, dans certains cas, doit aller jusqu'à englober en quelque sorte la décision elle-même, l'efficacité exige que le centre responsable de la promulgation juridique et de l'exécution concrète de la décision reste intact. Si la décision peut pratiquement suivre d'un processus collégial sans que l'ordre public et le développement social n'en souffrent, il n'en est pas de 158 ALEXIS DE TOCQUEVILLE, l'Ancien Régime et la révolution, Livre II, chapitre II. [Livre disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT] 159 Yves WEBER, op. cit., 224. Il ne faut d'ailleurs pas confondre l'avis exécutoire avec une décision au sens juridique du terme. Un avis peut être exécutoire en deux sens différents : ou parce que l'organe officiel de décision est requis de s'y conformer automatiquement - ce qui est rare - ou - cas beaucoup plus fréquent - parce que l'agent officiel de décision, tout en étant empêché d'agir dans un sens différent de l'avis, peut différer son action tant qu'il n'a pas reçu du conseil consultatif un avis qu'il estime recevable. Règle générale, le bon fonctionnement d'un conseil consultatif n'exige pas que l'avis soit exécutoire parce que la consultation n'a pas pour raison d'être la prise des décisions mais la clarification des voies de l'action politique. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 243 même de la mise en application de la décision, qui requiert des rouages responsables qu'ils soient parfaitement identifiés et même personnalisés. Plus encore : le procédé consultatif doit laisser intactes les prérogatives juridiques de l'autorité consultante. En d'autres termes, le conseil consultatif, s'il tire sa légitimité de son association au souverain (le Parlement ou le gouvernement), ne peut se voir concéder, d'aucune façon que ce soit, des parcelles de souveraineté. Le ? risque de désagrégation et de pulvérisation des prérogatives politiques ? ou de ? décomposition de la fonction même du pouvoir ? que le procédé consultatif semble comporter existe exclusivement en ce qui touche au processus de décision mais est inexistant en ce qui concerne les procédures de sanction de la décision 160ainsi que les règles de son application . Dans la mesure où s'amorce ou se poursuit l'érosion de la souveraineté du Parlement ou même du gouvernement dans les sociétés libérales, ce n'est pas surtout au procédé consultatif qu'il faut l'imputer mais, de façon plus banale, à l'indulgence excessive des agents politiques vis-à-vis des groupes d'intérêt ou encore, à l'inverse, à l'action d'autres modes beaucoup plus intégraux de participation, telles la cogestion qui institue un partage de l'autorité souveraine entre les composantes internes du système politique et les groupes et surtout l'autogestion qui s'exprime par l'exercice indépendant par les groupes, de façon déléguée ou autonome, des prérogatives 161publiques dans un secteur donné d'activité . 160 Jean MEYNAUD, Nouvelles Études sur les groupes de pression en France, Armand Colin, Paris, 1962, 246-247 ; Georges LAVAU, ? Political Pressures by Interest Groups in France ?, Interest Groups on Four Continents, University of Pittsburgh Press, 1958, 93. 161 La dure critique que Theodore J. Lowi fait de l'interest group liberalism est fondée à plusieurs égards. Elle nous paraît cependant excessive dans la mesure précisément où elle ignore les différences essentielles dans les modes d'action. des divers groupes d'intérêt aussi bien que dans le fonctionnement des nombreux conseils consultatifs. Il est excessif de rejeter, comme le fait Lowi, toutes les formes de participation par la voie des groupes sous prétexte que certaines d'entre elles - ou chacune d'elles au-delà de certaines limites - sont susceptibles de conduire au corporatisme et à la destruction de la ? démocratie juridique ? (juridical democracy). Par ailleurs, à l'encontre de l'interest group liberalism, Lowi préconise la restauration d'un ? ordre légal ? par la restitution au Congrès de toutes ses prérogatives. C'est là, certes, un objectif louable. Mais la méthode que préconise Lowi pour y parvenir est tellement anachronique qu'elle détonne avec l'ensemble de l'ouvrage qui se Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 244 Ce n'est pas parce que le procédé consultatif risque, dans certains cas, d'aggraver les inégalités entre individus et groupes, de ralentir sinon de paralyser le processus politique, d'être source de conservatisme et même de contribuer à l'érosion de la règle de droit, qu'on doit le saborder. Toute tentative de l'abolir serait d'ailleurs vouée à un échec. Au même titre que les groupes d'intérêt et que les partis eux-mêmes, le procédé consultatif représente en effet un rouage virtuellement indispensable de l'appareil socio-politique libéral. Il s'impose toutefois de veiller à ce qu'existent les conditions requises pour la pleine réalisation de sa vocation. Or, tel est loin d'être le cas. De nombreux obstacles de tous ordres font dévier la consultation de sa destination normale. Par sa logique propre, la consultation déborde le régime libéral traditionnel. Certes, elle laisse intacte la distinction entre système social et système politique. Sous ses formes les plus élémentaires, elle n'exerce pas une influence profonde sur l'évolution socio-politique. Il est par ailleurs illusoire d'escompter la mise en oeuvre de procédés consultatifs complexes, si le contexte socio-politique reste inchangé. Jean Meynaud a écrit fort justement à ce propos : ? Quand les facteurs qui commandent le jeu et déterminent la répartition de l'influence demeurent intacts (ainsi le pouvoir tiré de la propriété privée), on ne saurait attendre de transformations décisives d'une action politique quelconque. Le destin des opérations et démarches qui s'inscrivent dans un cadre inchangé relève souvent de 162la mécanique des oscillations . ? Sous peine de grave incohérence interne, le procédé consultatif, dans ses formes les plus développées, requiert des changements en profondeur du régime libéral. C'est ainsi qu'il tend à substituer la concertation des fins et des moyens aux affrontements conflictuels qu'engendre perpétuellement le jeu des groupes veut radical. En effet, Lowi place son espoir dans la Cour suprême à laquelle il demande d'invalider ? toute délégation de pouvoir à une agence administrative qui ne comporte pas des modalités précises de contrôle de l'action administrative ? (op. cit., 84-86, 287-315). Voir Jean TOURNON, ? Le pluralisme : une mise à mort ratée ?, Revue canadienne de science politique, vol. 4, n? 2, 1971. 162 Jean MEYNAUD, ? Les groupes de pression sous la Vème république ?, Revue française de science politique, vol. 72, n? 3, 1962, 697. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 245 163d'intérêt et des partis . Ils instaure la socialisation du dialogue au sein même des composantes internes du système politique. Seuls les pays qui se sont engagés dans la voie de la planification sociale et économique font la preuve de l'utilité de la consultation et de sa profonde influence sur les diverses composantes du système politique. Le déclenchement du processus de planification incite les ? grands intérêts ?, notamment les intérêts d'affaires - qui autrement tirent plus d'avantages de l'action clandestine que des démarches incertaines de conseils consultatifs, restreints souvent à l'étude de questions jugées par eux d'importance secondaire, et dont les avis, au surplus, souvent ne sont pas contraignants - à s'engager à fond dans la voie de la politique consultative. La planification, par les buts qu'elle poursuit comme par ses résultats, entraîne de profondes mutations dans le corps social : elle transforme les mentalités et modifie le rapport des forces en présence. Par les intérêts qu'elle articule, les aspirations et les besoins nouveaux qu'elle fait émerger, elle crée tout naturellement chez tous les groupes sociaux la conscience de la nécessité pour eux de participer pleinement à l'élaboration de programmes dont les effets les rejoindront jusque dans les détails de leur vie quotidienne. Les conditions mêmes de la planification obligent à une large consultation des agents intéressés, à toutes les phases de la programmation aussi bien qu'à celles de l'exécution : de fait, seule la création de rouages consultatifs permet aux individus et aux groupes de participer aux instances de planification. Sous ses formes les meilleures, et malgré les détournements qu'elle est toujours susceptible de subir, la consultation représente une technique de dialogue entre agents politiques et agents sociaux sur des problèmes d'intérêt commun. Elle sauvegarde la nécessaire liberté ainsi que la prérogative d'initiative et d'orientation des individus et des groupes et elle laisse aux agents politiques les compétences et 163 Retenons toutefois que, dans le contexte libéral, la concertation ne peut être poussée jusqu'au consensus intégral : individus et groupes conservent le droit de contestation. Elle ne saurait non plus être globale : elle se limite à des questions précises dans des conditions bien définies. Ce seraient les groupes les plus faibles et les plus nombreux qui feraient les frais d'une concertation qui se voudrait intégrale et globale. En outre, une concertation trop poussée entre les groupes les plus puissants favoriserait l'oligarchie et l'autoritarisme. Elle conduirait également au conservatisme et à la stagnation sociale, la sauvegarde des intérêts de chaque groupe étant liée au maintien du statu quo. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 246 les moyens requis pour l'accomplissement des tâches toujours croissantes qui leur sont assignées - tâches qui rejoignent les rôles sociaux des individus de façon toujours plus étroite - et dont eux seuls sont en mesure d'assumer de façon adéquate la responsabilité ultime. Par là même se trouvent conjurés deux dénouements tragiques de la crise actuelle de la société libérale : d'une part, l'anarchie résultant de la révolte victorieuse des individus et des groupes contre un pouvoir devenu trop arrogant et trop lointain, d'autre part, la techno-démagogie, cette forme inédite d'adoration de l'État, d'autant plus néfaste que l'aliénation individuelle et collective qui la rendrait possible résulterait de la plus mensongère de toutes les mystifications jamais encore inventées pour déposséder l'homme : celle de la toute-puissance du savoir spécialisé dans le contexte de la société postindustrielle. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 247 Société et politique : la vie des groupes. Tome second: Dynamique de la société libérale (1972) Troisième partie : Groupes d’intérêt et mécanisme d’interaction systémiques Chapitre III Groupes et ? média ? de communication Retour à la table des matières Les grands media de communication - magazines, journaux populaires, radio, télévision, etc, qu'avec le cinéma, le télégraphe, le téléphone et le satellite de communication nous appellerons ici les télémedia ne représentent qu'une catégorie parmi beaucoup d'autres de media de communication. La conséquence la plus remarquable de la ? révolution des communications ? survenue depuis cinquante ans a été, non pas de substituer au type traditionnel - interpersonnel - de communication un autre type - la communication à distance - mais bien plutôt d'ajouter le second type au premier et par là d'accroître énormément les possibilités de la communication interpersonnelle. Les origines des télécommunications elles-mêmes remontent au tam-tam, au parchemin, au sémaphore. Elles ne sont pas toutes, loin de là, de masses. L'utilité, par exemple, du téléphone pour l'homme d'affaires, l'homme politique et le simple citoyen est d'une autre nature mais non moins essentielle pour eux que la radio ou la télévision. De même, les incidences techniques et sociales des différents media sont fort diverses et c'est s'obliger à s'en tenir à des généralités que d'en traiter Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 248 comme s'ils constituaient un ensemble homogène. En réalité, les premières questions qui se posent quand on parle de media de communication sont les suivantes : de quel médium s'agit-il, en fonction de quoi, au service de qui et dans quelles conditions existe-t-il ? Depuis 1945, grâce à la cybernétique, l'étude de la communication a connu un essor qu'il n'est pas exagéré de désigner de révolutionnaire. Partant des résultats obtenus par l'étude de la transmission du courant dans les circuits électriques, Norbert Wiener et, à sa suite, d'autres auteurs ont conclu que la communication est constituée de processus essentiellement différents les uns des autres au départ (par exemple, dans l'image photographique : la lumière du soleil, l'émulsion sur la plaque photographique, etc.) mais conduits progressivement à converger et à devenir homogènes sous des aspects significatifs de sorte qu'il en résulte un message - dans notre exemple, une image appelée photographie - plus ou moins conforme aux objets qui avaient au début provoqué la rencontre et la fusion de ces processus. De telles séquences, quelles que soient les formes sous lesquelles elles se produisent, constituent un médium de communication. Ce médium est simple ou complexe ; il comporte ou non des relais et des circuits ; il constitue ou non un réseau. Il n'est pas suffisant de dire que le médium influence le message. Au contraire, selon les conditions qui lui sont propres, il façonne le message. Avec Marshall McLuhan, il faut dire que le médium est le message. Plus encore, le médium détermine dans une large mesure le genre de rapports qui s'établissent entre l'émetteur et le récepteur. Qu'ils soient simples ou complexes, les media de communication ont essentiellement pour fonction de transmettre des messages. On se méprend souvent sur le caractère des messages ainsi produits. Ils ne constituent pas au premier chef des données sur des événements ou des phénomènes. Ils représentent plutôt des renseignements sur les processus au sein des phénomènes les plus divers (énergie, ressources, besoins, conflits, objectifs, décisions, etc.). C'est le degré de conformité du message transmis à l'entrée du circuit par l'émetteur avec le message reçu par le destinataire à la sortie du circuit, qui non seulement définit la qualité d'un médium de communication mais qui, en Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 249 outre, constitue l'information communiquée. En d'autres termes, l'information, 164c'est l'élément qui demeure plus ou moins constant dans la communication . La politique représente un domaine où la mise au point d'une méthode d'analyse conforme aux données de la cybernétique devrait se révéler particulièrement fructueuse. L'identification et l'examen des mécanismes qui permettent aux agents politiques de créer, transmettre, recevoir et conserver les messages nécessaires à leur action, sont susceptibles d'accroître considérablement nos connaissances du processus politique. Malheureusement, cette étude n'est qu'amorcée et n'a jusqu'ici procuré que des résultats parcellaires. Les travaux des analystes systémiques sur le sujet, malgré leur caractère incomplet, ouvrent cependant un nouvel angle de vision fort prometteur. Le recours par les analystes systémiques au modèle cybernétique n'aura cependant qu'une portée analogique et qu'une valeur pédagogique tant qu'ils ne mettront pas l'accent sur le réseau de communication qui relie tous les points du système politique les uns aux autres et qui assure la liaison avec le système social. 164 Sur le sujet. voir Norbert WIENER, Cybernetics, John Wiley, New York, seconde édition, 1961 et Human Use of Human Beings, Houghton Mifflin, Boston, 1950 ; W. Ross ASHBY, An Introduction to Cybernetics, John Wiley, New York, 1956 ; A. MOLES et coll., Communications et Langages, Paris, 1963 ; Lucien MEHL, ? Pour une théorie cybernétique de l'action administrative ?, dans Georges VEDEL et coll., Traité de science administrative, Paris, Mouton, 1966, 782-825. Ainsi considérée comme un processus, l'information résulte d'un ensemble d'opérations complexes et pose nombre de questions, comme les suivantes : par quels canaux de communication est-elle produite ? quel est l'émetteur qui peut produire de façon optimale les informations dans les divers domaines ? quels sont les contrôles qui s'exercent et quelles sont les sources de distorsions de l'information dans le cours de sa production ? comment rendre possibles tous les échanges inter-individuels et inter-groupes requis pour la production de l'information ? comment juger de l'information véhiculée par les divers types d'émetteurs ? comment conserver (stocker) l'information ? comment la rendre socialement utile et, plus particulièrement, quelles finalités lui assigner du point de vue des individus et des groupes ? L'information se révèle ainsi comme un produit collectif : nombre d'individus et de groupes ont contribué à sa production et cela dans les conditions physiques, affectives et intellectuelles les plus différentes et grâce au concours d'un réseau de communication constitué de canaux multiples et souvent hétérogènes. L'information, c'est l'oeuvre commune de toute une collectivité. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 250 En effet, les perspectives majeures de recherche qu'ouvre l'analyse systémique sont directement reliées au problème des communications : comment les mécanismes d'interactions qui convertissent les idéologies, pressions et intérêts sociaux en demandes et en soutiens politiques opèrent-ils ? Comment se fait le choix des agents politiques qui prennent position à l'égard de ces demandes et de ces soutiens ? Quels sont les modes de rapports que ces agents entretiennent avec les agents sociaux et les autres agents politiques ? Par quel processus ces demandes et soutiens sont-ils acheminés vers les centres de décision appropriés ? Comment ceux-ci procèdent-ils pour produire les décisions ? Comment ces décisions retournent-elles au système social ? Comment les effets qui en résultent reviennent-ils vers le système politique ? Autant de questions auxquelles on apporterait sûrement des réponses plus complètes si, en les examinant, on comprenait que la chaîne d'actions et de réactions qui rend possibles ces conversions, sélections et décisions, constitue au sens fort du terme un réseau de communication et qu'à travers tout ce réseau c'est de l'information qui circule : informations sur les conditions du milieu ; informations sur le fonctionnement des systèmes eux-mêmes ; informations, enfin, sur les réactions du milieu. Les travaux de Karl W. Deutsch constituent un premier et déjà remarquable pas dans 165cette voie prometteuse . Mais en même temps, parce qu'elle ouvre de si larges avenues de recherche, l'étude de la communication socio-politique risque de demeurer très générale et d'ignorer les aspects les plus significatifs des cadres socio-politiques. C'est ainsi que tous les mécanismes d'interactions systémiques - les groupes d'intérêt, les partis, les conseils consultatifs tout autant que les media de communication - 166servent à la transmission de messages entre agents sociaux et agents politiques . 165 Karl DEUTSCH, The Nerves of Government. Models of Political Communication and Control, The Free Press, New York, 1963. 166 C'est ainsi que le conçoit Lester W. MILBRATH qui assigne aux groupes d'intérêt, aux partis, aux mass media et aux leaders d'opinion surtout des tâches d'information. (Dans The Washington Lobbyists, Rand McNally, Chicago, 1963, 180-208). Harmon Zeigler a bien montré les insuffisances de cette façon de voir. C'est ainsi que les lobbyisis ne sont pas de simples agents d'information mais se livrent à diverses manoeuvres de pression politique. Harmon ZEIGLER, ? The Effects of Lobbying : A Comparative Assessment ?, dans Norman R. LUTTBEG, editor, Public Opinion and Public Policy : Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 251 Les media de communication, rouages spéciaux de transmission des messages, méritent toutefois une attention particulière. Ils sont très divers et nombreux : le fonctionnaire préposé aux renseignements, le courriériste parlementaire, la circulaire ministérielle, la télévision constituent, chacun à sa façon, un médium de communication, c'est-à-dire un canal par où un message passe d'un émetteur à un récepteur. Les media de communication sont des rouages socio-politiques de première importance. À l'instar des partis, des groupes d'intérêt et des conseils consultatifs, ils représentent des mécanismes d'interactions systémiques. De la sorte, ils servent de courroie de transmission des idéologies, pressions et intérêts des agents sociaux vers les agents politiques de même que des volontés des agents politiques vers les agents sociaux. En tant que principes actifs d'interactions systémiques, ils entretiennent en outre avec les autres mécanismes d'interactions, de même qu'avec le système social et le système politique, des relations complexes qui peuvent se représenter par un schéma (schéma n? 5). SCHÉMA N? 5 Interactions des ? media ? de communication avec leur environnement Retour à la table des matières Models of Political Linkage, The Dorsey Press, Homewood, Illinois, 1968, 184-207. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 252 Dans le présent chapitre, nous allons d'abord envisager certains des liens sociaux qui se nouent autour des media de communication. Nous considérerons ensuite le rôle des media de communication dans l'émergence des opinions et dans la circulation des informations pour finalement faire état des tendances évolutives. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 253 1. ? MEDIA ? DE COMMUNICATION ET SOCIÉTÉ Retour à la table des matières L'application de la cybernétique à l'étude des sociétés a produit une image toute nouvelle de leur infrastructure. Cette dernière apparaît comme un réseau continu et dense d'artères et de veines qui transmettent à toutes les parties du corps social le sang nécessaire à leur vie, c'est-à-dire l'information. Ce réseau est en même temps doté d'un cœur distributeur, récupérateur et régénérateur et d'un cerveau capable de contrôler, rajuster et réparer les canaux. Envisagée sous cet angle, une société, c'est une communauté d'hommes créée et perpétuée par un ensemble d'habitudes de communication, dont une culture et un langage communs constituent des éléments essentiels. Considérer la communication indépendamment de l'ensemble social qu'elle enveloppe et qui la rend signifiante, c'est s'exposer à ne la concevoir que de façon partielle. Une des tâches majeures de l'analyse sociale devient dorénavant l'étude des caractères et des conditions de ce réseau de communication dans le temps et dans l'espace : comment il se présente dans les sociétés traditionnelles où prédominent les rapports interpersonnels au sein de groupes primaires ou restreints et dans les sociétés modernes riches de multiples circuits impliquant tantôt des groupes restreints, tantôt des organisations géantes, qui dans leurs opérations s'interpénètrent, s'entrecroisent, chevauchent les uns sur les autres et neutralisent ou, au contraire, amplifient leurs effets. De tous les facteurs de changement dans la société moderne, ce sont peut-être les télémedia qui ont le plus puissamment contribué à bouleverser l'univers immémorial de l'homme. Deux simples faits permettent d'apprécier l'ampleur de ce bouleversement : encore aujourd'hui, après tant d'efforts et de coûteux investissements, plus de cinquante pour cent de l'humanité est analphabète et parmi les peuples où l'instruction est universelle et même soi-disant poussée, chez les Américains par exemple, moins de vingt pour cent de la population adulte lisent au moins dix livres par année. Or c'est d'eux-mêmes et même avec fièvre et passion, sans distinction d'âge, de sexe et, à peu d'exceptions près, de rang, que les Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 254 collectivités entières succombent à l'attraction du son et de l'image et consacrent en moyenne trois à quatre heures par jour de leur temps aux bons offices de la télévision. Que de possibilités nouvelles une aussi radicale révolution des modes 167de vie ne recèle-t-elle pas ? Les télémedia ont engendré des télérelations dont la nature et la portée sont inconnues. Pour en rendre compte, ce sont les fondements même de la sociologie qu'il faut repenser. Ainsi, ce n'est que par référence à de vieux schèmes mentaux que l'on affirme que, sous l'effet des télécommunications, le monde devient un ? grand village ?. En réalité, les relations créées par les ? regards sur le monde ? que permettent les ? informations ? engendrent de nouveaux publics, les télépublics, de nouveaux groupes, les télégroupes, qui sont déjà peut-être et seront sans doute aussi importants pour l'évolution des sociétés que les publics et les groupes traditionnels. Des télécontrôles sociaux s'ajoutent aux contrôles traditionnels et peut-être même se substituent à eux dans certains cas. Par suite du caractère instantané, universel et égalitaire des nouveaux télémedia, les notions de distance et de mobilité géographiques, sociales et psychiques ont pris un sens absolument nouveau. Ces notions même de distance et de mobilité, telles qu'elles s'appliquent aux télémedia, n'ont pas encore été approfondies convenablement. L'homme possède dorénavant le redoutable pouvoir de franchir même la plus étanche des frontières, la terre. Il est probable que, sous l'influence du nouvel 167 Dans les pays en voie de développement ces possibilités sont exceptionnelles. Les propos de Gamal Abdel Nasser méritent d'être cités : ? Il est vrai que la majeure partie de notre peuple est encore illettrée. Mais du point de vue politique cette condition a beaucoup moins d'importance qu'il y a vingt ans. Alphabétisme et intelligence sont deux choses différentes. La radio a tout changé. Naguère les villageois ignoraient ce qui se passait dans la capitale. Les coteries d'individus qui dirigeaient le gouvernement ne tenaient aucun compte des réactions des citoyens qui ne voyaient jamais un journal et qui ne pouvaient de toute manière lire les journaux. Aujourd'hui, les gens, même dans les villages les plus reculés, entendent parler de ce qui se passe partout et se forment une un monde nouveau. ? Dans Richard R. FAGEN, Polilics and Communication, Little, Brown, 1966, 121 ; aussi Daniel LERNER, The Passing of Traditional Society, The Free Press of Glencoe, 1958, Wilbur SCHRAMM, Mass Media and National Development, Stanford University Press, Stanford, California, 1964. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 255 environnement, les structures de base de la personnalité subissent de profondes 168mutations . Pour apprécier ces possibilités à leur juste valeur, il faut cependant tenir compte de l'utilisation concrète que l'homme fait et entend faire de ces extraordinaires moyens entre ses mains. Cette utilisation diffère essentiellement d'une société à l'autre et particulièrement suivant les modalités d'interactions du système social et du système politique. C'est ainsi que les conditions sont bien différentes dans un régime socialiste et dans un régime libéral. Le régime de propriété des media, la manière dont on conçoit la responsabilité de 1'État à leur endroit, l'importance relative qu'on leur accorde parmi les biens et les services ainsi que les modalités de leur intégration à la société diffèrent essentiellement dans les deux régimes. De même, alors que les structures des régimes socialistes imposent une forte articulation des télémedia aux circuits élémentaires de communication qu'empruntent spontanément groupes et individus, les régimes libéraux ne prévoient aucun raccord organique entre les deux niveaux de 169. communication Les communications comportent un aspect technique et un aspect humain et social. On peut validement mettre l'accent sur l'un ou l'autre aspect, mais 168 Voir Milton ROKEACH, The Open and the Closed Mind, Basic Book, New York, 1960. 169 Les mêmes contrastes qui existent entre l'U.R.S.S. et les États-Unis apparaissent dans les pays en voie de développement selon qu'ils sont d'allégeance communiste ou libérale. La Chine continentale et l'Inde représentent des cas exemplaires de ce contraste. Dans les sociétés soumises à l'aire d'influence communiste les nouveaux media prennent rapidement le pas sur les media traditionnels ou du moins modifient radicalement l'impact socio- politique de ces derniers. Par contre, dans les sociétés qui ont opté pour le régime libéral, les modes d'action des media traditionnels demeurent stables. C'est ainsi qu'au Cambodge, qui compte un prêtre par 80 habitants, on ne dénombre qu'un appareil récepteur de radio par 500 habitants, seules les catégories socio-économiques supérieures pouvant d'ailleurs s'offrir le luxe d'un appareil. Voir lthiel DE SOLA POOL, ? The Mass Media in the Modernizing Process ?, dans Lucian W. PYE, Communications and Political Development, Princeton University Press ; Léon DION, ? Opinions publiques et systèmes idéologiques ?, Écrits du Canada français, vol. XII, Montréal, 1962, 9-175 [Livre disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT] ; Alex INKELES, l'Opinion publique en Russie soviétique, Les Îles d'Or, Paris, 1956. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 256 comment relier ces deux aspects de façon opératoire ? Par exemple, le développement des télécommunications a procuré des dimensions nouvelles à la politique. Il a transformé les publics politiques et il ouvre aux agents politiques des possibilités inédites d'action. En outre, l'évolution technique des télécommunications dépend, dans une large mesure, de choix inspirés de préoccupations non techniques (industrielles, politiques et militaires). Toute prospective qui s'en tiendrait aux possibilités purement techniques des télécommunications serait insuffisante. C'est en tant qu'ils représentent un instrument essentiel de la mécanique socio-politique que les effets des télécommunications doivent être examinés. C'est ainsi qu'une meilleure articulation des télécommunications avec les réseaux primaires de communication est possible sans changement technique aucun et aurait probablement, du moins à brève échéance, plus de répercussions sociales et politiques que toute l'évolution des télécommunications que la technologie permet d'envisager. Une prospective sociale éclaire tout autant l'avenir possible des télécommunications qu'une prospective technologique. Dans les sociétés libérales, par contraste avec les sociétés socialistes, on ne s'est guère soucié d'articuler les télémedia aux structures sociales. Il semble toutefois que les télémedia créent d'eux-mêmes un nouveau milieu social et qu'ils soient le levain d'une nouvelle culture d'aspect ? moderne ?. Ils ont apparemment pris place parmi les moyens les plus puissants de socialisation d'où émergent les dispositions personnelles à l'endroit du système social et du système politique. Ils paraissent devoir modifier considérablement la culture des sociétés. En effet, les normes et valeurs qu'ils véhiculent sont d'allure ? post-moderne ?. Phénomène d'une importance exceptionnelle : ces normes et valeurs (qu'il s'agisse de publicité, d'information, de théâtre ou de musique) reflètent généralement les goûts de la classe moyenne. Un nombre croissant d'émissions, toutefois, sont produites pour la jeunesse, sinon par elle. Des conséquences de portée inestimable s'ensuivront. Le fait que les télémedia, surtout la télévision, paraissent négliger de plus en plus les adultes et ignorent les vieillards aura des conséquences inestimables. En effet, jusqu'ici ce sont les adultes et même les vieillards qui ont déterminé le contenu de la culture de nos sociétés, particulièrement de la culture politique. Sous l'influence des chansonniers, de la musique ? pop ?, etc., un nouveau langage est en voie de formation parmi les jeunes et ce langage peut avoir une portée aussi considérable Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 257 170sur la culture politique que naguère le langage des notables . Le phénomène de la contestation lui-même paraît imputable dans une large mesure aux télécommunications, pour autant en tout cas que ces dernières véhiculent et cristallisent la révolution des ? frustrations montantes ?, prélude possible d'une révolution qui pourrait engendrer une civilisation nouvelle. Ces effets apparents des télémedia sur la culture politique des jeunes paraissent largement non anticipés. Ils n'en sont que plus remarquables. Ils sont sans doute attribuables au déséquilibre psychologique profond de la jeunesse contemporaine. De la sorte, cette fraction de la population est spécialement vulnérable à tout message exprimé dans un nouveau langage et venant de l'extérieur des cadres contre lesquels elle réagit. Par contre, dans la mesure où les télémedia se donnent expressément pour mission la formation des adultes, il est probable qu'ils contribuent au renforcement des valeurs dominantes plutôt qu'à la création de valeurs nouvelles. Pour les catégories plus âgées et financièrement à l'aise, les télémedia constitueraient un agent stabilisateur plutôt que de changement ; ils agiraient à la façon d'un tranquillisant plutôt que d'un stimulant. Les effets des télécommunications sur le processus politique n'ont pas encore été établis avec précision, même en ce qui concerne les élections, bien que la 170 Les groupes, notamment les jeunes, qui adoptent ainsi un langage particulier tentent par là à la fois de se donner une identité propre et d'exprimer leur insatisfaction à l'égard de la culture et des groupes dominants. (Ainsi le recours au ? joual ? au Québec par les chanteurs, chansonniers, compositeurs dramatiques, poètes et étudiants.) Par ailleurs, les jeunes utilisent bien mieux que leurs aînés la radio, la télévision, le film, le disque comme moyens d'expression. Nombre d'enfants s'identifient beaucoup plus facilement aux personnages de la télévision qu'à leurs parents. Ces derniers leur paraissent fades par comparaison à leurs idoles. Les télémedia se substituent en partie à la famille et à l'école comme moyens de socialisation de la jeunesse. L'écart entre jeunes et adultes qui se manifeste partout dans le monde de façon si éclatante ne constitue pas une simple manifestation d'un ? conflit de générations ?. Il est d'abord attribuable au fait qu'un humanisme - sinon une humanité - est en train de naître et qui saborde toutes les valeurs reçues. Une civilisation de l'audio-visuel se juxtapose - sans toutefois s'y substituer - à la civilisation du livre. Voir Bruno BETTELHEIM, The Informed Heart. Autonomy in a Mass Age, The Free Press of Glencoe, 1960, 50. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 258 plupart des études aient jusqu'ici porté sur ce sujet. Selon Richard R. Fagen, aux États-Unis, les télémedia peuvent être considérés comme une ? quatrième branche du gouvernement... parce qu'ils représentent les structures clés du réseau public de 171communication dont dépendent les membres des trois autres branches ?. Il se révèle en outre que les télémedia affectent différemment les composantes du système politique. C'est ainsi qu'ils accentuent la prédominance du gouvernement et de l'administration sur la législation et le judiciaire. Et ce n'est certes pas en portant à la télévision les débats parlementaires ou judiciaires qu'on rétablirait un certain équilibre entre les composantes internes du système politique. Au contraire, eu égard aux caractères de chacune de ces composantes, la télévision accroîtrait les écarts plutôt qu'elle ne les réduirait. Par ailleurs, la création dans la plupart des pays libéraux d'offices de l'information sous l'égide des gouvernements démontre que les télémedia modifient considérablement les 172rapports entre agents sociaux et agents politiques . L'influence apparemment énorme de la télévision sur le style des hommes politiques et sur la vie politique entière représente une manifestation particulière de ce phénomène. Ceux qu'envoûte cet extraordinaire pouvoir de la télévision devraient se demander si l'image préfabriquée d'un homme est plus importante pour le destin d'une collectivité que les qualités réelles de l'homme lui-même. De même, devrait-on s'enquérir si les télémedia n'ont pas de profondes répercussions non souhaitées sur l'ensemble du processus politique. C'est ainsi qu'il se peut que les télémedia favorisent l'émergence de démago-technocraties. En effet, d'un côté, ils amplifient grandement le pouvoir de la parole et de l'image, ils mettent en relief les traits les plus flamboyants des personnes et les aspects les plus fugaces de la vie politique ; d'un autre côté, toutefois, leur redoutable aptitude à reproduire instantanément et impitoyablement tous les aspects des réalités qu'ils captent incite les agents politiques à se réfugier dans le secret et la technicité. 171 Richard R. FAGEN, op. cit., 52. 172 C'est ainsi que la radio et la télévision permettent aux hommes politiques de s'adresser directement aux citoyens et même de leur ? rendre visite ? dans leurs foyers et recréent en quelque sorte les conditions de la démocratie sur la place publique. Dans de nombreux cas, les citoyens peuvent rejoindre l'homme politique en studio par téléphone et, grâce à la télévision par câble, il est devenu possible d'échanger de véritables dialogues, procurant ainsi des rétroactions immédiates. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 259 II. ? MEDIA ? DE COMMUNICATION ET OPINIONS Retour à la table des matières Les opinions constituent des expressions verbales plus ou moins authentiques 173d'attitudes et des indications de comportements possibles . Elles sourdent des besoins, des aspirations et des ressources des individus et de la sorte s'enracinent dans les structures (idéologiques, démographiques, socio-économiques et culturelles) des sociétés. Dans les termes de Jean Stoetzel : ? La culture, l'organisation sociale, les processus fondamentaux de l'interaction, et peut-être surtout la contrainte sociale elle-même, trouvent leur explication définitive dans la 174communauté reconnue des valeurs, c'est-à-dire les opinions . ? En même temps, tout comme les aspirations et les besoins eux-mêmes, les opinions dépendent des stimulations psychologiques (sollicitation, publicité, propagande, mobilisation) mises en oeuvre pour les faire émerger et les 175infléchir . Qu'elles soient privées ou publiques, c'est-à-dire qu'elles s'expriment ou non par référence à une collectivité, les opinions trahissent la présence active, immédiate ou lointaine d'un groupe, petit ou grand. En effet, les opinions constituent l'enjeu suprême du combat social dans les sociétés libérales. La lutte entre groupes pour la production et le contrôle des opinions représente en effet 173 Voir à ce sujet notre tome premier, première partie, chapitre II. 174 Jean STOETZEL, Théorie des opinions, Presses universitaires de France, 1943, 348. 175 L'opposition souvent faite entre besoin ? naturel ou réel ? et besoin ? artificiel ou factice ? et entre opinion ? spontanée ? et opinion ? conditionnée ?, tient précisément à cette double chaîne de causalité à laquelle besoins et opinions se rattachent. Plusieurs, au nom de prémisses humanistes élevées, dénoncent la facticité des besoins et le conditionnement des opinions dans les sociétés libérales contemporaines, dites de consommation. En réalité, démêler l'écheveau des besoins et des opinions n'est guère facile : qu'est-ce qui est naturel et artificiel dans un besoin expressément ressenti ? qu'est-ce qui est spontané et conditionné dans une opinion clairement formulée ? Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 260 une phase décisive de leur effort en vue d'assurer la prédominance de leurs idéologies et de leurs intérêts. En même temps, les opinions sont l'objet d'une grande sollicitude de la part des agents politiques. Elles leur paraissent en effet comme la forme première, vivante et déjà convaincante, qu'épouse la règle de 176majorité, ce principe de dynamisation du système politique . L'opinion résulte d'une symbiose complexe de trois structures différentes d'action : la structure de personnalité, les groupes et les télémédia. Chacune de ces structures constitue des réalités bien vivantes qui sont susceptibles de comportements différents selon les circonstances. Les dispositions vis-à-vis les groupes et les télémedia varient grandement selon les tempéraments, l'âge et la situation sociale. C'est cependant la nature des rapports entre les canaux de communication au sein des groupes et ceux des télémedia de même que leur contribution respective à la production des opinions qui retiennent surtout l'attention des spécialistes. Les réseaux modernes de communication sont constitués de deux types de canaux fort différents mais dont la conjonction, à un moment donné et dans des conditions données, est censée rendre compte des facteurs décisifs de l'émergence des opinions : d'une part, les leaders de groupes qui agissent au niveau primaire et, d'autre part, les télémedia, qu'alimentent les grandes personnalités dans le monde du spectacle, de la politique, du journalisme et de l'enseignement et, de façon particulière, les dirigeants des grands groupes et les personnages les plus colorés au sein des gouvernements. Jusqu'à récemment, on estimait que l'éclatement des sociétés traditionnelles avait pour toutes fins pratiques rendu désuet le circuit des communications 176 Nombre de théoriciens de la démocratie libérale et, parmi eux, Alexis de Tocqueville et James Bryce identifient pratiquement opinion, règle de majorité et volonté générale. C'est cependant à tort qu'on prête à l'opinion publique les attributs de la règle de majorité ou de la volonté générale. Cette illusion démocratique conduit à restreindre indûment le champ d'investigation. Ainsi que l'écrit Jacques LAMBERT : ? Plutôt qu'à l'étude de l'opinion publique, c'est à l'étude d'un aspect de l'opinion publique que l'on s'attache d'ordinaire : la contribution de l'opinion publique au gouvernement de sociétés étatiques complexes par les mécanismes de la démocratie représentative. ? ? Structure sociale et opinion publique ?, dans Gaston BERGER et coll., l'Opinion publique, Presses universitaires de France, Paris, 1957, 71. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 261 primaires et que, dans les conditions de la société moderne, l'homme était devenu captif des télémedia. C'est dans cet esprit que, par référence surtout aux journaux, Joseph Goebbels écrivit : ? Celui qui parle le premier au monde a toujours raison. ? Par contre et à l'inverse, qui n'a pas surpris les responsables de la télédiffusion se plaindre de ce que ? personne ne nous écoute ? ! Toute la question de l'effet réel des télémedia relève d'une analyse factorielle - qui reste à faire - de trois éléments : l'exposition, la perception et la rétention. La réponse désabusée que Berelson a apportée à cette question, il y a plus de vingt ans, est toujours de mise : ? Certaines communications sur certains événements à 177certaines personnes produisent certains effets . ? On sait toutefois maintenant que dans la mesure où les télémedia influent sur les opinions, ils n'agissent pas seuls mais en conjonction avec les circuits primaires. Depuis que Katz et Lazarsfeld ont découvert le rôle des groupes restreints (famille, amis, voisins, compagnons de travail) comme relais de transmission ou de blocage des messages émanant des télémedia (notion du two-step flow of communication), nombre d'études ont été menées pour identifier la nature du phénomène. On connaît assez bien comment il se présente dans le domaine de la publicité commerciale et dans celui des campagnes électorales et 178on lui découvre tous les jours de nouvelles dimensions . 177 Bernard BERELSON, ? Communications and Public Opinion ?, cité dans Joseph T. KLAPPER, The Effects of Mass Communication, The Free Press, New York, 1960, 4. 178 Elihu KATZ et Paul LAZARSFELD, Personal Influence. The Part Played by People in the Flow of Mass Communications, The Free Press of Glencoe, 1955. Il semblerait que l'effet des télémedia, notamment de la télévision, sur le déroulement de la campagne électorale et sur le pourcentage et l'orientation partisane des électeurs serait relativement faible. Par contre, il se peut que la télévision influe sur le recrutement politique et contribue à faire émerger un nouveau type d'homme politique. Voir William A. GLASER, ? Television and Voting Turnout ?, Public Opinion Quarterly, Vol. 29, n? 1, 1965, 51-87 ; Angus CAMPBELL, ? Has Television Reshaped Politics ?, Columbia Journalism Review, Vol. 1, n? 1, 1963, dans Edward C. DREYER et Walter A. ROSENBAUM, editors, Political Opinion and Electoral Behavior, Wadsworth, Belmont, California, 1966, 318-323 ; Philip E. CONVERSE, ? Information Flow and the Stability of Partisan Attitudes ?, Public Opinion Quarterly, vol. 26, 1962, dans Ibid., 324-344 ; Herbert A. SIMON et Frederick STERN, ? The Effect of Television Upon Voting Behavior in Iowa Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 262 Dans les grandes villes, des ? isolats ? nombreux et enveloppants recréent en quelque sorte la spontanéité et la cohésion des groupes primaires de la société traditionnelle. Dans les pays en voie de développement, l'émergence d'une culture politique homogène dépend de l'intensité des interactions entre les télémedia et les leaders d'opinion dans les secteurs dynamiques. Dans les entreprises, les individus développent, à côté du réseau officiel de communication, un réseau non officiel qui est, dans une large mesure, responsable du climat de travail et du rendement. Les travaux de Simon, March et Crozier révèlent l'importance stratégique de tels réseaux non officiels. Au cours de ses enquêtes sur les communautés d'entreprises, Albert Meister a relevé une tendance à des regroupements spontanés et cela, non seulement à propos de la participation, mais aussi de l'information. Dans ses propres termes : ? Alors que des réunions spéciales sont organisées périodiquement par les responsables, une bonne partie de l'information des 179membres leur parvient d'autres canaux ?. Meister note que l'information circule plus facilement à l'intérieur de ces regroupements restreints : l'individu se sent plus à l'aise ; n'étant pas condamné à écouter des conférences, il peut spontanément faire part de ses réactions à mesure qu'elles se produisent, et ainsi de suite. Bref, on peut conclure avec Jehlik et Losey, cités par Meister, que le groupe restreint constitue ? un mécanisme social de base pour modeler l'opinion publique, maîtriser les rumeurs locales, engendrer la pression sociale, transmettre les nouvelles et développer le leadership ?. Le groupe restreint est un rouage très souvent oublié dans les programmes globaux de réformes. Il est pourtant essentiel au bon fonctionnement des structures sociales et du réseau de communication. in the 1952 Presidential Election ?, The American Political Science Review, vol. 44, n? 3, 1955, 470-477 ; Bernard RUBIN, Political Television, Wadsworth, Belmont, California, 1967 ; Jay G. BLUMLER et Denis MCQUAIL, Television in Politics, Faber and Faber, London, 1968 ; Edward C. CHESTER, Radio, Television and American Politics, Sheed and Ward, New York, 1969 ; V.O. KEY Jr., Public Opinion and American Democracy, Alfred A. Knopf, New York, 1961. 179 Albert MEISTER, ? Participation organisée et participation spontanée ?, l'Année sociologique, 1961, 113. JEHLIK et LOSEY, ? Rural Social Organization in Henry County Indiana ?, cité dans Albert MEISTER, op. cit., 133. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 263 Les conditions d'émergence du leadership dans les groupes restreints et l'influence de tels leaders dans la vie politique ont fait l'objet d'études assez 180poussées . Par contre, la question des rapports que ces leaders ? naturels ? entretiennent avec les dirigeants officiels constitue encore une large zone grise dans nos connaissances. Ces deux types de leaders se rejoignent-ils ? Et si oui, quels modes de contacts s'établissent entre eux ? Les études électorales nous fournissent quelques indications à ce propos. C'est ainsi que des succès jugés surprenants de candidats ou de mouvements ? marginaux ? sont très souvent attribués au fait que ces candidats ou mouvements ont réussi à faire converger les télémedia et les circuits d'influence interpersonnelle dominés par les leaders ? naturels ? au sein des groupes de voisinage, de parenté ou d'usines. Par ailleurs, les télémedia, dans la mesure où ils sont conçus comme des media de masses, sont empêchés de mouler leur action conformément au découpage des structures sociales. En cherchant à rejoindre tout le monde, ils risquent de ne capter vraiment aucun de leurs publics possibles et surtout ils s'empêchent de créer les télépublics qu'il est pourtant de leur nature de faire émerger. D'où le phénomène tant de fois constaté : la plupart des messages émanant des télémedia, même durant les campagnes électorales, se perdent dans le vent. Par ailleurs et pour les mêmes raisons, la capacité de persuasion des télémessages est d'une grande faiblesse : seuls ceux qui partagent déjà le 181sentiment sollicité perçoivent effectivement ces télémessages . 180 Voir Sidney VERBA, Small Groups and Political Life, Princeton University Press, 1961. 181 L'impact des télèmedia sur les diverses couches sociales varie grandement de l'un à l'autre. Les journaux rejoignent surtout le tiers supérieur de la population et la télévision, l'ensemble de la population et plus particulièrement les deux tiers inférieurs. Il semble qu'à l'égard d'un médium comme la télévision les sentiments soient partagés. Ainsi, si 60 pour cent des Américains aiment regarder la télévision, 80 pour cent d'entre eux ressentent un sentiment de culpabilité devant leur appareil (mauvais usage de leur temps, etc.). Pour l'ensemble, toutefois, les effets des télémedia n'ont été étudiés que par référence à des opinions élémentaires ou passagères (tendances partisanes, thèmes de campagnes électorales, etc.). C'est ainsi qu'on ignore dans quelle mesure les télémedia peuvent être considérés comme des agents de changement social ou plutôt de stabilisation sociale. Il semble que leur effet varie considérablement selon les individus et les époques. Les individus instables et les groupes de protestation seraient particulièrement vulnérables à Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 264 L'accès aux télémedia constitue un enjeu de taille : les contraintes techniques limitent rigoureusement le nombre de messages que chacun des media peut 182transmettre ; dans les sociétés libérales surtout, le degré d'autonomie de chaque médium leur permet de décider, du moins jusqu'à un certain point, des messages qu'ils transmettront, de la façon dont ils les transmettront et même d'influer sur la nature de ces messages ; l'utilisation des télémedia exige des déboursés élevés que seuls les individus et les groupes les plus à l'aise financièrement peuvent s'offrir. Peu de données existent sur les caractères et les résultats des luttes qui se livrent pour le contrôle des télémedia. Dans les sociétés libérales, ce sont les groupes les plus puissants, notamment ceux qui représentent les intérêts d'affaires et les gouvernements qui s'approprient la majeure partie du temps ou de l'espace disponible des télémedia. Les messages émanant des grandes entreprises et des l'action des télémedia. De même, les télémedia seraient des moteurs de changement social dans les périodes d'agitation sociale alors qu'ils contribueraient à la stabilisation dans les époques de paix sociale. Voir Joseph T. KLAPPER, The Effects of Mass Communication, The Free Press, New York, 1965, 15, 18, 59, 77 ; Michael LIPSKY, ? Protest as a Political Resource ?, The American Political Science Review, vol. 62, n? 4, 1968, dans Betty H. ZISK, American Political Interest Groups : Readings in Theory and Research, Wadsworth, Belmont, California, 1969, 268-293 ; Thelma MCCORMACK, ? Social Theory and the Mass Media ?, Canadian Journal of Economics and Political Science, vol. 27, n? 4, 1961, 479-490. Quant àl'aptitude des groupes d'intérêt à rejoindre leurs membres ou le grand public par le truchement des télémedia, elle dépend dans une bonne mesure de leurs liens organiques avec les groupes réels qu'ils prétendent représenter. Voir John M. ORBELL, ? An Information-Flow Theory of Community Influence ?, The Journal of Politics, vol. 32, n? 2, 1970, 322-338 ; P. J. TICHENOR, G. A. DONOHUE et C. OLIEN, ? Mass Media Flow and Differential Growth in Knowledge ?, Public Opinion Quarterly, vol. 34, n? 2, 1970, 159-170 ; Herbert E. KRUGMAN et Eugene L. HARTLEY, ? Passive Learning from Television ?, Public Opinion Quarterly, vol. 34, n? 2, 1970, 184-190. 182 Un journal, une revue ne sauraient dépasser un certain nombre de pages (allant de vingt environ dans le cas des journaux européens à plus de cent parfois pour les journaux nord-américains) et, à l'exception des centres qui ont mis au point la télévision par câble, le très petit nombre de circuits disponibles limite rigoureusement le nombre de stations de télévision. À ces contraintes techniques, il faut ajouter celles tenant au goût des usagers et à la quantité innombrable de messages à transmettre (nouvelles, etc.). Voir Richard R. FAGEN, Politics and Communications, 4 ; Lucian W. PYE, op. cit., 58. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 265 gouvernements surchargent à ce point les canaux de diffusion que même ces organisations très puissantes doivent établir un ordre de priorité dans les messages qu'ils veulent communiquer à la population par le truchement des télémedia. Les grandes entreprises sont aujourd'hui dix fois plus puissantes et infiniment plus complexes que l'empire de Rothschild en 1810 et celui de Carnegie en 1890 et la quantité de biens et de services que créent, transforment et distribuent les gouvernements est infiniment plus grande aujourd'hui qu'en 1890. Grandes entreprises et gouvernements, sans toutefois chercher à s'éliminer mutuellement, se livrent à une concurrence de tous les instants pour s'assurer de la meilleure présence possible dans les télémedia. En outre, cette recherche d'une présence privilégiée dans les télémedia n'est pas le fait de tous les agents économiques ou politiques. La meilleure part revient aux premiers ministres, à certains ministres particulièrement ? colorés ?, tandis que simples députés, fonctionnaires ou juges doivent faire des esclandres pour attirer sur eux une attention qui, eu égard aux circonstances, ne les sert pas toujours. Quant aux agents sociaux, exception faite des dirigeants des organisations les plus considérables (associations d'affaires, unions ouvrières, associations d'enseignants ou patriotiques, etc.,) et de certains individus prestigieux, il leur faut commettre des actes vraiment insolites (de préférence des 183délits criminels) pour obtenir un accès aux télémedia . 183 Il est pertinent de mentionner ici le phénomène de la concentration de la propriété des télémedia en quelques mains. Dans les pays communistes, c'est le plus souvent l'État qui possède et contrôle les télémedia tandis que dans les sociétés libérales prédominent quelques financiers et dirigeants d'entreprise souvent très influents au sein des grands groupes d'affaires. Même aux États- Unis, l'accès direct des unions ouvrières aux télémedia est faible et ailleurs il est souvent presque nul : nombre de groupes d'intérêt, y compris les unions ouvrières, disposent de canaux propres de communication (lettres circulaires, journaux, stations radiophoniques, etc.). Certains pays, tels la Grande- Bretagne et le Canada, ont créé des régies qui possèdent au moins une chaîne de radio et de télévision et contrôlent plus ou moins étroitement l'ensemble du réseau. Quelle est l'influence réelle des propriétaires ? Nulle selon certains, énorme selon d'autres. Ce ne sont généralement pas tant les propriétaires eux- mêmes qu'il faut mettre en cause que ceux qui gèrent leurs affaires et parfois, surtout dans le cas de la télévision, les gros annonceurs et les commanditaires. L'influence des directeurs des télémedia se fait sentir dans toutes les activités de ces derniers et peut-être de façon toute particulière dans la détermination Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 266 Comptent également les dispositions des télécommunicateurs, leur sens professionnel, les conditions de leurs chances d'avancement, leur liberté d'action, la contrainte de la cote d'écoute qui brime leurs initiatives, etc. C'est grâce au vouloir parfois obstiné des télécommunicateurs que les télémedia conservent un certain degré d'indépendance réelle par rapport aux entreprises et aux gouvernements. Cette indépendance cependant ne peut être que partielle parce que, soumis aux contraintes impérieuses du jour à jour et captifs d'agences de nouvelles et de services officiels d'informations, ils doivent transmettre les ? nouvelles ? que d'autres produisent. La création d'offices d'information gouvernementale pourrait toutefois réduire considérablement cette dépendance si ces offices étaient eux-mêmes indépendants du gouvernement du jour et si les services d'information gouvernementaux étaient vraiment à leur disposition. On devrait d'ailleurs créer des services similaires d'information industrielle et syndicale. C'est grâce à la ténacité des télécommunicateurs que journaux, radio et télévision véhiculent une quantité impressionnante de messages dont la valeur informative et formative est considérable. Les conditions actuelles de l'exercice de leur métier de même que, sans doute, les limites de leur compétence et de leur souci de l'intérêt public général, empêchent toutefois la majorité des télécommunicateurs d'agir en profondeur sur les nombreuses contraintes socio-politiques qui s'exercent sur les télémedia. des critères qui en permettent l'accessibilité. Voir Morris L. ERNST, The First Freedom, Macmillan, New York, 1946 ; Francis E. ROURKE, Secrecy, Publicity and the Dilemna of Democracy, The John Hopkins Press, Baltimore, 1961 ; Bernard RUBIN, op. cit. ; David FINN, ? The Management of Pressures and Opinion ?, dans Harlan CLEVELAND et Harold D. LASSWELL, Ethics and Bigness, Harper, New York, 1962, 73-80 ; Jean MEYNAUD, Nouvelles Etudes sur les groupes de pression en France, Armand Colin, Paris, 1961, 189-192 ; V.O. KEY Jr., Public Opinion and American Democracy, 344-405 ; Gabriel ALMOND, ? A Comparative Study of Interest Groups and the Political Process. A Research Note ?, The American Political Science Review, vol. 52, n? 1, 1958 ; Allen POTTER, Organized Groups in British National Politics, Faber and Faber, London, 1961, 334-368 ; aussi nombre de bons exposés d'auteurs différents dans Reo M. CHRISTENSON et Robert O. MCWILLIAMS, editors, Voice of the People, Readings in Public Opinion and Propaganda, McGraw-Hill, New York, 1962, 108-221. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 267 C'est dans ce contexte général qu'il faut juger de l'influence effective des télémedia sur les publics. Ainsi s'explique le fait que les questions d'intérêt public général émergent si mal de la quantité énorme des messages transmis à la population. Sans doute, dans les sociétés libérales, la mission des télémedia consiste tout autant à distraire qu'à informer et beaucoup plus qu'à former. Certes, nombre de messages, comme les pages ou les émissions d'informations, les pages éditoriales ou les émissions d'affaires publiques, etc., visent nettement à la formation des publics. De tels efforts ont des effets que nous ne pouvons mesurer à défaut d'analyses sérieuses. Le poids de ces efforts ne peut d'ailleurs s'apprécier isolément du volume entier des messages. Il est probable que la majeure partie des opinions qu'un médium, potentiellement aussi puissant que la télévision, contribue à faire émerger sont tellement triviales que des sociétés moins léthargiques et désabusées que les nôtres ne pourraient les tolérer. La structure même des contrôles et des sollicitations s'exerçant sur les télémedia incite ces derniers à adopter le langage le plus élémentaire qui soit, c'est-à-dire le langage de la publicité commerciale ou politique. Ce n'est guère exagérer que de dire des télémedia, surtout de la télévision, qu'ils vivent de la promotion des savons, des gadgets, des stars et des hommes politiques. III. ? MEDIA ? DE COMMUNICATION ET INFORMATION Retour à la table des matières De tous temps il y a eu des ? données ? et des ? nouvelles ?, mais l'homme n'a pas toujours eu les moyens de les communiquer, c'est-à-dire de les traduire en informations. L'information constitue l'une des principales ressources des grandes organisations modernes. Comme les autres produits de la technologie, elle connaît trois phases : l'artisanat, la production en chaîne et l'automation. Elle est aujourd'hui en train d'accéder à la troisième phase. Cependant, dans certains secteurs, les résistances de vieux rouages et de mentalités anciennes la maintiennent fermement clouée à l'âge artisanal. Ce n'est toutefois que depuis peu que l'information est devenue un domaine majeur de préoccupation pour la recherche scientifique. Pour l'ensemble, les Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 268 instruments d'analyse sont encore rudimentaires, les connaissances, incertaines. C'est ainsi que nous ignorons si l'information constitue un ensemble homogène ou si elle se différencie selon son contenu. Par exemple, l'information politique diffère-t-elle substantiellement dans sa forme comme dans son contenu d'autres catégories d'informations ? Une discussion engagée sur cette voie risque de rouvrir le stérile débat sur la spécificité du phénomène politique et de la science politique elle-même. Nous supposons que, du moment qu'à un point majeur d'un circuit de communication se trouve un rouage ou un agent dont la visée concerne la conversion des idéologies, pressions et intérêts sociaux en demandes et soutiens politiques ou encore la transmission des volontés politiques aux agents sociaux, l'information revêt un caractère politique. C'est ainsi qu'un message dont la source est syndicaliste et qui s'adresse à un député, fonctionnaire ou ministre, sera dit politique tout comme d'ailleurs un message émanant d'un député, fonctionnaire ou ministre et destiné à un syndicaliste. De même, sera dit politique un message qui emprunte la voie des partis, groupes d'intérêt, conseils consultatifs ou media de communication, quel que soit l'émetteur ou le récepteur pourvu que son contenu soit politique ou quel que soit son contenu pourvu que l'émetteur ou le récepteur 184soit politique . 184 Ces distinctions sont grossières mais nous devons nous en contenter. Nous ne disposons malheureusement pas de critères de classement valables des catégories d'informations susceptibles d'être qualifiées de ? politiques ?. il faudrait tout au moins une taxonomie minimale permettant de distinguer : (1?) les informations internes étatiques (c'est-à-dire circulant au sein des grandes composantes ou fonctions du système politique : législative, gouvernementale, administrative et juridictionnelle) ; (2?) les catégories d'informations internes propres à une fonction du système politique (ainsi que les informations administratives qui elles-mêmes peuvent être intraministérielles, interministérielles ou non ministérielles) ; (3?) les informations émanant des mécanismes d'interactions systémiques (partis, groupes d'intérêt, conseils consultatifs, media de communication) ; (4?) les informations externes (émanant d'une des fonctions du système politique et dirigées vers des publics ou vice-versa) ; (5?) les informations internationales (dirigées vers d'autres systèmes politiques, le système international ou une de ses composantes). Le présent exposé portera surtout sur les informations externes, c'est-à-dire celles que les composantes du système politique ou les mécanismes d'interactions transmettent aux publics ou encore celles que ces derniers orientent vers le système politique ou vers les mécanismes d'interactions. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 269 Tout comme, selon notre méthode d'analyse, une société comprend deux systèmes différents, un système politique et un système social, et deux catégories distinctes d'agents, les agents sociaux et les agents politiques, de même peut-on distinguer deux catégories générales d'informations, les informations politiques et les informations sociales (économiques, culturelles, etc.). Les deux catégories d'informations dépendent de conditions différentes tant pour leur production, leur conservation et leur distribution que du point de vue de l'usage que l'une et l'autre catégorie d'agents tend à en faire. C'est ainsi que, dans un régime libéral, les informations ? politiques ? sont soumises à des préoccupations reliées plus ou moins directement à la règle de majorité tandis que les informations ? sociales ? sont reliées au souci de contrôler les opinions. En outre, les agents politiques utilisent le pouvoir que leur confère la masse énorme des informations dont ils disposent comme une arme dans leurs rapports avec les agents sociaux et ces derniers agissent de même à l'endroit des agents politiques. De tels comportements ne favorisent guère la bonne circulation des informations plus souvent conçues, de part et d'autre, comme un monopole et comme une arme que comme un bien commun et un service. L'information est une ressource dont doit disposer tout individu ou groupe qui se veut efficace. Dans les termes de François Perroux : ? L'information d'un agent est, peut-on dire, l'ensemble des variables qui constituent son horizon économique ; elle est, d'autre part, l'ensemble des variables qu'il prend en considération effective pour dresser le plan d'une action économique déterminée et pour le réviser en cours de développement. ? En outre, en régime capitaliste, l'information est ni plus ni moins qu'une marchandise dont le coût, comme dans le cas de toute marchandise, est déterminé par la loi de l'offre et de la demande. Toujours selon François Perroux : L'information s'intègre encore à de nombreux plans, aujourd'hui, comme l'objet même de la production et de l'échange. La presse, la publicité, les public relations vendent de l'information, plus précisément les supports de l'information. Les ingénieurs-conseils, les ingénieurs sociaux, les conseillers techniques, les spécialistes du marketing procurent, contre argent, de l'information ; il en est de même des professeurs, avocats, médecins, chercheurs scientifiques, travailleurs de laboratoires. [Or] L'information circule dans les régimes économiques de concurrence Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 270 monopolistique, d'oligopoles, de groupes et d'ententes... Les meilleurs services en matière d'information peuvent être acquis par les plus grands et les plus puissants : ils s'attachent les meilleurs personnels pour la recherche technique, pour la prévision, l'étude des marchés, la publicité, les public relations, les meilleurs intermédiaires entre leur firme et l'État ; ils peuvent s'assurer des positions stratégiques dans la presse... Les régimes d'opinion sont souvent des dispositifs employés pour paralyser l'information. [Sans doute ;] Le grand capitalisme ne parvient pas à étouffer une information directement contraire à la maximation des profits de monopoles. Il se heurte aux résistances du travail organisé. Il doit compter avec de véritables pouvoirs à base d'information : le pouvoir des savants, des chercheurs et des techniciens de la science pure et appliquée, le pouvoir de quelques élites politiques et administratives armées d'un savoir économique scientifiquement contrôlé. Mais, ici encore, la tâche des gouvernements est capitale et irremplaçable. En effet, bien que l'État lui-même soit ? dépendant des grands intérêts (qui) l'assiègent et même l'occupent ?, celui-ci est l'unique garant d'une information d'intérêt général démythifiée, qui seule peut soutenir ? la lutte des plus 185défavorisés par l'information ?. On ne peut aborder la question de l'information politique en faisant abstraction du cadre social dans lequel elle s'insère obligatoirement. Les agents politiques, en effet, dans leur recherche de l'information, sont constamment mis en contact avec nombre d'organisations économiques, sociales, culturelles qui, selon les circonstances, leur sont alliées ou rivales. Ils partagent en bonne partie avec ces dernières le même réseau national et international de communication et les circuits qui leur appartiennent en propre ne sont pas, il s'en faut, toujours les plus puissants. Toutefois, ils ont un singulier avantage sur leurs concurrents : ils détiennent les commandes d'un système de décisions impératives qui rejoint virtuellement tous les citoyens et qui est considéré comme légitime par une fraction prépondérante d'entre eux. C'est pourquoi, dans la lutte pour l'utilisation 185 François PERROUX, ? L'information, facteur de progrès économique dans les sociétés du XXème siècle ?, Diogène, vol. 21, 1958, 32-61 ; voir aussi du même auteur : l'Économie du XXème siècle, Presses universitaires de France, Paris, 1961, 347-406. Joseph FOLLIET, l'information moderne et le droit à l'information, Éditions Gamma, Paris, 1969, 378. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 271 des canaux d'information, la plupart du temps surchargés de messages de toutes sortes, ils obtiennent d'ordinaire un traitement privilégié - condition qui va s'imposer de plus en plus à mesure que l'importance du rôle des agents politiques dans le développement deviendra plus manifeste et que les questions de développement elles-mêmes seront davantage perçues comme primordiales. Une double exigence commande de la sorte aux agents politiques de veiller à la création et au maintien d'un réseau de communication capable de permettre la diffusion la plus large possible de l'information : une exigence d'efficacité, reliée au bon fonctionnement de la société ; une exigence de bien commun, dérivée des 186préceptes mêmes de l'humanisme contemporain . L'étude des communications dans les situations concrètes montre comment l'information part des centres émetteurs, circule à travers les circuits du réseau pour rejoindre les récepteurs, agents sociaux ou agents politiques. Dès lors elle met en relief les multiples facettes des structures sociales. Semblable étude montre comment divers types d'activité peuvent être favorisés ou non selon les caractères et le fonctionnement du réseau de communication. Selon que ce dernier transmet les informations de façon adéquate ou non, les organisations remplissent ou non leurs tâches, les interactions utiles entre individus ou groupes se produisent ou non, le fonctionnement des rouages politiques et sociaux se déroule 187selon les règles ou, au contraire, aboutit à un désastre . 186 On peut dès lors distinguer les informations descendantes, c'est-à-dire celles qui vont des agents politiques aux agents sociaux, et les informations montantes, c'est-à-dire celles qui font le parcours inverse. 187 0n pourrait citer de nombreux exemples de désastres résultant du mauvais état du réseau de communication. La raison du piètre développement des communications est souvent imputable au manque d'homogénéité du réseau, dont une partie est de type traditionnel et l'autre de type moderne. C'est ainsi que le désastre minier que relate John Barlow MARTIN dans un poignant article (? The Blast in Centralis No. 5, A Mine Disaster no One Stopped ?, Harpers Magazine, n? 196, mars 1948, 193-220) est attribuable à la difficulté des communications entre les représentants locaux et les patrons et les chefs syndicaux métropolitains. Cet événement résulte du fait que les structures sociales, fondées sur l'électronique, les grandes entreprises, les universités et les grandes organisations politiques qui sont appelées à s'ajouter aux structures traditionnelles ne sont encore qu'en processus d'émergence. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 272 Karl Deutsch suggère les facteurs suivants comme pertinents à cette étude : (I?) La charge des informations, c'est-à-dire le degré et la rapidité des changements dans la position de l'objet une fois qu'il a atteint le milieu ambiant et en rapport avec le but visé par le système ; (2?) Le retard dans les réponses du système, c'est-à-dire le temps qui sépare la réception de l'information concernant la position de l'objet dans le milieu ambiant et l'accomplissement des ajustements correspondant aux buts visés par le système ; (3?) Le gain obtenu dans chaque démarche correctrice du système, c'est-à-dire l'importance du changement dans les conduites qui en résultent ; (4?) Le contrôle des opérations, c'est-à-dire la distance qui sépare les prédictions concernant la position prévue de l'objet dans le milieu ambiant et la position qu'il occupe réellement d'après les signaux les plus récents. L'analyse de ces facteurs, toujours selon Deutsch, permet de poser les questions suivantes sur la qualité de la performance d'un système politique : (1?) Quels sont l'étendue et le degré du changement dans la situation internationale ou intérieure auxquels il doit faire face ? (2?) Quel est le retard dans la réponse du système à un nouvel état d'urgence ou à un nouveau défi ? Combien de temps faut-il au système pour qu'il devienne conscient d'une situation nouvelle ; combien de temps additionnel faut-il pour prendre une décision ; quels délais implique une participation accrue des citoyens ou la pratique de la consultation ? (3?) Quel gain politique résulte de la réponse du système, c'est-à-dire quelle est la vitesse et l'étendue de la réaction d'un système politique aux nouvelles données qu'il a reçues ? Avec quelle rapidité les bureaucraties, les partis, etc., répondent-ils aux ré-allocations de leurs ressources ? (4?) Quelle est l'étendue du contrôle des opérations, c'est-à-dire la capacité d'un système de prédire et d'anticiper de nouveaux problèmes de façon correcte ? Jusqu'à quel point un système s'efforce-t-il d'accroître son contrôle des opérations par la création de rouages de prévision 188spéciaux et d'offices de prospective ou de planification ? 188 Karl W. DEUTSCH, The Nerves of Government, 187-190. Se révèle ici l'importance des canaux de rétroaction pour le système politique. Parce que ses ramifications et son action s'étendent à tout le système social, le système politique requiert des moyens de contrôle et de rajustement d'une grande précision. Il doit constamment connaître la température et la pression barométrique de l'environnement. Retours vers les électeurs, sondages d'opinions, missions d'animation, campagnes d'information, consultation représentent autant de moyens de mesure. Mais leur degré Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 273 Un autre ordre de préoccupations concerne la qualité de la transmission de l'information. En effet dans tout circuit de communication relativement complexe les sources de déformation possible de l'information, émanant de l'émetteur, du récepteur ou du médium, sont très nombreuses (schéma n? 6). SCHÉMA N? 6 Sources de déformation de l'information dans un circuit de communication Retour à la table des matières Source : Cyril ROSEMAN et al., Dimensions of Political Analysis, Prentice- Hall, 1966, 256. Par l'examen du réseau de communication systémique, on suit le cheminement de l'information de sa source à son point de destination : on identifie ainsi les goulots d'étranglement, les centres de distorsions, les points du réseau où la perte d'information (entropie) se produit, les circuits qui créent des interférences ou introduisent des éléments étrangers. Selon le résultat enregistré, les systèmes 189politiques seront dits cohérents ou incohérents . d'exactitude est aléatoire. Les fréquentes oscillations, hésitations et ? erreurs d'évaluation ? au sein des systèmes politiques démontrent l'inefficacité des canaux traditionnels de rétroaction. 189 Richard R. FAGEN, op. cit., 91. Fagen montre que des informations en nombre et en qualité suffisantes sont requises pour le bon fonctionnement du système politique. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 274 En considérant ainsi les systèmes politiques comme des réseaux de communication, plusieurs questions anciennes se présentent sous un jour nouveau ou encore de nouvelles questions se posent. C'est ainsi que la façon dont les systèmes politiques fabriquent et transmettent les informations devient un indice majeur de leur cohésion et de leur cohérence internes. En effet, les systèmes politiques cohésifs et cohérents sont ceux où existent des réseaux de communication intégrés et homogènes. De même la rationalité des choix politiques se trouve intimement liée à la qualité du réseau de communication du système politique. La plupart des grands systèmes doivent traiter des informations concernant une foule de sujets souvent disparates. Pour le système politique la variété de tels sujets est illimitée. Certes, la ? mémoire ? systémique s'est beaucoup accrue récemment par l'invention de moyens électroniques de traitement, classement et entreposage de l'information. Toutefois, l'utilisation réelle de ces nouveaux moyens est souvent fort limitée par suite de considérations de coûts, de temps ou plus simplement d'intérêts partisans ou personnels immédiats. La rationalité des choix se trouve ainsi fonction de la rapidité avec laquelle les centres stratégiques du réseau de communication peuvent faire le tri dans la masse des informations de façon à retenir celles qui, selon les situations, permettront aux responsables de parvenir à des décisions rationnelles et raisonnables. Ces considérations conduisent à poser un problème majeur concernant tout réseau de communication, dont la solution peut être décisive pour, la persistance de toute grande organisation et de façon particulière pour le système politique. Il s'agit de l'identification des points dans les circuits de communication qui peuvent être critiques pour la prise des décisions et l'émission des ordres. En prenant comme exemple une armée, ces points ne peuvent être situés au niveau des généraux qui sont trop peu nombreux et trop éloignés des simples soldats pour disposer de toutes les informations pertinentes ; ils ne peuvent non plus être au niveau des sergents qui, au contraire, sont trop nombreux et trop près des simples soldats pour pouvoir traiter judicieusement les informations éparses et incomplètes dont ils disposent. Ces points se trouvent au niveau des colonels, également assez bien situés dans le réseau de communication par rapport aux simples soldats et par rapport aux états-majors pour pouvoir formuler des jugements justes sur un grand nombre de questions importantes touchant la vie de Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 275 l'armée. Le rang de colonel constitue donc le niveau moyen critique du réseau de 190communication d'une armée . Dans un système politique, un tel rang stratégique serait probablement celui de sous-ministre ou de directeur général d'un important service. Ces personnes, peu connues du grand public, sont par contre les ? éminences grises derrière le trône ?. D'elles dépend la bonne circulation des informations entre les gouvernants et les niveaux intermédiaires de la fonction publique ; en tant qu'intermédiaires entre la ? politique ?, que représentent les ministres, et les fonctionnaires qui possèdent les connaissances spécialisées, elles remplissent un rôle essentiel dans la conversion en décisions politiques de l'information sur les besoins et les aspirations des citoyens, d'une part, et sur les ressources et les coûts, d'autre part. Si les sous-ministres et les directeurs des grands services constituent ainsi les niveaux moyens critiques des systèmes politiques du point de vue de l'information politique externe aussi bien qu'interne, qu'advient-il alors du rôle des parlementaires, des ministres et, plus particulièrement, du premier ministre ? L'aire d'activité des députés, tant ceux du gouvernement que ceux de l'opposition, est généralement limitée à leur circonscription ; celle des ministres dépasse rarement les frontières de leur secteur de responsabilité. Les premiers ministres, dont le champ d'action n'est limité ni sur le plan géographique ni sur le plan des secteurs, se trouvent dans une situation fort ambiguë et souvent pathétique : situation ambiguë parce qu'ils sont les chefs d'un parti et, à ce titre, tout comme les chefs des partis de l'opposition, ils ont des responsabilités bien définies vis-à-vis une clientèle qui a des droits précis sur eux ; d'autre part, ils sont les leaders, les guides de la nation et, à ce titre aussi, ils ont des responsabilités auxquelles ils ne peuvent se dérober. Par suite de ce double leadership, le premier ministre est, pour ainsi dire, le garant de la qualité de toute l'information politique qui circule dans un pays. Plus encore : il doit prévoir correctement les réactions du public aux décisions du gouvernement ; il doit aussi prévoir les conséquences plus générales de chaque décision tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays. Il doit finalement pouvoir anticiper les événements. Outre le fait qu'un pays ne saurait être bien gouverné si le premier ministre est incapable d'anticiper les événements et d'en expliciter la portée auprès des membres de son parti et plus encore auprès de 190 Morris JAN0WITZ, The Professional Soldier, The Free Press of Glencoe, 1960 ; Karl W. DEUTSCIL, op. cit., l54. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 276 l'ensemble de la population, son avenir même en tant que leader dépend de cette 191double aptitude . Mais les efforts souvent considérables des premiers ministres pour communiquer avec le peuple sont pathétiques parce que, s'ils peuvent avoir des effets psychologiques considérables, ils ont la plupart du temps fort peu d'effets réels sur la qualité de l'information dans une société donnée : coudoyer les foules, échanger des poignées de mains, prononcer des discours, tenir des conférences de presse, se présenter devant les caméras de la télévision, tout cela consume une part considérable du temps et de l'énergie des premiers ministres mais, dans des circonstances normales et compte non tenu de considérations électorales, tout cela est d'un rendement bien médiocre. Par ailleurs, de telles activités divertissent les premiers ministres de leurs tâches nombreuses, accaparantes et essentielles au sein du gouvernement et de leur propre bureau. Le problème est d'autant plus grave que les bureaux des premiers ministres sont généralement loin d'être organisés de façon à être stratégiquement situés dans le réseau de communication du système politique. En effet, ce sont habituellement les ministres, responsables des divers secteurs d'activité du gouvernement, qui fournissent, eux-mêmes ou par l'office d'intermédiaires, au premier ministre et aux membres du bureau du premier ministre les informations sur les activités de leurs ministères. Or, les ministres, pour toutes sortes de raisons, sont des sources médiocres d'information : ils sont trop accaparés, ils ont trop d'intérêts personnels à sauvegarder, ils sont souvent trop peu compétents dans leur propre domaine. S'ils se montrent très zélés dans l'accomplissement de tâches relevant des relations publiques, les premiers ministres risquent de transmettre des informations d'intérêt secondaire, biaisées, inadéquates ou même erronées. Dans l'ère où nous sommes, les bureaux des premiers ministres devraient être des chambres électroniques qui recevraient directement, à la source, les informations venant de toutes les parties du système politique et du système social et qui feraient le tri de ces informations conformément aux divers rôles du premier ministre comme principal garant, devant le Parlement et les citoyens, de la qualité 191 Sur le rôle du leader politique, voir, de l'auteur, ? The Concept of Political Leadership ?, Revue canadienne de science politique, vol. 1, n? 1, mars 1968, 2-18. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 277 de l'information émanant de l'administration et du Cabinet. En outre, ces bureaux devraient recevoir et classer de façon méthodique les informations selon les sources fort diverses dont elles émanent (simples citoyens, chefs d'entreprise, syndicalistes, fonctionnaires, députés, ministres) et ces informations devraient être recueillies selon les méthodes les plus variées (conversations, correspondance, pétitions, sondages et procédés électroniques). Par de tels aménagements, les premiers ministres recevraient de leurs conseillers, de façon rapide et sûre, les données susceptibles de leur permettre de remplir efficacement leurs rôles de chefs de parti et de leaders de la nation tout en leur laissant plus de loisirs pour l'accomplissement de leurs nombreuses et accaparantes activités symboliques et mondaines. Un problème, bien sûr, demeure : celui du rapprochement nécessaire du gouvernement moderne et du peuple. Ce problème, semble-t-il, n'est pas près d'être résolu. Mais il est certain qu'en dépit de tous leurs efforts, ceux qu'ils font déjà ou ceux qu'ils pourraient faire, les premiers ministres ne sont pas en mesure d'effectuer eux-mêmes et à eux seuls ce rapprochement. C'est dans d'autres directions qu'il faut chercher les voies véritables de solutions à ce problème majeur. Dans le contexte de développement optimal de toutes les ressources physiques et humaines dans lequel nous devons obligatoirement nous situer, le besoin de la rationalité des décisions devient impérieux. Or, pour que les décisions soient rationnelles, il s'impose que le réseau de communication ne se confine pas à un seul système, le système politique ou encore le système social. Il faut, au contraire, que de larges avenues de communication soient ouvertes entre les deux systèmes de façon à garantir la qualité des informations. Les centres de pouvoir étant nombreux, il y a forcément interdépendance entre agents sociaux et agents politiques. Ni les uns ni les autres ne détiennent un monopole de l'information. Au contraire, les agents de chaque catégorie disposent d'informations qui doivent être communiquées aux agents de l'autre catégorie pour que ces derniers soient en mesure de prendre des décisions rationnelles. Les agents sociaux possèdent une grande quantité de connaissances scientifiques, techniques et humaines (conditions physiques et psychologiques concrètes des individus, etc.) sans lesquelles les agents politiques œuvrent dans l'abstrait, sinon dans la nuit. Inversement, les agents politiques ont à leur disposition des banques d'information Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 278 (statistiques, données conjoncturelles et autres) et des contrôles (financiers, réglementaires, etc.) au sujet desquels les agents sociaux, pour agir de façon éclairée, doivent être convenablement informés. Toute visée monopolistique ou oligopolistique de la part d'agents sociaux ou politiques, dans le domaine de l'information, doit être considérée comme irrecevable. Les agissements occultes et les calculs intéressés auxquels les égoïsmes forcenés de l'époque du laisser-faire nous avaient accoutumés doivent être résolument abandonnés. Il y a manifestement là une tâche collective immense qui est appelée, par la force même de la logique qui contraint tous les agents, à être planifiée. Cette tâche exige la collaboration active de tous et, par conséquent, la libre circulation des informations parmi les agents sociaux et politiques. Pour que les sociétés puissent s'engager à fond dans la voie du développement auquel elles sont conviées, l'information doit présenter certains traits susceptibles d'être appréciés à la lumière des critères suivants : 1. L'exactitude, c'est-à-dire la conformité aux faits. L'exactitude est fonction de deux facteurs : de la véracité du message à sa source et de la qualité de la transmission de ce message à travers les canaux de communication (interférences, bruits, distorsions, addition d'éléments étrangers au 192message sous sa forme originelle, etc.) . 2. L'universalité, c'est-à-dire la totalité des faits. L'universalité est fonction du volume et de la rapidité de traitement des informations, de la conjoncture de même que des habitudes bureaucratiques et des exigences sécuritaires. Beaucoup d'informations sont transmises en circuits fermés, c'est-à-dire qu'elles sont soumises à la règle plus ou moins absolue du secret. Il est urgent que les administrations, surtout publiques, élargissent les règles concernant le secret qui, si elles étaient toujours suivies à la lettre, paralyseraient l'ensemble du réseau de communication. La dépendance des fonctionnaires vis-à-vis du secret s'est considérablement 192 Des informations inexactes sont susceptibles de produire de graves conséquences sur le plan national et international. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 279 accrue depuis 1940, c'est-à-dire depuis que les gouvernements, en collaboration avec la grande entreprise, se sont engagés dans la recherche 193militaire et la production de, missiles et de fusées . Le secret s'est trouvé érigé en système. L'imposition du secret a pour effet de créer deux catégories de citoyens : une minorité bien informée sur certaines des questions les plus pressantes de l'heure et une majorité ignorante à l'égard de ces mêmes questions et qui, au surplus, n'a aucune chance d'être instruite. Frein au développement, une telle situation empêche en même temps la pleine émergence d'une société concertée. Cette société, en effet, ne peut s'imaginer que dans un contexte respectueux de l'exigence de 194l'information universelle . 193 Francis E. ROURKE, ? Administrative Secrecy : A Congressional Dilemna ?, The American Political Science Review, vol. 54, n? 3, septembre 1960, 684-695 ; Robert A. DAHL, ? Atomic Energy and the Democratic Process ?, The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 290, novembre 1953, 1-6 : Francis E. ROURKE, SECRECY, Publicity and the Dilemma of Democracy, The John Hopkins Press, Baltimore, 1961. 194 D'aucuns estiment que trop d'informations sur des sujets trop divers sont communiquées simultanément à trop d'individus mal préparés à les absorber et les digérer. Cette condition engendrerait de graves troubles d'ordre psychologique (panique, angoisse, sentiment d'impuissance, schizophrénie, impulsions de révolte). On doit plutôt imputer ces syndromes, dans la mesure où ils se manifestent, à l'anonymat des sources d'information qui, dans la société post-moderne, sont forcément nombreuses et diverses. Trop souvent la structuration des réseaux de communication obéit bien davantage à des exigences techniques qu'à des considérations d'ordre social et humain. D'où le fait qu'ils ne soient pas aménagés de façon à correspondre aux fines différenciations des structures sociales ni par conséquent à répondre aux attentes des divers publics. Une autre source de malaise découle de l'ignorance des effets réels sur les individus et les groupes de l'information et de l'impossibilité par conséquent de rajuster, le cas échéant, ces derniers par suite de la carence des canaux de rétroaction. L'universalité de l'information est requise pour la pleine réalisation de l'homme et pour le mettre en mesure d'assumer la maîtrise de sa destinée. L'information, en effet, est en voie de devenir le principal principe de distribution du pouvoir social et du pouvoir politique entre individus et groupes dans les conditions de la société post-moderne. Le principe essentiel de division sociale entre individus et groupes aujourd'hui n'est plus entre travailleurs et capitalistes, consommateurs et Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 280 Sans doute, la mise au point d'instruments électroniques permettra de pénétrer de plus en plus profondément les régions jusqu'ici ? cachées ? de la matière et de la conscience de même que les énormes progrès anticipés de l'électronique vont décupler les possibilités, déjà si grandes, d'anéantir la vie privée des individus. Les maîtres des ordinateurs, des lasers et des holographes pourront théoriquement disposer de renseignements sur les individus et les groupes infiniment supérieurs à ceux que recueillaient les préfets de police les plus zélés des dictateurs les plus absolus des temps passés. Il faudra inventer des mécanismes de contrôle propres à écarter les abus. La réponse ne réside toutefois pas dans un refus du principe de l'universalité de l'information. 3. L'intelligibilité, c'est-à-dire l'aptitude d'un message à être compris correctement par le destinataire. Plusieurs facteurs influent sur l'intelligibilité de l'information : la complexité intrinsèque du message transmis ; la capacité et la volonté de l'émetteur de s'exprimer clairement ; l'aptitude du circuit à transmettre les aspects du message qui concernent de façon spéciale son déchiffrage ; la compétence du déchiffreur du message à la sortie du circuit, le nombre et le degré de compétence des intermédiaires, et, finalement, dans les cas nombreux où le destinataire est une collectivité de statut socio-économique hétérogène, les différences intellectuelles et émotives chez les récepteurs du message. 4. La pertinence, c'est-à-dire l'adéquation du message aux besoins et caractéristiques du destinataire. Beaucoup d'informations sont non pertinentes, soit parce qu'elles n'entrent aucunement dans le champ d'intérêt du destinataire, soit encore parce qu'elles sont en elles-mêmes dénuées d'intérêt, voire de signification. Dénonçant l'absence de pertinence d'un très grand nombre d'informations qui encombrent aujourd'hui les télémedia, C. Wright Mills parle d'immoralité supérieure (higher immorality) : par voie de conséquence, le sens critique des individus s'amenuise en même temps que s'accroît la somme des producteurs industriels. Elle oppose les producteurs et les consommateurs de l'information. Cette nouvelle division recouvre toutes les autres. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 281 195connaissances . La pertinence est donc fonction du degré d'intelligence critique des agents sociaux et politiques. 5. L'accessibilité, c'est-à-dire la possibilité pour un individu de recevoir un message et d'en retracer le cheminement depuis son point d'arrivée jusqu'à sa source. L'accessibilité est fonction de la distance physique du destinataire par rapport aux media de communication de même que, plus profondément, de la distance psychologique qui le sépare des centres de décision. Les caractéristiques personnelles du destinataire et son statut socio-économique sont ici des variables essentielles. Sous chacun de ces cinq critères, tant dans sa substance que dans les conditions de sa distribution parmi les diverses couches de la population, l'information se révèle aujourd'hui bien déficiente. L'amélioration, de la situation se heurte à plusieurs difficultés d'ordre non pas surtout technique mais avant tout social et psychologique. La communication doit faire son chemin à travers mille embûches et surmonter mille obstacles. Il y a d'abord le fait que le réseau de communication ne s'étend pas de façon homogène parmi toutes les couches de la population, que des circuits entiers (revues et magazines) ne rejoignent pas de façon signifiante, tout au moins sous l'aspect politique, les deux tiers inférieurs de la population et que d'autres circuits (livres et revues d'intérêt politique, publications gouvernementales, bilans d'entreprises, etc.) touchent au maximum 10 pour cent de la population. Dans une grande mesure, en dehors des cercles spécialisés, toute information émanant de tels circuits est sans récepteur. En outre, la plupart des circuits qui rejoignent la masse de la population (télévision, journaux populaires), par leur contenu et leur volume, dévalorisent et vont jusqu'à ? noyer ? les messages d'intérêt général. Ces conditions diverses expliquent que les effets des télémedia sont très souvent décevants. C'est ainsi que les individus n'entendent vraiment que les messages qui les confirment dans leurs impressions ou encore qui ne dérangent pas leur sécurité. C'est en effet quand ils se trouvent en état d'équilibre instable qu'ils sont le plus 195 C. Wright MILLS, cité par Irving Louis HOROWITZ dans l'introduction aux essais colligés de Mills sous le titre : Power Politics and People, Oxford University Press, 1963, 19, 599ss. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 282 vulnérables à leur action : les messages remplissent alors la fonction d'une remise 196en équilibre . Or, quand les récepteurs sont des individus, on ne trouve pas toujours cet état de déséquilibre favorable à la transmission des messages. Cette condition se rencontre cependant assez souvent quand il s'agit de messages politiques : il est probable, en effet, que dans le domaine politique les individus ressentent avec une acuité plus grande que dans d'autres domaines le besoin de sécurité. Par ailleurs, la crédibilité d'un message dépend du degré de légitimité accordé à la source de ce message. Or, il semble que ce degré diminue rapidement à mesure qu'on pénètre les couches intermédiaires et inférieures de la population. Plus de gens estiment que la politique est ? pourrie ? parmi ces dernières que parmi les strates supérieures. Il est donc naturel que les messages des ? politiciens ? ne reçoivent pas la même réception dans l'un et l'autre cas. Sans doute, le scepticisme dont on entoure la politique parmi les strates inférieures s'accompagne en même temps de beaucoup de crédulité par suite d'une inaptitude intellectuelle et affective à distinguer entre les prises de position ? réalistes ? et les promesses ? insensées ?. Il n'en est pas moins vrai que la conviction de la ? pourriture ? congénitale de la politique s'accroît avec chaque espoir déçu - espoir d'ailleurs souvent créé par des politiciens qui misent précisément sur la crédulité des gens pour atteindre leurs fins. IV. TENDANCES ÉVOLUTIVES Retour à la table des matières Les télémedia sont au principe de deux révolutions. La première révolution, qui est bien en cours, est celle du bouleversement des cadres de vie traditionnels qu'ils entraînent lors de leur implantation. La seconde révolution, qui est à peine esquissée, est celle d'une récréation du monde dont elles deviendront un agent majeur. Cette seconde révolution se heurte toutefois à des obstacles suffisamment nombreux et redoutables pour la bloquer si on ne parvient pas bientôt à les supprimer. 196 Karl DEUTSCH, op. cit., 147. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 283 Ce fut une faute grave, imputable à l'idéologie qui prédominait au moment de leur avènement, de considérer les télémedia comme des mass media. Cette conception erronée de leur nature, à son tour, accrédita le mythe néfaste pour le destin des sociétés libérales de l'homme de masses et de la société de masses. Et tant il est vrai que c'est la conception qu'on se fait d'un objet qui détermine l'usage qu'on en fait, en livrant les télémedia aux appétits des intérêts commerciaux, des annonceurs et des agences de publicité, on les rive au niveau des goûts les plus élémentaires des individus (concernant la consommation, le besoin de détente, etc.). Dans la même mesure, dans leurs manifestations les plus grossières, on en fait les producteurs d'une culture au rabais (ce que les Allemands appellent le Kitsch), comme auparavant la machine industrielle avait produit un mode de travail au rabais, le travail à la chaîne. Les conséquences de cette faute initiale sont désastreuses. C'est en effet toute la texture de la civilisation du loisir - qui se juxtapose à la civilisation du travail et tend même à prédominer sur cette dernière - qui se trouve mise en cause. En effet, d'une manière ou de l'autre et pour le meilleur ou pour le pire, les télémedia sont appelés à remplir une fraction considérable du temps que l'accroissement de la productivité du travail permet déjà et permettra davantage demain de libérer. Les progrès techniques en cours accroissent énormément les possibilités sociales des télémedia. C'est ainsi que les réseaux aujourd'hui distincts des télécommunications (téléphone, télégraphe, cinéma, télévision) s'intègrent rapidement en un seul système et que la mise au point de la télévision par câble et de la télévision à antennes collectives (STAC) va augmenter considérablement le nombre de canaux disponibles dans une région donnée. Toutefois, si des intérêts purement commerciaux prennent en charge ces développements technologiques, la portée sociale de ces derniers sera faible. Si quatre-vingts canaux différents de télévision diffusent en fin de compte le même message, les individus et groupes seront aussi captifs qu'à l'époque où ils ne disposaient que d'un seul canal. Il s'impose de briser le contrôle que maintiennent sur les télémedia des groupes restreints qui s'en servent pour la mobilisation des esprits au profit d'intérêts purement mercantiles ou afin de propager l'idéologie des groupes dominants. Pour que les télémedia deviennent des véhicules aussi importants de participation politique qu'ils le sont présentement de la publicité commerciale, il faut faire en sorte qu'ils échappent enfin à l'emprise des producteurs des biens de Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 284 consommation de même que des propagandistes des visées technocratiques et passent sous le contrôle de la société entière. Les télémedia ne poursuivront leur triple vocation manifeste : récréer, informer et former l'homme, que s'ils se greffent fermement sur les structures sociales les plus proches des individus et s'ils s'intègrent de façon organique aux canaux immédiats qu'utilisent les groupes sociaux réels pour communiquer. De la sorte seulement contribueront-ils à dénouer la crise spirituelle dans laquelle nos sociétés s'enlisent, au lieu de l'aggraver comme c'est présentement le cas. Ainsi les télémedia serviront enfin les projets des organisations communautaires, ils soutiendront les campagnes de formation et d'animation de 197groupes particuliers, et ainsi de suite . Et même, on voit poindre le jour où la télévision sera utilisée directement, tout comme aujourd'hui le téléphone, par les usagers eux-mêmes. Les grands réseaux de communication ne sont pas appelés à disparaître, comme on l'affirme parfois, mais ils définiront leurs rôles en fonction d'audiences spécialisées et non plus par rapport à un quelconque mass man défini par de vagues mesures, telles que l'ampleur du tirage, le nombre de lecteurs ou la cote d'écoute. En outre, parallèlement aux grands réseaux qui continueront à maintenir le contact entre le monde du quotidien et de la localité et celui des grands ensembles, se créeront, au niveau des secteurs d'activité et des villages, 197 Les programmes expérimentaux de télévision éducative, TEVEC (1968- 1970) au Lac-Saint-Jean et dans le Nord-Est du Québec, et Mulli-Media mis en vigueur en 1971 dans la région montréalaise et le Nord-Ouest du Québec, mettent en évidence les énormes possibilités des télémedia quand ils s'articulent aux circuits de communication liés aux structures sociales. Par l'utilisation simultanée et organique de la télévision en circuit ouvert, des cours par correspondance et de l'animation pédagogique, on crée un instrument pédagogique adapté aux besoins et aux circonstances de vie de dizaines de milliers d'adultes. Les intéressés collaborent à la mise au point des programmes, au contrôle des résultats et aux rajustements requis en cours de route. Ils complètent de la sorte leur cours secondaire qu'ils avaient dû interrompre dans leur jeunesse pour diverses raisons. Il s'agit là d'une formule vraiment révolutionnaire : au lieu d'amener les élèves à l'école, c'est au contraire l'école - mais une école radicalement transformée - qui pénètre dans le foyer des élèves. Voir Jean-Paul L'ALLIER, ministre des Communications, Pour une politique québécoise des communications, Ministère des Communications, Québec, 1971 (? document de travail ?). Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 285 une foule de circuits restreints qu'animeront les publics eux-mêmes en fonction de leurs préoccupations immédiates. Il s'impose donc qu'on définisse dorénavant les télémedia en fonction de télépublics précis et même qu'on vise à ce que les télémedia créent leurs propres télépublics. La transition des mass media aux télémedia sensibles aux fines différenciations des structures sociales requerra cependant un redressement radical de la conception de leur fonctionnement (schémas n? 7 et n? 8). Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 286 SCHÉMA N? 7 Conception du fonctionnement des ? télémedia ? comme instruments de masses Retour à la table des matières SCHÉMA N? 8 Conception du fonctionnement des ? télémedia ? comme agents des structures sociales Retour à la table des matières Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 287 La greffe des télémedia sur les structures sociales de façon à ce qu'ils se moulent sur la vie des individus et des groupes ne suffira cependant pas à elle 198seule à permettre aux télémedia de remplir pleinement leur vocation . Il faudra en outre améliorer la qualité du message lui-même, c'est-à-dire faire des télémedia les puissants véhicules de l'information qu'il est de leur nature de devenir. Le réseau de communication tel qu'il opère présentement comporte de graves déficiences qui se répercutent grandement sur la qualité de l'information politique. Une condition de l'amélioration de l'information politique réside dans une action sur les points critiques du réseau de communication du système social. Il s'agit d'identifier les positions dans le système social correspondant au rang de ? colonel ?, c'est-à-dire de trouver les frères d'esprit et les compagnons d'armes des sous-ministres et des directeurs généraux des grands services administratifs. L'analyse des catégories de personnes, dans les divers secteurs d'activité sociale, avec lesquelles les ? colonels ? entrent fréquemment en contact (par téléphone, lettres, rencontres personnelles, etc.) nous fournirait la réponse à cette question. Il s'agit en gros des chefs d'entreprise, des directeurs des télémedia, des dirigeants syndicaux, des dirigeants des grands groupes d'intérêt et autres personnes occupant dans le système social un rang qui leur confère une position stratégique dans le réseau social de communication. L'examen des rapports entre agents 198 Les protagonistes de la télévision communautaire tirent trop rapidement la conclusion que, du moment que les télémedia seront sous le contrôle des micro-milieux, ils seront utilisés pour le mieux-être qualitatif de l'homme et le progrès collectif. À l'encontre de cette conviction, rappelons que ce n'est pas sous l'impulsion de valeurs ou de projets exprimés au niveau communautaire que l'humanité a accompli jusqu'ici ses plus beaux élans. À moins qu'on y prenne sérieusement garde, la télévision communautaire pourrait aboutir à la fragmentation de la conscience sociale, à la stagnation de la civilisation, tomber sous le contrôle d'oligarchies locales ou encore de puissants intérêts financiers ou politiques métropolitains. Il faudra viser, en même temps qu'à l'autonomie des circuits communautaires, à l'articulation de ces derniers aux grands réseaux de communications. De la sorte, s'instituera entre le monde du quotidien et de la localité et celui des grands ensembles la dialectique - que les mass media n'ont pu produire - du particulier et de l'universel, point d'amorce nécessaire vers les plus hauts paliers de civilisation. Pour un exposé contenant certains éléments de notre conception du rôle que les télémedia devraient remplir dans les sociétés post-industrielles, voir COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LES COMMUNICATIONS (Télé-commission), Univers sans distance, Information Canada, Ottawa, 1971. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 288 sociaux et agents politiques qui occupent des positions stratégiques dans le réseau de communication de leur système respectif doit être la clé de voûte de toute étude de l'information politique. Parmi les questions que posent les rapports entre les deux catégories d'agents, les suivantes sont particulièrement pertinentes : quelles sont les règles qui président à l'initiative de la prise de contact ? Quels sont les canaux de communication empruntés ? Quels échanges se font au cours de ces contacts ? Jusqu'à quel point l'information au sens strict entre-t-elle dans ces échanges ? Les agents se sentent-ils ou non de part et d'autre liés par les règles du secret ? Dans quelles circonstances sont-ils conduits à s'échanger des ? confidences ? ? Quels points des réseaux de communication, dans l'un et l'autre systèmes, sont particulièrement saturés ou au contraire particulièrement libres ? Quelles avenues les mécanismes d'interactions des deux systèmes (partis, groupes d'intérêt, conseils consultatifs, media de communication) sont le plus fréquemment empruntées dans les contacts entre les deux catégories d'agents ? Comment celles-ci perçoivent-elles l'importance relative de ces diverses avenues ? De telles recherches, et d'autres similaires, feraient voir sous leur véritable jour les réseaux de communication : les points de solidité et de moindre résistance seraient mis en relief. Et il deviendrait possible d'aviser de façon réaliste aux réformes qui s'imposent dans la circulation des informations sociales et politiques, au niveau des dirigeants tout au moins. Dans une large mesure, des réformes à ce niveau favoriseraient la prise de décisions rationnelles dans le domaine politique aussi bien que dans le domaine social. Mais pour que ces décisions soient en même temps humaines, il est nécessaire que les communications s'étendent bien au-delà de cette couche supérieure de la population et qu'elles rejoignent les groupes sociaux et les individus eux-mêmes. La découverte et la mise en oeuvre de rouages spécifiques de production et de mise en marché de l'information procure une autre condition de l'amélioration de l'information politique. Cette question, comme les précédentes, ne saurait être convenablement posée si on ne la situait pas dans la problématique du développement. Il va de soi que les données diffèrent selon qu'on se trouve en régime de planification, qu'il soit impératif ou indicatif, ou, au contraire, dans un Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 289 régime où les rapports entre le système politique et le système social sont plus ou moins improvisés. Mais toutes les sociétés sont devenues conscientes, non seulement de l'importance croissante de l'information, mais encore de la nécessité de faire circuler l'information afin que celle-ci rejoigne tous les agents responsables du développement en temps opportun et de manière convenable. Le problème se pose également au plan de la recherche scientifique. La recherche scientifique exige la collaboration active des gouvernants, des entreprises, des universités, des instituts spécialisés de recherches et, à un degré moindre, des grands groupes d'intérêt, tels les syndicats et les professions. Il existe actuellement dans le monde très peu d'instituts de recherches qui permettent des rapports harmonieux entre ces organisations : de vieilles méfiances, des traditions vénérables mais caduques, des calculs étroitement intéressés font obstacle à leur création. Mais, en même temps, des considérations impérieuses d'équipement technique et de ressources intellectuelles et financières obligent à élargir sans cesse le champ des collaborations de sorte que, tôt ou tard, des centres de recherches intégrés sont appelés à être créés. Et ici comme ailleurs, les pays et les blocs de pays qui parviendront les premiers au fil d'arrivée auront de ce fait acquis sur les autres une avance difficilement surmontable. Or, la recherche scientifique est la source vive de toute information qui se conforme aux cinq critères de l'exactitude, de l'universalité, de l'intelligibilité, de la pertinence et de l'accessibilité. Le problème se pose de façon moins manifeste mais également urgente au plan de la cueillette des informations de caractère ? humain ? : besoins, aspirations, réactions, états d'esprit, possibilités physiques et affectives et ainsi de suite. Le ? flair ? de l'homme d'action ne suffit plus. La création d'instituts de sondage a suscité de grands espoirs qui, malheureusement, n'ont été comblés qu'en partie. Les défauts évidents des sondages sur le plan de l'information – défauts tenant à l'ignorance préalable des questions à ? poser ?, à la construction des questionnaires, aux problèmes d'échantillonnage, à la conjoncture particulière qui prévaut au moment des interviews, aux limites des moyens de dépouillement, d'analyse et d'interprétation des données, au temps requis pour l'exécution entière de l'entreprise, etc. - se sont révélés de taille et vont devenir plus flagrants au fur et à mesure que les agents politiques ressentiront de façon plus pressante les exigences du développement. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 290 Les progrès enregistrés dans le domaine des relations humaines ont accru nos connaissances sur le fonctionnement des organisations et sur les points stratégiques dans les circuits de communication au sein de ces dernières. L'étude des relations humaines dans les organisations pourrait être étendue avec profit à tout le domaine des informations sur les problèmes humains. Le recours aux techniques d'? animation ? ouvre de larges possibilités. L'utilisation méthodique des télémedia, plus particulièrement la télévision, constitue un moyen relativement peu coûteux de diffuser les informations. La portée stratégique de ces moyens, qui rejoignent de façon particulière le tiers inférieur de la population, est considérable. Mais, pour une foule de raisons, leur influence directe est minime, voire nulle, si leur action est isolée de l'ensemble du réseau social de communication. Toutefois, en conjuguant le message de la télévision et une mission d'animation sociale, par exemple, cette influence devient considérable. Connaissances scientifiques, spécialisées, pratiques et humaines adéquates, telle est la condition première du succès de tout projet majeur d'action sociale. Aucun peuple n'a cependant encore résolu le problème de la production, de la ? traduction ? et de la circulation de toute l'information disponible à travers le corps social. Même à l'échelle d'un pays, les difficultés d'ordre politique et sécuritaire, ou encore émanant de considérations de concurrence, paraissent insurmontables. Mais, dans l'idéal, c'est à l'échelle de la planète qu'il faut poser le problème de l'information. On se prend à imaginer une grande banque mondiale d'informations à multiples succursales nationales, qui recevrait de celles-ci toutes les informations disponibles et qui leur transmettrait en temps utile toutes les 199informations requises . Eu égard toutefois au contexte international actuel, 199 Les Nations unies et de nombreux organismes internationaux, notamment l'Unesco, s'efforcent de colliger les données relatives aux États membres sur un grand nombre de questions. Par ailleurs, des centres d'analyse comparative utilisant au maximum les possibilités de l'informatique ont été créés au cours des dernières années aux États-Unis. (À ce sujet, voir ? Social Science Data Archives in the United States ?, 1967 ; Richard L. MERRIT et Stein ROKKAN, Comparing Nations : the Use of Quantitative Data in Cross- National Research, New Haven, Yale University Press, 1966 et Paul-André COMEAU, ? Analyse comparative et informatique ?, Revue canadienne de science politique, vol. 1, n? 1, mars 1968, 81-95.) Bien que de tels centres de traitement de l'information fassent état de cent à deux cents variables se Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 291 l'objectif à moyenne échéance doit porter sur la création de telles banques d'information à l'intérieur des blocs de pays et être limité à des secteurs déterminés (par exemple, à l'intérieur du marché commun européen ou entre le Canada et les États-Unis). Mais l'objectif à court terme doit assurément être l'aménagement dans chaque pays d'un réseau de communication s'étendant à tous les réseaux nationaux, ou n'existent pas encore, ou sont incomplets ou imparfaits. Une attention particulière devra être accordée aux mécanismes qui assurent la médiation entre le système social et le système politique (partis, groupes d'intérêt, conseils consultatifs et media de communication). Il importe que ces mécanismes ne constituent pas des goulots d'étranglement ou des instruments de corruption de l'information. Il faudra aussi ré-examiner les compétences et les moyens mis à la disposition des centres nationaux de calcul et de statistiques. Il faudra enfin réviser la constitution, les modes d'opération et les activités des Conseils économiques et sociaux et des Conseils régionaux de développement qui, conjuguant l'exigence de participation et le besoin d'information, pourraient constituer à la fois le cœur et le cerveau des grandes nations modernes. Une dernière condition d'une information politique adéquate concerne les mécanismes de contrôle de l'information. Certes, dans un régime cohérent d'information, les contrôles visant à assurer le respect des cinq critères d'une information adéquate joueront fréquemment de façon automatique dans la mesure même où les media de communication parleront le langage de l'ordinateur. Mais, même dans ces cas, de tels contrôles viseront surtout le produit immédiat et non pas la programmation ni la distribution de l'information. De plus, sans aucun doute pour une période encore assez longue, toute l'information, loin de là, ne résultera pas d'opérations électroniques. Une bonne partie de l'information de caractère humain et même une fraction considérable de l'information technique et scientifique continueront d'être véhiculées par le truchement des moyens rapportant souvent à plus de cent pays, sous leur forme actuelle, les renseignements fournis portent sur des questions élémentaires telles que la population, le produit national brut, l'instruction et ainsi de suite. En outre, les erreurs sont nombreuses et importantes. Enfin, la collecte et la production des données suivent d'une problématique qui, parce qu'elle veut répondre d'avance à toutes les questions possibles, reste informe et hétéroclite. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 292 traditionnels. Enfin, des considérations de toute nature, qui ne seront pas toujours d'ordre supérieur, persisteront à faire obstacle à la collecte, à l'entreposage et à la distribution d'un volume considérable d'informations. La création d'un centre de contrôle, non pas de l'information mais des organisations responsables de l'information à quelque titre que ce soit, procurerait une solution au moins partielle de ces problèmes. Ce centre ne saurait être sous la dépendance directe d'aucun agent impliqué dans le réseau de communication, qu'il s'agisse des universités, des entreprises, des syndicats, des professions ou du gouvernement. Il faut envisager une régie publique autonome, une sorte d'ombudsman collectif, composée de personnes à la fois indépendantes et compétentes et nommées pour une période déterminée. Cette régie veillerait à ce que les services et agents impliqués dans l'information se conforment, selon leurs caractères propres, aux critères d'une information adéquate. Elle déciderait, en dernier ressort, des cas où des considérations de décence, de respect de la vie privée et de la dignité des individus ou d'intérêt supérieur justifieraient la compression de l'information. Les régulateurs seraient en quelque sorte des ? protecteurs ? ou des garants de toute l'information qui circule dans une société. Ils feraient eux-mêmes chaque année un rapport sur leur activité à l'organe auquel, dans chaque système politique, incombe plus particulièrement la sauvegarde de l'intérêt public général. Ainsi, au Canada, cet organe est le Parlement. Il appartiendra d'ailleurs de façon toute particulière à cet organe d'appuyer de toute son autorité la régie dans l'exercice de ses fonctions et, notamment, de garantir l'application des sanctions qu'elle serait autorisée à appliquer contre ceux qui se rendraient coupables de délits. On dit des télémedia qu'ils transmettent les ? nouvelles ?. Cette affirmation est inexacte. En réalité, ils créent une catégorie inédite de nouvelles. Plus encore : en accroissant de façon infinie la transmission du son et, pour la télévision, de l'image, ils opèrent en quelque sorte la re-création du monde. De plus en plus, ils sont eux-mêmes au centre des événements et influent activement sur les conditions de leur déroulement. C'est ainsi que les télémedia n'ont pas seulement contribué à dramatiser l'enlèvement du diplomate James Cross et celui du ministre Pierre Laporte ainsi que l'assassinat de ce dernier au Québec en octobre 1970, ils ont en outre, en quelque façon, dicté le scénario des opérations. En choisissant les télémedia comme intermédiaire des pourparlers, les uns et les autres acceptaient Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 293 de se, soumettre à leur rythme, à leurs aléas et à leurs contraintes particulières. Plus encore : ravisseurs comme autorités gouvernementales, en choisissant les télémedia comme interlocuteurs valables, reconnaissaient en ceux-ci un principe actif du déroulement de la double tragédie. Sans les télémedia, la crise d'octobre 1970 au Québec n'aurait pas eu la même intensité, ni peut-être le même dénouement. On doit prévoir que dans l'avenir les télémedia deviendront un principe majeur d'action socio-politique et qu'ils influeront sur les comportements des hommes d'aujourd'hui au moins au même degré que le tam-tam sur les habitants de la brousse africaine. Pour qu'ils puissent remplir pleinement ces nouveaux rôles, les télémedia devront toutefois cesser de répondre à des sollicitations surtout mercantiles et se libérer du carcan de la ? nouvelle ? conçue comme une réalité figée et sans vie propre. Il s'impose que les télémedia cherchent à satisfaire les besoins immenses et criants des pauvres affamés de nourriture spirituelle que nous sommes, au même titre que les tam-tams font écho aux appels de la faim et de la peur des villageois de la brousse. Nous portons, tout particulièrement vis-à-vis les jeunes pour qui les télémedia représentent une partie prépondérante de leur monde à eux, une responsabilité immédiate d'une ampleur telle que tous les pays et les Nations unies elles-mêmes devraient décréter problème d'urgence planétaire tout le secteur des télécommunications. Si nos sociétés se refusent à prendre dès maintenant les moyens nécessaires pour dénouer la présente crise d'humanisme, imputable dans une large mesure au mauvais aiguillage actuel des télémedia, nos efforts sur les autres fronts de l'action, quels qu'ils soient, sont d'avance voués à l'échec. * * * Groupes d'intérêt, partis, conseils consultatifs, media de communication, chacun selon des modes particuliers, sont le lieu d'une double transmutation de la réalité socio-politique : d'abord, la conversion des outputs du système social (pressions, idéologies et intérêts) en inputs du système politique (demandes et soutiens), ensuite la confrontation et l'harmonisation de ces demandes et soutiens et des volontés et possibilités du système politique, telles que formulées par les agents du système (législateurs, gouvernants, fonctionnaires et juges). C'est en raison de cette alchimie complexe dont ils sont le principe que nous considérons les groupes d'intérêt, les partis, les conseils consultatifs et les media de Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 294 communication comme des mécanismes d'interactions du système social et du système politique. Ce statut insigne de même que les responsabilités redoutables qui en découlent expliquent l'importance que les agents du système social et ceux du système politique leur attribuent. Les premiers attendent de tels mécanismes d'interactions qu'ils contribuent à l'obtention d'un support des agents politiques aux objectifs qui leur tiennent à coeur. Les seconds voient en eux des moyens privilégiés pour s'assurer de l'acquiescement des agents sociaux à leurs projets d'action de même que des centres d'enregistrement rapide et précis des réactions de ces derniers aux décisions et actions politiques. Les mécanismes d'interactions apparaissent de la sorte comme de vastes marchés au sein desquels des biens et des services sont échangés et des transactions effectuées. Mais cette analogie avec le marché économique ne saurait être poussée trop loin. En effet, contrairement à ce qui se passe sur le marché économique, nulle ? main invisible ? n'y dirige l'action des hommes. Si on y décèle le jeu de certains automatismes liés à des conditionnements d'ordre structural et fonctionnel, partout toutefois prédomine la vie surabondante des agents sociaux et politiques. Ce qui s'exprime par les idéologies, les pressions et les intérêts divergents des agents sociaux, c'est en définitive la conscience bien en éveil des aspirations et des besoins humains de même que le souci constant de leur donner satisfaction. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 295 Société et politique : la vie des groupes. Tome second: Dynamique de la société libérale (1972) Quatrième partie À la recherche d’une influence Retour à la table des matières Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 296 L'examen de tout processus politique révèle immanquablement la présence, exubérante ou effacée, des groupes. Ce sont en effet les actions et les réactions des groupes qui sous-tendent la dynamique socio-politique. Partout et toujours des groupes sont à l'oeuvre : ils sont l'âme des mouvements sociaux, le support des enjeux que le rythme des événements fait émerger. Sans eux, sans leur incessant mouvement de va-et-vient, sans leurs convergences et leurs affrontements, le corps social serait inerte. Mais pourquoi donc se dépensent-ils de la sorte ? C'est qu'ils sont les porte-parole de leurs membres et, à ce titre, il leur revient de convertir en idéologies et en intérêts les besoins et les aspirations des individus et de la sorte de les faire accéder à l'existence sociale. Ces idéologies et intérêts avec lesquels ils s'identifient à divers degrés, c'est leur mission de les propager et de les défendre. Et la raison d'être de tous ces efforts, c'est finalement le dessein d'influer sur ceux qui d'une manière ou de l'autre peuvent faciliter ou entraver la poursuite de cette mission. Sous une forme ou sous une autre, la notion d'influence est au centre de la philosophie politique traditionnelle. Elle constitue également l'un des concepts clés des théories politiques récentes. Et pourtant, dans tout le vocabulaire des sciences humaines, il se trouve peu de termes à ce point imprécis. C'est ainsi que la majorité des auteurs assimilent virtuellement la notion d'? influence ? à celles d' ? autorité ?, de ? contrôle ? et de ? pouvoir ?. Ces termes étant à leurs yeux synonymes, ils se laissent guider, pour leur emploi, par de simples considérations de convenance. D'où les définitions que l'on donne de l'autorité, du contrôle ou du 200pouvoir valent également pour l'influence . 200 Gérard BERGERON est l'un des rares à insister pour que des distinctions précises soient faites entre ces termes et plus particulièrement pour que le terme ? contrôle ? soit substitué à celui de pouvoir qu'il voudrait voir bannir du vocabulaire scientifique. Voir le Fonctionnement de l'État, Armand Colin, Paris, 1965 et ? Pouvoir, contrôle et régulation ?, Sociologie et société, vol. 2, n? 2, 1970, 227-249. Bergeron s'en prend surtout aux conceptions du pouvoir comme fonction sociale globale, telle celle de Jean-William LAPIERRE pour qui ? le Pouvoir politique est la fonction sociale qui consiste à prendre les décisions pour l'ensemble de la société globale (ou société civile) et à en Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 297 Ces définitions sont trop répétitives pour qu'il vaille la peine de les reprendre toutes ici. Il suffit de mentionner celles de Max Weber et de Robert A. Dahl dont l'audience est la plus large. Selon Weber, le pouvoir se définit par ? la probabilité que dans un processus d'interaction sociale un agent soit capable d'imposer sa 201volonté en dépit de la résistance d'autres agents ?. Et pour Dahl : ? L'influence est une relation interpersonnelle dans laquelle un agent conduit d'autres agents à 202agir d'une manière différente de la façon dont ils auraient autrement agi . ? assurer l'exécution par l'autorité souveraine et la suprématie de la puissance publique ?. Dans Essai sur le fondement du pouvoir politique, Publications des Annales de la Faculté des Lettres, Aix-en-Provence, 1968, 81. Sur la tendance à hypostasier et à mythifier le pouvoir, qu'on écrit souvent avec un P majuscule quand on l'entend ainsi comme fonction générale de la société civile ou ? puissance ? publique, voir Albert MABILEAU, ? La personnalisation du pouvoir dans les gouvernements démocratiques ?, Revue française de science politique, vol. 10, n? 1, 1960. Il est incontestable que le terme pouvoir est souvent employé sans rigueur et de façon abusive. C'est ainsi qu'on appelle fréquemment ? pouvoirs ? les centres de décisions politiques - l'Assemblée législative, le gouvernement, l'administration et le judiciaire - qu'assaillent individus et groupes et à l'égard desquels ils utilisent leurs ressources dans le but de faire tourner à leur avantage un processus socio-politique. Par extension, on désigne également ? pouvoirs ?, les catégories elles-mêmes de ressources utilisées dans l'exercice d'une influence. C'est à ce double usage que renvoient des expressions courantes comme ? pouvoir politique ?, ? pouvoir économique ? et ? pouvoirs sociaux ?. Dans la présente partie, le pouvoir est considéré comme un des attributs ou une des ressources des agents sociaux ou politiques et, de la sorte, comme l'une des trois mesures de l'influence - les deux autres étant l'autorité et le prestige. 201 Max WEBER, Wirtschaft und Gesellschaft, troisième partie, chapitre II, 631. Pour des traductions anglaises, voir H. H. GERTH et C. Wright MILLS, From Max Weber : Essays in Sociology, Oxford University Press, 1958, 180, et Max WEBER, The Theory of Social and Economic Organization, traduit par A. M. HENDERSON et Talcott PARSONS, The Free Press, Glencoe, Illinois, 1947, 152. 202 La définition de Dahl peut s'exprimer dans une formule lapidaire : ? Le pouvoir de A sur B est la capacité de A d'obtenir que B fasse quelque chose qu'il n'aurait pas fait sans I*intervention de A. ? Robert A. DAHL, Modern Political Analysis, Prentice-Hall, New York, 1963, 40. Aussi Amitai ETZIONI, The Active Society, Collier-Macmillan, London, 1968, 314 ; Jean LHOMME, Pouvoir et société économique, Cujas, Paris, 1966, 277 ; Nelson W. POLSBY, Community Power and Political Theory, Yale University Press, New Haven, 1963, 3. Michel CROZIER, dans le prolongement de son analyse Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 298 La notion d'influence comprend deux éléments essentiels : (a) un processus d'interaction impliquant au moins deux agents dont l'un vise a imposer sa volonté à l'autre, même en dépit de la résistance que ce dernier peut lui offrir ; (b) le résultat de l'interaction, c'est-à-dire le degré selon lequel le premier agent parvient à modifier les attitudes et le comportement du second dans le sens escompté. On peut dès lors entendre par influence le degré selon lequel, au cours d'une relation interpersonnelle ou inter-groupe, un agent parvient à imposer sa volonté à un autre agent et à lui faire adopter des attitudes et des comportements déterminés et ce, malgré les résistances que ce dernier peut lui offrir et même parfois malgré les efforts qu'il déploie pour faire triompher ses propres visées. L'influence ne se présente donc pas comme une simple poussée unilatérale d'un agent sur un autre agent. Ce dernier peut s'opposer à la volonté du premier et même tenter de faire prévaloir ses propres points de vue. La résistance peut être considérable ou négligeable et l'effet obtenu, grand ou nul. C'est précisément le rapport entre la résistance et l'effet obtenu qui constitue le degré de l'influence. L'influence ne peut être en effet le plus souvent que relative, c'est-à-dire que la position qu'adopte finalement un agent diffère de celle qu'il aurait tenue, n'eût été de l'intervention de l'autre agent, sans être pour autant exactement celle que ce dernier souhaitait lui faire tenir (schéma n? 9). stratégique de l'organisation, donne du pouvoir une caractérisation fort intéressante : ? Dans sa négociation avec l'organisation, le pouvoir d'un joueur dépend finalement du contrôle qu'il peur exercer sur une source d'incertitude affectant la poursuite des objectifs de l'organisation et de l'importance de cette source par rapport à toutes les autres sources d'incertitude qui affectent également cette poursuite. Dans sa négociation avec un autre joueur, son pouvoir dépend du contrôle qu'il peut exercer sur une source d'incertitude affectant le comportement de celui-ci dans le cadre des règles du jeu imposées par l'organisation. Dans la Société bloquée, Éditions du Seuil, Paris, 1970. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 299 SCHÉMA N? 9 L'influence dans un processus d'interaction Retour à la table des matières Laboratoire de cartographie, Institut de géographie, Université Laval. L'influence s'exerce ou s'acquiert par suite d'une intervention dans un processus social, c'est-à-dire par la participation à une activité qui implique d'autres agents pouvant avoir des visées différentes. Ces agents peuvent être des individus ou des groupes. Il peut s'ensuivre des coalitions, des collusions, des alliances, des polarisations, temporaires ou permanentes, qu'il s'impose d'identifier afin de reconstituer les pôles d'influence. En effet, contrairement à ce qu'on affirme souvent, il n'y a pas qu'un seul pôle d'influence. Ceux-ci sont divers et nombreux. De la sorte, non seulement la recherche par un agent d'une influence sollicite-t-elle la réaction d'autres agents également impliqués dans le processus mais encore, plus profondément, elle s'effectue dans le contexte de réseaux ou de cercles d'influence, tantôt convergents et tantôt divergents, c'est-à-dire dans le 203contexte de ce que Georges Lavau appelle la ? dissociation du pouvoir ?. Et 203 Georges LAVAU, ? La dissociation du pouvoir ?, Esprit, juin 1953. Aussi Jean LHOMME, op. cit. Il n'en reste pas moins que le ? pouvoir ? tend à être Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 300 cette dissociation ne se révèle pas seulement au fait qu'un ? pouvoir ? social ou économique s'oppose à un ? pouvoir ? politique, mais également par des oppositions au sein même des divers ? pouvoirs ? sociaux, économiques ou politiques. C'est à l'occasion des enjeux socio-politiques que se révèle toute la complexité des alignements des individus et des groupes consécutive à la recherche d'une influence et que se laisse découvrir la multiplicité des convergences et des divergences entre agents sociaux et agents politiques. C'est la recherche d'un gain personnel ou collectif ou encore le souci d'éviter une perte qui suscite la volonté d'exercer une influence. Or, dans cette poursuite de leurs objectifs, les agents cherchent à faire prévaloir des règles du jeu ou des stratégies, ils ont recours à des moyens d'action et ils appliquent des pressions qu'ils jugent propres à leur octroyer la suprématie dans l'émergence et le déroulement des enjeux que suscitent les projets d'action et les prises de décision. Définitions et contre-définitions des buts, stratégies et contre-stratégies, moyens et contre-moyens d'action, pressions et contre-pressions à propos des enjeux, ces objets sociaux qui émergent des débats publics et qui deviennent matière à 204considération par les centres de décision , telles sont finalement les grandes charnières de l'étude de l'influence. Ce sont ces efforts déployés par les agents pour l'emporter dans les interactions socio-politiques que, dans la présente partie, nous allons soumettre à l'examen. Après nous être interrogé sur les interventions des groupes auprès des composantes internes du système politique, après avoir passé en revue les moyens utilisés et après avoir étudié le phénomène de la un ou, selon l'expression d'Alain TOURAINE, ? total ?, c'est-à-dire qu'il tend ? à déterminer directement l'ensemble de l'organisation sociale ?. Dans Sociologie de l'action, Éditions du Seuil, Paris, 1965, 299. Cette aspiration à la totalité est cependant d'ordinaire frustrée par la volonté d'autres agents d'exercer également une influence totale. Cette aspiration n'en correspond pas moins à un rêve immémorial qui sous-tend tous les totalitarismes et qu'on retrouve sous des formes édulcorées dans les efforts de constituer une ? élite de puissance ?. 204 Dans notre tome premier, nous avons proposé la définition suivante de l'enjeu : ? un enjeu est un objet social qui, par suite d'un concours de circonstances, émerge des débats publics et devient matière à considération par les centres de décision et qui, de ce fait, met en cause des idéologies et des intérêts qu'individus et groupes jugent importants pour eux-mêmes ou pour le bien général, ce qui les conduit fréquemment à se départager en factions opposées conformément à leurs positions respectives ?. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 301 participation qui représente pour la plupart des individus l'antichambre de l'influence qu'il est en leur pouvoir d'exercer, nous nous attacherons à l'examen de la mesure de l'influence. Nous nous demanderons notamment si les groupes d'intérêt et, avec eux, les partis, les media de communication et les conseils consultatifs représentent d'importants véhicules d'influence ou si, au contraire, ils ont peu de poids à côté des circuits d'influence qui relient les ? élites ? ou les ? grands ? agents sociaux et politiques, indépendamment des mécanismes d'interactions, ou si les mécanismes d'interactions et circuits interpersonnels ne constituent pas plutôt des segments différents mais finalement convergents d'un même réseau sociétal d'influence. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 302 Société et politique : la vie des groupes. Tome second: Dynamique de la société libérale (1972) Quatrième partie : À la recherche d’une influence Chapitre I Groupes et composantes du système politique Retour à la table des matières Partis, groupes d'intérêt, conseils consultatifs, media de communication, par lesquels s'effectue l'activité socio-politique des groupes, ne constituent pas de simples conducteurs de l'énergie systémique. Ils représentent au contraire des agents actifs du processus socio-politique. Leur tâche est double. Dans un premier mouvement, ils recueillent les outputs (idéologies, intérêts, pressions) du système social et les assimilent conformément à leur vocation propre. Cette action complexe les conduit, dans un second mouvement, à formuler des demandes et à offrir des soutiens à l'endroit du système politique, c'est-à-dire à fournir les inputs de ce système (inputs qui représentent également leurs propres outputs). Il ne suffit pas d'examiner, comme nous l'avons fait dans la partie précédente, comment les mécanismes d'interactions absorbent les outputs du système social et comment ils convertissent leurs propres outputs en inputs du système politique. Il est non moins important de considérer comment les composantes internes du système politique (législation, administration, gouvernement, judiciaire) reçoivent ces inputs et quels rapports se créent de la sorte entre elles et les mécanismes d'interactions. Tout l'effort des mécanismes d'interactions converge finalement Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 303 dans la production de demandes et de soutiens qui traduisent de façon plus ou moins fidèle les attentes politiques des agents sociaux. C'est ainsi qu'ils sont obligatoirement conduits à intervenir auprès des agents politiques. Ces interventions à leur tour engendrent de la part des agents politiques des réactions de toute nature, positives ou négatives, prenant la forme de confrontations, négociations, ententes ou conflits. L'observation attentive de ces interactions renseignera non seulement sur la nature des mécanismes d'interactions mais également sur les composantes internes du système politique. Elle fera notamment voir comment le système définit les possibilités politiques, jusqu'à quel point et à quel rythme il répond aux demandes et aux soutiens qui le sollicitent et il se rajuste ou se corrige en fonction des réactions des agents sociaux et, finalement, quel est le degré de conformité entre les inputs politiques originels et les outputs (actions et décisions politiques). Il existe d'innombrables monographies, surtout américaines, sur les groupes particuliers (d'affaires, professionnels, ouvriers, agricoles, etc.) de même que sur les composantes du système politique. Il n'est pas de notre propos d'en faire ici 205l'étude . Toutes les catégories de groupes n'ont pas une facilité identique d'accès ni ne bénéficient d'une égale audience auprès des diverses composantes du système politique. De même, les composantes ne contribuent pas également à la production des actions et des décisions politiques ni ne revêtent la même importance pour les groupes. Nous nous interrogerons brièvement sur ces points. Par contre, sous l'angle d'analyse qui est le nôtre, il est bien préférable de considérer ensemble les agents des diverses composantes du système politique de 206même que leur contribution respective au processus politique . Par ailleurs, les attentes politiques des groupes se manifestent par l'intermédiaire de chacun des mécanismes d'interactions : des partis, des media de communication et des conseils consultatifs aussi bien que des groupes d'intérêt. Il se révèle même que les uns et les autres entretiennent des rapports privilégiés 205 Nous incorporons une liste partielle de ces monographies à notre bibliographie classifiée des ouvrages cités. 206 Stephen Kemp BAILEY, Congress Makes a Law. The Story Behind the Employment Act of 1946, Columbia University Press, New York, 1950, 236- 240 ; Norman MELLER, ? Legislative Behavior Rescarch ?, dans Michael HAAS et Henry S. KARIEI., Approaches to the Study of Political Science, Chandler, Scranton, Penn., 1970, 242. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 304 avec une composante particulière. C'est ainsi que les partis sont plus spécialement reliés aux Assemblées législatives et les conseils consultatifs à l'administration. Dans le présent chapitre, tout en mettant l'accent sur les groupes d'intérêt, nous ferons état de ces convergences particulières entre mécanismes d'interactions et composantes particulières. Ici, comme ailleurs, nous visons à formuler des propositions qui soient valables pour toutes les sociétés libérales. Nous nous heurtons une fois de plus au problème des comparaisons. Sur ce point particulier de notre recherche, il se peut que, sous l'extrême diversité apparente des situations, se révèlent d'importantes concordances entre pays. C'est du moins l'opinion de Henry W. Ehrmann : ? ... La politique des groupes d'intérêt visant à influencer les décisions administratives révèle une grande uniformité dans toutes les démocraties occidentales. Comparées à ces similitudes, les différences qui tiennent aux institutions politiques ou aux 207moeurs politiques, souvent très diversifiées, pâlissent ... ? Nous traiterons successivement de l'importance relative des diverses composantes pour les groupes, de la variété des points d'accès aux composantes, 207 Henry W. EHRMANN, ? Les groupes d'intérêt et la bureaucratie dans les démocraties occidentales ?, Revue française de science politique, vol. 11, n? 3, 1961, 560-561. Ces concordances sont-elles aussi prononcées en ce qui concerne les relations entre les groupes d'intérêt et les Assemblées législatives ? Jean MEYNAUD est d'avis qu'au plan législatif les généralisations comportent de sérieuses difficultés : ? Des différences notables s'observent également dans des ensembles - ainsi celui que constituent les régimes libéraux - dont on présume un peu trop vite l'homogénéité. Un exemple significatif est la diversité des techniques grâce auxquelles les intérêts professionnels - patronaux, syndicaux, agricoles... - tentent de s'assurer un accès aux Assemblées législatives. Dans certains pays, hommes d'affaires et dirigeants de syndicats briguent eux-mêmes des mandats parlementaires, ailleurs, ils préfèrent confier à d'autres le soin de représenter et de défendre leurs intérêts. Autre exemple : les différences entre pays dans le niveau de professionnalisme des carrières politiques et dans le droit de cumul de mandats publics conjointement avec des activités dans le secteur privé. ? Dans ? Introduction : présentation générale des parlementaires ?, Revue internationale des sciences sociales, vol. 13, n? 4, 1961, 578. Nous estimons les discordances que Jean Meynaud relève ici comme relativement secondaires. Il s'impose toutefois de bien retenir que même le fait de convergences plus fondamentales ne constitue pas une excuse pour passer ces discordances sous silence. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 305 de la portée des interrelations personnelles et de l'importance de la contribution des groupes au pouvoir politique. En conclusion, nous montrerons comment l'examen des relations des mécanismes d'interactions et des composantes du système politique éclaire la crise actuelle des sociétés libérales. I. IMPORTANCE DES COMPOSANTES DU SYSTÈME POLITIQUE POUR LES GROUPES D'INTÉRÊT Retour à la table des matières Si les groupes tentent d'intervenir sur les composantes internes du système politique, c'est qu'ils estiment que ce qui se passe au sein de ces dernières influe sur leur propre destin. Sauf peut-être les conduites électorales, nul domaine de la science politique n'a fait l'objet d'aussi nombreuses études que les ? institutions ? politiques et que les ? systèmes politiques comparés ?. Au souci des détails qui était la caractéristique fondamentale des études ? institutionnalistes ? plus anciennes, s'est récemment substituée une préoccupation théorique. Il ne s'agit plus de présenter des descriptions raffinées des normes et des conduites, mais plutôt d'expliquer l'ordonnance et le fonctionnement des structures. Sous l'angle qui est le nôtre, cette dernière orientation marque un progrès appréciable sur l'ancienne façon de voir. Malgré tout, ce qui se passe réellement dans la ? petite boîte noire ?, pour reprendre l'expression que David Easton emploie pour désigner la partie centrale du système politique, demeure encore très obscur. De tout temps, mais de façon particulière aujourd'hui où les actions et décisions politiques rejoignent individus et groupes jusque dans leur vie quotidienne et même dans l'intimité de leur vie privée, lois, règlements, ordonnances, plans, quelle que soit la composante du système politique d'où ils émanent, ne sauraient laisser personne complètement et en permanence indifférent. Un système politique est un système ouvert et un système d'action. En tant que tel, à un moment ou l'autre et à des degrés divers, il incorpore à sa manière les idéologies et les intérêts des groupes. Il reçoit les demandes et les soutiens des groupes, il leur réserve un certain accueil et il les convertit en outputs (décisions Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 306 et actions) qui modifient l'environnement dans lequel individus et groupes évoluent et qui affectent par là même la situation des individus et des groupes eux-mêmes. Roy C. Macridis l'a bien perçu : ? intérêts ? et ? politique ?sont fonctionnellement reliés de façon très intime. Il n'y a pas, d'un côté, les ? intérêts ? et, de l'autre côté, la ? politique ?, mais plutôt des agents ? poursuivant des objectifs qui reflètent tant leurs intérêts que leur souci de les 208convertir en décisions impératives pour tout le corps politique ?. La dynamique de tout processus politique consiste précisément dans les modalités et les résultats de ces actions et réactions à propos des demandes et soutiens 209politiques et de leur conversion en décisions . Dans la pratique, toutefois, on constate que les groupes interviennent à des degrés fort divers sur les différentes composantes politiques. Les conditions varient beaucoup selon les pays. C'est ainsi qu'aux États-Unis, les unions ouvrières se tournent plutôt vers le Président et le monde des affaires davantage vers le Congrès et surtout la Cour suprême tandis qu'en Grande-Bretagne et en France les premières se concentrent plutôt sur le Parlement et l'Assemblée nationale, notamment par l'intermédiaire des partis, et le second s'oriente 210davantage vers l'administration . Ces orientations prépondérantes ne résultent 208 Roy C. MACRIDIS, ? Interest Groups in Comparative Analysis ?, The Journal of Politics, vol. 23, n? 1, 1961, 40. 209 Mentionnons tout de suite, ce que nous soulignerons par la suite, que beaucoup d'inputs politiques sont en réalité, selon l'expression de David Easton, des withinputs, c'est-à-dire des inputs dus à l'initiative des agents politiques plutôt que des agents sociaux. 210 Donald C. BLAISDELL, American Democracy under Pressure, The Ronald Press, New York, 1957, 171 ; Charles M. REHMUS et Doris B. McLAUGHLIN, editors, Labor and American Politics, The University of Michigan Press, Ann Arbor, 1967, 199-328 ; Harmon ZEIGLER, The Politics of Small Business, Public Affairs Press, Washington, 1961, 78-86 ; Gus TYLER, ? The Presidency and Labor ?, The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 307, 1956, 82 ; J.D. STEWART, British Pressure Groups, Oxford University Press, New York, 1958, 120-150 ; Allen POTTER, Organized Groups in British National Politics, Faber and Faber, London, 1961 ; Georges LAVAU, ? Political Pressures and Interest Groups in France ?, dans Henry W. EHRMANN, Interest Groups on Four Continents, University of Pittsburgh Press, 1958, 60-96 ; Jean MEYNAUD, Nouvelles Études sur les groupes de pression en France, Armand Colin, Paris, 1962, 248- 284. Il ne s'agit là, bien sûr, que de tendances plus ou moins marquées, qui Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 307 pas d'ordinaire de choix délibérés mais plutôt des conditions mêmes de l'action socio-politique. Du point de vue des groupes, les composantes internes du système politique revêtent une importance fort inégale. Selon les circonstances, ils s'efforceront d'abord d'agir sur une composante particulière quitte à s'en remettre, quand les circonstances les y contraignent, à une autre composante, d'importance initialement jugée par eux secondaire. Par ailleurs, on le sait, le poids des diverses composantes dans l'action politique n'est ni égal ni uniforme. La théorie politique libérale traditionnelle repose sur le postulat de la suprématie du législatif sur les autres composantes. Suprématie illusoire et que seule la longue survivance des fictions juridiques a pu accréditer et perpétuer. Et quelle qu'ait été la situation réelle dans le passé, les tendances évolutives depuis quarante ans ont entraîné 211l'effacement du Parlement devant l'administration et le gouvernement . Il n'en reste pas moins que les groupes continuent à se soucier grandement des travaux parlementaires et de chercher à entretenir des liens étroits avec les législateurs. Par suite même de l'énorme croissance de la fonction ? exécutive ?, il convient, suivant l'heureuse suggestion de Gérard Bergeron, de la décomposer en deux segments, le segment administratif et le segment gouvernemental. Au premier reviennent les tâches ? d'une application, réalisation, concrétisation et comportent de nombreuses dérogations, et qui, au surplus, sont susceptibles de grandes variations dans le temps. C'est ainsi que les unions ouvrières américaines ne négligent pas l'action parlementaire et qu'elles interviennent avec assez de vigueur auprès du parti démocrate. Par ailleurs, ce n'est que depuis Franklin D. Roosevelt qu'elles reçoivent audience auprès du Président, cette audience risquant d'ailleurs de leur être refusée sous un président conservateur, comme ce fut jusqu'à un certain point le cas sous Dwight D. Eisenhower. 211 Jacques ELLUL., l'Illusion politique, Laffont, Paris, 1965, André CHANDERNAGOR, Un Parlement, pour quoi faire, Gallimard, Paris, 1967 ; Maurice CROIZAT, ? Les indices de la planification sur les structures ?, l'Actualité économique, vol. 42, n? 1, 1966, 5-38 ; Marcel MERLE, ? L'influence de la technique sur les institutions politiques ?, dans Politique et Technique, Centre de science politique de l'Institut d'études juridiques de Nice, III, Presses universitaires de France, Paris, 1950. Le déclin du Parlement serait toutefois moindre en Grande-Bretagne. Voir R. BUTT, The Power of Parliament, Constable, London, 1967. Aux États-Unis, le Congrès conserve des compétences, exclusives ou partagées, considérables. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 308 adaptation particularisantes ? ; au second, celles ? d'une impération, normalisation 212et régulation généralisantes ?. C'est surtout l'administration, notamment dans les hautes sphères des grands bureaux, qui a tiré profit de la redistribution et de l'accroissement des responsabilités politiques. La sollicitude croissante que les 213groupes manifestent à l'endroit de l'administration ne, surprend guère . Si l'on peut dire avec Maurice Croizat que ? d'une manière générale toute administration 214incarne un des objectifs de l'action gouvernementale ?, il n'en reste pas moins 212 Gérard BERGERON, Fonctionnement de l'État, Armand Colin, Paris, Presses de l'université Laval, Québec, 1965, 200. Plus loin cependant (page 300), Bergeron fait part d'une ? immixtion des fonctions gouvernementale et administrative ?qui entraîne ? la difficulté pratique et analytique de discerner clairement où la première s'achève et où la seconde commence... il s'agit de repérer clairement les actes d'impération et d'exécution, les premiers manifestant un fonctionnement gouvernemental, les seconds un fonctionnement administratif ?. Sur le plan des réalités concrètes, la distinction apparaît certes souvent brouillée sinon floue. C'est surtout au plan de l'analyse théorique qu'elle démontre sa valeur. Aucune monographie existante sur les rapports entre groupes d'intérêt et composantes politiques ne retient cette distinction de façon méthodique. 213 Gabriel A. ALMOND, ? A Comparative Study of Interest Groups ?, The American Political Science Review, vol. 57, n? 2, 1958, 270-282 ; Henry ELSNER Jr., The Technocrats, Syracuse University Press, 1967 ; Samuel BEER, ? Pressure Groups and Parties in Britain ?, The American Political Science Review, vol. 50, n? 1, 1956, 1-23, dans John C. WAHLKE et Heinz EULAU, Legislative Behavior, The Free Press of Glencoe, 1959, 165-178 ; Henry W. EHRMANN, ? Les groupes d'intérêt et la bureaucratie dans les démocraties occidentales ?, Revue française de science politique, vol. 11, n? 3, 1961, 542 ; Bernard GOURNAY, ? Un groupe dirigeant de la société française : les grands fonctionnaires ?, Revue française de science politique, vol. 14, n? 2, 1964, 239-242 ; Joseph MONSEN Jr. et Mark W. CANNON, The Makers of Public Policy, McGraw-Hill, New York, 1965, 222-258 ; J. Leiper FREEMAN, ? The Bureaucracy in Pressure Politics ?, The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 319, 1958, 10-19 ; Dean E. MANN, ? The Selection of Federal Political Executives ?, The American Political Science Review, vol. 58, n? 1, 1964, 81-99 ; Reinhard BENDIX, Higher Civil Servants in American Society, University of Colorado Press, 1949 ; Jean MEYNAUD, ? Les groupes de pression sous la Ve République ?, Revue française de science politique, vol. 12, n? 3, 1962, 672- 698 et ? Les catégories dirigeantes italiennes ?, Revue française de science politique, vol. 14, n? 4, 1964, 639-675. 214 Maurice CROIZAT, ? Les incidences de la planification sur les structures ?, l'Actualité économique, vol. 42, n? 1, 1966, 8. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 309 que d'importants mécanismes de freinage empêchent la pleine émergence de la technocratie, qui signifierait précisément la confusion des deux fonctions au profit de l'administration. Et s'il est vrai qu' ? un État moderne n'est pas d'abord un organe centralisé de décisions, un ensemble d'organes politiques... [mais] d'abord une énorme machinerie de bureaux... et [qu'] un ministre n'est rien sans son 215infrastructure bureaucratique ?, il n'en reste pas moins que le ministère s'intègre également à une autre structure, le Cabinet ou le Conseil des ministres, et dépend du chef du gouvernement, premier ministre ou président, qui est la clé de voûte de tout le système politique et en qui se concentrent d'énormes prérogatives politiques. Il en résulte un rôle d'orientation ou de conception politique générale dont la responsabilité finale échappe même aux plus grands commis de l'État, même si ce sont ces derniers qui, en dernière analyse, sont concrètement à l'origine des grandes orientations ou conceptions politiques. Il s'impose donc de scruter avec la plus grande attention les rapports qui se nouent entre les groupes d'intérêt et le gouvernement en tant que tel. En dehors des États-Unis, on a consacré peu d'études à l'examen des relations entre les groupes d'intérêt et le judiciaire. Et même les travaux américains s'en tiennent à des considérations d'ordre général. Selon une fiction aujourd'hui encore très répandue, le judiciaire constitue une composante ? passive ? et politiquement neutre, qui n'agit qu'à l'instigation des plaideurs et dont le travail se limite à juger les cas particuliers qui lui sont présentés à la lumière de normes fixées d'avance et à rendre des verdicts qui en substance se bornent au constat du rapport entre le cas 216et les normes qui le régissent . En réalité il n'en est pas ainsi : juges et cours de 217justice sont sensibles aux idéologies dominantes ; le personnel judiciaire, par 215 Jacques ELLUL, op. cit., 40. 216 Clement E. VOSE, ? Litigation as a Form of Pressure Group Politics ?, The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 319, 1958, 20-32. 217 Thomas MASON, The Supreme Court : Vehicle of Revealed Truth or Power Group : 1930-1937, Boston University Press, 1953 et ? The Supreme Court : Temple and Forum ?, The Yale Review, vol. 48, n? 3, 1959, 534-540, dans Bernard E. BROWN et John C. WAHLKE, The American Political System, The Dorsey Press, Homewood, Illinois, 1967, 600-607 ; Léon DION, ? Le libéralisme du statu quo : le droit protecteur ?, Recherches sociographiques, vol. 2, n? 1, 1961, 69-100 ; Jean LHOMME, la Grande Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 310 suite de ses modes de recrutement et de ses nombreux contacts avec l'extérieur, 218est vulnérable aux pressions politiques ; les débats, actions et décisions 219judiciaires sont susceptibles d'avoir des implications politiques considérables . De nombreuses relations se nouent de la sorte entre les groupes et le système judiciaire, les premiers disposant de plusieurs moyens d'action pour entrer en contact avec le second : amici curiae, pétitions auprès des juges, piquetage des 220édifices de justice et manifestations de toutes sortes . La récente crise des sociétés libérales et les durs assauts de la part de divers groupes dirigés contre elles - assauts qui souvent dégénèrent en manifestations violentes et en émeutes - est source d'un stress sévère pour les diverses composantes du système politique, notamment pour le judiciaire. On l'a constaté récemment en France, aux États-Unis et au Québec : arrestations, détentions et poursuites judiciaires qui suivent de ces manifestations assument immanquablement une dimension politique. D'où la création de groupes particuliers - groupes pour la défense des libertés individuelles et civiles, pour la protection des prisonniers ? politiques ?, etc. - Bourgeoisie au pouvoir, 1830-1880, Presses universitaires de France, Paris, 1960. 218 Harmon ZEIGLER, Interest Groups in American Society, Prentice-Hall, Englewood Cliffs, New Jersey, 1964, 301-333 ; Eloise S. SNYDER, ? The Supreme Court as a Small Group ?, Social Forces, vol. 36, n? 2, 1957, 232- 238, dans Cyril ROSEMAN, Charles G. MAYO et F. B. COLLINGE, editors, Dimensions of Political Analysis, Prentice-Hall, Englewood Cliffs, New Jersey, 1966, 125-133 ; Stanislaw EHRLICH, le Pouvoir et les groupes de pression. Études de la structure politique du capitalisme, Mouton, Paris, 1971, 217-220. 219 Frank J. SORAUF, ? The impact of a Supreme Court Decision ?, The American Political Science Review, vol. 53, n? 4, 1959, 777-791, dans Bernard E. BROWN et John C. WAHLKE, editors, The American Political System, Dorsey Press, Homewood, Illinois, 1967, 441-451 ; Clement E. VOSE, ? Litigation as a Form of Pressure Group Activity ?, op. cit. ; Robert A. DAHL, ? Decision-Making in a Democracy : The Role of the Supreme Court as a National Policy Maker ?, Journal of Public Law, vol. 6, n? 2, 1957, 279- 295 dans Raymond E. WOLFINGER, editor, Readings in American Political Behavior, Prentice-Hall, Englewood Cliffs, New Jersey, 1966, 165-181. 220 Léon DION, les Groupes et le Pouvoir aux États-Unis, Presses de l'université Laval, Québec, Armand Colin, Paris, 1965, 103-115. [Livre disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT] Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 311 dans le but de faire pression sur l'appareil judiciaire pour en modifier le 221fonctionnement ou en provoquer la transformation . II. POINTS D'APPLICATION DE LA PRESSION DES GROUPES D'INTÉRÊT Retour à la table des matières Si les groupes d'intérêt disposaient toujours d'une information parfaite et si aucune entrave ne s'interposait à leur action, ils dirigeraient toujours leurs demandes et leurs soutiens vers la composante interne du système politique la 221 Il n'existe encore aucune étude méthodique de ces importants développements. Dans la suite de notre exposé nous ne ferons plus mention du judiciaire. Parmi les ouvrages pertinents à notre propos, citons Lucius J. BARKER, ? Third Parties in Litigation : A Systemic View of the Judicial Function ?, The Journal of Politics, vol. 29, n? 1, 1967, 41-70 ; Johanna BERNSTEIN, ? Volunter amici Curiae in Civil Right Cases ?, Student Law Review, New York University, vol. 1, n? 1, 1952, 95-102 ; Robert A. DAHL, ? The Supreme Court as a Policy Maker ?, dans Bernard E. BROWN et John C. WAHI.KE, The American Political System, The Dorsey Press, Homewood, Illinois, 1967, 408-420 ; Fowler V. HARPER et Edwin D. ETHERINGTON, ? Lobbyists Before the Court ?, University of Pennsylvania Law Review, vol. 101, 1953, 1172-1177 ; Walter KRISLOV, The Supreme Court and the Political Process, Macmillan, New York, 1965 ; Stuart S. NAGEL, ? Political Party Affiliation and Judges Decisions ?, The American Political Science Review, vol. 54 n? 3, 1961, 843-850, dans William J. CROTTY et coll., editors, Political Parties and Political Behavior, Allyn and Bacon, Boston, 1966, 525-539 ; Glendon SCHUBERT, The Political Roles of the Court : Judicial Policy-Making, Scott, Foresman, Glenview, Illinois, 1965 ; John R. SCHMIDHAUSER, The Supreme Court : Its Politics, Personalities, and Procedures, Holt, Rinehart, Winston, New York, 1960 ; Martin SCHAPIRO, Law and Politics in the Supreme Court, The Free Press of Glencoe, Illinois, 1964 ; Peter H. SONNENFELD, ? Participation of Amici Curiae in Decisions of the Supreme Court, 1949-1957 ?, Government Research Bureau, Working Papers, n? 2, Michigan, 1958 ; Clement E. VOSE, ? Litigation as a Pressure Group Activity ?, The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 319, 1958, 20-31 : Clement E. VOSE, ? Interest Groups, Judicial Review, and Local Government ?, Western Political Quarterly, vol. 19, n? 1, 1966, 85-100, dans H. R. MAHOOD, Pressure Groups in American Politics, Charles Scribner's Sons, New York, 1967, 268-291. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 312 plus susceptible de les recevoir favorablement et de les convertir en actions et décisions politiques. Règle générale, il est vrai, les diverses composantes sont d'importance inégale en ce qui concerne leur contribution aux actions et décisions politiques. À notre époque, le gouvernement et l'administration, somme toute, ont plus de poids que le législatif et le judiciaire. Il peut en être bien autrement toutefois quand il s'agit des questions particulières. De nombreux dédoublements, suppléances ou déviations de fonctions n'empêchent pas, en effet, chaque cas concret de relever généralement en exclusivité ou de façon prépondérante de l'une ou de l'autre composante. Ainsi, un groupe désire-t-il faire pression dans un procès qui oppose les compagnies ferroviaires au syndicat des camionneurs, seule une intervention auprès du judiciaire a une chance d'être entendue. Si par contre il s'agit de la fixation du taux de fret ou de dégrèvements fiscaux, il lui faut s'adresser à l'autorité administrative ou gouvernementale responsable. Or, de nombreux groupes, à l'instar des individus d'ailleurs, discernent très mal le partage des compétences et des responsabilités entre les composantes. D'où des erreurs d'aiguillage susceptibles d'avoir des conséquences considérables sur la portée pratique de l'action politique des groupes. Par ailleurs, les points d'accès aux composantes varient beaucoup de l'une à l'autre de sorte que les groupes doivent user de clairvoyance et d'ingéniosité, d'abord pour identifier ces divers points d'accès et, ensuite, pour faire pression sur ceux qui leur paraissent plus vulnérables. Or, le degré d'accessibilité de même que de vulnérabilité des points d'accès aux diverses composantes varient, non seulement selon les groupes, mais également selon les circonstances. Dans leurs stratégies d'action, les groupes, compte tenu de toutes les autres conditions qui entrent en ligne de compte dans leur choix d'une composante politique, tendent à s'orienter vers celle qui leur offre l'accès le meilleur au moindre coût. Malheureusement, là encore, les groupes ne sont pas toujours bien inspirés dans leurs choix. Il leur arrive fréquemment de faire une dépense considérable d'énergie pour se faire entendre des agents d'une composante qui restent sourds à leurs appels alors qu'un effort moindre leur aurait assuré l'accès auprès d'une autre composante. Enfin, au lieu de tenter de pénétrer directement dans le système politique, les groupes peuvent tenter de s'y immiscer de façon directe, c'est-à-dire par une Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 313 action sur les autres mécanismes d'interactions, les partis, les media de communication ou les conseils consultatifs qui, eux, agiront par la suite sur l'une ou l'autre composante conformément aux objectifs des groupes d'intérêt. L'aptitude à bien choisir les points d'application que leur procurent les diverses composantes doit même être considérée comme un important facteur de l'efficacité politique des groupes d'intérêt. La tâche de ces derniers, en effet, tant sont nombreux et divers ces points de contact, est ardue. Il n'est guère possible de les passer tous en revue, de les classer, d'en indiquer le degré d'accessibilité et d'en évaluer la portée relative. Des questions de ce genre ne se scrutent guère dans 222l'abstrait. De brèves considérations suffiront . Si l'accès au législatif constitue l'une des préoccupations majeures des groupes d'intérêt, ceux-ci sont servis à souhait, du moins en ce qui concerne le nombre de choix qui s'offrent à eux. Des groupes peuvent être à l'origine même des projets de loi, ils peuvent les avoir rédigés en tout ou en partie, ou encore avoir agi sur les fonctionnaires ou spécialistes chargés de leur rédaction ; ils peuvent avoir été mis au courant du programme législatif sessionnel avant même les députés, ce qui leur permet d'en étudier à loisir le contenu et, le cas échéant, de préparer leurs interventions ; ils peuvent agir sur celui (député, ministre ou, dans les cas de bicamérisme, sénateur) qui introduit ou parraine les projets de loi ; ils peuvent se présenter devant les membres des comités ou commissions qui en font l'examen ou intervenir autrement auprès d'eux ; ils peuvent prêter leur concours au personnel restreint responsable de la révision et de la rédaction définitive des projets de loi ou tenter par d'autres moyens d'intervenir auprès d'eux ; ou encore, ils peuvent tenter d'agir sur les législateurs par le biais de campagnes d'opinions, d'intimidations ou de manifestations de toutes sortes. Aux États-Unis, le veto que le Président oppose occasionnellement à une loi que le Congrès a dûment adoptée procure aux groupes une voie d'accès qui est spécifique à ce pays. Dans nombre de cas, l'enchevêtrement des interactions est tel qu'une fois une loi adoptée, il est 222 Notre ouvrage, les Groupes et le Pouvoir aux États-Unis, étudie en détail la question de l'accessibilité des composantes internes du système politique dans ce pays. Voir également : Stanislaw EHRLICH, op. cit.. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 314 pratiquement impossible de distinguer les contributions respectives des 223législateurs, ministres, spécialistes, représentants de partis ou de groupes . On peut donc considérer les lois comme la résultante de compromis auxquels législateurs et représentants de groupes parviennent à la suite de négociations plus ou moins ardues. La trame des révisions, souvent majeures, que les projets de loi subissent en cours de route est inextricable. Il arrive que des projets de loi spécialement controversés soient temporairement retirés de façon à permettre aux intéressés de faire connaître leur point de vue et de concilier leurs divergences d'opinions : on assiste alors à ces grands débats publics ou campagnes qui sont souvent si révélateurs non seulement du processus législatif mais également de la vie des groupes et de la société entière. Au terme de son étude de l'Employment Act de 1946 (bill qui au moment de son dépôt au Sénat en 1945 portait le titre de Full Employment bill), Stephen Kemp Bailey conclut que la loi, telle que finalement signée par le Président après un an de débats, ne représentait les vues premières d'aucun des nombreux participants : parrains, partis, Président ou 224. Par contre, l'examen que nous avons mené de la campagne groupes impliqués du bill 60 - projet de loi pour la création d'un ministère de l'Éducation et d'un Conseil supérieur de l'Éducation au Québec (avril 1963 à mars 1964) - a révélé que le gouvernement, qui fut à l'origine du bill, a conservé la maîtrise des 223 Voir Emmanuel CELLER, ? Pressure Groups in Congress ?, The Annals of the American Academy of Social and Political Science, vol. 319, 1958, 2-9 ; J. Leiper FREEMAN, The Political Process : Executive Bureau Legislative Committee Relations, Doubleday, New York, 1958 ; George B. GALLOWAN, The Legislative Process in Congress, Crowell, New York, 1953 ; Bertrand M. Gross, The Legislative Struggle. A Study in Social Combat, McGraw-Hill, New York, 1953 ; Lawrence D. LONGLEY, ? Interest Groups integration in a Legislative System ?, The Journal of Politics, vol. 29, n? 3, 1967, 637-659 : Alan K. McAdams, Power and Politics in Labor Legislation, Columbia University Press, New York, 1964 ; Fred W. Riggs, Pressures on Congress : A Study of the Repeal of Chineese Exclusion, Kings Crown Press, New York, 1950 ; Karl SCHRIFTGIFSER, The Lobbyists, The Art and Business of Influencing Law Makers, Little, Brown, Boston, 1951 ; Julius TURNER, Party and Constituency : Pressures on Congress, The John Hopkins Press, Baltimore, 1951 ; Jean MEYNAUD, la Décision politique en Belgique, Armand Colin, Paris, 1965 ; Gerhard LOEWENBERG, Parliament in the German Political System, Cornell University Press, Ithaca, New York, 1966. 224 Stephen Kemp BAILEY, Congress Makes a Law. The Story Behind the Employment Act of 1946, Columbia University Press, New York, 1950. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 315 opérations du début à la fin et qu'il a partagé avec l'Assemblée des évêques la responsabilité des nombreux amendements, les groupes d'intérêt, malgré leurs 225nombreuses interventions, se révélant virtuellement impotents . Il arrive toutefois que des lois révèlent des similitudes si frappantes avec les points de vue originels de certains groupes qu'on est en droit de se demander si ces derniers n'en furent pas les véritables auteurs. Ainsi, l'étroite similitude entre le texte final du Taft-Hartley bill et les demandes originelles de la National Association of Manufacturers, pour lesquelles celle-ci avait combattu avec acharnement, ont conduit des spécialistes à conclure que la National Association of Manufacturers 226était le véritable auteur de la loi Taft-Hartley . Également nombreux sont les points d'accès à l'administration qui s'offrent aux groupes : services horizontaux ou généraux, services verticaux ou spéciaux, administrations à pouvoirs réglementaires ou à pouvoirs délégués (auto- regulatory commissions), régies autonomes, conseils supérieurs, conseils consultatifs, services décentralisés ou déconcentrés, instances administratives de planification - toutes ces facettes multiples de l'administration constituent pour les groupes autant de points d'accès qu'ils peuvent utiliser selon les besoins et les 227circonstances . 225 Léon DION, le Bill 60 et la société québécoise, HMH, Montréal, 1967. [Livre disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT] 226 Voir Alfred S. CLEVELAND, ? NAM : Spokesman for Industry ? ? Harvard Business Review, vol. 26, n? 3, 1948, 353-371 ; Richard W. GABLE, ? NAM : Influencial Lobby or Kiss of Death ? ? The Journal of Politics, vol. 15, n? 2, 1953, 254-273 ; Karl SCHRIFTGIESER, The Lobbyists. The Art and Business of Influencing Law Makers, Little, Brown, Boston, 1951, 95-97. 227 La littérature sur ce sujet est très abondante. Citons Samuel H. BEER, ? Pressure Groups and Parties in Britain ?, The American Political Science Review, vol. 50, n? 1, 1956 ; Wesley C. CLARK, ? Public Administration and the Private Interest ?, The Annals of the American Academy of Political and Social Science, Vol. 280, 1952, 66-77 ; Henry W. EHRMANN, ? Les groupes d'intérêt et la bureaucratie dans les démocraties occidentales ?, Revue française de science politique, vol. 11, n? 3, 1961, 541-569 ; Henry W. EHRMANN, ? Administration et groupes de pression ?, Économie et humanisme, n? 123, 1960, 22-30 ; J. Leiper FREEMAN, ? The Bureaucracy in Pressure Politics ?, The Annals of the American Academy of Political and Social Science, Vol. 319, 1958, 10-20 ; Bernard GOURNAY, ? Les administrations verticales ?, Revue économique, Vol. 13, 1962 ; Charles E. LINDBLOM, ? The Science of Muddling Through : How an Administrator Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 316 Beaucoup moins nombreux et généralement moins faciles d'abord sont les points d'accès au gouvernement. Ceux à qui chefs d'État, premiers ministres et ministres accordent audience se trouvent sans doute en excellente position d'influence mais ils sont peu nombreux. Comités et bureaux ministériels, chefs de cabinets, secrétaires personnels, conseillers spéciaux représentent d'autres voies 228d'accès auprès du gouvernement qui sont à la portée d'un plus grand nombre . gets a Decision ?, Public Administration Review, Vol. 19, n? 1, 1959, 79-88 ; dans Raymond E. WOLFINGER, editor, Readings in American Political Behavior, Prentice-Hall, Englewood Cliffs, 1966, 211-226 ; Jean MEYNAUD, ? Les groupes d'intérêt et l'administration en France ?, Revue française de science politique, vol. 7, n? 3, 1957, 573-593 ; Robert J. MORGAN, ? Pressure Politics and Resources Administration ?, The Journal of Politics, Vol. 18, n? 1, 1956, 39-60, dans H. R. MAHOOD, op. cit., 244-267 ; H. A. SIMON, Administrative Behavior, The Free Press, New York, 1965 ; Harmon ZEIGLER, Interest Groups in American Society, Prentice-Hall, Englewood Cliffs, New Jersey, 1964, 277-301. 228 Voir Richard F. FENNO, The President's Cabinet, Harvard University Press, Cambridge, 1959 ; Thomas K. FINLETTER, ? Congressional-Executive Responsibility ?, dans Harlan CLEVELAND et Harold LASSWELL, editors, Ethics and Bigness, Harper, New York, 1962, 311-327 ; E. S. FLASH, Economic Advice and Presidential Leadership : The Council of Economic Advisers, Columbia University Press, 1965 ; Thomas E. CRONIN et Stanford D. GREENBERG, editors, The Presidential Advisory System, Harper and Row, New York, 1969 : William C. FOSTER, ? The Proper Place of the Political Executive in the Governmental System ?, dans Harlan CLEVELAND et Harold LASSWELL, op. cit., 329-340 : J. Leiper FREEMAN, The Political Process : Executive Bureau -Legislature Committee Relations, Random House, New York, 1965 ; Herbert KAUFMAN, ? The Federal Government Services ?, The American Assembly, New York, 1954 ; Roy C. MACRIDIS, editor, Modern European Governments. Cases in Comparative Policy Marking, Prentice-Hall, 1968 ; Eugene J. MEEHAN, John P. ROCHE et Murray S. STEDMAN Jr., The Dynamics of Modern Government, McGraw-Hill, New York, 1966 ; Richard E. NEUSTADT, ? Presidency and Legislation : The Growth of Central Clearance ?, The American Science Review, vol. 48, n? 3, 641-671 ; Richard E. NEUSTADT, Presidential Power, John Wiley, New York, 1960 ; Lester G. SELIGMAN, ? The Presidential Office and the President as Party Leader ?, Law and Contemporary Problems, vol. 21, n? 4, 1956, dans William J. CROTTY, editor, Political Parties and Political Behavior, Allyn and Bacon, Boston, 1966, 514-524 : Theodore C. SORENSEN, Decision Making in the White House, Columbia University Press, New York, 1963 ; Samuel H. BEER, Patterns of Government, Random House, New York, 1962 ; R. ROSE, Studies Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 317 Il existe peu d'études des préférences et des choix concrets des groupes en ce qui concerne les points d'accès aux composantes. Et pourtant, l'examen de la façon dont les groupes s'y prennent pour pénétrer dans le système politique devrait fournir de précieuses indications sur la nature des groupes d'intérêt et sur celle du système politique de même que sur le caractère des interactions systémiques. Il se révélerait en effet que les points d'accès aux diverses composantes varient sensiblement en nombre et en qualité selon les groupes : tandis que de nombreux choix s'offrent aux uns, les autres se voient fermer la plupart sinon toutes les voies d'accès. Par ailleurs, les systèmes politiques diffèrent sans doute par le nombre et la variété des points d'accès que leurs composantes internes procurent aux groupes d'intérêt : certains se montrent plus accueillants, d'autres plus revêches. En outre, il est probable que l'accessibilité aux diverses composantes varie selon les systèmes politiques : les chances d'accès au législatif sont pour l'ensemble meilleures pour les groupes dans tel système politique, tandis que dans un autre système, c'est plutôt l'administratif ou le gouvernement qui offre les meilleures voies d'accès. Une autre question pertinente concerne le rapport entre l'accès et l'influence. Très souvent, l'on assimile bien à tort l'un à l'autre. Un groupe qui bénéficie d'accès nombreux et faciles aura certes plus de chances d'être influent que celui on British Politics, Little, Brown, Boston, 1964 ; Samuel H. BEER, British Politics in the Collectivist Age, Alfred A. Knopf, New York, 1966 ; Jean MEYNAUD, la Décision politique en Belgique, Armand Colin, Paris, 1965 ; Jean BLONDEL, la Société politique britannique, Armand Colin, Paris, 1964. De tous les gouvernements occidentaux, c'est probablement le gouvernement américain qui offre le plus grand nombre de portes d'entrée aux groupes d'intérêt. C'est ainsi qu'au seul niveau du Président, on distingue au moins huit voies d'accès vraiment royales : en tant qu'il est chef du parti, initiateur de nombre de lois parmi les plus importantes, détenteur du redoutable droit de veto, agent de ? patronage ? pour de nombreux postes clés dans le domaine judiciaire, administratif et diplomatique, chef du Cabinet, chef du Bureau de la Maison Blanche, chef du Bureau central de l'exécutif, qui comprend, entre autres services, l'Office du Budget, le Conseil national de la sécurité, l'Office de la défense et le Conseil de l'orientation économique, et, finalement, leader de la nation d'où il tire une autorité morale insigne. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 318 qui se voit écarté de tous les accès. De même un système politique dont les composantes offrent de multiples accès aux groupes sera considéré comme virtuellement plus vulnérable à leur action qu'un système qui leur offre peu d'entrées. Dans tous les cas, cependant, l'influence réellement exercée par les groupes reste problématique. Si l'on peut dire que les groupes ont plus d'occasions de bloquer des mesures qui ne leur conviennent pas dans un système où les points d'accès sont nombreux, il faut également noter que la multiplicité des points d'accès peut signifier qu'il leur faut gagner un plus grand nombre de batailles avant de remporter la victoire. C'est ainsi qu'aux États-Unis, où les points d'application systémiques sont particulièrement nombreux, il leur faut souvent triompher successivement dans les législatures étatiques, auprès des commissions de la Chambre des Représentants et du Sénat, du Congrès, du Président et de la Cour suprême avant d'avoir gain de cause. Un échec auprès de la Cour suprême ou du Président peut annuler tous les succès antérieurs. Inversement un groupe peut finalement l'emporter même après avoir encaissé échec sur échec : il lui suffit d'avoir gain de cause auprès du centre de décision de dernière instance. C'est ainsi qu'entre 1890 et 1933 les grands intérêts d'affaires américains, grâce à la Cour suprême dont les jugements sans appel leur étaient invariablement favorables, parvinrent à faire rendre inopérantes les lois contre les cartels, les monopoles, etc., que les législatures étatiques avaient adoptées à la suite des efforts de groupes ouvriers, agricoles ou idéologiques. Et même entre 1933 et 1937, toujours grâce au soutien indéfectible de la Cour suprême, ils réussirent à mettre en échec le Président Roosevelt lui-même dont les mesures progressives du New Deal visaient à réprimer les abus des magnats de l'industrie et de la finance. III. RELATIONS INTERPERSONNELLES Retour à la table des matières C'est surtout pour la commodité de l'analyse que nous parlons des interactions des groupes et des composantes internes du système politique. En réalité, ce sont toujours des individus qui entrent en contact et qui interagissent entre eux. Ces individus, nous les appelons agents sociaux ou agents politiques selon que leurs rôles principaux ressortissent à la dynamique du système social ou à celle du Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 319 système politique. Dans la mesure où ils s'efforcent de formuler et de promouvoir au nom des groupes sociaux des demandes et des soutiens politiques et où ils réagissent aux volontés des législateurs, fonctionnaires ou ministres, les responsables des mécanismes d'interactions doivent être considérés comme des agents sociaux. Il est vrai que leur action se trouve de la sorte ordonnée à la poursuite d'objectifs politiques, mais c'est pour le compte de groupes, d'associations ou d'individus qu'ils agissent et ce sont finalement des effets sociaux qu'ils cherchent à produire. De même, le fait que députés, fonctionnaires, ministres aient des responsabilités familiales, exercent parfois une profession et soient membres d'associations ou même de groupes d'intérêt, ne les empêche pas d'être des agents politiques. Ce qui leur est spécifique, en effet, ce sont leurs rôles en tant que législateurs, fonctionnaires, ministres ou juges. Entre agents sociaux et agents politiques se nouent des liens plus ou moins étroits selon les cas. Il s'impose donc de tenir compte de ces liens qui donnent lieu à des interactions systémiques personnelles. Par interactions systémiques personnelles, nous entendons ces relations intimes, fréquentes et mutuellement profitables qui s'établissent entre agents sociaux et agents politiques. Elles revêtent deux formes générales très différentes : elles peuvent être non organiques ou non institutionnelles, c'est-à-dire se produire en marge ou sans le support direct des organisations dont relèvent ces personnes ; elles peuvent au contraire être organiques ou institutionnelles, c'est-à-dire résulter de rencontres privées à l'occasion ou dans le prolongement des rôles officiels de ces agents en tant que 229dirigeants d'organisations . La première forme d'interactions systémiques personnelles -les interactions non organiques - caractérise les relations entre ? élites ? dans le processus socio-politique. Ces relations dépendent d'une logique qui leur est particulière. Elles échappent à l'emprise directe des mécanismes d'interactions. Bien entendu, c'est en vertu du statut que leur procure leur organisation que ces personnes sont 229 On pourrait aussi mentionner une troisième catégorie d'interactions personnelles : celles qui mettent en présence de simples individus (électeurs, membres de partis ou d'associations, etc.) et des agents des composantes politiques (députés, fonctionnaires, etc.). Mais ces interactions n'ont généralement pas un degré suffisant d'intimité et de continuité pour qu'il soit possible de les considérer au même titre que les deux autres catégories. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 320 amenées à interagir. Ce statut est toutefois si insigne qu'il leur procure une autorité, un prestige et des pouvoirs exceptionnels. En outre, les attributs de ce statut existent pour ainsi dire indépendamment de l'exercice des rôles qui le manifestent de sorte qu'ils s'attachent pour ainsi dire aux personnes elles-mêmes. Dès lors, celles-ci conservent ces attributs même quand elles n'agissent pas officiellement au nom de l'organisation dont elles tiennent leur statut. À ces marques statutaires s'ajoutent souvent des traits exceptionnels associés à la naissance, la formation et au style de vie : un cardinal, un magnat de l'économie ou de la finance, un ministre, un haut fonctionnaire, un universitaire ou un savant 230prestigieux font partie, à titres et à des degrés divers, de ces ? élites ?. La seconde forme d'interactions systémiques personnelles - les interactions organiques - consiste dans les rapports privés qui s'établissent fréquemment à l'occasion des questions qui mettent en cause les mécanismes d'interactions et les composantes internes du système politique. Outre les interactions officielles dans lesquelles les agents agissent expressément et le plus souvent ouvertement au nom de leurs organisations respectives, il se produit entre dirigeants sociaux et politiques des contacts ? officieux ? qui n'engagent pas expressément les organisations mais qui ont pour but d'? aplanir les difficultés ?, d'échanger des informations particulières, de tracer les grandes lignes d'accords éventuels, et ainsi de suite. Ces rencontres aboutissent fréquemment à des engagements ? moraux ? dont la portée dépend de l'autorité des personnes en cause sur les membres de leur organisation respective. Ces contacts officieux se déroulent à deux ou à plusieurs, comprennent ou non des personnes non directement impliquées, sont plus ou moins fréquents et s'échelonnent sur une période plus ou moins longue selon les cas. Dirigeants d'unions ouvrières, d'associations patronales, professionnelles ou de fermiers se trouvent à un moment ou l'autre impliqués dans semblables rapports organiques non officiels avec des députés, ministres et fonctionnaires. Les formes que prennent ces contacts sont bien connues : lettres, téléphones, 230 Dans notre schéma principal, c'est le trait à double flèche qui relie directement agents sociaux et agents politiques et que nous désignons par l'expression ? interactions personnelles ?qui sert à indiquer ces relations entre ? élites ?. Dans notre chapitre sur la mesure de l'influence, nous évaluerons la portée de ces relations dans le processus socio-politique. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 321 rencontres privées, et ainsi de suite. Il est par contre souvent fort difficile de découvrir leur existence et d'en déterminer la nature, la fréquence et le degré d'intimité à l'occasion de chaque cas particulier. En effet, les agents impliqués sont généralement très discrets en ce qui concerne ces rapports. Sans être entachés d'illégalité, ces derniers échappent aux règles du jeu telles qu'elles sont connues des membres et du public en général. Or, passer sous silence les interactions systémiques personnelles organiques, c'est, a coup sur, consentir d'avance à laisser s'échapper les aspects souvent les plus significatifs et parfois décisifs des processus socio-politiques. Toutefois, pour bien reconstituer la trame de ces interactions, il faut se livrer à des procédés qui tiennent parfois tout autant de l'enquête policière que de l'analyse scientifique. Si agents sociaux et agents politiques sont ainsi conduits à maintenir, au delà ou en deçà des rapports prévus par le jeu des interactions systémiques officielles, des relations personnelles non officielles, c'est sans aucun doute que la logique intersystémique même les y incite (désir d'échapper aux lenteurs et aux obstacles d'ordre institutionnel, d'améliorer les communications, et ainsi de suite). Mais il faut également tenir compte des affinités qui existent entre catégories d'agents. Ces affinités qui tiennent à leur formation, à leur tempérament et aux nombreux contacts qu'ils entretiennent entre eux, les portent à se rencontrer derrière des portes closes pour chercher à régler dans l'intimité d'entretiens privés les questions que le cours des événements a fait surgir dans les débats publics et qui mettent en cause leurs organisations respectives. Bien entendu, ce ne sont pas tous les dirigeants de groupes qui ont ainsi des affinités personnelles avec les agents politiques. Députés, fonctionnaires supérieurs, ministres, juges, en effet, viennent des couches supérieures de la population : ils appartiennent en grand nombre aux professions libérales et ils ont 231une instruction et un revenu bien supérieurs à la moyenne . L'homme politique 231 La littérature sur cette question est abondante. Citons William C. MITCHELL, The American Polity, The Free Press of Glencoe, 1962 ; Dwaine MARVICK, Political Decision-Makers, The Free Press of Glencoe, 1961 ; Jean MEYNAUD, Nouvelles Études sur les groupes de pression en France, Armand Colin, Paris, 1962 ; Austin RANNEY, Pathways to Parliament : Candidates Selection in Britain, University of Wisconsin Press, Madison, 1965 ; Joseph A. SCHLESINGER, Ambition and Politics : Political Careers in the United States, Rand McNally, New York, 1966 ; Charles S. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 322 est un joiner, il est membre de plusieurs groupes, de clubs sociaux, de groupes d'affaires ou professionnels et, dans le cas de députés socialistes, d'unions 232ouvrières . En outre, à des degrés divers selon les pays, par voie de pantouflage HYNEMAN, ? Who Makes Our Laws ?, dans John C. WAHLKE et Heinz EULAU, Legislative Behavior, The Free Press of Glencoe, 1959, 254-265 ; ? La profession parlementaire ?, Revue internationale des sciences sociales, vol. 12, n? 4, 1961 (numéro spécial) ; Duncan MACRAE Jr., Parliament, Parties and Society in France, 1946-1958, St-Martin's Press, New York, 1967 ; André GÉLINAS, les Parlementaires et l'Administration au Québec, Les Presses de l'université Laval, Québec, 1969 ; W. L. GUTTSMAN, The British Political Elite, Macgibbon and Kee, London, 1965 ; Philip W. BUCK, Amateurs and Professionals in British Politics, Chicago University Press, 1963 ; Corinne Lathrop GILB, Hidden Hierarchies. The Professions and Government, Harper and Row, New York, 1966, 203ss ; William KORNHAUSER, The Politics of Mass Society, The Free Press or Glencoe, 1959, 183-193 ; Donald R. MATTHEWS, U.S. Senators and their World, University of North Carolina, Chapel Hill, 1960 ; James David BARBER, The Lawmakers. Recruitment and Adaptation to Legislative Life, Yale University Press, New Haven, 1965 : Henry ELSNER Jr., The Technocrats, Syracuse University Press, 1967 ; Jean MEYNAUD, la Technocratie : Mythe ou réalité ? Payot, Paris, 1964 ; Joseph LAPA-LOMBARA, Interest Groups in American Politics, Princeton University Press, 1964, 349-393 ; Henry W. EHRMANN, ? French Bureaucracy and Organized lnterests ?, Administrative Science Quarterly, vol. 5, n? 3, 1961, 534-555, et ? Administration et groupes de pression ?, Économie et humanisme, n? 123, 1960, 22-30, Jean-Luc CHALUMEAU, les Relations publiques de l'État, Sédès, Paris, 1964 ; Bernard GOURNAY, ? Un groupe dirigeant de la société française : les grands fonctionnaires ?, Revue française de science politique, vol. 14, n? 2, 215-243 ; Richard ROSE, Politics in England, Little, Brown, Boston, 1964, 103-123, 189-228. De toutes les composantes, c'est le législatif qui sans aucun doute comporte le plus d'interactions personnelles. Le député, en effet, de son propre chef ou par le truchement de son parti, peut entrer directement en relations avec des individus en tant que représentant d'une circonscription, membre de l'Assemblée et comme mandataire du gouvernement ou de l'administration. 232 Dans le cas des députés ou ministres socialistes ou travaillistes, c'est plutôt leur origine ouvrière que leur appartenance actuelle à une union ouvrière qui les rattache au mouvement ouvrier. De même, dans la plupart des pays, relativement peu de députés ou de ministres sont eux-mêmes hommes d'affaires. Bon nombre toutefois sont liés plus ou moins étroitement aux intérêts d'affaires et sont membres d'associations d'affaires, notamment des Chambres de Commerce. Le cas de la Grande-Bretagne est particulièrement instructif à cet égard. À la suite des élections générales de 1964, sur 314 Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 323 ou autrement, les fonctions sont interchangeables, de sorte qu'un haut fonctionnaire peut être appelé à occuper un poste important dans le secteur privé et, inversement, un dirigeant d'entreprise peut devenir haut fonctionnaire. Les hommes politiques démissionnaires ou déchus se voient offrir des postes alléchants dans le secteur privé. L'importance de ces affinités de fonction, de tempérament et de carrière entre agents sociaux et agents politiques se révèle aux caractéristiques de ceux que les groupes d'intérêt désignent pour les représenter auprès du Parlement, de l'administration et du gouvernement. Aux États-Unis, par exemple, le lobbyist typique est un ancien membre du Congrès ou du Cabinet ou encore un ancien fonctionnaire qui, depuis longtemps, à titre de partenaire, actionnaire ou bénéficiaire de faveurs, a maintenu des contacts étroits avec les intérêts privés dont il est l'agent. Beaucoup de lobbyists sont avocats. Le plus souvent ces derniers font partie d'une étude légale ayant ses bureaux à Washington, ? paradis des avocats ?puisqu'on y dénombre plus de 7,000 membres du Barreau. D'autres lobbyists sont d'anciens journalistes ou des spécialistes en relations publiques ayant noué des liens étroits avec des législateurs et des fonctionnaires. Dans les cas où groupes d'intérêt et entreprises choisissent leurs représentants parmi leurs dirigeants, ces derniers sont d'ordinaire très liés avec les 233hommes politiques . candidats élus, le parti travailliste en comptait 103 dont les origines sociales étaient ouvrières et 34 venant des milieux d'affaires tandis que sur les 304 candidats conservateurs élus, seulement 2 étaient d'origine ouvrière alors que 80 venaient du monde des affaires. Le nombre de candidats élus venant des professions était sensiblement égal pour les deux partis (128 pour les travaillistes contre 146 pour les conservateurs). Voir David BUTLER, The British General Election of 1964, Macmillan, London, 1965. Aussi W. L. GUTTSMAN, The British Political Elite, Macgibbon and Kee, London, 1965, 238-271. 233 Voir Léon DION, les Groupes et le Pouvoir aux États- Unis, 113-128 ; Paul W. CHERINGTON et Ralph L. GILLEN, The Business Representative in Washington, The Brookings Institution, Washington, D. C., 1962 ; James DEAKIN, The Lobbyist, Public Affairs Press, 1966 ; Abraham HOLTZMAN, Interest Groups and Lobbying, Collier-Macmillan, Toronto, 1966 ; Lester W. MILBRATH, The Washington Lobbyists, Rand, McNally, Chicago, 1963 ; Harmon ZEIGLER et Michael A. BAER, ? The Recruitment of Lobbyists and Legislators ?, Midwest Journal of Political Science, vol. 12, n? 4, 1968, 493- 513 ; Heinz EULAU, ? The Lobbyists : The Wasted Profession ?, Public Opinion Quarterly, vol. 28, n? 1, 1964, 27-38 ; Clark R. MELLENHOF, Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 324 L'évidence de liens étroits entre agents sociaux et agents politiques en amène plusieurs à conclure que députés, ministres ou fonctionnaires - les premiers surtout - sont en définitive les porte-parole de groupes. Collusions, népotisme, favoritisme et ainsi de suite représenteraient dès lors des qualificatifs propres à 234définir les interactions personnelles organiques . Le fait que nombre de dirigeants de groupes, par suite du caractère des intérêts dont ils ont la charge ou de leurs caractéristiques personnelles, se trouvent virtuellement exclus de ces interactions, crée une situation d'inégalité flagrante entre les groupes propre à accentuer le sentiment d'illégitimité qui s'attache à ce mode de rapports. Par ailleurs, la portée réelle de ces interactions personnelles organiques dépend de l'autorité dont les agents disposent sur leurs organisations respectives. Dans les cas très nombreux d'oligarchies où les dirigeants peuvent dire ? l'organisation, c'est moi ?, tant leur autorité est pratiquement illimitée, les interactions organiques personnelles peuvent être décisives. Certains de ceux qui cherchent à corriger cette situation préconisent la suppression des groupes d'intérêt. C'est là une conclusion qui découle d'un mauvais diagnostic. En effet, les groupes d'intérêt et les autres mécanismes d'interactions constituent les rouages parmi les plus propres à freiner l'émergence d'une ? élite de puissance ? et à restreindre l'ampleur et la portée des interactions personnelles non organiques lesquelles, à un degré Despoilers of Democracy, Doubleday, New York, 1965 ; H. B. BERRINGTON et S. E. FINER, ? La Chambre des Communes britannique ?, Revue internationale des sciences sociales, vol. 13, n? 4, 1961, 681. 234 H. B. BERRINGTON et S. E. FINER, ? La Chambre des Communes britannique ?, Revue internationale des sciences sociales, vol. 13, n? 4, 1961, 667-691 ; Léo HAMON, ? Les parlementaires en France ?, ibid., 609-631 ; John H. MILLETT, ? The Role of an Interest Group Leader ?, Western Political Quarterly, vol. 9, n? 4, 1956, 915-926, dans John C. WAHLKE et Heinz EULAU, Legislative Behavior, The Free Press of Glencoe, 1959, 190- 196 ; Allen POTTER, Organized Groups in British National Politics, Faber and Faber, London, 1961, 256-285 ; John C. WAHLKE, ? The Legislator and the Interests : Pressure Group Roles ?, clans John WAHLKE, Heinz EULAU, William BUCHANAN et Leroy C. FERGUSON, The Legislative System, John Wiley, New York, 1962, 311-343 ; Edward A. SHILS, ? The Legislator and Its Environment ?, University of Chicago Law Review, vol. 18, n? 3, 1950-51, 571-584, dans John C. WAHLKE et Heinz EULAU, op. cit., 347- 354 ; Herman FINER, ? The Tasks and Functions of the Legislator ?, dans ibid., 281-284 ; Fritz Morstein MARX, ? Party Responsibility and Legislative Program ?, Columbia Law Review, vol. 50, n? 2, 281-299, dans ibid., 55-59. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 325 bien plus considérable que les interactions personnelles organiques, échappent à l'emprise des groupes. Pour qu'ils puissent remplir vraiment cette fonction de freinage, il s'impose toutefois de les valoriser et de susciter chez eux une forte vie démocratique interne. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 326 IV. CONTRIBUTION DES GROUPES D'INTÉRÊT AU PROCESSUS POLITIQUE Retour à la table des matières La politique est le principal moteur des sociétés modernes. C'est finalement du résultat du jeu de la politique que découle le degré selon lequel une société peut 235décider de son propre sort ou s'autodéterminer . Un système politique, c'est en effet une unité de fonctionnement, constituée de quatre composantes internes majeures, ayant pour tâche de rassembler les besoins, aspirations et ressources d'une société et de les ordonner à la poursuite de grands objectifs généraux. La question se pose dès lors : comment les diverses composantes du système politique s'y prennent-elles pour convertir les inputs en outputs dont les effets s'étendent virtuellement à toute la société ? On discerne cinq exigences systémiques fondamentales : le système doit posséder une autorité suffisante pour contraindre individus et groupes à lui fournir les collaborations requises et à se 236plier àses actions et décisions ; il doit pouvoir compter sur des mécanismes capables de lui transmettre, sous la forme de demandes et de soutiens, les intérêts, idéologies et pressions des associations et des groupes sociaux ; il doit pouvoir intervenir de façon adéquate sur la façon dont les mécanismes remplissent leur tâche, et, au besoin, réorienter leur action, il doit être en mesure de soulever lui-même les problèmes reliés à la poursuite du bien général de la société et que les 237mécanismes réguliers d'input négligent de lui poser ; il doit enfin pouvoir 235 Voir Karl W. DEUTSCH, ? On Political Theory and Political Action ?, The American Political Science Review, vol. 65, n? 1, 1971, 11-27 et plus particulièrement 18. 236 David EASTON, A Systems Analysis of Political Life, John Wiley, New York, 1965, 153. 237 David EASTON appelle withinputs ces demandes que le système politique s'adresse pour ainsi dire à lui-même sans le concours initial des mécanismes d'interaction (op. cit., 55.) Ces withinputs revêtent les formes les plus diverses : questions soulevées ou prises de position par les agents du système politique, programmes d'action, projets de lois, etc. il est probable que les withinputs excèdent en nombre et en importance les inputs. En réalité, une proportion Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 327 contrôler les résultats de ses décisions et actions de façon, le cas échéant, ou à modifier sa ligne de conduite ou à contraindre les récalcitrants. Ce qui se produit dans un système politique dépend dès lors, dans une grande mesure, de la capacité du système de s'auto-alimenter et de contrôler son environnement. Aucun système politique, toutefois, ne réussit à se suffire à lui-même. À des degrés divers tous les systèmes politiques requièrent la contribution active des individus et des groupes. C'est précisément la tâche des mécanismes d'interactions de susciter et de canaliser ces contributions. Pour l'ensemble, les mécanismes d'interactions servent la dynamique politique de trois manières différentes : en faisant connaître aux agents politiques les conditions du milieu social de même que l'état d'esprit des agents sociaux ; en concrétisant le soutien des agents sociaux aux projets des agents politiques et, finalement, en constituant un terrain de rencontre permettant aux agents sociaux et aux agents politiques d'échanger leurs points de vue et de négocier des accords. Les mécanismes d'interactions apparaissent ainsi comme des ? instruments de mobilisation du 238 ?. Ils servent à éclairer les agents politiques sur les conditions du pouvoir milieu social et à leur fournir les informations requises pour une action 239judicieuse . Ils fournissent aux agents politiques les bases de leur considérable d'inputs représentent des réactions des individus et des groupes à des withinputs. Ce sont des initiatives d'agents politiques qui déclenchent la majorité des grands débats politiques : elles contraignent les groupes à prendre partie, à se compromettre et à passer à l'action. C'est ainsi que ce sont des agents politiques qui soulèvent à l'origine nombre des questions qui polarisent les agents sociaux et les opposent les uns aux autres. Outre les withinputs et les inputs émanant des mécanismes d'interactions, il faut aussi tenir compte des inputs résultant des interactions directes des élites sociales et des élites politiques. 238 C'est ainsi que Parsons caractérise les partis politiques. Cet attribut convient également aux autres mécanismes d'interactions. Voir PARSONS, ? The Political Aspect of Social Structure and Process ?, dans David EASTON, Varieties of Political Theory, Prentice-Hall, Englewood Cliffs, New Jersey, 1966, 71-112 (la référence est à la page 110). Pour l'ensemble de cette question examinée sous l'angle du député, voir John C. WAHLKE, ? The Legislator and the Interests : Pressure Group Roles ?, dans John C. WAHLKE, Heinz EULAU, William BUCHANAN et Leroy C. FERGUSON, Legislative System, 311-342. 239 Voir Anthony BARKER et Michael Rush, The British Member of Parliament and His Information, The University of Toronto Press, 1970 ; S. E. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 328 240représentativité ?. Ils constituent, enfin, les canaux normaux de l'expression 241des oppositions aux volontés et aux projets des agents politiques . Il revient, en effet, aux mécanismes d'interactions de faire émerger les contradictions et les conflits parmi les groupes sociaux et de persuader les agents des composantes internes du système politique de poser les actes susceptibles de les résorber. Toutes ces tâches, les mécanismes d'interactions les remplissent chacun à sa manière et en s'orientant, tantôt vers toutes les composantes du système politique, ou, le plus souvent, davantage vers une composante particulière : ainsi, les partis vers le législatif, les conseils consultatifs vers l'administration, etc. Les différents mécanismes d'interactions, certes, remplissent ces tâches à des degrés divers. Il est impossible dans l'abstrait d'affirmer que l'un ou l'autre des mécanismes contribue davantage que les autres à la dynamique systémique. Les conditions varient beaucoup selon les pays et selon les cas. L'action des mécanismes n'est d'ailleurs pas automatique. Les agents politiques doivent soutenir et orienter constamment ceux qui animent ces mécanismes. Ils le font plus ou moins volontiers, selon qu'ils les jugent plus ou moins utiles pour l'accomplissement de leurs propres rôles. L'examen des dispositions à l'endroit du système politique et de chacune de ses composantes internes et à l'égard des mécanismes d'interactions, de même que de la façon dont les uns et les autres structurent leurs rapports, constitue une excellente voie d'analyse de la dynamique 242intersystémique, notamment en ce qui concerne l'influence . FINER, Anonymous Empire. A Study of the Lobby in Great Britain, Pall Mall Press, London, 1966, 28-44 ; John C. WAHLKI, ? The Legislator and the Interests : Pressure Group Roles ?, dans John C. WAHLKE, Heinz EULAU, William BUCHANAN et Leroy C. FERGUSON, op. cit., 311-343 ; Joseph LAPALOMBARA, Interest Groups in Italian Politics, Princeton University Press, 1964, 199-252. 240 Dans notre tome premier, par référence aux partis et aux groupes d'intér[et, nous nous sommes longuement interrogé sur cette question. 241 Stéphane BERNARD, les Attitudes politiques en démocratie. Esquisse d'une typologie, Institut de sociologie de l'Université Libre de Bruxelles, 1968, 136-137, O. KIRCHHEIMER, ? The Waning of Opposition in Parliamen-tary Regimes ?, Social Research, vol. 24, 1957 et les passages pertinents dans Robert A. DAHL, editor, Political Oppositions in Western Democracies, Yale University Press, New Haven, 1966. 242 Dans le dernier chapitre de la présente partie, nous examinerons précisément comment et jusqu'à quel point les contributions des groupes Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 329 V. MÉCANISMES D'INTERACTIONS ET CRISE DES SOCIÉTÉS LIBÉRALES Retour à la table des matières Les systèmes tendent naturellement à se maintenir ou à persister. C'est là leur objectif essentiel et c'est vers cet objectif suprême que les activités systémiques sont finalement orientées. Dans le cours normal des choses, le système politique obéit à cette règle générale. On ne peut, en effet, concevoir un système politique qui, par l'action délibérée de ses membres, courrait à sa destruction. Tout système politique se doit de tendre vers la réalisation de ses finalités propres, c'est-à-dire la production en temps opportun des décisions qui s'imposent de même que la capacité de les rendre impératives pour toute la société. La poursuite de ce double objectif comporte cinq exigences fonctionnelles minimales : la légitimation du système ; l'équilibration par le système des demandes souvent contradictoires et de poids bien inégal des agents sociaux ; l'adaptation du système aux conditions mouvantes de l'environnement ; plus fondamentalement encore, l'aptitude du système à modifier l'environnement de façon à ce qu'il puisse choisir et poursuivre ses finalités conformément à sa volonté propre ; et, finalement, la capacité de se corriger de façon à réparer ses propres erreurs et à se rajuster conformément aux stratégies souvent imprévisibles des agents sociaux. D'aucuns tirent de ces conditions la conclusion que les systèmes politiques par nature antagonistes au changement et qu'ils sont foncièrement incapables de se transformer en profondeur. En ce qui concerne les grands systèmes politiques contemporains tout au moins, malgré toutes les apparences contraires, cette conclusion ne paraît pas dénuée de tout fondement. En effet, nombre d'entre eux font preuve de rigidité et d'immobilisme. D'autres sont excessivement vulnérables aux pressions (stress) du milieu ou encore ne parviennent pas à prendre les bonnes directions au moment voulu. Il est souvent difficile de départager les déficiences qui tiennent aux rouages de celles qui sont imputables aux agents eux-mêmes. C'est ainsi que, par la défaillance des uns et les fautes des autres, la légitimation d'intérêt à la vie des systèmes politiques se concrétisent finalement en influence sur les agents de ces derniers. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 330 devient effort d'intégration par la contrainte ; l'équilibration, immobilisme ou nivellement arbitraire ; l'adaptation à l'innovation, négation de l'évolution ou soumission veule aux forces évolutives ; l'aptitude à modifier l'environnement, absence d'initiative ou impuissance à élaborer un ordre de priorités proprement politiques ; et la capacité de s'autocorriger, incohérence ou corrosion interne. La performance systémique, certes, dépend de plusieurs facteurs. La qualité des composantes internes et le rendement des agents politiques eux-mêmes viennent en tête de liste. Mais il faut également tenir compte de la qualité des mécanismes d'interactions et de la nature des rapports qui s'instituent concrètement entre ceux-ci et les composantes politiques internes. Cette dernière question soulève plusieurs ordres différents de considérations centrales à nos préoccupations. La persistance d'un système politique suppose que les citoyens soient suffisamment attachés au régime, aux composantes, aux agents et aux symboles. Dans les termes de Harry Eckstein, il faut que les forces de cohésion équilibrent 243les forces de division . Si les forces de division l'emportent, le système réagit en imposant ? la loi et l'ordre ? par la contrainte, ou encore il cède à l'anarchie. Les mécanismes d'interactions, chacun selon ses modalités propres, sont grandement responsables du maintien de cet équilibre entre tendances cohésives ou intégratives et tendances divisives. Pour s'acquitter de façon convenable de leur mission, ils doivent d'abord recueillir soigneusement les idéologies, intérêts et pressions émanant des individus et des groupes sociaux et, ensuite, convertir de manière adéquate ces idéologies, intérêts et pressions en soutiens et en demandes politiques. Pour qu'un système politique soit considéré en santé, il ne suffit pas, en effet, qu'une fraction prépondérante de demandes et de soutiens émanant des mécanismes d'interactions soient positifs et assimilables par le système ; ils doivent en outre correspondre de façon assez exacte aux intérêts et aux idéologies - et, de ce fait, aux besoins et aspirations - des agents sociaux. Dans les sociétés libérales, c'est cette correspondance qui fait surtout défaut, les mécanismes d'interactions, notamment les partis et les conseils consultatifs, présentant aux agents politiques une version tronquée des attentes et de l'état d'esprit réel des 243 Harry ECKSTEIN, Division and Cohesion in Democracy. A Study of Norway, Princeton University Press, 1966, 20-31. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 331 agents sociaux. Si les dirigeants des mécanismes d'interactions ne parviennent pas à faire la médiation vers les agents politiques des véritables revendications des individus et des groupes, c'est que souvent les ressources dont ils disposent ne leur procurent pas une autorité suffisante pour négocier avec vigueur les différences qui les opposent aux agents politiques qui, eux, conformément à leur logique propre, sont astreints à tenir compte des possibilités politiques et à se plier à la règle de majorité. Ce n'est pas le côté ? négatif ? des demandes qui, au premier chef, fait problème. Dans une société libérale, il est normal que surgissent des conflits. En canalisant les ? oppositions ?des agents sociaux vers le système politique, les mécanismes d'interactions font oeuvre utile. C'est lorsque la conciliation des différences entre agents ne se fait pas de façon convenable que les difficultés surgissent. Or, ce ne sont pas toujours, loin de là, les dirigeants des mécanismes d'interactions qui sont les premiers responsables de l'absence ou de l'échec des négociations. Très souvent, les vrais responsables sont les agents politiques eux-mêmes. Ces derniers peuvent, jusqu'à un certain point, dominer les mécanismes d'interactions, du moins les partis, les conseils consultatifs et les media de communication, sinon les groupes d'intérêt. Par le recours aux moyens les plus divers - la cajolerie, les menaces, la contrainte - ces derniers réussissent à amener les dirigeants des mécanismes d'interactions à formuler seulement les soutiens et les demandes politiques qu'ils sont prêts à recevoir et sous la forme qu'ils désirent 244entendre . On dit souvent des agents politiques qu'ils restent ? sourds ?aux appels du peuple ou qu'ils se coupent des ? forces vives ?. Les agents politiques, d'ordinaire, nient le bien-fondé de ces accusations. Ils font précisément valoir les puissants moyens dont ils disposent pour connaître les sentiments de la population : les partis, les conseils consultatifs, les media de communication, les groupes d'intérêt eux-mêmes et leurs ? contacts ? personnels avec le peuple. Ils parviennent de la sorte à se donner bonne conscience. Il n'en reste pas moins toutefois que leur dénégation repose sur une fraude objective : les appareils qu'ils utilisent pour communiquer avec le peuple, ils les ont au préalable moulés 244 Dans le tome premier, nous avons montré comment, par suite de cette déviation fonctionnelle, partis et groupes d'intérêt - les premiers surtout - servaient plus souvent d'écrans que de ponts entre agents politiques et agents sociaux. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 332 conformément à leurs objectifs ou rendus captifs de leurs volontés. Outre que la vigueur de l'autonomie qui leur permettrait de s'adresser aux agents politiques avec autorité leur fait fréquemment défaut, les mécanismes d'interactions sont souvent des appareils très lourds de sorte que leur aptitude à convertir idéologies, pressions, intérêts sociaux en demandes et soutiens politiques est faible. Organisations hiérarchiques et oligarchiques, il arrive que les mécanismes d'interactions soient orientés de façon à servir les objectifs de leurs dirigeants avant ceux des membres ou de la société entière. Il résulte de cette condition des lenteurs et des interférences, sources d'erreurs et de retards coûteux. Les agents du système politique connaissent bien cette situation. Ils s'efforcent parfois de la corriger en cherchant à modifier les règles du jeu, à édicter des codes d'éthique, et à établir des contrôles propres à activer les mécanismes d'interactions et à contenir les appétits des dirigeants. Plutôt toutefois que d'aviser aux moyens qui permettraient aux mécanismes d'interactions de formuler tous les soutiens et toutes les demandes qui sourdent des idéologies et des intérêts des individus et des groupes, les agents politiques préfèrent remplir eux-mêmes une fonction de suppléance, en produisant leurs propres withinputs. De la sorte ont-ils l'assurance que projets et programmes politiques seront conformes à leur perception des possibilités politiques et aux voeux de la majorité. Ils risquent toutefois d'aller ainsi à l'encontre des attentes des individus et des groupes sociaux et de susciter l'opposition des mécanismes d'interactions, notamment des groupes d'intérêt. L'insuffisance fonctionnelle des mécanismes d'interactions peut être peu perceptible dans les périodes d'évolution lente. Elle devient flagrante dans les époques de changements brusques et radicaux. Des sollicitations toujours plus nombreuses, pressantes et contradictoires harcèlent alors les mécanismes d'interactions. Incapables de transmettre de façon adéquate les volontés des individus et des groupes sociaux, ces derniers font des tris arbitraires dans les intérêts et les idéologies ou encore tombent dans l'inaction. Ces graves manquements induisent les agents politiques à se représenter faussement la situation réelle en même temps qu'ils contribuent à accroître encore les tensions sociales. En s'accumulant et faute d'être résorbées assez bien et assez tôt, les tensions s'aggravent et dégénèrent finalement en une véritable crise des sociétés. Du cœur du système social, parmi les groupes et les individus, s'expriment des besoins et Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 333 des aspirations que les agents du système politique ne parviennent pas à comprendre, ni même à entendre. Ce que les uns réclament à hauts cris, les autres le dénoncent avec indignation. Les projets politiques, s'ils tendent à satisfaire tout le monde, risquent de ne répondre aux attentes de personne et, s'ils favorisent une coterie aux dépens d'une autre, de provoquer des remous incontrôlables. Dans ces circonstances, les décisions politiques entraînent des conséquences non désirées ou encore sont inapplicables. La montée des impatiences entraîne des actions erratiques, des hésitations coûteuses et des conflits insolubles. Dans les secteurs où la crise sévit le plus intensément, il devient virtuellement impossible de légiférer ou d'appliquer les lois qu'une majorité parlementaire a adoptées. Les décisions que les agents politiques parviennent encore à prendre sont ou mauvaises ou intempestives. Pendant qu'on s'agite ou tergiverse de la sorte, la crise continue à gagner en intensité. Bientôt, les rouages socio-politiques, même 245les plus vitaux, risquent d'être sabordés. Bref, la société est ? bloquée ?. Si la crise s'étend à toute la société et si elle affecte de façon particulière le système politique, c'est au niveau des mécanismes d'interactions que se situe la source du mal. En ne parvenant pas à faire les médiations requises, les mécanismes d'interactions, en effet, accentuent la mésentente parmi les agents sociaux, engendrent le mécontentement parmi ces derniers à l'égard des agents politiques et provoquent l'impuissance des agents politiques à comprendre la situation et à appliquer les correctifs qui s'imposent. C'est, en effet, la défaillance des mécanismes d'interactions qui constitue la source première du potentiel de violence qui s'accumule à un rythme croissant depuis cinq ans dans les sociétés libérales. Leur incapacité à produire des demandes et des soutiens politiques conformes aux idéologies et aux intérêts des groupes sociaux ou encore à inciter les agents politiques à prendre les décisions qui s'imposent entraîne la création par ceux-ci de pseudo-mécanismes d'interactions - cercles, fronts, comités de citoyens, regroupements communautaires - qui traduisent fidèlement les revendications des groupes les plus mécontents mais dont les agents du système politique ont beaucoup de peine à entendre la voix et même à reconnaître la légitimité. 245 Ce terme est emprunté au titre de l'ouvrage de Michel CROZIER, la Société bloquée, Éditions du Seuil, Paris, 1970. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 334 La contradiction éclate alors au grand jour : les mécanismes qui traduisent le mieux les aspirations des groupes sociaux touchant les questions jugées par eux essentielles - la participation, la justice, le bien-être - sont précisément ceux qui reçoivent la plus mauvaise audience auprès des agents politiques. Les suspicions et les incompréhensions mutuelles croissent graduellement jusqu'à ce qu'elles engendrent le refus du dialogue et la rupture. Les nouveaux mécanismes d'interactions se marginalisent et se portent à l'assaut du système politique jugé inadéquat. Leurs dirigeants deviennent des contre-élites qui se proclament les porte-parole, non seulement des couches sociales marginalisées, mais de l'ensemble du peuple. Ils contestent l'autorité et la représentativité des dirigeants des mécanismes d'interactions officiels de même que la légitimité des agents politiques eux-mêmes. La violence verbale et physique que ces orientations entraînent appelle la répression politique et, par voie de conséquence, l'aggravation de la crise. La crise présente des sociétés libérales devra se dénouer tôt ou tard et d'une façon ou d'une autre. Les jeunes, les populations des régions excentriques et des quartiers pauvres des villes, les classes moyennes elles-mêmes qui se sentent bafouées dans leurs convictions et qui portent le gros du poids des réformes mises en oeuvre par le Welfare State se radicalisent chaque jour davantage. Les orientations se polarisent toujours plus vers des positions ou ? révolutionnaires ? ou ? réactionnaires ?. La situation ne peut se détériorer guère davantage sans qu'il n'en résulte ou l'éclatement des systèmes ou leur réorientation radicale. Dans les circonstances, la tentation est grande chez les dirigeants de tenter de ? sauver ? les institutions libérales en reniant graduellement dans leurs actes les principes libéraux et en adoptant des méthodes d'action répressives ou même franchement dictatoriales. L'adoption de mesures pour la ? protection de l'ordre public ? fera taire pour un temps les contestations ? sauvages ? et on sera tenté de conclure à la résorption de la crise. En réalité, parce qu'on n'aura pas agi sur les sources du mal, on n'aura réussi qu'à retarder le règlement de comptes. On ignore jusqu'à quel point les systèmes politiques pourront résister au stress résultant de l'apathie haineuse et de la résistance passive et quels moyens ils pourront imaginer pour parer aux coups des contestations toujours plus sauvages que la répression ne manquera pas tôt ou tard d'engendrer. Mais si la violence engendre la répression, la réaction dictatoriale, à son tour, est le lit des révolutions. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 335 Mais une voie bien différente de dénouement de la crise s'offre aux dirigeants : celle de la réforme radicale. Michel Crozier a bien montré le rôle positif des crises dans la vie des organisations. La crise, c'est l'envers ou la contrepartie de la routine bureaucratique. Une administration, selon Crozier, ne cède au changement que si elle engendre des ? dysfonctions ?. En effet : ? ... un système bureaucratique d'organisation n'est pas seulement un système qui ne se corrige pas en fonction de ses erreurs, mais c'est un système trop rigide pour s'adapter sans crise aux transformations que l'évolution accélérée des sociétés industrielles rend 246de plus en plus fréquemment impératives ?. Ce n'est pas cependant par le refoulement des aspirations des individus et des groupes vers une société plus humaine que la crise se dénouera. Ce n'est pas non plus une réforme qui se limiterait pratiquement à la substitution d'une classe dirigeante à une autre. Toute réforme valable devra atteindre les racines du mal ; les sources d'injustices, les facteurs d'inégalités, les causes de l'incapacité à renouveler les valeurs collectives, les raisons des participations déficientes, et ainsi de suite. Toute réforme valable devra obligatoirement passer par les mécanismes d'interactions. Entre autres efforts, il faut viser à rendre ceux-ci aptes 246 Michel CROZIER, le Phénomène bureaucratique, Éditions du Seuil, Paris, 1963, 261. On comprendra pourquoi nous nous sommes abstenu de parler de ? dysfonction ? pour caractériser les demandes qui expriment une opposition aux intentions ou aux actions des agents politiques ou qui encore vont à l'encontre des possibilités du système politique telles que les agents politiques les perçoivent. En effet, même la crise - du moins certains types de crises - doit être considérée comme ? fonctionnelle ? puisqu'elle contraint le système à évoluer et à s'adapter aux conditions nouvelles de l'environnement. Par ailleurs, ce ne sont pas les demandes ? négatives ? qui par elles-mêmes déclenchent la crise. Au contraire, l'existence de demandes ? négatives ? ou de refus de soutien constitue un phénomène parfaitement normal dans une société libérale, au sein de laquelle le conflit est aussi constant et salutaire que l'harmonie. Ce qui doit être mis en cause, c'est l'incapacité chronique de formuler de telles demandes ? négatives ? par suite de la défaillance des mécanismes d'interactions ou du refus obstiné des agents politiques d'en tenir compte. Cette incapacité chronique engendre chez les individus et les groupes des dispositions ? antisystémiques ?qui se manifestent sous la forme d'une contestation des mécanismes d'interactions officiels et de la création de pseudo-mécanismes de remplacement de même que, éventuellement, d'un retrait de toute contribution positive au système politique existant et la volonté de le saborder. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 336 à remplir convenablement la médiation intersystémique en rétablissant le circuit aujourd'hui inadéquat sinon rompu entre les ? forces vives ? et les agents politiques. Les mécanismes d'interactions constituent notamment le principal réseau de rétroaction permettant aux agents politiques d'obtenir rapidement la réaction de l'environnement à leurs projets et décisions de même que les informations requises pour la ré-orientation de leur action. Or, c'est précisément l'absence de rétroactions adéquates qui est la cause première des crises au sein des grandes organisations. Par la réforme des mécanismes d'interactions, non seulement peut-on espérer la résorption de la crise actuelle des sociétés libérales, mais encore il est permis de croire que la crise cessera d'être un moment nécessaire du processus socio-politique. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 337 Société et politique : la vie des groupes. Tome second: Dynamique de la société libérale (1972) Quatrième partie : À la recherche d’une influence Chapitre II Modes et moyens d’action Retour à la table des matières Dénoncer l'? ingérence ? des groupes d'intérêt dans le processus socio-politique, de même que les tactiques ? déloyales ? ou même ? subversives ? auxquelles ils auraient recours, fait partie d'un certain ? folklore ? de la science politique. En réalité, on connaît très mal les modes d'action des groupes d'intérêt. On ne peut citer que peu d'études méthodiques et bien documentées, même sur le 247lobbying qui est pourtant l'objet d'une réprobation quasi universelle . En outre, la presque totalité des travaux portent sur les États-Unis. Pour tous les autres pays, ce n'est qu'en parcourant la littérature sur les groupes d'intérêt qu'on parvient à obtenir des indications, malheureusement souvent très générales et peu 248convaincantes, concernant leurs modes d'action . 247 V.O. KEY Jr., Public Opinion and American Democracy, Alfred A. Knopf, New York, 1961, 500 ; Heinz EULAU, ? Lobbyists : The Wasted Profession ?, Public Opinion Quarterly, vol. 28, n? 1, 1964, 27-38. Il existe nombre d'études dans lesquelles le lobbying se trouve à constituer une préoccupation majeure. Dans un seul cas, cependant, a-t-on interrogé directement les lobbyists - 101 d'entre eux - sur eux-mêmes, leur profession, leur rôle, leur opinion d'eux-mêmes, leurs contacts et leur action. Voir Lester W. MILBRATH, The Washington Lobbyists, Rand McNally, Chicago, 1963. 248 C'est ainsi que l'idée tant de fois reprise selon laquelle les groupes d'intérêt seraient plus ? actifs ? aux États-Unis qu'ailleurs relève de la pure spéculation. Les informations que nous possédons à l'heure actuelle sur les modes d'action des groupes d'intérêt dans des pays comme la Grande-Bretagne, la France, Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 338 L'examen des modes et moyens qu'emploient les groupes d'intérêt pour faire connaître leurs demandes devrait de toute évidence constituer une part essentielle des préoccupations du chercheur. C'est en définitive toute l'économie de la pression politique qu'exercent les groupes d'intérêt que pareil effort permettrait de reconstituer. Quels sont ces moyens, par qui, quand, pourquoi, comment sont-ils employés et avec quels résultats ? Quelle base organisationnelle leur mise en oeuvre requiert-elle ? Comment les conditions du système politique et les dispositions des agents politiques à l'égard des groupes d'intérêt influent-elles sur leur choix de même que sur les modalités de leur utilisation ? Conscient des sévères limites que nous fixe la carence des connaissances sur la question, nous examinerons brièvement la nature des modes et moyens d'action des groupes d'intérêt et la portée socio-politique de leur mise en oeuvre. I. NATURE DES MODES D'ACTION Retour à la table des matières Les modes d'action des groupes d'intérêt sont extrêmement nombreux et divers. L'imagination très développée des dirigeants des groupes, jointe à la porosité fréquente des réglementations légales, rendent virtuellement illusoire l'établissement de bornes fixes à leur action. Les modes varient selon les groupes, les composantes politiques et selon les circonstances. Sur ce point comme sur tant d'autres, se révèlent la complémentarité et l'interdépendance des mécanismes d'interactions. Nombre de modes d'action des groupes d'intérêt empruntent en effet les canaux des partis, des media de communication et des conseils l'Italie, l'Allemagne et le Canada, autorisent à penser que ces modes d'action ne varient pas sensiblement d'un pays à l'autre et que leur nombre et leur importance dépendent de l'aménagement concret des principaux centres de décision dans chaque pays de même que des circonstances particulières à chacun d'eux. C'est ainsi que le lobbying, loin d'être une technique proprement américaine, se pratique partout et depuis fort longtemps. Les lobbys américains disposent cependant, semble-t-il, de plus d'argent que ce n'est le cas ailleurs. On ne saurait toutefois se fonder sur un fait semblable, imputable avant tout à la plus grande richesse des grandes organisations et peut-être aussi à certains traits spécifiques de la culture politique américaine, pour ranger les lobbys américains dans une classe à part. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 339 consultatifs ou encore sont dirigés vers eux. Les contributions financières aux partis de même que l'imposante activité électorale des groupes d'intérêt ont finalement pour objet d'inciter les partis à se porter défenseurs ou protagonistes de leurs objectifs. Il en est également ainsi de leur présence généralement zélée au sein des conseils consultatifs. Quant aux media de communication, une bonne partie de l'action des groupes d'intérêt est directement rendue possible grâce à leurs bons offices. D'où l'obligation faite à celui qui s'attache à l'examen des modes d'action des groupes d'intérêt dans une société donnée de connaître la nature des rapports qui se nouent entre les mécanismes d'interactions. Selon que ces rapports sont bons ou mauvais, faciles ou difficiles, les groupes d'intérêt 249disposent de moyens d'action adéquats ou inadéquats, amples ou restreints . Les groupes d'intérêt peuvent choisir de présenter leurs demandes ou d'offrir leurs soutiens sous forme de mémoires, rapports, documents écrits ou témoignages oraux au Conseil des ministres, à une commission d'enquête spéciale, ou encore à une commission parlementaire ou administrative. C'est ainsi qu'associations ouvrières, patronales, agricoles ou professionnelles ont l'habitude de préparer chaque année à l'intention du gouvernement un mémoire faisant état du programme que le groupe entend mettre en oeuvre de même que des positions du groupe à l'endroit des projets et décisions politiques. Fréquemment, ces mémoires sont présentés par les dirigeants des groupes au cours de réunions spéciales marquées d'une certaine solennité. Les groupes peuvent également collaborer à la rédaction des projets de loi ou même préparer eux-mêmes des projets de loi. Ils peuvent offrir leur collaboration en vue de faciliter l'application des mesures législatives ou administratives. Dans certains cas, comme dans celui des professions libérales, ils exercent eux-mêmes par délégation de compétences des prérogatives proprement politiques auprès de leurs membres. 249 Transparaît ici l'importance de phénomènes comme ceux de l'accessibilité et du contrôle des mécanismes d'interactions. Il va de soi que les groupes d'intérêt qui ont un accès facile aux partis, aux conseils consultatifs ou aux media de communication ou qui exercent sur ces derniers un haut degré de contrôle disposent, pour se faire entendre, d'un choix beaucoup plus riche de moyens. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 340 Ils peuvent aussi adresser des pétitions, lettres, télégrammes aux agents politiques susceptibles de favoriser ou d'entraver leurs desseins. Parfois on se borne à une intervention officielle des dirigeants, parfois au contraire on met à contribution les membres ou même le grand public. C'est ainsi qu'en certaines occasions de longues pétitions ou des monceaux de télégrammes et de lettres en faveur ou contre des projets assaillent les agents politiques. Très souvent ce sont les dirigeants des groupes qui inspirent ces télégrammes et lettres, les rédigent, recueillent les signatures et voient à ce qu'ils parviennent à leurs destinataires. Il arrive même qu'on forge les signatures ou que les noms soient fictifs. D'autres modes d'action concernent la mobilisation des membres et du grand public. Affiches, graffiti, journaux, conférences, cours, manuels, cinéma, radio, télévision, relations publiques, publicité dite institutionnelle - tout est mis à contribution dans le but de faire émerger ou de maintenir des vues favorables au groupe. Nombre de groupes disposent de leurs propres media - journaux, radio ou télévision en circuit fermé - dont les messages sont primairement destinés à leurs membres mais qui peuvent aussi atteindre le grand public. En effet, il ne suffit pas pour les groupes de pouvoir compter en tout temps sur l'appui de leurs membres. Il s'impose également pour eux que l'environnement leur soit favorable. D'où leur recours aux grands media de communication dans le but d'informer le public dans un sens qui leur soit favorable et leur mise en oeuvre de programmes de formation 250au moyen de conférences publiques, de cours, de manuels, et ainsi de suite . 250 L'action des groupes d'intérêt sur les opinions tant du grand public que de leurs membres a fait l'objet de beaucoup de commentaires, malheureusement le plus souvent généraux et superficiels. Voir, notamment, Dayton David McKEAN, Party and Pressure Politics, Houghton Mifflin, Boston, 1949, 429- 631 ; Lester W. MILBRATH, op. cit. ; C. L. GILB, Hidden Hierarchies. The Professions and Government, Harper, New York, 1966 ; Stanley KELLY, Professional Public Relations and Political Power, The John Hopkins Press, Baltimore, 1956 ; Irwin Ross, The Image Merchants. The Fabulous World of Public Relations, Doubleday, Garden City, New York, 1959 ; Martin MAYER, Madison Avenue, U.S.A., Harper, New York, 1958 ; Bertrand M. GROSS, The Legisiative Struggle, McGraw-Hill, New York, 1953, 223-265 ; Oliver GARCEAU, The Political Life of the American Medical Association, Archon Books, Hamden, Connecticut, 1941 (réédité en 1961), 68-130 ; Alpheus Thomas MASON et Richard H. LEACH, In Quest of Freedom. American Political Thought and Practice, Prentice-Hall, 1959 ; Abraham HOLTZMAN, Interest Groups and Lobbying, Collier-Macmillan, Toronto, 1966, 99-111 ; Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 341 Démonstrations, manifestations de toutes sortes (marches, occupations de locaux, sit-in, ? journées d'études ?, etc.) représentent des modes d'action qui se veulent plus ? directs ?. La grève politique et le lock-out manifestent une intention particulièrement ferme d'intimidation. Mais les groupes peuvent aller plus loin encore : ériger des barricades, s'adonner au terrorisme, déclencher des émeutes, fomenter des révolutions - de tels actes vont bien au delà de la simple revendication puisqu'ils visent au renversement du système politique. On doit néanmoins les considérer comme faisant partie de l'arsenal des moyens dont disposent les groupes. Ils constituent en effet des armes de réserve que les groupes se bornent généralement à brandir sans vouloir sérieusement les utiliser à fond, 251même dans les cas où ils le pourraient . Dans la mise en oeuvre de ces modes d'action, les groupes peuvent agir de façon isolée ou concertée, épisodique ou continue. Pour procurer à leur action plus d'ampleur, les groupes recourent à des comités d'action, fronts, coalitions, organisations annexes ou catalytiques, éphémères ou permanentes, et s'engagent SCHRIFTGIESER, The Lobbyists. The Art and Business of Influencing Lawmakers, Little, Brown, Boston, 1951, 142-208 ; V.O. KEY Jr., Politics, Parties and Pressure Groups, Thomas 1. Crowell, New York, 1964, 130-166 ; Norman R. LUTTBEG, editor, Public Opinion and Public Policy : Models of Political Linkage, The Dorsey Press, Homewood, Illinois, 1968, 119-184 ; V.O. KEY, Public Opinion and American Democracy, Alfred A. Knopf, New York, 1961, 411-432, 481-535 ; Norman John POWELL, Anatomy of Public Opinion, Prentice-Hall, New York, 1953, 134-205 ; Clarence SCHETTLER, Public Opinion in American Society, Harper and Row, New York, 1960, 327- 411 ; Bernard C. HENNESSY, Public Opinion, Wadsworth, Belmont, California, 1965, 247-294 ; Harwood L. CHILDS, Public Opinion, D. Van Nostrand, Princeton, New Jersey, 1965, 237-261 ; Jean MEYNAUD, Nouvelles Études sur les groupes de pression en France, Armand Colin, Paris, 1962, 189-192 ; S.E. FINER, Anonymous Empire. 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La nomenclature des modes d'action des groupes d'intérêt serait insatisfaisante s'il n'était pas fait mention du lobbying, terme courant aux États-Unis, et qui correspond à une réalité que l'on retrouve à des degrés divers dans toutes les 253sociétés libérales . Le lobbying représente un mode d'action d'un caractère bien particulier. Bien qu'on ne soit pas encore parvenu à le définir de façon précise et que différentes personnes le perçoivent de diverses manières, le terme s'entend généralement pour signifier l'action plus ou moins suivie et s'étendant sur une certaine période d'une personne agissant pour le compte d'une organisation et recevant des émoluments professionnels pour son travail dans le but d'amener des agents politiques à agir dans un sens favorable à l'organisation. Le lobbying caractérise de la sorte l'action d'un agent social sur un agent politique mais non l'action inverse d'un agent politique sur un agent social. Elle implique que le lobbyist est un intermédiaire ou un représentant, qu'il s'engage dans une 252 Voir Alan K. McADAMS, Power and Politics in Labor Legislation, Columbia University Press, New York, 1964 ; Alain TOURAINE, le Mouvement de mai et le Communisme utopique, Éditions du Seuil, Paris, 1968 ; Michel CROZIER, la Société bloquée, Éditions du Seuil, Paris, 1970 ; Lester W. MILBRATH, op. cit., 169-175 ; Theodore J. Lowi, recension de l'ouvrage de Raymond A. BAUER, Ithiel DE SOLA POOL et Lewis A. DEXTER, American Business and Public Policy : the Politics of Foreign Change, Atherton Press, New York, 1963, dans World Politics, vol. 16, n? 3, 1964, 677-715 ; J.D. STEWART, British Pressure Groups : Their Role in Relation to the House of Commons, Oxford University Press, Oxford, 1958, 40-60 ; Robert E. LANE, Political Life, The Free Press of Glencoe, 1961, 63- 80 ; Léon DION, le Bill 60 et la Société québécoise, HMH, Montréal, 1967 ; Bertrand M. GROSS, op. cit., 223-242 ; Stephen Kemp BAILEY, Congress Makes a Law : The Story behind the Employment Act of 1946, Columbia University Press, New York, 1950. 253 Pendant longtemps le terme ? lobby ? désigna les couloirs de la Chambre des Communes britanniques. Le terme s'appliqua par la suite aux ? conversations de couloir ? et, aux environs de 1830, aux groupes qui cherchaient à influencer les parlementaires. Selon l'auteur d'un dictionnaire de la langue américaine, H. L. Mencken, c'est en 1829, année où Andrew Jackson accéda à la présidence, qu'on employa pour la première fois aux États-Unis les termes ? lobby ? et ? lobby-agent ?. Toujours selon Mencken, le mot ? lobbyist ? était d'emploi courant à Washington dès 1837 et dans les capitales étatiques dans les années qui suivirent. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 343 communication interpersonnelle et qu'il tente un effort de persuasion auprès de 254l'agent visé . Et bien qu'on ait tendance à le restreindre à l'action sur les législateurs - sans doute par suite du fait que cet aspect a été l'objet de nombreuses enquêtes et études, aux États-Unis surtout et à un degré moindre en Grande-Bretagne, - il s'étend à la pression exercée sur tous les agents politiques, 255fonctionnaires, ministres et juges, aussi bien que sur les législateurs . Le lobbying peut dès lors se définir comme l'activité, généralement rémunérée, d'une personne agissant pour le compte d'une organisation, parfois de façon autonome mais le plus souvent en liaison plus ou moins suivie avec son organisation et disposant de moyens divers (argent, informations, etc.) dans le but de persuader 256un ou des agents politiques à agir dans le sens de l'intérêt de ses patrons . 254 Lester W. MILBRATH conçoit le lobbying comme ? la stimulation et la transmission d'une communication, de la part d'une personne agissant pour le compte de quelqu'un d'autre, vers un agent de décision gouvernemental dans l'espoir d'influencer sa décision ? (op. cit., 20) et il le perçoit comme le moteur du réseau de communication gouvernemental (ibid., 180-189). Harmon ZEIGLER (? The Effects of Lobbying : A comparative Assessment ? dans Norman R. LUTTBEG, Public Opinion and Public Policy, The Dorsey Press, Homewood, Illinois, 1968, 184-205) et Heinz EULAU (? Lobbyists : The Wasted Profession ?, op. cit.) jugent cette position excessive. Zeigler concède toutefois beaucoup plus de rôles et d'influence aux lobbyists que ne le fait Eulau. Aussi Edgar LANE, Lobbying and the Law, The University of California Press, Berkeley and Los Angeles, 1964, 3-4 ; Andrew M. SCOTT et Margaret A. HUNT, Congress and Lobbies, The University of North Carolina Press, Chapel Hill, 1965. 255 Voir Lester W. MILBRATH, op. cit., 162 ; Alan K. Mc-ADAMS, Power and Politics in Labor Legislation, Columbia University Press, New York, 1964 ; Suzanne FARKAS, Urban Lobbying : Mayors in the Federal Arena, New York University Press, 1970. Jean MEYNAUD, op. cit., 187-188. 256 La Federal Regulation of Lobbying Act de 1946 donne la définition suivante du lobbyist que nous reproduisons en anglais : ? Sect. 307. The provisions of this title shall apply to any person (except a political committee as defined in the Federal Corrupt Practive Act, and duly organized state or local committees of a political party) who by himself, or through any agent or employee or other persons in any manner whatsoever, directly or indirectly, sollicits, collects or receives money or any other thing of value to be used principally to aid, or the principal purpose of which person is to aid, in the accomplishment of any of the following purposes : a) The passage or defeat of any legislation by the Congress of the United States ; b) to influence. directly of indirectly the passage or defeat of any legislation by the Congress of the Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 344 On ignore le nombre de lobbyists dans chaque pays de même que les montants des sommes qu'ils engloutissent. À Washington seulement, on estime entre 1,500 et 2,000 le nombre d'organisations qui y maintiennent en permanence des lobbyists et à plus de dix millions de dollars les sommes versées directement en salaires. La plupart des 200 plus grandes entreprises emploient des lobbyists pour 257mousser leurs intérêts à Washington . Pour les groupes, le lobbying représente un mode, entre autres, d'accès auprès des agents politiques et constitue donc une forme particulière de pression. S'ils y ont recours, c'est qu'ils estiment que cette technique rapporte des dividendes. Par ailleurs la profession de lobbyist n'est pas de tout repos. Désireux de satisfaire son patron qui le rémunère grassement, souvent sans contrat ferme, pour son travail et qui attend des résultats tangibles à brève échéance, obligé par ailleurs de maintenir son activité dans les limites United States. ? Plusieurs, tant parmi les praticiens que les théoriciens, ont soulevé de nombreuses objections contre cette définition. Voir Karl SCHRIFTGIESER, op. cit. ; Belle ZELLER, ? The Regulation of Pressure Groups and Lobbyists ?, The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 319, 1958, 94-104. Le House Select Committee on Lobbying Activities a tenté par la suite à plusieurs reprises d'amender cette définition mais sans succès. Par ailleurs, ni la Commission spéciale d'enquête de la Chambre des Représentants sur le lobbying (Commission Buchanan, 1950-1951) ni la Commission sénatoriale spéciale d'enquête sur les activités politiques, le lobbying et les dépenses électorales (Commission McClellan, 1957-1958) ne suggérèrent de changements substantiels à la Lobbying Act de 1946. Pour les textes pertinents, voir John P. ROCHE et Leonard W. LEVY, Parties and Pressure Groups. Documents in American Government, Harcourt, Brace, New York, 1964, 163-236. Les dispositions légales visant à régulariser le lobbying sont fort nombreuses. Outre les ouvrages déjà mentionnés dans cette note, voir S. E. FINER, Anonymous Empire ; Abraham HOLTZMAN, op. cit., 107-111 ; Edgar LANE, ? Group Politics and the Disclosure Idea ?, Western Potitical Quarierly, vol. 17, n? 2, 1964, 200-213 ; Grant MCCONNELL, Private Power and American Democracy, Alfred A. Knopf, New York, 1967 ; V. 0. KEY Jr., Politics, Parties and Pressure Groups, l5l- l54, Dayton David McKEAN, Party and Pressure Politics, 624-625, et plus particulièrement, Edgar LANE, Lobbying and the Law. Tous les efforts de réglementation (enregistrement obligatoire des lobbyists, déclaration des dépenses encourues, etc.) partent du postulat explicite ou implicite que le lobbying est une activité répréhensible et, dès lors, n'aboutissent qu'à de maigres résultats. 257 R. Joseph MONSEN et Mark W. CANNON, The Makers of Public Policy, Mc Graw-Hill, New York, 1965, 24. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 345 prévues par la loi ou exigées par les agents politiques, le lobbyist se trouve de la 258sorte dépendre de deux ordres de sollicitations souvent contraires . S'il est respectueux des lois, il risque d'être inefficace et de déplaire à son maître. S'il viole les règlements, il risque d'être poursuivi en justice et condamné à des peines d'emprisonnement. On oppose souvent le ? vieux ? lobby, caractérisé par la corruption, au ? nouveau ? lobby dominé par les relations publiques. Si on ne recourt plus à la corruption de façon aussi ouverte qu'autrefois, il semble bien que les pratiques traditionnelles n'ont pas été mises au rancart, comme le montre le nombre de mises en accusation pour tentatives de corruption de parlementaires aux États-Unis, pays où la réglementation du lobbying est particulièrement stricte, Le nouvel art du lobbying ne supplante donc pas les techniques plus anciennes. Il se surajoute plutôt à celles-ci, d'où une plus grande variété de moyens qu'autrefois. Rares sont ceux que le lobbying laisse indifférents et qui n'ont pas une attitude moralisatrice à son endroit et nombreux sont ceux qui, avec Kenneth G. Crawford, estiment que le lobbying est une ? cause de la décadence de la morale 259publique ?. 258 Edgar LANE, op. cit., 7-8 ; E. E. SCHATTSCHNEIDER, The Semi- Sovereign People, Holt, Rinehart and Winston, New York, 1960, 31 ; Donald C. BLAISDELL, American Democracy under Pressure, Ronald, New York, 1957, 59 ; Alfred DE GRAZIA, Political Behavior, The Free Press, New York, 1962, 243-244 ; Kenneth G. CRAWFORD, The Pressure Boys. The Inside Story of Lobbying in America, Julian Messner, New York, 1939, 3 ; Léon DION, op. cit., 114-120. Le salaire moyen d'un lobbyist à temps plein est d'environ $20,000. Certains gagnent toutefois $50,000 et plus. Les groupes d'intérêt et les grandes entreprises engloutissent des dizaines de millions par année dans des activités de lobbying à Washington seulement. Pourtant les sommes déclarées ne s'élèvent guère au-dessus de six millions et se situent en moyenne autour de trois millions. Voir Lester W. MILBRATH, op. cit., 93. 259 R. Joseph MONSEN et Mark W. CANNON, op. cit., 15-40 ; Abraham HOLTZMAN, op. cit., 83-89 ; Kenncth G. CRAWFORD, op. cit. ; Karl SCHRIFTGIESER, op. cit. ; Edgar LANE, op. cit. ; E. CELLER, ? Pressure Groups in Congress ?, The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 319, 1958, 1-9 ; Arnold M. ROSE, The Power Structure, Oxford University Press, New York, 1967, 457-472 ; Bertrand M. GROSS, The Legisiative Struggle, McGraw-Hill, New York, 1953, 37-56 ; Alfred DE GRAZIA, op. cit., 230-265 ; Abraham HOLTZMAN, op. cit., 40-72 ; Lester W. MILBRATH, op. cit., 279-304 ; E. E. SCHATTSCHNEIDER, The Semi- Sovereign People. En se concentrant sur le lobbying, on risque de perdre de vue les causes réelles de la corruption politique. Celle-ci déborde en effet Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 346 Les modes d'action qu'utilisent les groupes pour se manifester, les manoeuvres auxquelles ils recourent pour se l'aire entendre représentent des manifestations importantes de leur vie. Ils nous révèlent des traits significatifs de leur caractère et de leurs orientations à l'égard du système social et du système politique. Ils nous permettent de voir comment ils perçoivent les agents du système politique, d'identifier quels aspects du processus socio-politique ils jugent particulièrement importants et comment ils croient pouvoir les infléchir à leur avantage. L'attention que praticiens et théoriciens accordent à ces modes d'action est certes fondée. Ce qui surprend toutefois, c'est le peu d'efforts visant à J'établissement d'une classification rigoureuse de ces nombreux modes d'action. Des auteurs ont proposé des catégorisations générales. Ainsi, Jean Meynaud : actions offensives, actions défensives, actions mixtes ; Stéphane Bernard : manoeuvres banales, manoeuvres subversives et Arnold J. Bornfriend : tactiques à basse température, tactiques à haute température. D'autres parlent d'interventions directes et 260d'interventions indirectes . largement le lobbying. Peu d'aspects de la vie politique en sont exempts. Voir Arnold J. HEIDENHEIMER, editor, Political Corruption. Readings in Comparative Analysis, Holt, Rinehart and Winston, New York, 1970 ; Arnold A. ROGOW et H. D. LASSWELL, Power, Corruption and Rectitude, Prentice-Hall, Englewood Cliffs, New Jersey, 1963. La réglementation légale des pratiques du lobbying, les tentatives de formulation de codes d'éthique auxquels adhéreraient les lobbyists, l'indignation morale et les efforts de suppression du lobbying représentent sans doute des indices de l'évolution de la culture politique et sont susceptibles d'aboutir à la disparition des pratiques les plus immorales. Toutefois, seule une réforme des mécanismes socio- politiques qui ouvrirait aux groupes d'intérêt des accès organiques aux agents politiques, par l'institutionnalisation des pratiques séculaires du lobbying plutôt que par leur suppression, est susceptible d'apporter des correctifs majeurs. 260 Jean MEYNAUD, op. cit., 196-201 ; Stéphane BERNARD, les Attitudes politiques en démocratie. Esquisse d'une typologie, Institut de sociologie de l'Université Libre de Bruxelles, 1968, 126-181 ; Arnold J. BORNFRIEND, ? Political Parties and Pressure Groups ?, American Academy of Political Science, vol. 29, n? 1, 1969, 55-67. La classification de Stéphane Bernard, qui est la plus élaborée de celles qui ont été proposées jusqu'ici, comporte les éléments suivants : du côté des manoeuvres banales : la persuasion non intimidante, l'action sur les formations politiques, les actes d'obstruction licites, l'appel direct ou indirect à l'opinion, l'exploitation illicite de certains exécutants ou de certains gouvernements et la formulation complète par les Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 347 Pour faire émerger des catégories de classement homogènes et utiles, il s'impose de définir des critères signifiants et opératoires. Nous rappelant que tout l'effort des groupes porte finalement sur l'octroi d'un accès auprès des agents politiques dans le but d'exercer une influence sur le déroulement du processus socio-politique, il s'ensuit que les modes choisis dépendent de la nature des groupes d'intérêt, de leur poids relatif et de leurs dispositions vis-à-vis des agents et des organisations politiques. C'est ainsi que les modes choisis varient selon que les groupes sont organiques (inconditionnels ou conditionnels), c'est-à-dire qu'ils constituent des rouages plus ou moins officiels ou institutionnalisés du système politique, ou non organiques (conditionnels ou inconditionnels), c'est-à-dire qu'ils ne sont pas considérés et refusent de se considérer eux-mêmes, d'une manière relative ou absolue, comme des rouages du fonctionnement régulier du système politique. Ils varient également selon que les groupes sont plus ou moins puissants, c'est-à-dire selon leur aptitude à s'imposer à l'attention des agents politiques et à obtenir d'eux un accueil chaleureux. Quand les groupes sont organiques et puissants, il leur est d'ordinaire facile d'obtenir un accès auprès des agents politiques : les modes utilisés relèvent dès lors de l'intégration. Au contraire, quand ils sont non organiques et impuissants, l'accès leur est difficile, sinon impossible, et les modes choisis relèvent de la division. En considérant l'intégration et la division selon un continuum, on aboutit à la classification suivante des modes d'action : l'accomplissement de rôles publics, le support actif accordé aux agents politiques, l'acceptation de la négociation des divergences avec les agents politiques, simple lobbying, du côté de l'intégration ; le recours à des manifestations banales (pétitions, marche, etc.), l'intimidation, l'obstruction, le terrorisme, la révolte et la révolution, du côté de la division. groupes d'intérêt du contenu de la décision qu'ils cherchent à faire prévaloir ; du côté des manoeuvres subversives : la désobéissance ouverte à la loi, la grève politique, la résistance à l'autorité et la répression gouvernementale. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 348 II. MODES D'ACTION ET PROCESSUS SOCIO- POLITIQUES Retour à la table des matières L'analyse des interactions systémiques déborde, certes, la seule question des moyens que les groupes d'intérêt mettent en oeuvre pour inciter les agents politiques à prêter attention à leurs demandes. Il faut également tenir compte des conditions des systèmes eux-mêmes et de la conjoncture. Il n'en reste pas moins que l'examen des modes d'action des groupes d'intérêt fournit de précieux renseignements sur les volontés et les possibilités des agents politiques de même que sur l'état des mécanismes socio-politiques. Ce n'est pas le simple caprice, en effet, qui dicte aux groupes d'intérêt leur choix de tel ou tel moyen d'action en telle ou telle circonstance. Ces choix dépendent souvent davantage de conditions objectives contraignantes découlant de la nature des groupes et de l'environnement où ils évoluent que de dispositions subjectives plus ou moins fortuites. Les groupes d'intérêt mettent en oeuvre divers moyens d'action conformément à leurs ressources. Ces moyens sont un bon indice de leur puissance. Jusqu'à récemment, la nature des moyens mis en oeuvre indiquait que la principale ressource sur laquelle s'appuyaient les groupes était l'argent. Aux États-Unis tout particulièrement, les grandes entreprises, les associations d'affaires, les professions, les unions ouvrières, les associations de fermiers, l'Union des Vétérans et nombre d'autres organisations disposent de budgets considérables dont ils engloutissent une fraction importante dans des activités de ? pression ? diverses (lobbying, campagnes électorales, ? campagnes ? spéciales, préparation de mémoires, publicité, relations publiques, etc.). C'est ainsi que dans la seule campagne qu'elle livra contre le programme d'assurance-santé du président Truman en 1950, l'American Medical Association dépensa plus de deux millions de dollars. Le coût total de l'ensemble des activités de pression aux États-Unis est inconnu. Il s'élève sans aucun doute à plusieurs centaines de millions de dollars annuellement. Ailleurs, en Europe notamment, les groupes d'intérêt paraissent accorder moins d'importance à l'argent, sans doute parce qu'ils disposent de fonds Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 349 proportionnellement moins considérables et peut-être également parce que les moeurs y sont plus sévères à l'endroit de l'usage de l'argent en vue de gains 261politiques . Plus récemment, il semble qu'il y ait eu une évolution dans les moyens d'action utilisés par les groupes et que cette évolution indique que ces derniers s'appuient maintenant moins sur l'argent et davantage sur l'information pour faire sentir leur présence. L'information représente donc une autre ressource dont l'importance, toujours considérable, a crû énormément depuis quarante ans. Dans nos sociétés complexes, constituées de réseaux organiquement distincts tout en étant fonctionnellement interdépendants, l'information constitue un lien unificateur indispensable. Une société au sein de laquelle l'information circule bien dans tous les circuits (ascendants, descendants et horizontaux) est capable de prendre les bonnes orientations en temps opportun et de se rajuster rapidement, 261 House Select Committee on Lobbying Activities, ? Pressure Group Methods and Tactics ?, General Interim Report, 1950, 1-51, dans Henry A. TURNER, Politics in the United-States, McGraw-Hill, New York, 1955, 79- 91 ; Congressional Quarterly Weekly Report, vol. 11, n? 17, 1953, 507-509 ; ? Lobby Spending Plunges ? et Congressional Quarterly Weekly Report, vol. 12, n? 15, 1954, 442 ; lbid., 91-95 : Karl SCHRIFTGIESER, op. cit. ; Alexander HEARD, The Cost of Democracy, The University of North Carolina Press, Chapel Hill, 1960 ; Gabriel KOLKO, Wealth and Power in America, Frederick A. Praeger, New York, 1962 ; Hugh A. BONE, ? Political Parties and Pressure Group Politics ?, The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 319, 1958, 73-84 ; Belle ZELLER, ? The Regulation of Pressure Groups and Lobbyists ?, ibid., 94-103 ; Arnold Rose, The Power Structure, Oxford University Press, New York, 1967, 74-75, 456- 482 ; Bertrand M. GROSS, op. cit., 230-232 : Raymond A. BAUER, Ithiel DE SOLA POOL et Lewis Anthony DEXTER, American Business and Public Policy. The Politics of Foreign Trade, Atherton Press, New York, 1964, 341- 350 ; Corinne Lathrop GILB, Hidden Hierarchies. The Professions and Government, Harper and Row, New York, 1966, 140-150 ; Joseph MONSEN Jr. et Mark W. CANNON, op. cit. ; Lester W. MILBRATII, op. cit., 38, 82-86, 92-97 ; Edgar LANE, op. cit., 7-17, 107-154 ; William C. MITCHELL, The American Politics, The Free Press of Glencoe, New York, 1962, 342-533 ; S. E. FINER, op. cit., 56-57 ; Allen POTTER, Organized Groups in British National Politics, Faber and Faber, London, 1961, 149-165. Selon MILBRATH, (op. cit., 39), les principales sources de financement des groupes sont les cotisations, les contributions spéciales des membres, les souscriptions générales de financement, les honoraires chargés aux clients et certains revenus venant d'investissements divers. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 350 conformément aux exigences systémiques et aux circonstances. Une société au sein de laquelle l'information ne circule pas bien dans les divers rouages est une société bloquée. On comprend dès lors qu'un si grand nombre d'organisations mènent avec tant d'ardeur la lutte pour l'information scientifique, technique et humaine dans les divers secteurs de la réalité. Il se peut que l'information constitue finalement un monopole ou un oligopole et que la lutte pour l'information se ramène en dernière analyse à un affrontement entre géants - grandes Organisations d'affaires ou entreprises, unions ouvrières, professions et gouvernements. Ces géants, toutefois, ne produisent pas directement eux-mêmes toute l'information dont ils disposent. Dans l'ombre des, marchandages, collusions et pirateries qui se produisent entre les titans, se déroulent une multitude de négociations de moindre importance entre les groupes d'intérêt et les grands centres de ? pouvoir ?, au cours desquelles des informations sont échangées ou monnayées contre d'autres valeurs. Si donc l'information se concentre en fin de compte en quelques mains, il s'impose qu'elle soit au préalable produite, transformée en marchandise et échangée. On ignore le nombre de groupes qui, dans une société, disposent d'informations ayant valeur marchande. Il est toutefois relativement élevé, plus élevé qu'on ne le croit généralement. Même un groupe restreint possède en exclusivité un certain nombre de données susceptibles d'être utiles ou même nécessaires aux organisations les plus considérables. Par suite de leur caractère particulier ou de dispositions légales, certaines de ces données sont communiquées aux grandes organisations de façon plus ou moins automatique. Mais d'autres données, qui échappent à ces conditions ou contraintes, restent la propriété des groupes qui peuvent dès lors les retenir pour eux-mêmes ou encore les échanger avec d'autres groupes contre d'autres valeurs. C'est ainsi que l'information est une marchandise dont le coût est plus ou moins élevé selon les conditions du marché. Le nombre et la nature des données exclusives dont un groupe dispose, de même que la façon dont il utilise cette ressource, représentent donc une mesure précieuse de l'audience qu'il est susceptible d'obtenir des agents politiques. Sous certains aspects, l'information constitue pour les groupes une ressource plus sûre que l'argent lui-même. En effet, l'information échappe à la présomption de corruption qui s'attache à l'argent. Les agents politiques sont dès lors beaucoup mieux disposés à échanger des avantages politiques contre de Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 351 l'information que contre de l'argent. En effet, dans la plupart des cas, ils ne perçoivent pas les pressions des groupes appuyées sur de l'information comme du 262lobbying, comme ils le font spontanément quand c'est l'argent qui est en cause . Mais l'information est une marchandise et, comme toutes les marchandises, elle est susceptible d'être échangée contre de l'argent ou d'être convertie en argent. C'est ainsi que les agents politiques, par de sinueux détours, échangent leurs informations contre des pots-de-vin, des contributions aux caisses électorales, la promesse de votes, etc. De même en est-il des grands groupes d'intérêt vis-à-vis des groupes restreints. Dans une bonne mesure, l'information dont ils disposent et qu'ils échangent contre des avantages politiques leur vient de groupes restreints : ceux qui sont sous leur contrôle et qui jour après jour les alimentent en données de toutes sortes en retour des services rendus (protection, assistance financière directe, etc.) ; et ceux qui échappent à leur contrôle mais dont ils réussissent à soutirer des informations contre de l'argent, la promesse d'une protection, et ainsi de suite. Est-il raisonnable de croire que, malgré ces multiples conditionnements et dépendances, l'information ne profite pas seulement aux grands groupes d'intérêt et aux grandes entreprises et qu'elle peut servir même aux groupes restreints et aux individus dans leur lutte pour la reconnaissance et l'influence politiques ? D'autres moyens d'action aux mains des groupes se fondent sur une troisième catégorie de ressource, le nombre de membres. Certains groupes qui disposent de relativement peu de fonds mais qui comptent de nombreux membres font un abondant usage de cette ressource : ainsi les unions ouvrières, les associations de fermiers, de vétérans et nombre d'associations patriotiques. D'autres groupes, tels les groupes d'affaires et professionnels, qui comptent eux-mêmes peu de membres, réussissent quand même à faire jouer le poids du nombre en leur faveur grâce à d'autres ressources, généralement l'argent, en leur possession. Très souvent le poids du nombre s'exerce au moment des élections et s'applique de la sorte aux agents politiques par le truchement des partis. D'autres fois, il se fait sentir de façon directe par la mobilisation des membres et même du grand public en faveur des intérêts des groupes. Les campagnes de publicité et le recours méthodique aux 262 Harmon ZEIGLER, ? The Effects of Lobbying : A Comparative Assessment ?, dans Norman R. LUTTBEG, op. cit., 184-205 ; Andrew M. SCOTT et Margaret A. HUNT, op. cit., 32-36, 48-57, 88-93. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 352 relations publiques de la part des groupes au cours des débats qu'occasionne l'émergence des grands enjeux politiques visent précisément à la mobilisation des membres et du public. Les groupes d'intérêt emploient en outre diverses tactiques pour créer l'impression d'un large consensus et d'une adhésion quasi unanime en faveur de leur position. C'est ainsi qu'ils recourent fréquemment à des manifestations de masses et, aux États-Unis surtout, à des consultations de leurs 263membres ou référendums . Ils ne parviennent toutefois pas toujours de la sorte à émouvoir les agents politiques. Ceux-ci en effet, par flair professionnel, distinguent aisément les majorités véritables et les majorités factices, les regroupements authentiques et les regroupements fictifs. Ils excellent en outre à découvrir les limites et les failles dans l'unanimité proclamée des ? fronts ? et à tirer avantage des mésententes et des prises de position contraires parmi les groupes. Des moyens d'action excèdent la capacité d'organisation de nombre de groupes d'intérêt. C'est ainsi qu'une participation effective aux conseils consultatifs exige que les groupes disposent de membres suffisamment compétents pour y exprimer avec force les points de vue du groupe, d'un secrétariat susceptible de leur fournir au moment voulu les informations utiles et de techniques propres à tenir en tout temps ces délégués sous contrôle. Si plusieurs groupes sont tenus à l'écart des conseils consultatifs, c'est le plus souvent précisément parce qu'ils ne possèdent pas le niveau requis d'organisation. C'est ainsi également que la préparation et l'exécution d'une campagne de ? pression ?, d'une démonstration de masses ou d'un référendum requièrent une base organisationnelle que bien peu de groupes possèdent. On doit donc considérer la capacité d'organisation comme une quatrième catégorie de ressource requise pour le recours à certains moyens d'action parmi les plus considérables. Cette ressource est sans aucun doute reliée aux autres - l'argent, l'information, les effectifs - sous des aspects significatifs. Elle n'en diffère pas moins 263 Au sujet des référendums au sein des groupes, voir Raymond A. BAUER, Ithiel DE SOLA POOL et Lewis Anthony DEXTER, op. cit., 332-340 ; Oliver GARCEAU, The Political Life of the American Medical Association, Archon Books, Hamdem, Connecticut, 1961 ; Harmon ZEIGLER, The Politics of Small Business, Public Affairs Press, Washington D. C., 1961, 27-32 ; Abraham HOLTZMAN, op. cit., 17-23 ; Lester W. MILBRATH, op. cit., 202- 206 ; Jean MEYNAUD, op. cit., 204-209. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 353 intrinsèquement des autres. Des groupes, pauvres en argent et en information ou faibles en nombre, recourent avec succès à certaines techniques d'action exigeant une capacité exceptionnelle d'organisation. C'est le cas notamment de certains groupements insurrectionnels et de certains ? fronts ? ou ? comités d'action ? provisoires qui compensent par la ferveur et le savoir-faire le manque d'argent et le petit nombre de membres. L'examen des modes d'action que les groupes empruntent permet d'évaluer la nature et l'importance de leurs ressources. Par là même cet examen éclaire de façon signifiante le caractère des intérêts des groupes, les stratégies que les groupes mettent en oeuvre, leur degré de rationalité (qui se révèle par le rapport entre le coût des moyens utilisés et les avantages escomptés et obtenus) et, plus généralement, la liberté d'action dont disposent les groupes, leurs dispositions envers le système politique, le degré de leur articulation à l'appareil socio-politique de même que la légitimité qui leur est octroyée. En d'autres termes, l'examen des modes et moyens d'actions dévoile certaines facettes significatives des groupes d'intérêt. En même temps qu'il montre comment ils se comportent sous le feu de l'action, semblable examen laisse deviner quels projets ils nourrissent et quels espoirs ils entretiennent. Non seulement l'examen des modes d'action éclaire-t-il la vie des groupes, mais encore il met en évidence certains traits fondamentaux des sociétés. Cet examen, s'il est mené de façon approfondie, distrait l'attention des groupes et la concentre sur leur articulation au processus socio-politique. Certes, le recours par un groupe à tel ou tel mode vise d'ordinaire un simple objectif immédiat et parcellaire. Mais, dans la mesure où les modes d'action requièrent la mobilisation d'individus, le recours à la propagande, aux relations publiques, aux démonstrations de masses et ainsi de suite, ils comportent une visée, manifeste ou latente, beaucoup plus générale. Par leur effet sur ceux qu'ils touchent, ces modes deviennent des instruments plus ou moins importants de contrôle social et, de façon plus générale encore, des véhicules et des signes de mouvements sociaux de 264plus ou moins grande envergure . 264 Voir Neil J. SMELSER, Theory of Collective Behavior, The Free Press of Glencoe, New York, 1963, 12-24 ; Maurice PINARD, The Rise of a Third Party. A Study in Crisis Politics, Prentice-Hall, Englewood Cliffs, New Jersey, 1971, 15-18. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 354 Le choix des modes d'action varie non seulement selon les groupes, mais aussi selon les sociétés et les circonstances. Chaque époque et chaque société comportent un réservoir ou une banque de modes auxquels individus et groupes puisent selon les conditions qui les confrontent. Le fait qu'à tel moment des groupes choisissent telle catégorie de modes plutôt que telle autre constitue une indication précieuse sur l'état de la société àce moment. Par exemple, l'apparition et la disparition à brefs intervalles de ? fronts ?, de ? comités d'action ?, de mouvements de toutes sortes, témoigne d'une insuffisance des structures, d'une crise au sein des centres de direction et de contrôle de même que de réalignements idéologiques parmi les groupes et les individus. De même le recours à des modes violents plutôt que non violents manifeste une difficulté de dialogue entre agents sociaux et agents politiques ainsi que la faiblesse des nécessaires médiations. C'est là une indication que les mécanismes d'interactions systémiques ne remplissent plus convenablement leur tâche, qu'ils ont été abolis ou encore qu'ils ont subi une réorientation idéologique radicale. Ce n'est pas, en effet, le hasard qui dicte aux groupes le choix des modes d'action. C'est ainsi que les ? enragés ? de Nanterre, l'érection de barricades, la création de comités d'action étudiants et ouvriers, en faisant émerger la volonté révolutionnaire (le projet d'anti-société) et en la dirigeant contre les rouages et les symboles du ? pouvoir ? ( l'assaut contre le ? système ? ), donnaient figure historique concrète à la lutte des classes et des groupes et révélaient au grand jour le fond de la crise de la société française en 1968. Selon qu'ils sont d'intégration ou de division, on peut considérer les modes d'action que les groupes choisissent comme un important indicateur de l'état des interactions systémiques. Mais en même temps les modes d'action qu'empruntent les groupes dépendent des ressources et de la culture d'une société. Par exemple, les riches possibilités d'action qu'octroie aux groupes la télévision n'existent que dans les sociétés qui comprennent ce télémédium et qui permettent aux groupes d'y avoir accès. Dans les sociétés libérales, deux conditions générales dictent le choix des modes d'action : le caractère capitaliste de ces sociétés, qui procure à l'argent la position dominante qu'il y occupe comme ressource motrice, et leur caractère démocratique d'où découle le droit de libre expression (ce droit se concrétisant Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 355 265dans le droit de pétition, de manifestation publique, etc.) . Seuls les groupes qui professent les normes du capitalisme et qui usent de façon ? convenable ? de leur droit de libre expression sont considérés comme légitimes et peuvent sans entraves majeures recourir aux moyens d'action de leur choix. La dissidence a droit de cité, pourvu cependant qu'elle s'exprime par la voie des mécanismes ? réguliers ? et qu'elle emprunte des moyens ? licites ?. On peut concevoir les modes d'action comme constituant des circuits de communication que les groupes tentent d'établir entre eux et leur environnement socio-politique. Quand un groupe adresse une pétition à un agent politique, quand il se livre à une manifestation publique, il ne se borne pas à vouloir faire peur. Il s'efforce de communiquer un message, d'ouvrir un dialogue. Les agents politiques sans doute capteront ces signaux à des degrés bien divers et répondront avec plus ou moins d'empressement, leur réponse étant elle-même susceptible d'entraîner de nouvelles interventions de la part des groupes. Dans certains cas, la voie de communication que les groupes tentent d'ouvrir est étroite (par exemple, quand ils écrivent à un député) ; dans d'autres cas, c'est une voie royale de communication qui s'offre à eux (ainsi, quand ils sont invités à prendre part aux délibérations d'un conseil consultatif) ; dans d'autres cas encore, l'importance du circuit de communication est incertaine (ainsi, lorsqu'ils présentent un mémoire au Conseil des ministres ou qu'ils témoignent devant une commission parlementaire) ; dans d'autres cas, enfin, la nature des modes choisis indique une rupture dans les canaux réguliers de communication en même temps qu'une intention d'ouvrir de nouveaux canaux ou de communiquer avec d'autres agents (telle est la situation lors de manifestations violentes, d'émeutes, d'activités terroristes ou révolutionnaires). Sans doute est-il inexact de concevoir les modes d'action auxquels recourent les groupes comme se ramenant à une simple offre de 266communication de leur part et sans doute est-il excessif d'assimiler ces modes 265 Sur la question du droit de libre expression pour les groupes, voir Donald C. BLAISDELL, American Democracy under Pressure, The Ronald Press Co., New York, 1957 ; Karl SCHRIFTGIESER, op. cit., 3-22, 81-84, 144-145 ; Morris L. ERNST, The First Freedom, Macmillan, New York, 1946 ; Walter BERNS, Freedom, Virtue and The First Amendment, Louisiana State University Press, Baton Rouge, 1957. 266 C'est ainsi pourtant que Lester W. MILBRATH (op. cit.) conçoit le lobbying dans la meilleure étude faite jusqu'ici sur le sujet. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 356 d'action à l'ensemble du réseau de communication d'une société. Il n'en reste pas moins que l'examen des modes d'action est susceptible d'éclairer de façon signifiante le fonctionnement concret, à des moments précis, des circuits de communication intersystémiques. Les modes d'action qu'empruntent les groupes d'intérêt jettent un puissant éclairage sur des aspects particuliers du système politique de même que sur les dispositions des agents du système politique envers les groupes d'intérêt. On doit considérer le degré de pression politique des groupes comme une bonne indication du dynamisme d'une société. Contrairement à ce que l'on affirme parfois, les sociétés où les groupes d'intérêt 'sont peu actifs et où les pressions des groupes sont imperceptibles ne sont pas d'ordinaire les plus progressives. Ce sont les sociétés progressives, au sein desquelles de nombreux projets se discutent et de nombreux problèmes se posent, qui sont les plus fertiles en débats de toute nature et qui sollicitent le plus l'intervention des groupes de même que le recours de la part de ces derniers aux moyens les plus virils. Les gouvernements progressistes, par leur action sur la distribution des revenus, le bien-être collectif, le développement, les pratiques économiques, la vie culturelle, etc., affectent beaucoup plus les intérêts des groupes que les gouvernements peu actifs et, par conséquent, sont davantage susceptibles de les inciter à intervenir. C'est le plus souvent l'action des gouvernements qui, en ? provoquant ? et en ? dérangeant ? les groupes dans leurs intérêts, les incite à intervenir à leur tour. Mais en même temps, l'intervention des groupes stimule l'action politique. Dans les termes de Theodore J. Lowi : ? ... c'est lorsqu'on considère que quelque chose dans la société mérite d'être préservé qu'on recourt au gouvernement de la façon la plus 267valable et la plus fréquente ?. 267 Theodore J. Lowi, The End of Liberalism, W.W. Norton, New York, 1969, 61. Une étude menée dans quatre États, le Massachusetts, la Caroline du Nord, l'Oregon et l'Utah, montre que plus un État est actif, plus, par exemple, on y présente de lois par session - et plus les législateurs sont conscients de l'action des lobbyists. Plus également ils tiennent compte des revendications des groupes dans l'adoption des lois, le pourcentage de lois adoptées par session diminuant de façon draconienne. En d'autres termes, le degré d'activité des groupes n'est pas fonction de la ? corruption ? ou de la ? pureté ? des moeurs politiques mais bien plutôt du dynamisme d'une société et du gouvernement. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 357 La nature des modes d'action qu'utilisent les groupes fournit une bonne indication de la capacité des systèmes politiques de résister au stress. La plupart des manoeuvres, aujourd'hui considérées comme banales, furent longtemps réputées subversives et ceux qui y recouraient étaient mis en prison ou même punis de mort. C'est de haute lutte que furent conquis les droits de vote, de pétition, de manifestation pacifique et de grève. Ces droits, qui s'inscrivent indubitablement dans la logique de l'idéologie libérale même si plusieurs s'y opposèrent longtemps au nom du libéralisme parce qu'ils revêtaient un caractère collectif, plutôt qu'individuel, représentent l'essentiel du contenu concret de la démocratie occidentale contemporaine. Si les systèmes politiques se montrent, du moins en certaines occasions, conciliants à l'égard des tactiques des groupes d'intérêt, c'est que l'active collaboration de ceux-ci leur est nécessaire. Se passer d'eux, refuser obstinément de les entendre, ce serait pour les agents politiques se rendre sourds aux appels des individus et des groupes et provoquer la montée des exaspérations. D'où, dans les démocraties libérales, cette remarquable tolérance non seulement envers les groupes d'intérêt mais encore à l'égard des moyens qu'ils utilisent. La conquête des droits démocratiques constitue une des phases les plus marquantes de la longue lutte de l'homme vers l'autodétermination. Lutte jamais achevée parce que, d'une part, pour que les individus et les groupes puissent exercer ces droits, ils doivent les revendiquer à chaque tournant du chemin et, d'autre part, les inévitables contraintes des structures, l'évolution des conditions et des mentalités exige qu'ils soient constamment approfondis, redéfinis et renouvelés. Les victoires et les avatars des droits démocratiques jalonnent les phases les plus marquantes des régimes libéraux. Les dispositions des agents politiques concernant l'exercice concret de ces droits par les individus et les groupes procurent un bon indice du climat de leurs rapports avec les agents sociaux, du degré de confiance qu'ils accordent aux mécanismes d'interactions de même que de leur foi dans la solidité et la souplesse du système politique lui-même. Dans Harmon ZEIGLER, ? The Effects of Lobbying : A Comparative Assessment ?, op. cit.. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 358 Pour être démocratiques, les systèmes politiques libéraux n'en sont pas moins des ? pouvoirs ? : ils penchent naturellement du côté de l'ordre bien plus que de celui de la liberté. Ils font profession de foi en la liberté mais, sous le prétexte de protéger des libertés ? menacées ?, il leur arrive fréquemment de recourir à la contrainte pour mettre au pas des groupes jugés excessivement revendicateurs. La question de savoir si une intervention du pouvoir pour la protection de l'ordre public est justifiable ou non, relève de considérations juridiques et morales susceptibles de varier selon les circonstances et dont la valeur est souvent incertaine. Cependant, qu'il soit justifiable ou non, chaque recours au droit répressif, à la force policière et militaire pour protéger des libertés menacées marque une régression de la liberté. La restitution intégrale des libertés ? suspendues ? ou ? mises en tutelle ? exigera une reconquête : le pouvoir, par dessein ou inadvertance, ne restaurera pas tous les droits que, dans un moment d'urgence nationale, il avait jugé nécessaire d'enlever provisoirement aux individus et aux groupes. Mais en même temps qu'ils se réservent d'abroger les droits acquis s'ils estiment que les circonstances l'exigent, les systèmes politiques libéraux ? apprivoisent ? graduellement ceux qui les exercent et convertissent en techniques régulières du processus socio-politique les modes d'action par lesquels ces droits se concrétisent. C'est ainsi que l'opposition au régime devient ? loyale ? à partir du moment que les factions subversives par lesquelles elle s'exprime sont converties en partis ? légitimes ? et qu'on accepte que les candidats des partis qui l'emporteront à la suite d'élections régulières deviendront législateurs ou seront appelés à former le gouvernement. De même, du moment que les systèmes politiques reconnaissent la légitimité des pétitions, des manifestations publiques, de la grève, etc., ils transforment ces gestes en outils utiles et même indispensables de la vie politique régulière : ceux qui utilisent ces moyens, hier des conspirateurs, deviennent dorénavant de précieux collaborateurs des agents politiques. On constate de la sorte une transformation progressive des modes d'action divisifs en moyens parfaitement intégratifs. Cette remarquable évolution montre la très grande aptitude des systèmes politiques à absorber les moyens antisystémiques et à les convertir en rouages de leur propre fonctionnement. Cette Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 359 assimilation, certes, ne se fait pas sans heurts, ni compromissions. C'est souvent sous la sévère médecine des crises que l'assimilation s'effectue. Le rythme d'assimilation varie grandement d'un système à l'autre. Certains systèmes procèdent rapidement aux conversions requises tandis que d'autres n'y parviennent qu'avec difficulté ou même faillissent à la tâche. Et ce n'est pas dans les systèmes les moins intégrateurs que la violence quotidienne sévit le plus. Au contraire, les systèmes peu intégrateurs connaissent de longues périodes de stabilité interne. Cependant, quand ils bougent, c'est sous les remous de révolutions radicales qui laissent déferler, d'un seul coup, toutes les frustrations et l'énergie accumulées des colères longtemps refoulées. Dans les systèmes très intégrateurs, chaque absorption de modes d'action jugés violents calme les esprits et crée de nouvelles avenues d'interactions systémiques qui accroissent d'autant la capacité du fonctionnement systémique. Elle ne supprime pas pour autant les impulsions ni les sources de violence dans la société qui tiennent aux finalités de l'action collective et non aux modes d'action. D'où, après un temps, l'émergence de nouvelles insatisfactions, la création de groupes pour exprimer ces insatisfactions et la mise au point de modes d'action violents dans le but d'obliger les agents politiques à prêter l'oreille. Le caractère des revendications de même que les modes choisis incitent tout d'abord les agents politiques à résister aux pressions de ces nouveaux groupes. D'où la radicalisation des esprits et la polarisation des positions. Les modes d'action se font plus violents, la répression sévit. Ce n'est qu'après un certain temps que l'équilibre se rétablit. Les groupes divisifs abandonnent la lutte ou encore ils ont gain de cause : ce qui signifie leur absorption par le système de même que la suppression du caractère violent de leurs modes d'action et souvent même la transformation de ces modes d'action en rouages socio-politiques réguliers. Il existe toutefois un seuil de violence, au delà duquel un régime politique ne pourrait plus durer. Mais où se situe ce seuil ? Les émeutes raciales, la violence urbaine et la contestation universitaire ont secoué les États-Unis durant la dernière décennie. On s'étonne cependant de la rapidité avec laquelle le système politique américain s'est ressaisi, de la facilité avec laquelle il a mis au point une stratégie de contre-violence, de la tolérance croissante qu'il manifeste à l'endroit des modes inédits de violence et de l'habileté avec laquelle il Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 360 réussit même à intégrer les groupes contestataires et les nouveaux moyens 268d'action . Les modes qu'empruntent les groupes constituent une bonne indication des ressources dont ils disposent, ils révèlent également assez bien l'influence qu'ils peuvent avoir sur les agents politiques. L'efficacité de l'action des groupes se mesure au degré selon lequel ils obtiennent les effets escomptés : amener les agents politiques à prendre conscience de leur existence, à les entendre et, finalement, à tenir compte de leurs revendications. La pénurie des ressources à la disposition d'un grand nombre de groupes d'intérêt les restreint à l'utilisation de modes rudimentaires susceptibles de faire une impression médiocre sur les agents politiques. La plupart du temps, le recours à de semblables modes n'entraîne que 269des résultats insignifiants . 268 C'est ainsi, par exemple, qu'après avoir tenté de la réprimer pendant un certain temps, on a appris à transformer la contestation étudiante en une technique de fonctionnement régulier de l'université. Beaucoup d'étudiants refusent toutefois l'offre faite par le ? système ? d'une participation de leur part à la stabilisation d'une situation ? aliénante ?. 269 Malgré l'atmosphère de suspicion qui plane toujours autour des groupes d'intérêt ou du moins de certains d'entre eux, les monographies montrent que législateurs, ministres et fonctionnaires estiment pour la plupart qu'ils remplissent, de façon régulière ou tout au moins occasionnelle, des tâches utiles. Plus nombreux ceux qui les favorisent ou adoptent à leur endroit une attitude de neutralité que ceux qui s'opposent à eux. Même le sénateur Estes Kefaufer, qui s'est fait remarquer par sa lutte contre le crime organisé aux États-Unis, s'est dit d'avis que ? le Congrès ne pourrait pas fonctionner sans les lobbyists ? (dans Wilfred E. BINKLEY et Malcolm L. Moss, A Grammar of American Politics, New York, 1951, 466). Sur les dispositions des agents politiques envers les groupes d'intérêt et les moyens qu'ils utilisent, voir John C. WAHLKE, Heinz EULAU, William BUCHANAN et Leroy C. FERGUSON, The Legislative System, John Wiley, New York, 1962 ; Harmon ZEIGLER, Interest Groups in American Society, 267-270 ; Abraham HOLTZMAN, op. cit., 72-88 ; Andrew M. SCOTT et Margaret A. HUNT, op. cit., 38-59 ; Donald R. MATTHEWS, U.S. Senators and their World, The University of North Carolina Press, 1966, 176-197 ; Grant MCCONNELL, Private Power and American Democracy, Alfred A. Knopf, New York, 1967, 11-30 ; Lester W. MILBRATH, op. cit., 277-386. Par ailleurs, les agents politiques ne limitent pas leur art à amadouer les groupes d'intérêt et à ? apprivoiser ? ou à ? contrer ? leurs techniques d'action. Ils s'engagent eux- mêmes à fond dans des activités de ? pression ? à l'endroit des groupes. Non Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 361 Par contre, ce ne sont pas les groupes qui emploient les modes les plus bruyants qui sont les plus influents. Les groupes qui recourent à de grandes manifestations publiques et, à plus forte raison, à la violence, sont généralement ceux à qui les agents politiques refusent audience et dont ils ne reçoivent pas les revendications. Les groupes qui sont près des agents politiques n'ont pas besoin d'élever la voix pour se faire entendre. La portée des modes d'action dès lors ne peut pas s'estimer indépendamment des groupes qui les utilisent. Un même moyen aura de grands effets dans les mains d'un groupe puissant alors qu'un groupe faible n'en tirera que des profits négligeables. Le lobbying représente un bon exemple de cette condition. On considère d'ordinaire le lobbying comme un phénomène autonome susceptible d'être étudié indépendamment des groupes qui y recourent. On aboutit en général à des conclusions décevantes, le plus souvent moralisatrices. Les rares monographies sérieuses sur la question montrent que, si les qualités personnelles du lobbyist individuel ont une certaine importance, c'est surtout le groupe pour le compte duquel il travaille et la rature du support que ce 270. groupe lui apporte qui rendent finalement compte des résultats du lobbying seulement recourent-ils pour ce faire aux armes familières aux groupes, mais encore ils disposent d'une redoutable arme supplémentaire : le recours légitime à la force publique, c'est-à-dire le droit pénal, la police et l'armée. Voir ? Propaganda Activities of Big Government under Scruting ?, Congressional Digest, vol. 30, n? 5, 1951, dans Henry A. TURNER, op. cit., 202-208 : Dayton David McKFAN, Party and Pressure Politics, Houghton Mifflin, Boston, 1949, 591-606 : R. Joseph MONSEN et Mark W. CANNON, The Makers of Public Policy, McGraw-Hill, New York, 1965, 222-305 ; J. Leiper FREEMAN, ? The Bureaucracy in Pressure Politics ?, The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 318, 1958, 10-19 ; Harmon ZEIGLER, Interest Groups in American Society, Prentice-Hall, Englewood Cliffs, New Jersey, 1964, 250-257. 270 Heinz EULAU, ? The Lobbyists : The Wasted Profession ?, Public Opinion Quarterly, vol. 28, n? 1, 1964, 27-38 ; Harmon ZEIGLER, ? The Effects of Lobbying : A Comparative Assessment ?, dans Norman R. LUTTBEG, op. cit., 184-193 ; Lester W. MILBRATH, op. cit., 328-356 ; Harmon ZEIGLER, Interest Groups in American Society, 270-274 ; Paul W. CHERINGTON et Ralph L. GILLEN, The Business Representative in Washington, The Brookings Institution, Washington, D. C., 1962 ; Raymond A. BAUER, Ithiel DE SOLA POOL et Lewis Anthony DEXTER, op. cit., 323-331, 341-350, Edith T. CARPER, ? Lobbying and the Natural Gas Bill ?, dans Edwin A. BOCK et Alan K. CAMPBELL, editors, Case Studies in American Government, Prentice-Hall, Englewood Cliffs, 1962, 175-222 ; Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 362 Quand il s'agit de mesurer la portée des modes d'action qu'utilisent les groupes dans leurs démarches auprès des agents politiques, plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. Le premier concerne l'importance intrinsèque des groupes d'intérêt, leur degré de cohésion interne et, plus immédiatement, le caractère des ressources qu'ils sont susceptibles de mettre en oeuvre dans des conditions données. On peut considérer les relations qui s'établissent entre les groupes et les agents politiques comme fondées sur la réciprocité : les groupes disposent de certaines ressources spécifiques : argent, information, etc. ; les agents politiques, de ressources également spécifiques : possibilité d'influer sur le partage des biens sociaux, économiques et culturels entre les groupes. Règle générale, les groupes qui possèdent les ressources que les agents politiques apprécient le mieux et les agents politiques qui peuvent intervenir avec le plus d'autorité sur le partage des 271biens sociaux finissent par se rejoindre et par s'entendre . Un second facteur vise le degré d'intégration politique des groupes. Il va de soi que les groupes qui comprennent et acceptent le mieux les règles de jeu du système et qui partagent les idéologies dominantes reçoivent spontanément un meilleur accueil de la part des agents politiques que les groupes revêches et dissidents. Si cette condition ne souffrait pas d'exception, les sociétés seraient tôt ou tard vouées à se mouvoir en cercles clos et à s'enliser dans le conservatisme. Mais les principaux agents sociaux et politiques des régimes libéraux font profession de foi progressiste. Aussi se laissent-ils occasionnellement émouvoir par les appels de groupes non conformistes ou divisifs qui réclament une réforme radicale des méthodes et de la substance de l'action socio-politique. Ce sont en définitive les voix contestatrices qui, en convainquant les agents sociaux et politiques de procéder aux nécessaires ajustements en temps requis, infusent une dose de progressisme dans les régimes libéraux et de la sorte préviennent les affrontements révolutionnaires. Une constatation se dégage de ce qui précède : il s'agit de la flagrante inégalité des individus et des groupes en ce qui concerne les possibilités de recourir aux Donald R. HALL, Cooperative Lobbying. The Power of Pressure, The University of Arizona Press, Tucson, 1969 ; Abraham HOLTZMAN, op. cit., 72-111. 271 Robert H. SALISBURY, ? An Exchange Theory of Interest Groups ?, Midwest Journal, vol. 13, n? 1, 1969, 1-32. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 363 modes d'action politique les plus appropriés. Dix à quinze pour cent seulement des citoyens écrivent au moins une fois à leur député dans leur vie. Encore moins discutent sérieusement avec lui de questions qui leur tiennent à cœur. Et combien de ces échanges laissent vraiment des traces dans les actions subséquentes des députés ? De même pour les groupes : bien plus nombreux sont ceux qui s'agitent que ceux qui disposent des ressources propres à leur permettre de recourir aux moyens appropriés au moment voulu. Partout on constate le poids écrasant de l'argent. C'est ainsi que plus de la moitié des lobbies, inscrits selon les prescriptions de la loi à Washington, sont des lobbies d'affaires et qu'ils dépensent à eux seuls plus de la moitié des sommes consacrées à cette activité. Il en est de même des modes d'action qui se fondent sur l'information. Seuls certains groupes possèdent des données scientifiques, techniques ou humaines que les agents politiques estiment indispensables. Or, très souvent, les groupes les mieux pourvus sur le plan de l'information sont aussi les plus riches en argent. La seule autre ressource sur laquelle les groupes peuvent compter est le poids du nombre. Or, le poids du nombre est bien plus aléatoire et bien mieux réparti entre les groupes que celui de l'argent ou de l'information. Comment dès lors instaurer plus d'égalité entre les groupes dans l'usage qu'ils peuvent faire des moyens d'action politique ? Seule une révolution intégrale abolirait l'argent et l'information comme ressources de base de l'action des groupes. Et il faudrait une réforme radicale des sociétés libérales pour qu'individus et groupes puissent en disposer de façon équitable. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 364 Société et politique : la vie des groupes. Tome second: Dynamique de la société libérale (1972) Quatrième partie : À la recherche d’une influence Chapitre III La participation politique Retour à la table des matières Pendant longtemps une manie apparemment réservée à des politiciens férus de démagogie ou aux spécialistes de l'éducation des adultes, l'intérêt pour la participation des individus aux activités qui les concernent ou qui engagent l'avenir de la collectivité est devenu en un tour de main une préoccupation majeure de tous : ouvriers, étudiants, professionnels et dirigeants dans toutes les sphères d'activité. Ces préoccupations, nobles en elles-mêmes, ne sont pas toujours bien inspirées. On peut affirmer à leur sujet ce que Léon Tolstoï disait de l'histoire moderne : elles ressemblent à un homme sourd qui répond à des questions que personne n'a posées. Ceux qui se penchent sur le problème de la participation se comportent parfois comme des spécialistes en désamorçage de bombes ou des épidémiologues. À les entendre, on pourrait croire à une explosion incontrôlable de participation ou à une fièvre galopante de participationnite. Mais plus ils s'effraient, plus ils perdent de vue l'objet de leurs craintes. Peut-on actuellement parler d'une vague de participation ? Si oui, comment se présente-t-elle ? Régénérera-t-elle les sociétés, les engloutira-t-elle ou plutôt, comme tant d'autres secousses historiques, s'évanouira-t-elle sans laisser de traces tangibles de son passage ? Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 365 N'exagère-t-on pas l'ampleur de la revendication participationniste ? Par l'usage abusif que l'on fait de l'idée même de participation, n'est-on pas en train de la dévaloriser, de la vider de sens et même de la rendre odieuse auprès de certaines catégories de gens ? N'accorde-t-on pas une importance indue à certains symptômes de notre temps, tels que la contestation étudiante, au détriment d'autres réalités également de notre époque, mais pour de toutes autres raisons, comme la terrible marginalité des masses rurales et urbaines et, de façon générale, le sort cruel de tous ceux qui rejettent nos sociétés sur-organisées (personnes âgées, impotents, illettrés, etc.) ? Et ne devrait-on pas parler, au lieu d'une explosion de participation, d'un immense besoin, parfois manifeste mais le plus souvent latent, de participation que les sociétés, telles qu'elles sont aujourd'hui aménagées, sont incapables ou non désireuses de satisfaire ? Mais quelle que soit la nature véritable du problème - que ce soit l'offre effective de participation qui soit excédentaire ou le besoin qui reste inexprimé ou inassouvi, ou encore les deux phénomènes à la fois parmi des couches différentes de la société - il n'est pas douteux qu'il mérite d'être scruté, aussi bien dans ses données particulières que dans ses conditions d'ensemble. Que les préoccupations soient d'ordre théorique ou qu'elles aient une visée d'action, il est manifeste qu'elles ouvrent une voie privilégiée vers la connaissance des sociétés : l'étude de la participation, en effet, permet de voir les modalités et le degré d'adhésion des individus aux normes culturelles d'une société et, par suite de la nécessaire liaison de la culture avec les autres paliers de la société, elle met à jour les structures sociales - plus particulièrement les structures sociales intermédiaires (groupes, classes sociales, associations volontaires, groupes d'intérêt, partis). En outre, elle révèle ces structures intermédiaires dans le cours même de l'exercice de leur fonction spécifique, c'est-à-dire l'accomplissement de la médiation entre les individus et de vastes organisations sociales, économiques ou politiques. Il s'impose donc d'adopter une acception large plutôt que restrictive de la participation. Par participation, nous entendons les contributions de tous genres (argent, temps, énergie, information, expérience, etc.) qu'un agent fait à une organisation au sein de laquelle la capacité de décision ou lui échappe ou est Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 366 partagée à divers titres et selon des modalités déterminées entre lui et d'autres 272agents . Cette définition soulève plusieurs questions. D'aucuns excluent l'idée que le participant puisse avoir une capacité réelle de décision et confèrent cette capacité à un autre agent, appelé dirigeant. Les rapports concrets entre participation et décision sont beaucoup trop complexes pour qu'il soit possible de s'en tenir à une différenciation aussi radicale. Estimer que les dirigeants ne sont pas des participants, c'est imaginer, au sein des organisations, une division qui, dans plusieurs cas, n'existe pas. C'est aussi dévaloriser la notion même de participation en l'identifiant pratiquement à des modes d'engagement reliés à l'exécution de tâches subalternes. Par ailleurs, exclure la possibilité que les participants puissent, dans certains cas et selon des modalités diverses, être appelés à prendre part aux décisions, c'est ignorer l'importance des phénomènes de ? participation à la direction ?, de codécision, de cogestion et même d'autogestion, fréquents dans quelques sociétés et dont certaines tendances évolutives au sein des sociétés libérales favorisent l'éclosion. C'est aussi ignorer que, sous la poussée de l'automation dans plusieurs organisations, les simples exécutants de naguère sont graduellement remplacés par des techniciens et des savants dont le statut, infiniment supérieur aux premiers, leur procure une position stratégique par rapport à la prise des décisions. Par ailleurs, notre définition de la participation n'a pas la précision ni l'opérationnalité requises dans les travaux empiriques. Cette déficience tient précisément au fait que toute définition de la participation doit tenir compte du 272 Cette définition de la participation s'inspire de James G. MARCH et Herbert A. SIMON, Organizations, John Wiley, New York, 1958, 84-112 ; Myron WEINER propose la définition suivante de la participation politique : ? J'emploierai le concept de participation politique pour traduire toute action volontaire ayant du succès ou aboutissant à un échec, organisée ou non organisée, épisodique ou continue, supposant le recours à des moyens légitimes ou non légitimes dans le but d'influencer le choix des politiques, l'administration des affaires publiques ou le choix des dirigeants politiques à tous les niveaux de gouvernement, local ou national. ? Dans Joseph LAPALOMBARA, editor, The Crisis of Political Develop-ment, Princeton University Press, Princeton, New Jersey, chapitre IV (À paraître.) Dans l'ouvrage le plus complet sur la participation politique, celui de W. MILBRATH, Political Participation, Rand McNally, Chicago, 1965, on ne trouve aucune définition précise de la participation. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 367 statut de fonction générale de la société qui est le sien. Mais cette lacune est assez facilement remédiable : en effet, la réalité globale qu'est la participation se décompose en niveaux d'analyse distincts qui, eux, sont opératoires. Toute participation prend la forme d'un acte accompli par un individu. Une organisation, un groupe ne participent pas. Mais un acte de participation revêt une signification sociale d'autant plus grande qu'il s'insère dans le cadre d'une collectivité. Pour la majorité des individus - hormis l'acte du vote qui, tout en étant lui-même de nature strictement individuelle, est, dans une large mesure, socialement prédéterminé - la plupart des actes de participation sont en réalité accomplis dans le cadre de collectivités grandes ou petites et très souvent exécutés en leur nom par les dirigeants d'une organisation dont ils sont membres. Une telle appartenance constitue donc pour l'individu une façon de maximiser ses participations. Le nombre, la nature, l'intensité et les formes d'appartenance varient selon les époques et selon les pays. Le phénomène même de participation se présente de manière bien différente selon qu'il s'agit de sociétés traditionnelles, en voie de développement ou industrielles, et suivant qu'il s'agit de régimes autoritaires ou démocratiques, socialistes ou libéraux. Dans les régimes libéraux, toutefois, certaines conduites paraissent assez uniformes : ainsi, dans la plupart des pays, la proportion des électeurs par rapport aux inscrits sur les listes électorales se situe entre 70 et 80 pour cent. Même pour cette participation élémentaire on trouve toutefois une exception de taille dans le cas des États-Unis où la proportion d'électeurs aux trois élections présidentielles qui se sont tenues entre 1948 et 1956 s'établit à 58 pour cent et à 41 pour cent seulement pour les quatre élections de représentants tenues en dehors des campagnes présidentielles durant la même 273période . Pour toutes les autres conduites de participation, il est acquis que les 273 Stein ROKKAN et Angus CAMPBELL, ? Citizen Participation in Political Life : Norway and the United States of America ?, International Social Science Journal, vol. 12, 1960, 69-99, dans Edward C. DREYER et Walter A. ROSENBAUM, eds, Political Opinion and Electoral Behavior. Essays and Studies, Wadsworth, Belmont, California, 1966, 439-463. Dans son excellent ouvrage, l'Abstentionnisme électoral en France, Armand Colin, Paris, 1968, Alain LANCELOT a montré les difficultés presque insurmontables qui empêchent le calcul exact du pourcentage des électeurs. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 368 divergences entre pays sont considérables. Mais, exception faite du sondage 274qu'Almond et Verba ont mené dans cinq pays , nous ne disposons que de données éparses sur l'ampleur de ces divergences. Dans ce domaine comme ailleurs, on se heurte aux difficultés d'établir des comparaisons valables entre pays : s'interposent des conditions systémiques fort différentes, des tendances fort diverses, reliées à la culture politique, concernant le fonctionnement des mécanismes de participation et des dispositions fort variées vis-à-vis de chacun de ces mécanismes. En outre, on ne possède pas de code généralement accepté pour la collecte, le classement et l'évaluation des données. Un auteur qui s'est penché sur ces problèmes avec un soin particulier, Stein Rokkan, établit à trois grandes catégories les domaines de comparaisons entre pays à propos desquelles il faudrait imaginer des instruments d'analyse sinon uniformes du moins convergents : d'abord, les comparaisons du nombre relatif de participants, à chaque niveau de la société (combien de candidats et d'élus pour 10,000 électeurs, etc.) ; ensuite, les comparaisons dans les taux de participation pour diverses catégories d'individus (sexe, âge, habitat, strate socio-économique, instruction, etc.) ; enfin, les comparaisons entre les principales organisations socio-politiques elles-mêmes quant aux caractéristiques de leurs membres (sexe, 275âge, etc.) . On doit ajouter une quatrième catégorie de comparaisons, relative à l'intensité de la participation parmi les diverses couches de la population. Cependant, même à défaut de données obtenues grâce à une méthode comparative rigoureuse, certaines constatations de nature à faciliter les Ces difficultés sont de plusieurs ordres dont la principale réside dans la quasi- impossibilité d'établir le nombre des électeurs potentiels non inscrits. 274 Gabriel A. ALMOND et Sidney VERBA, The Civic Culture, Princeton University Press, New Jersey, 1963. Ici comme ailleurs, on doit très souvent s'en remettre à des données tirées des conditions américaines. La prudence s'impose dans l'application à d'autres pays des conclusions tirées de l'expérience américaine. Voir également Giuseppe Di PALMA, Apathy and Participation. Mass Politics in Western Societies, The Free Press, New York, 1970 (cet ouvrage, portant sur les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et l'Italie, se fonde sur les données du sondage d'Almond et Verba) ; Giorgo GALLI et Alfonso PRANDI, Patterns of Political Participation in Italy, Yale University Press, New York, 1970. 275 Stein ROKKAN, ? introduction ?, Revue internationale de science politique, vol. 12, n? 1, 1960 (Numéro spécial sur la participation politique). Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 369 comparaisons entre les pays paraissent s'imposer. C'est ainsi que les mêmes facteurs produisent, bien qu'à des degrés divers, les mêmes effets : le sexe, l'âge, l'instruction, le revenu, le lieu de résidence, l'ethnicité, etc., exercent une influence comparable, au moins dans toutes les sociétés libérales contemporaines. Pour les autres régimes de société, le degré de validité des comparaisons est plus aléatoire. On ignore même si les instruments d'analyse qui ont été forgés en fonction de l'expérience immédiate de l'Occident contemporain valent pour d'autres époques ou d'autres civilisations. Par exemple, ces instruments permettent-ils d'étendre l'étude de la participation politique aux pays en voie de développement, à l'Europe féodale ou absolutiste, ou encore aux sociétés contemporaines d'allégeance socialiste ? Nous restreindrons nos considérations aux sociétés libérales contemporaines et ne ferons allusion à d'autres régimes que pour illustrer ou clarifier des points reliés à notre préoccupation centrale. Outre le problème des comparaisons, les travaux sur la participation soulèvent la question de leur pertinence. Tant pour la pratique que pour la théorie, l'abondante littérature sur la participation politique répond bien imparfaitement au problème de la participation tel qu'il se pose dorénavant. La plupart des études sur le sujet touchent de façon bien ténue les questions qui préoccupent les contemporains. En effet, ces études portent généralement sur les conduites électorales et partisanes. Mais l'objet des revendications essentielles n'est plus aujourd'hui le droit de vote ni les partis politiques. Il n'est pas non plus l'accès aux charges publiques, électives ou au. mérite, ni le droit de pétition ou celui de faire pression auprès des agents politiques dans le sens de ses intérêts et par des moyens jugés adéquats. Il n'est pas davantage question, au premier chef tout au moins, de liberté d'expression ni de la libre formation et circulation des opinions publiques. Certes, le récit des luttes pour la définition et la conquête de ces droits remplit une bonne partie de l'histoire politique des derniers siècles. Sans doute aussi, aucun de ces droits n'est définitivement acquis, même dans les sociétés libérales de l'Ouest, et dans de larges régions du monde, ils n'ont pas encore été octroyés. Mais le contenu de ces droits est, pour l'ensemble, bien connu et les moyens propres à les obtenir ont été plusieurs fois employés. Les préoccupations les plus pressantes aujourd'hui, en matière de participation, portent sur les finalités mêmes de la participation, sur les possibilités ouvertes par la consultation politique, sur le phénomène de contestation de même que sur le Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 370 fonctionnement de l'appareil socio-politique, eu égard, tout particulièrement, aux modes de relations entre gouvernants et gouvernés au sein des secteurs d'activité et au niveau des régions. Un certain nombre de travaux touchent à ces questions. Mais il s'agit le plus souvent de monographies parcellaires sur un aspect particulier ou, à l'opposé, de dissertations plus ou moins élaborées sur les valeurs qu'engagent ces visées. Entre l'ordre des faits et celui des valeurs, le rapport n'est généralement même pas évoqué, sinon pour indiquer qu'il s'agit là d'une question importante. En réalité, le peu d'utilité pratique de telles études tient surtout à leur faiblesse théorique. S'inspirant de préoccupations juridiques et administratives ou de points de vue normatifs souvent exprimés avec passion, elles satisfont médiocrement les besoins du politologue. Notre méthode d'analyse permettra de mettre en lumière, dans le sens de nos préoccupations, les nombreuses données sur le phénomène de participation de même que de proposer des voies concrètes de réforme des mentalités et des organisations. Comme l'information, mais d'une manière tout autre, la participation représente une dimension générale de la société contemporaine. Elle s'étend à l'ensemble du corps social ; nulle part on ne peut la bien saisir. Elle ne relève d'aucun organe spécifique. Elle se présente plutôt sous la forme de comportements - gestes, paroles, actes - qui concrétisent les valeurs et les signes socio-politiques. Ramener la participation politique à quelques conduites élémentaires, comme le vote, la campagne électorale, la vie partisane, c'est l'amputer de son énergie vive, la dépouiller de sa vraie grandeur. Bien loin de se présenter comme un monceau d'actes parcellaires juxtaposés, la participation se présente comme un ensemble de conduites qui peuvent, bien sûr, être isolées les unes des autres mais qui prennent tout leur sens quand elles sont envisagées dans leur totalité. De même, les effets de la participation se répercutent à tous les niveaux de la réalité socio-politique. C'est cependant quand elle emprunte les mécanismes d'interactions du système social et du système politique (partis, groupes d'intérêt, conseils consultatifs, media de communication) qu'elle s'épanouit dans sa plénitude. Dans cette optique, la participation apparaît comme une catégorie particulière de demandes ou de soutiens à l'égard du système politique. Mais, même alors - surtout alors devrait-on dire - les formes qu'elle épouse sont bien plus diversifiées que ne le laisse voir la littérature spécialisée. Elle prend, en effet, Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 371 aussi bien l'aspect de l'agitation violente, de la rébellion et de la contestation que celui du vote, de l'avis ou de la simple pétition. La persistance systémique requiert peu d'actes spécifiques de participation, mais nulle société n'a pu jusqu'ici survivre à un refus global de participation ou à des modes de participation exclusivement divisifs. Omettre de chercher la trace de la participation politique à travers tout le réseau socio-politique, ce serait tenter d'en cerner les dimensions par le seul recours à une politologie myopique ; ce serait, comme l'a bien vu Jean-Yves Calvez, s'empêcher de saisir la société dans le bouillonnement même de sa vie, c'est-à-dire dans le moment décisif du processus d'interpénétration dynamique du social et du politique : Ce serait ignorer que toute la réalité sociale est appelée à la transmutation politique et que, faute d'un exercice réel de cette fonction au niveau de la vie sociale la plus proche, on ne peut espérer de saine participation - il n'y aura peut-être qu'irritation et revendication - au niveau des choix majeurs concernant l'ensemble de la grande société. En bref, la participation politique déborde les seuls actes que l'on considère généralement comme politiques (élection, représentation, contrôles, prestations de l'État) : elle est quotidienne, même s'il n'y a pas d'élection chaque jour ; elle est locale, même s'il n'y a pas à ce niveau de choix 276appelé politique . Dans le présent chapitre, nous allons nous interroger successivement sur les dimensions, les facteurs et l'intensité de la participation politique et, finalement, sur la participation politique dans les sociétés industrielles modernes. I. DIMENSIONS DE LA PARTICIPATION Retour à la table des matières Pourquoi participer ? À en croire certains, la participation représente une réalité bonne en elle-même, qui peut être examinée indépendamment de ceux qui 276 Jean-Yves CALVEZ, introduction à la vie politique, Aubier Montaigne, Paris, 1967, 215. Ce que nous avons dit plus haut à propos de l'information et de l'information politique vaut également pour la participation et la participation politique. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 372 la vivent et abstraction faite du contexte dans lequel elle se réalise et des conséquences qu'elle entraîne. D'autres, au contraire, voient dans la participation avant tout une cause de désordres de la personnalité de même que d'instabilité des 277régimes politiques . Nous estimons, pour notre part, que l'utilité de la participation pour les individus et la société est chose relative et dépend des conditions et des modalités de son exercice. La pertinence de toute participation se juge à la lumière de critères bien définis, reliés aux objets, aux agents, aux méthodes et aux niveaux de la participation elle-même. Il n'en est pas moins vrai que l'idée de participation est intimement liée à des valeurs essentielles pour les individus et pour les organisations et qui, par suite de certaines tendances évolutives au sein des sociétés libérales contemporaines, se posent aujourd'hui de façon dramatique. La participation est une réalité à multiples facettes. Les angles que découvre l'analyse sont innombrables et les formes d'appartenance fort variées et inégalement réparties parmi les individus. 1. Les angles d'analyse Retour à la table des matières On distingue deux voies d'analyse du phénomène de la participation. L'une, psychologique, qui se fonde sur les besoins humains et qui relie la participation à la recherche d'une satisfaction de besoins matériels (accès aux ressources, succès d'ordre professionnel, etc.) ou spirituels (soif de justice sociale et de liberté, 278recherche de l'autonomie et de l'autodétermination personnelles, etc.) . L'autre, sociologique, qui se base sur les stimuli de l'environnement et qui fait dépendre la 277 Norman R. LUTTBEG, ? Political Linkage in a Large Society ?, dans Norman R. LUTTBEG, Public Opinion and Public Policy, The Dorsey Press, Homewood, Illinois, 1968, 1-10. 278 Comme exemple de cette approche, voir Robert E. LANE, Political Life. Why People Get involved in Politics, The Free Press of Glencoe, New York, 1959. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 373 participation de facteurs socio-politiques ou d'incitations extérieures (émanant des 279organisations, des dirigeants, etc.) . On peut concevoir une troisième voie d'analyse qui fusionne l'approche psychologique et l'approche sociologique. La participation se présente de la sorte comme une symbiose des conditions de l'environnement et des dispositions des individus à l'endroit de ce dernier. Les organisations s'intéressent à la participation parce qu'elle leur apparaît comme une composante de leur rendement tandis que les individus, par la participation, visent au contrôle de l'environnement en vue de leur mieux-être personnel. Il y a là source de tension et de crise, matière à des blocages et à des réformes au sein des organisations, de même qu'occasion de refus et de dépassement pour les individus. Considérer de la sorte la participation comme un phénomène d'ajustement entre les organisations et les individus, c'est lui procurer d'emblée la dimension dynamique qui trop souvent est absente des 280travaux sur le sujet . Si la participation représente une réalité globale qu'il s'impose de concevoir dans son ensemble de même qu'en rapport avec l'environnement au sein duquel elle s'accomplit, il n'en reste pas moins qu'elle se décompose naturellement en aspects distincts : sociaux, économiques, politiques. La méthode systémique, qui montre l'environnement comme un ensemble d'unités de fonctionnement distinctes et interdépendantes, procure de précieuses précisions sur la nature de la participation, les modes qui l'expriment, les diverses fonctions qu'elle remplit de même que sur sa double dimension personnelle et socio-politique. En tant que fonction sociale générale, la participation se trouve dès lors soumise à la double logique du système social et du système politique de même qu'à l'action médiatrice des mécanismes d'interactions systémiques (partis, groupes d'intérêt, conseils consultatifs et media de communication). C'est ainsi que c'est au sein même du système social qu'il faut chercher les conditions de la participation politique elle-même. L'organisation sociale, le découpage et les 279 C'est ainsi que le conçoit notamment Lester W. MILBRATH, op. cit. 280 Pour une approche en ce sens, Derek L. PHILLIPS, ? Social Participation and Happiness ?, American Journal of Sociology, vol. 72, n? 4, 1967, 479-488, et ? Social Class, Social Participation, and Hapiness : A Consideration of ? Interaction-Opportunities ? and ? Investment ? ?, The Sociological Quarterly, vol. 10, n? 1, 1969, 3-21. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 374 alignements des groupes de même que ces centres de rassemblement libre que constituent les associations volontaires, non seulement procurent les cadres indispensables de la participation sociale, mais encore constituent des centres de socialisation au sein desquels se développent les dispositions des individus à l'endroit du système politique. L'examen de la participation politique impose en outre de considérer la portée pour la participation des normes qui régissent le système politique, les possibilités effectives de participation que les différents rouages qui le constituent rendent possibles, les conceptions que les agents politiques se font de la participation des agents sociaux de même que le degré selon lequel ils en tiennent compte dans la pratique. C'est ainsi qu'il s'impose d'examiner la participation en tant que demande ou soutien politique (input), décision politique (output) et comme contrôle de l'action politique (feedback). Nombre de questions se posent de la sorte : quelle est la nature des demandes de participation, quels sont les modes selon lesquels elle s'exprime, quels agents sociaux les formulent et comment, quelles sont les réactions des agents politiques à ces demandes de participation et quelles négociations et ajustements s'effectuent entre agents à leur propos ? Jusqu'à quel point et de quelle manière les décisions politiques permettent-elles la participation directe ou indirecte des agents sociaux et quel poids cette participation a-t-elle dans le processus de décision ? Finalement, dans quelle mesure et comment la participation est-elle un moyen de contrôle de l'action politique : est-elle une simple technique de mobilisation propre à faire accepter par la population les objectifs des agents politiques et à restreindre leurs possibilités sinon leur droit de critique une fois les décisions prises ou, au contraire, est-elle organiquement reliée aux mécanismes de contrôle des effets sociaux des décisions politiques et est-elle partie intégrante des 281techniques de surveillance et de redressement qui sont mises en œuvre ? Envisagée sous cette optique, la participation peut être considérée suivant de nombreux prédicats : selon les niveaux, les facteurs, les types, les stimuli, les 281 Il n'existe aucune étude rigoureuse de la participation selon la méthode systémique. Pour des premières tentatives, voir Samuel C. PATTFRSON, ? The Political Cultures of the American States ?, dans Norman R. LUTTBEG, op. cit., 275-292 ; Paul R. ABRAMSON et Ronald INGLEHART, ? The Development of Systemic Support in Four Western Democracies ?, Comparative Polilical Studies, vol. 2, n? 4, 1970, 419-442. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 375 degrés et les modes, et chacun de ces prédicats comporte plusieurs aspects (tableau n? 6). Il importe en outre de distinguer deux modèles historiques de participation : le modèle autoritaire-totalitaire et le modèle démocratique-pluraliste. Ces deux modèles s'appliquent aux formes de la participation tout autant qu'à sa substance. Le premier modèle enferme toute participation dans un moule préfabriqué et officiel et rend obligatoires, selon le statut de chacun, des conduites hiérarchisées, rigides et prédéterminées. Bien que souvent empreinte de ferveur apparente, la participation de type autoritaire-totalitaire est contrainte et obligée. Le modèle démocratique-pluraliste prévoit un certain nombre de mécanismes de participation plus ou moins officiels (partis, conseils consultatifs, etc.) mais abandonne aux individus eux-mêmes le soin de créer et de maintenir, sous certaines conditions, les organisations supplémentaires dont ils peuvent ressentir l'utilité. Au lieu d'organisations hiérarchiques et monolithiques comme dans le modèle autoritaire-totalitaire, le modèle démocratique-pluraliste comporte une multiplicité de structures interdépendantes mais souvent autonomes, de caractère public, général ou particulier, ou privé, selon les cas. En outre, les mécanismes de participation de caractère public général adhèrent, en principe tout au moins, aux préceptes de 282l'universalité d'accès, de l'égalité d'influence et de la liberté des choix . Il importe enfin de noter que ces deux modèles représentent des types-idéaux : des éléments de l'un et l'autre modèle se retrouvent dans les régimes concrets de participation. Ce n'est qu'en fonction de leur orientation prépondérante que ces derniers peuvent être considérés comme autoritaires-totalitaires ou comme démocratiques-pluralistes. En outre, si ce dernier modèle est qualitativement meilleur, et pour l'homme et pour la société, que le premier, il demeure imparfait. À moins d'une redéfinition radicale qui pourrait aller jusqu'à en changer la nature, il ne saurait être accepté comme l'objectif vers lequel les sociétés contemporaines doivent être réorientées. La présente étude se situe dans l'optique du modèle démocratique-pluraliste. Il ne sera fait mention du modèle autoritaire-totalitaire que pour des fins d'illustrations, de contrastes ou de comparaisons. 282 Gabriel A. ALMOND et Sidney VERBA, The Civic Culture, 4 ; Stein ROKKAN, ? The Comparative Study of Political Participation : Notes Toward a Perspective on Current Research ?, dans Austin RANNEY, editor, Essays on Behavioral Study of Politics, University of Illinois Press, Urbana, 1967, 67. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 376 Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 377 TABLEAU N?6 Prédicats de la participation Retour à la table des matières 1. Niveaux 2. Facteurs 3. Types 4. Stimuli 5. Degrés 6. Modes 1. Social 1. Personnels 1. 1. 1. Engagement 1. Assujettissement Automatique Information intégratif 2. Politique 2. Sociaux 2. Obligatoire 2. Animation 2. Apathie 2. Représentation de délégation a) écologiques 3. Sollicitée 3. a) anomie 3. Consultation Propagande b) démographiques 4. Volontaire 4. Contrainte b) aliénation a) Sous l'angle de la publicité c) technologiques c) dépolitisation 1. privée d) économiques 3. Contestation 2. secrète e) de la 3. publique stratification sociale f) culturels b) Sous l'angle de l'officialité et de l'impérativité 3. Politiques 1. non officielle 2. officielle a. non organique (ou non institutionnalisée) b. organique ou institutionnalisée 1. facultative 2. obligatoire 3. exécutoire 4. Cogestion 5. Autogestion a) déléguée b) autonome 6. Modes non intégratifs (des revendications banales à la révolution) Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 378 Finalement, on peut envisager la participation sous un double aspect : sous celui de l'individu et sous celui de l'organisation. Bien que distincts, ces deux, aspects sont intimement reliés l'un à l'autre. a) La dimension personnelle. - Certains considèrent que la participation politique constitue pour tout citoyen une obligation morale stricte à laquelle personne ne saurait se dérober sans manquer gravement à son devoir. D'autres, à l'instar de Lénine entre 1917 et 1921, estiment qu'il suffit de faire appel à la générosité et à la bonne volonté des individus pour les voir s'engager avec enthousiasme et sans souci de gain personnel immédiat dans les activités pour lesquelles on sollicite leur collaboration. D'autres encore, surtout parmi ceux qui nourrissent l'idéal communautaire, considèrent la participation comme une réalité bonne en elle-même, abstraction faite de son objet, de ses caractères, de son contexte et de ses effets. Si les individus cédaient toujours aux appels du devoir ou si encore ils étaient mus par une soif insatiable de participation, il convient cependant de se demander si, dans l'ordre actuel des choses et même dans tout ordre social prévisible, on n'enregistrerait pas un énorme gaspillage de participation : les sociétés, en effet, selon leurs caractéristiques propres, cherchent à obtenir des individus une certaine somme de contributions. Quand ces dernières n'atteignent pas ou au contraire excèdent un certain niveau, c'est le fonctionnement de l'ensemble qui s'en trouve entravé. Il existe des cas où l'on peut parler d'un excès de participation. Par exemple, lorsque les votes exprimés dépassent 90 pour cent des électeurs inscrits, il se peut qu'il y ait là indice d'une participation excessive. De telles participations excessives peuvent être le signe d'un malaise social profond, elles peuvent résulter de la manipulation ou de la contrainte. Un abstentionnisme assez élevé peut être l'indice d'une démocratie en bonne santé tandis que les démocraties moribondes, au sein desquelles les contre-élites s'affirment à loisir, ont souvent des taux de 283participation électorale très élevés . Semblables excès peuvent sans aucun 283 Sur le sujet, voir René RÉMOND, ? Réflexions sur la participation à la vie politique ?, Res Publica, vol. 4, n? 4, 1962, 318-327 ; Robert E. LANE, Political Life, 346 ; M. S. LIPSET, l'Homme et la Politique, Éditions du Seuil, Paris, 1960, 44, 240ss ; David RIESMAN et coll., ? Political Apathy in America ?, The University of Chicago Round Table, n? 657, 1957, 11 ; Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 379 doute se manifester dans des modes de participation autres que la participation électorale, bien qu'on se soit beaucoup moins interrogé à leur sujet. Peut-on dire d'une association volontaire, qui comprend la presque totalité de ses membres possibles, qu'elle est nécessairement vigoureuse et démocratique ? Il s'impose de distinguer entre participation volontaire et participation obligatoire. Dans certains cas, l'organisation oblige les individus à certaines contributions précises sous peine de sanctions pouvant aller jusqu'au bannissement ou à l'emprisonnement : ainsi faire son service militaire dans les pays où il est obligatoire ou payer ses impôts constituent des actes de participation politique auxquels, dans le cours ordinaire des choses, l'individu n'est pas libre de se soustraire. Il ne faudrait d'ailleurs pas croire que de telles contributions sont nécessairement moins significatives pour l'individu et moins utiles pour la société que les contributions volontaires. En effet, dans les termes de Michel Crozier : ? Un système d'organisation bureaucratique comporte toujours une certaine dose de participation forcée qui apparaît, pour l'individu et dans les conditions du moment, bien préférable à la participation volontaire dont on lui attribue trop 284facilement la revendication ?. Qu'on concède ou non aux individus le droit de refuser leur contribution aux organisations qui la sollicitent ou qui l'exigent, l'observation montre qu'ils s'y dérobent souvent. Les motifs de ces dérobades sont multiples. Il est certes excessif de penser que la propension à participer est irrésistible et constante et que toute participation est nécessairement bénéfique. Il existe un risque réel d'engagement excessif dans les groupes secondaires. L'emprise de ces groupes sur leurs membres peut aller, comme l'a montré William H. Whyte dans The Organization Man, jusqu'à conduire ceux-ci à rompre les liens nécessaires à leur équilibre moral et psychologique qui les rattachent à des groupes primaires comme la famille et le cercle d'amis. Il peut entraîner une forme spécifique d'aliénation, c'est-à-dire la perte de soi dans les organisations. Plusieurs motifs Howard B. WHITE, ? The Processed Voter and the New Political Science ?, Social Research, 28, n? 2, 1961, 127-151 ; Henry S. KARIEL, The Decline of American Pluralism, Stanford University Press, Stanford, California, 1961, 118-172, William KORNHAUSER, The Politics of Mass Society, The Free Press of Glencoe, Glencoe, Illinois, 1959, 36. 284 Michel CROZIER, le Phénomène bureaucratique, Éditions du Seuil, Paris, 1963, 272. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 380 peuvent être invoqués pour expliquer le refus ou le retrait de la participation : fuite des occasions de controverse, crainte pour son prestige, son indépendance ou son autonomie. Le Club Jean Moulin écrit à ce sujet : ? Participer, c'est s'engager, s'obliger, se rendre responsable ; c'est aussi se soumettre au contrôle du groupe... 285Participer, c'est entrer en conflit avec ses pairs . ? De son côté, Michel Crozier note fort justement que les membres d'une organisation ne sont pas toujours enthousiastes quand on les invite à prendre une part active à son fonctionnement. Et il ajoute : ? Il peut y avoir plus de contrainte dans un système démocratique à forte participation que dans un système 286autoritaire à faible participation . ? La demande d'un engagement personnel intense, même de la part d'une organisation démocratique, peut engendrer des conflits et inciter l'individu à réduire et même à refuser ses contributions. Comme le remarque encore Crozier : ... même dans les cas pour lesquels nous avons diagnostiqué retrait, ritualisme ou rébellion, il y a tout de même une part non négligeable de participation... mais cette participation doit être considérée comme une participation forcée ou imposée, dont l'individu refuse complètement la responsabilité. C'est une participation clandestine et sans engagement. L'individu qui s'y soumet garde son entière liberté vis-à-vis de 287l'organisation . Bien que la somme totale des contributions des individus aux organisations politiques soit probablement plus élevée que dans les autres secteurs d'activité pris séparément, on note cependant un fort degré de réticence à les fournir sans restriction. Un tel état d'esprit découle de la mauvaise opinion que nombre de citoyens ont de la vie politique de même que du fort sentiment d'impuissance 288qu'ils ressentent vis-à-vis de la politique . 285 CLUB JEAN MOULIN, l'État et le Citoyen, Éditions du Seuil, Paris, 1961, 193. 286 Michel CROZIER, le Phénomène bureaucratique, 270. 287 Michel CROZIER, ibid., 272. Aussi Arnold TANNEN-BAUM, ? La participation aux activités syndicales ?, Sociologie du travail, vol. II, 1960, 141-150. 288 Morris ROSENBERG, ? The Meaning of Politics in Mass Society ?, Public Opinion Quarterly, vol. 15, n? 1, 1951, 5-15 ; Gordon L. LIPPITT et Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 381 Par ailleurs, les intérêts susceptibles de motiver les individus sont divers et nombreux : économiques, culturels, religieux, politiques, etc. Or, comme la somme de temps et d'énergie qu'ils peuvent investir dans les conduites de participation est limitée, ils doivent forcément faire des choix. La participation doit donc être considérée comme une valeur qui possède un coût - coût qui doit être compensé par les avantages tangibles qu'une organisation est susceptible de fournir. Ces avantages doivent être proportionnels à l'importance des contributions consenties par les individus. S'il est vrai que le fait de participer à une activité accroît la propension à participer à d'autres activités, il y a cependant un seuil au-delà duquel l'effort requis s'accroît plus rapidement que les bénéfices obtenus, de sorte que la décision de contribuer ou non à telle ou telle organisation ou activité résulte ordinairement d'un choix délibéré. C'est ainsi qu'un individu peut refuser sa contribution à certaines activités politiques parce qu'il estime qu'elles risquent d'empiéter sur le temps qu'il consacre à d'autres activités, politiques ou non politiques. Dans l'analyse de l'apathie, du refus ou du retrait de la participation, il importe de distinguer les cas où la non-participation est générale de ceux où elle résulte simplement d'une préférence pour d'autres types d'engagement. La non-participation, relative ou absolue, constitue en elle-même un phénomène social majeur. Pour durer et s'épanouir, une société requiert une certaine somme de contributions de la part des individus et met en oeuvre des incitations de toutes sortes pour obtenir des contributions. Dans l'étude de la participation, il importe de connaître les motifs des refus tout autant que les raisons des acquiescements. L'individu qui néglige de prendre part aux activités qui engagent son avenir en même temps que le destin de la collectivité risque de se rendre incapable de se comprendre lui-même et de régler sa propre vie. Gordon W. Allport le décrit 289comme ? un infirme et une tare pour la démocratie ?. Il serait par ailleurs fautif de poser le problème de la participation seulement en termes de, Coll., ? Factors Motivating Citizens to Become Active in Politics as seen By Practical Politicians ?, dans Gordon L. LIPPITT, ed., ? Training for Political Participation ?, Journal of Social Issues, vol. 16, n? 1, 1960, 14. 289 Gordon W. ALLPORT, ? The Psychology of Participation ?, Psychological Review, vol. 52, n? 1, 1945, 2. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 382 motivations personnelles. Les modes de participation que les sociétés mettent en oeuvre sont inadéquats quant à leur valeur intrinsèque et quant à l'accès qu'ils procurent à certaines couches de la population. Saint-Simon, qui disait de sa vie qu'elle se résumait ? en une seule pensée : assurer à tous le plus libre développement ?, et, à sa suite, ses disciples qui poursuivaient le même but, déployèrent des efforts prodigieux d'imagination pour créer et mettre en oeuvre des modes meilleurs de participation. Si donc nous devons justifier l'insistance que nous mettrons à analyser les conditions actuelles de la participation et à proposer des moyens propres à en rénover les mécanismes là où ces derniers se révèlent inadéquats, il suffit, il nous semble, d'exprimer notre conviction, que nous expliciterons plus loin, qu'elle correspond à un besoin fondamental et qu'elle est requise pour la pleine réalisation de l'homme, pour lui garantir sa dignité personnelle et le contrôle de sa propre vie. L'homme réalisé est celui qui est parvenu à un accord avec lui-même, avec ses semblables et avec le monde. Dans les termes de Gros et Aumont : Un seul grand but s'impose donc : la pleine réalisation de l'être humain, en soi et pour les autres, dans une unité indispensable. Cette unité ne peut venir que d'une situation humaine totalement assumée dans ses composantes multiples et dans ses manifestations diverses. Elle doit s'effectuer à travers tout ce qui fait l'existence, de la vie personnelle à la vie politique, en passant par les responsabilités familiales et 290professionnelles, sociales et culturelles, artistiques et spirituelles . Certes, on vient de le voir, toutes les appartenances ne sont pas également utiles à l'homme ; elles peuvent même lui être parfois nuisibles. Mais la vie morale de celui qui refuserait toute participation sous prétexte que certaines contributions sont nocives serait aussi précaire que la vie physique de celui qui se priverait de nourriture en alléguant que certains aliments sont toxiques. Le premier et principal test de la valeur de toute participation ne peut être que le degré selon lequel elle contribue à l'épanouissement de l'homme par la satisfaction de certains besoins essentiels de tout ordre : matériels, intellectuels, moraux ou spirituels. 290 André GROS et Michèle AUMONT, la Reconstruction du citoyen, Fayard, Paris, 1964, 114. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 383 En premier lieu, participer, pour l'individu, c'est s'obliger à se dépasser soi-même, à se tenir informé, à apprendre l'art de la discussion, de la persuasion et de la conciliation, à chercher des alliés, bref, à se donner des buts personnels et à faire partager ces buts par ses pairs et par les groupes. C'est apprendre à se connaître, c'est se mettre en mesure de donner le maximum de soi, c'est devenir créateur de soi comme citoyen en même temps que cocréateur de la société. En second lieu, participer, c'est s'intégrer à une collectivité. Ce n'est, en effet, que par les contributions diverses consenties aux organisations qui le touchent personnellement ou qui font appel à lui que l'individu peut témoigner de façon tangible son adhésion aux organisations qui encadrent sa vie ou se vouent à la défense et à la promotion de ses intérêts et qu'il peut manifester concrètement qu'il se sent solidaire du destin de la société. De telles contributions sont requises pour le plein exercice de ses droits de citoyen. Si l'individu les refuse ou encore s'il est empêché de les fournir, il ne peut être qu'un profiteur ou un sujet. Il ne peut détenir aucun contrôle sur les centres qui décident de sa vie quotidienne et du destin de la collectivité. En troisième lieu, participer, c'est se rendre apte à retirer les avantages de la vie en société. Celui qui ne contribue pas à l'effort commun risque d'être oublié au moment du partage des gains et des bénéfices collectifs. Il ne suffit pas de compter sur la protection du groupe. Il faut veiller à agir sur le groupe dans un sens conforme à ses intérêts. Celui qui ne s'intéresse pas activement à son sort personnel s'expose à être mal servi. Participer, enfin, pour ceux qui sont individuellement privés de tout moyen de s'exprimer en raison d'une position sociale inférieure, c'est se donner une voix capable d'être entendue de ceux qui sont en mesure d'améliorer leur sort. Malheureusement, nous le verrons, la plupart des associations d'un certain poids sont pratiquement fermées aux déshérités. Aussi faut-il encourager les initiatives récentes visant à regrouper ces masses silencieuses dans des organisations qui leur sont propres (comités de citoyens, de locataires, etc.). De tels regroupements procurent aux éléments les plus démunis des sociétés, qui n'ont souvent d'autres recours pour faire valoir leurs revendications que l'action directe violente, un excellent moyen d'exprimer de façon efficace leurs besoins et leurs aspirations. Mais ces associations risquent toujours de dévier des fonctions qui leur sont originellement assignées. Elles peuvent tout aussi bien devenir des foyers de Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 384 frustration ou de contestation radicale. Tout dépend de la façon dont elles sont animées et des dispositions des dirigeants à leur endroit. b) La dimension organisationnelle. - Non seulement des participations judicieusement consenties contribuent-elles à l'épanouissement des individus, mais encore elles sont requises pour la bonne marche des organisations. Un second test de la portée de toute participation consiste donc dans le degré selon lequel elle rend les organisations plus efficaces et plus humaines. Dans la poursuite des objectifs particuliers qui sont les siens, une organisation vise constamment à maintenir sa structure interne tout en s'adaptant à son environnement. Max Weber l'a montré, toute organisation se fonde sur certains principes généraux tels que la division du travail et la spécialisation des tâches, la disposition hiérarchique des membres et la distinction entre dirigeants et subordonnés, un ensemble de règles formelles et informelles (conduites auxquelles correspondent des relations impersonnelles et des relations 291personnelles), le principe de rationalité et la visée d'efficacité . Nombre de prises de position par l'organisation le sont au nom de l'efficacité. Or, rien n'est en définitive plus vague que cette notion d'efficacité qu'on mesure 292généralement à partir de critères partiels, tels que le rendement et le profit . Certains voient dans la participation une valeur antinomique à l'efficacité : une 291 Max WEBER, The Theory of Social and Economic Organization (translated by A. M. HENDERSON et Talcott PARSONS), The Free Press of Glencoe, 1947 ; Frederick HARBINSON et Eugene W. BURGESS, ? Modern Management in Western Europe ?, American Journal of Sociology, vol. 60, n? 1, 1954, 15-23 ; Peter BLAU et Richard W. SCOTT, Formai Organizations, Chandler, San Francisco, 1962 ; Chris ARGYRIS, Integrating the Individual and the Organization, John Wiley, New York, 1964 (traduit par Claude LINGAGNE, sous le titre de Participation et Organisation, Dunod, Paris, 1970) ; James G. MARCH et Herbert A. SIMON, Organizations, John Wiley, New York, 1958. 292 Chris ARGYRIS (ibid., 14) définit l'efficacité organisationnelle comme ? un système produisant des résultats croissants avec des efforts constants ou décroissants, ou des résultats constants avec des efforts décroissants ?. Pour mesurer l'efficacité ainsi considérée, outre les facteurs proprement organisationnels, il faut tenir compte de nombreuses variables d'ordre personnel, l'orientation cognitive, la perception, les dispositions affectives, etc. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 385 organisation serait d'autant plus efficace que la participation des simples membres ou employés y serait moindre et, inversement, plus il y aurait de participation de la base et moins l'organisation serait efficace. La participation directe des simples membres serait source de lenteurs, de conflits et de dissipation d'énergie. Cette objection est sérieuse et l'expérience prouve qu'elle est souvent fondée. Dans l'abstrait tout au moins, on peut imaginer des organisations, de finance ou d'affaires par exemple, qui peuvent être efficaces sans la participation active de certaines catégories de leurs membres à la conduite d'activités spécifiques, notamment la prise de décisions. Dans la réalité toutefois, on considère rarement comme satisfaisant semblable état de choses et il ne saurait durer que si les membres consentent à se considérer comme de simples sujets et abandonnent sans réserve la conduite des opérations aux dirigeants. Les problèmes auxquels une organisation doit faire face ne tiennent pas tous à des difficultés techniques relevant de spécialistes. Ils tiennent également et parfois davantage aux résistances des membres. On s'est en outre aperçu que la création d'un climat humain favorable ne pouvait résulter des seules relations humaines ni de la transmission de l'information par les circuits officiels. Souvent, c'est la mise au point de modes de participation plus directs et plus intenses qui ramène l'entrain nécessaire à la bonne marche d'une organisation. L'accroissement de l'instruction et les autres conditions qui engendrent des revendications accrues à l'endroit de la participation parmi certaines couches de la population obligent d'ailleurs les organisations à accroître la participation de leurs membres. La participation, qui s'appuie sur le sentiment de compétence, doit dorénavant être considérée comme une composante de l'efficacité. C'est ainsi que le rapport longtemps tenu comme contradictoire entre la participation et l'efficacité se présente sous la forme d'une interaction dialectique aboutissant à la promotion de l'homme et au progrès de l'organisation. Dans les termes de Chris Argyris : ? Notre hypothèse est que l'incompatibilité entre l'homme et l'organisation peut servir de base à un défi permanent lequel à mesure qu'il se développe aidera l'homme à s'épanouir et à 293promouvoir des organisations viables et efficaces ?. La principale raison d'être de toute organisation consiste dans la poursuite des buts qu'elle s'est fixés. De nombreuses organisations, pour une foule de raisons, sont incapables de réaliser leurs objectifs. Leur utilité pour les membres et pour la 293 lbid., 6. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 386 société est faible ou inexistante. Il est rare que les membres de pareilles organisations soient d'actifs participants et même des contributions de leur part ne permettraient guère un redressement d'une situation mauvaise en soi. Hormis ces circonstances extrêmes, on constate qu'aucune organisation ne peut durer ni surtout prospérer sans une certaine somme de contributions de la part de ses 294membres . Toutes les contributions, sans doute, ne sont pas également requises. Il n'existe malheureusement pas d'indicateurs procurant une mesure absolument fiable de la qualité et de la quantité optimales de contributions individuelles que requiert chaque organisation. Certaines contributions sont superflues, d'autres franchement nocives. Une organisation qui favorise la participation de ses membres n'est jamais à l'abri de tensions et de conflits. En réalité, il y a souvent plus de conflits ouverts au sein d'une organisation qui favorise la participation, par exemple en pratiquant la décentralisation politique, la déconcentration administrative, ou encore en encourageant l'éclosion de sous-groupes autonomes, que dans une organisation hiérarchique et bureaucratique qui la décourage mais dont on accepte plus facilement la contrainte parce qu'elle vient de ? haut ? et non de ses pairs. Par ailleurs, le paternalisme bureaucratique encourage l'apathie parmi 295les membres . C'est entre ces deux extrêmes - le conflit résultant de la décentralisation et l'apathie issue de la centralisation - qu'une organisation doit trouver son point d'équilibre. De toutes les causes du mauvais fonctionnement des organisations, la plus grave et, à long terme, la plus redoutée est l'apathie des membres. La non-participation ou une participation insuffisante sape en effet la vitalité des 296organisations dans leur principe même . Aussi ces dernières cherchent-elles à 294 Sur ce sujet, voir James G. MARCH et Herbert A. SIMON, op. cit., 57ss ; Michel CROZIER, le Phénomène bureaucratique, Éditions du Seuil, Paris. 295 CLUB JEAN MOULIN, l'État et le Citoyen, 193-194. Ces remarques valent pour le régime libéral au sein duquel les relations entre individus et groupes ou organisations prennent naturellement la forme du conflit. Dans un régime qui reposerait sur les liens qui unissent les hommes (amour, désir de paix, etc.) plutôt que sur ceux qui les divisent (intérêts particuliers), l'accroissement de participation au sein des organisations produirait un supplément d'harmonie plutôt que l'éruption des conflits. 296 Bernard BARBER, ? Participation and Mass Apathy in Associations ?, dans Alwin W. GOULDNER, Studies in Leadership, Harper, New York, 1950, 474-504, Martin PATCHEN, Participation, Achievement and Involvement on Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 387 contrarier cette tendance. Elles y parviennent, soit en procédant à des réformes de structures susceptibles de stimuler la participation, ou soit encore en produisant des incitations matérielles (salaires, conditions de travail, bureaux spacieux) ou psychologiques (statut des membres, association aux décisions) propres à agir sur l'état d'esprit des membres. Elles se réclament parfois, même dans les sociétés contemporaines, de valeurs qui permettent la référence au sacré et satisfont ainsi 297un besoin profondément ancré chez l'homme : le besoin de croire . Pour l'ensemble, les organisations favorisent le type de participation qui tend à accroître leur efficacité, tandis que les membres voient dans la participation un moyen de satisfaire certains de leurs besoins. Les deux attentes, bien qu'elles soient différentes, ne sont pas irréconciliables. Pour être pleinement efficace, une organisation doit contrôler le facteur ? humain ?tout autant que le facteur ? technique ?. Or, précisément, la participation des simples membres apparaît souvent aux dirigeants comme un moyen de contrôle du facteur ? humain ?. C'est ainsi que, du moment que les membres sont associés à la direction, ils cessent de se percevoir comme des éléments extérieurs, donc potentiellement hostiles, à l'organisation, pour se sentir fermement engagés dans une entreprise qui leur paraît commune. Pour que les individus bénéficient de leur appartenance à l'organisation et que cette dernière profite des contributions des premiers, il faut certes que chacun y mette du sien. C'est cependant du côté de l'organisation que le gros des efforts doit venir. Les structures actuelles de la plupart des organisations provoquent la frustration et le découragement. Des réformes visant à élargir la responsabilité des membres à l'égard des tâches qu'ils remplissent et à leur permettre d'influer sur les the Job, Prentice-Hall, Englewood Cliffs, New Jersey, 1970 ; Arthur G. NEAL et Melvin SEEMAN, ? Organizations and Powerlessness : an Hypothesis ?, American Sociological Review, vol. 24, n? 2, 1964, 216-226 ; Karl W. DEUTSCH, ? Social Mobilization and Political Development ?, The American Political Science Review, vol. 55, n? 3, 1961 ; Amitai ETZIONI, ? Mobilization as a Macro-Sociological Concept ?, The British Journal of Sociology, vol. 19, n? 3, 1968, 243-254 ; Morris ROSENBERG, ? Some Determinants of Political Apathy ?, Public Opinion Quarterly, vol. 18, n? 4, 1954-1955, 349-366. 297 Murray EDELMAN, The Symbolic Uses of Politics, University of Illinois Press, Urbana, 1964 ; Amitai ETZIONI, The Active Society, The Free Press, New York, 1968, 387-427. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 388 activités essentielles sont requises pour que les membres jouissent de la ? santé mentale ? et disposent de l' ? énergie psychologique ? qui leur permettront de 298s'impliquer pleinement dans la vie des organisations . Le degré selon lequel les dirigeants d'une organisation favorisent une participation des simples membres orientée vers la prise des décisions est d'une importance toute particulière. Les contributions ne sauraient longtemps être empressées ni répondre aux attentes des organisations, si elles ne se greffent fermement sur les centres majeurs de décision. Plusieurs ? campagnes ? de mobilisation ou d'animation aboutissent à la frustration, au ressentiment, sinon à la révolte, précisément parce que les dirigeants ne savent pas canaliser les contributions qui leur sont offertes vers les centres de décisions réels : on songe à certains conseils ouvriers, aux comités de citoyens, à certains mouvements de 299Noirs américains et à la Compagnie des jeunes Canadiens ... Autre condition : pour que la participation soit intense, il importe que la pratique corresponde assez étroitement aux buts de l'organisation. Cette règle cependant souffre des exceptions, par exemple dans les cas où les objectifs que poursuit en principe une organisation ont cessé de correspondre aux aspirations profondes des individus. Il se peut alors que la production de résultats concrets, divergeant des buts, encourage plutôt qu'elle n'entrave la participation. Des écarts trop prononcés entres buts et réalisations suscitent cependant fréquemment des conflits psychologiques qui engendrent l'apathie. Il arrive également que pour stimuler la participation, il faille reformuler les buts dans le sens des aspirations individuelles. 298 Chris ARGYRIS, op. cit., 9, 145, 192, 300-307. 299 Il faut distinguer les cas où la participation est anémique de ceux où, tout en étant ? dysfonctionnelle ?, elle demeure abondante. Semblables participations ? dysfonctionnelles ?, tout en étant l'indice d'une crise au sein des organisations, peuvent exercer une influence bienfaisante sur leur évolution. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 389 2. Les appartenances Retour à la table des matières Dans les régimes libéraux tout au moins, il faut chercher les explications des conditions et du volume des contributions politiques dans le système social tout autant que dans le système politique. En effet, c'est la position qu'individus et groupes sociaux occupent au sein des mécanismes d'interactions - partis, groupes d'intérêt, conseils consultatifs et media de communication - qui détermine leur contribution à la formulation des demandes politiques et, dans une très large mesure, aux décisions et actions politiques de même qu'aux contrôles et 300rajustements qui en découlent . Or, quelle que soit la portée des contraintes et des stimuli du système politique, c'est le système social qui fournit les conditions de base de l'implication des individus et des groupes dans les mécanismes d'interactions. Ce sont les associations volontaires qui se trouvent à constituer la clé de voûte de tout le régime de participation. En effet, les associations volontaires ont pour tâche de recueillir les aspirations et les besoins des individus et des groupes sociaux et de les convertir en intérêts, idéologies et pressions qui représentent, en même temps que les outputs du système social, la matière que les mécanismes d'interactions eux-mêmes ont à transformer en demandes et en soutiens politiques. C'est donc dire que les associations volontaires constituent le centre principal de tout le réseau de participation dans une société libérale. Il s'impose donc de s'y arrêter et de poser à leur sujet deux questions différentes : quel est l'ordre de grandeur d'appartenance aux associations volontaires ; quels rapports existe-t-il entre l'appartenance aux associations volontaires et la participation politique ? L'organisation sociale rassemble les hommes et les distribue en classes et en catégories à l'intérieur desquelles ils reçoivent leurs statuts et remplissent leurs rôles : les lieux d'habitat, de travail et de loisirs sont l'occasion de regroupements multiples au sein desquels l'humanité s'agite. 300 Nous avons examiné ailleurs dans cet ouvrage, notamment dans la troisième partie, l'ampleur et les conditions des appartenances des individus et des groupes aux mécanismes d'interactions. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 390 Partons d'une constatation non disputée chez les spécialistes. Depuis le dernier quart du dix-neuvième siècle, l'homme a multiplié ses appartenances : le nombre et la variété des organisations sociopolitiques n'ont cessé de croître dans tous les pays de l'Ouest. Ces organisations n'existent que par la volonté et l'action de leurs membres, tout comme d'ailleurs les individus n'accèdent pleinement à l'existence sociale que par leur participation à ces organisations. Celles-ci, selon leurs caractéristiques et leurs fonctions propres, encadrent la vie quotidienne des individus et leur procurent les canaux de communication qui leur permettent de prendre part à la vie collective. La manière dont les organisations s'acquittent de leurs tâches dépend en grande partie du caractère de l'adhésion des membres. Cette adhésion peut être automatique, obligatoire, sollicitée ou volontaire. Les groupes de fait (la famille, la classe sociale, le groupe ethnique et la profession, par exemple) procurent les formes d'encadrement souvent décisives pour la vie des individus. Les groupes obligatoires ou imposés (telles les corporations médiévales et la société politique) régissent de façon impérative les conduites qui se rattachent à un secteur d'activité vital pour les membres. Malgré toute leur portée, ces deux catégories de groupes offrent cependant, sous des aspects significatifs, moins d'intérêt que les groupes volontaires. Ces derniers n'existent précisément que par un acte libre et délibéré de la part d'individus qui, parce qu'ils se ressemblent, cherchent à s'assembler. De ce fait, de tels groupes sont spécialement révélateurs de la façon dont les individus perçoivent plus ou moins spontanément les modes d'organisation les plus susceptibles de donner une expression sociale à leurs besoins et à leurs 301aspirations . 301 Aux groupes de fait, imposés et libres, correspondent les types de participation que nous avons identifiés dans le tableau 6 : automatique, obligatoire, sollicitée et volontaire. Il s'agit là, bien entendu, de simples tendances générales. Il existe, en effet, des recoupements et des chevauchements importants entre types de groupes et types de participation. Ainsi les participations automatiques ne convergent pas toutes vers les seuls groupes de fait : les groupes imposés et les groupes libres en comportent également. De même, les groupes de fait comprennent des participations obligatoires, sollicitées et volontaires. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 391 a) Données relatives aux associations volontaires. - Malgré les nombreux travaux qui leur ont été consacrés, les associations volontaires sont encore mal connues. Les angles d'étude sont multiples. Ici, on les considère comme des mécanismes de répartition des biens, services et valeurs entre individus et groupes dans une société ; là, comme des foyers d'éducation et des véhicules de participation politique ; ailleurs encore, comme des modes de structuration des conflits inter-groupes. En outre, on fait porter l'accent sur des aspects différents de ces organisations : structures, objectifs, activités. On peut définir l'association volontaire comme l'union officielle, durable et sans but lucratif de plusieurs personnes qui se sont entendues de leur plein gré pour mettre en commun certaines ressources et pour poursuivre ensemble, de façon régulière et par leurs propres moyens, des fins particulières qui leur sont 302tangentielles . Pour établir les dimensions d'ensemble de la participation, on doit recourir aux données tirées de sondages et de monographies. On le constatera, les statistiques sont malheureusement fragmentaires et disparates. La qualité des échantillonnages et des analyses est fort variable. Les typologies changent d'une étude à l'autre. Il n'y a pas de consensus sur les catégories d'âge : ainsi, la frontière entre jeunes et adultes est fixée parfois à 18 ans et parfois à 21 ans. L'unité géographique peut être la ville ou un quartier de ville, la commune rurale, l'arrondissement, le comté ou le département, la province ou le pays. Aussi ne doit-on attendre des compilations qui suivent que des indications d'une valeur incertaine. On estime généralement que l'appartenance varie beaucoup d'un pays à l'autre. La seule étude susceptible de nous éclairer directement sur ce point, The Civic Culture de Gabriel A. Almond et Sidney Verba, confirme cette impression (tableau n? 7) : 302 Cette définition a été proposée et explicitée dans le tome premier. Cette section reproduit une brève partie de l'exposé que nous avons consacré aux associations volontaires dans ce tome premier. La pertinence de ces propos dans le présent contexte autorise cette répétition. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 392 TABLEAU N?7 Appartenance aux associations volontaires par pays Retour à la table des matières Pays Pour-cent des adultes États-Unis 57 Grande-Bretagne 47 Allemagne 44 Italie 29 Mexique 25 Source : Gabriel A. ALMOND et Sidney VERBA, The Civic Culture, Princeton University Press, 302. Pour les États-Unis, de nombreux sondages nationaux, régionaux ou locaux fournissent des renseignements sur les taux d'appartenance. Suivant les sondages, entre 40 et 60 pour cent des Américains adultes appartiennent à des associations. Les écarts entre les études sont donc considérables. La façon de poser la question peut influencer considérablement les réponses, comme le montrent deux sondages nationaux. À la question posée par l'American Institute of Public Opinion (1955) : ? À quelles organisations ou clubs, telles les organisations religieuses, de service, fraternelles, appartenez-vous ? ?, 55 pour cent se déclarent membres d'une ou plusieurs organisations. Mais à la question du National Research Center (1954) : ? Appartenez-vous à un ou des groupes ou organisations dans votre localité ? ?, 36 pour cent seulement répondent qu'ils sont membres d'une ou plusieurs organisations. Par ailleurs, une étude fondée sur des sondages nationaux établit à 30336 pour cent le nombre des adultes membres d'associations . 303 Pour la présentation des tableaux, voir Murray HAUSKNECHT, The Joiners. The Bedminster Press, New York, 1962, 23 ; pour la proportion tirée de sondages nationaux, voir Charles R. WRIGHT et Herbert HYMAN, ? Voluntary Association Memberships of American Adults, Evidence from National Surveys ?, American Sociological Review, vol. 23, n? 3, 1958, 284- 294 ; Nicholas BABCHUK et Alan BOOTH, ? Voluntary Association Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 393 Les nombreuses monographies sur l'appartenance aux associations volontaires révèlent d'importantes différences. Les cas suivants témoignent des écarts enregistrés dans les taux d'appartenance : Chicago, Illinois, 65 pour cent ; Bermington, Vermont, 64,2 pour cent ; Middletown, 58 pour cent ; Boulder, Colorado, 52 pour cent ; Erie County, Ohio, 50 pour cent ; Flint, Michigan, 43,1 304pour cent ; Newburyport, Massachusetts, 41 pour cent . Des sondages établissent à environ 40 pour cent les Canadiens membres 305d'associations . Un sondage national français mené par le Centre d'études Membership : A Longitudinal Analysis ?, American Sociological Review, vol. 34, n? 1, 1969, 31-45. À noter que dans cette section, nous ne nous attachons qu'aux appartenances et ignorons l'importance que les individus y attribuent. Pour l'ensemble, abstraction faite des contributions obligées, automatiques ou peu coûteuses - comme le fait de payer sa cotisation, de remplir sa carte de membre ou de voter - le taux de participation réelle est très bas. Seulement 10 à 20 pour cent des individus fournissent des contributions majeures ; ils se recrutent parmi les individus de statut socio-économique supérieur. Nous examinerons plus bas ces aspects de la situation. 304 Herbert GOLDHAMER, ? Voluntary Associations in the United States ?, dans P.K. HATT et A.J. Reiss, editors, Cities and Society, The Free Press, New York, 1957, John Carver SCOTT Jr., ? Membership and Participation in Voluntary Associations ?, American Sociological Review, vol. 22, n? 3, June 1957 ; Detroit Area Study of the University of Michigan, A Social Profile of Detroit, University of Michigan, Ann Arbor, 1952, Robert S. LYND et Helen M. LYND, Middletown, two volumes, Harcourt, Brace, New York, 1937 ; F.A. BUSHEE., ? Social Organization in a Small City ?, American Journal of Sociology, vol. 51, novembre 1945 ; Paul F. LAZARSFELD, Bernard R. BERELSON et Hazel GAUDET, The People's Choice, Dwell, Sloan and Pearce, New York, 1944 ; Basil G. ZIMMER et Amos H. HAWLEY, ? The Significance of Membership in Associations ?, American Journal of Sociology, vol. 65, Septembre 1959 ; W. Lloyd WARNER et Paul S. LUNT, The Social Life of a Modern City, Yale University Press, New Haven, 1941. 305 GROUPE DE RECHERCHE SOCIALE, A Study of Interethnic Relations in Canada, Royal Commission of Enquiry on Bilingualism and Biculturalism, Imprimeur de la Reine, Ottawa, 1965 ; Philip CONVERSE, John MEISLL et Maurice PINARD, Sondage sur les élections de 1965 et de 1968 (non publié). Arnold M. ROSE, ? Voluntary Associations in France ?, dans Theory and Method in the Social Sciences, University of Minnesota Press, Minneapolis, 1954 ; O.R. GALLAGHER, ? Voluntary Associations in France ?, Social Forces, vol. 36, n? 2, 1957, 153-160 ; Joffre DUMAZEDIER et coll., Aspects de la fonction culturelle d'une agglomération urbaine, Annecy, Ronéo, 1962, cité par Louis ESTRANGIN, ? Groupes, partis et forces vives dans la Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 394 sociologiques à Annecy, agglomération de 45,000 habitants, dénombre 260 ? groupes sociaux ? qui touchent 55 pour cent des chefs de famille. Dans un sondage national, effectué en 1962, 31 pour cent des Français interrogés disent appartenir à un syndicat, expression incluant, outre les unions ouvrières, les organisations professionnelles et d'employeurs. Certains sondages montrent également la distribution des appartenances selon les catégories d'associations. L'enchevêtrement des catégories rend cependant toute comparaison impossible. C'est ainsi que, selon une étude, 14 pour cent des Américains membres d'associations appartiennent à une union ouvrière alors qu'une autre étude établit ce pourcentage à 23 pour cent. Les unions ouvrières, de fermiers, fraternelles et civiques, professionnelles, d'affaires, de vétérans et, au Canada et aux États-Unis, religieuses et ethniques, se partagent la plupart des 306appartenances . Une proportion élevée des membres d'associations n'appartiennent en fait qu'à une seule association (tableau n? 8). démocratie ? dans la Société démocratique, Chronique sociale de France, Paris, 1963, 97-98 ; Sondages, 1962, n? 2, 61-62. T. BOTTOMORE, ? Social Stratification in Voluntary Organizations ?, dans D. V. GLASS, editor, Social Mobility in Britain, Routledge and Kegan Paul, London, 1954, 320-371. Les sondages canadiens ne révèlent aucune différence sensible, du moins en ce qui concerne les pourcentages d'ensemble, entre Canadiens anglais et Canadiens français. 306 Gabriel A. ALMOND et Sidney VERBA, The Civic Culture, 302 ; Charles R. WRIGHT et Herbert H. HYMAN, ? Voluntary Association Memberships of American Adults : Evidence from National Sample Surveys ?, American Sociological Review, Vol. 23, n? 3, juin 1958 ; GROUPE DE RECHERCHE SOCIALE, A Study of Interethnic Relations in Canada. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 395 TABLEAU N? 8 Proportion des répondants appartenant à une ou plusieurs organisations, par pays Retour à la table des matières États-Grande-AllemaItalie Mexique Unis Bretagne gne Nombre d'appartenances % % % % % Appartenant à 1 organisation 25 31 32 24 23 Appartenant à 2 organisations 14 10 9 5 2 Appartenant à 3 organisations 9 4 2 1 0 Appartenant à 4 organisations et 2 1 - - plus 9 Pourcentage total de ceux qui 32 16 12 6 2 appartiennent à plus d'une organisation Pourcentage total des membres 57 47 44 30 25 Source : Gabriel A. ALMOND et Sidney VERBA, op. cit., 320. John Carver Scott inscrit les proportions suivantes pour Bermington, Vermont 307(tableau n? 9) : 307 Ces proportions n'ont qu'une valeur approximative et varient selon les études. Ainsi selon Wright et Hyman 31 pour cent des Américains appartiennent à une association, 12 pour cent à deux, 5 pour cent à trois, 4 pour cent à quatre et 1 pour cent ne répondent pas. Voir Charles R. WRIGHT, Herbert HYMAN, ? Voluntary Association Memberships of American Adults ?, op. cit. Voir aussi les résultats fort différents des sondages de l'AIPO et du NORC cités par Murray HAUSKNECHT, The Joiners, 23. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 396 TABLEAU N?9 Répondants appartenant à une ou plusieurs associations (Bermington, Vermont) Retour à la table des matières Nombre d'appartenances Pour-cent de Pour-cent de ceux la population qui sont membres Appartenant à une association 24,6 38,3 Appartenant à 2 associations 15,9 24,8 Appartenant à 3 associations 8,6 13,4 Appartenant à 4 associations et plus 15,1 23,5 Pour-cent total des membres 64,2 — Source : John Carver SCOTT ? Membership and Participation in Voluntary Associations ?, American Sociological Review, vol. 23, n? 3, June 1957. Cette dernière étude ne peut être considérée comme représentative de l'ensemble : la proportion de ceux qui disent appartenir à deux associations ou plus est beaucoup plus forte que dans la plupart des monographies sur le sujet. Se fondant sur des sondages nationaux, Wright et Hyman mentionnent des pourcentages beaucoup plus conformes aux résultats des monographies locales ou régionales (tableau n? 10). Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 397 TABLEAU N? 10 Répondants appartenant à une ou plusieurs associations (États-Unis) Retour à la table des matières Nombre d'appartenances Pour-cent des familles Pour-cent des individus Une 31 20 Deux 12 9 Trois 5 4 Quatre 4 3 Inconnu 1 — Aucune 47 64 Source : Charles R. WRIGHT et Herbert HYMAN, ? Voluntary Association Memberships of American Adults : Evidence from National Surveys ?, American Sociological Review, vol. 23, 1958, 284-294. Autre constatation : les appartenances sont fort inégalement réparties selon le sexe, l'âge, l'état civil, l'ethnicité, le lieu de résidence, la strate sociale, l'instruction, le revenu et la profession. Un certain nombre de conclusions découlent des considérations précédentes : les données sur l'appartenance aux associations volontaires sont fragmentaires et discordantes ; même aux États-Unis où le taux d'appartenance est sans doute le plus élevé, probablement moins de la moitié des adultes appartiennent à des associations volontaires ; une faible proportion sont membres de plus d'une association ; de nombreux facteurs, psychologiques, sociaux et politiques dont nous préciserons l'action par la suite, affectent la propension des individus à appartenir à des associations volontaires et à être membres actifs. Dans la mesure où l'appartenance aux associations volontaires procure aux individus un moyen de maximiser leur participation, force est de reconnaître que ces derniers recourent à ce moyen de façon fort inégale et l'on peut déduire de ce fait que le poids de chacun dans les actions et les décisions qui les concernent Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 398 personnellement ou encore qui concernent toute la société varie considérablement d'un individu à l'autre. b) Associations volontaires et participation politique. - Les associations volontaires sont censées remplir pour les sociétés libérales contemporaines des fonctions qui, dans d'autres régimes, relèvent d'autres organisations sociales, notamment la famille et les notables. Elles sont réputées être des agents de distribution du pouvoir socio-politique, d'intégration sociale et de mobilité sociale. En outre, elles constituent, selon des modes divers, le point d'ancrage par excellence de ces importants mécanismes d'interactions du système social et du système politique que sont les groupes d'intérêt, les partis politiques, les conseils 308consultatifs et, à un degré moindre, les media de communication . Les enquêtes montrent que la participation est un phénomène cumulatif : la participation à une activité donnée est généralement incitatrice d'une volonté de participation à d'autres activités. Il n'y a pas de solution de continuité d'un type de participation à l'autre ; il n'y a pas non plus de seuil de saturation ni de taux marginal d'accroissement connus. Ceux qui participent le plus aux activités de leur profession et à la vie des associations volontaires, règle générale, sont aussi 309ceux qui participent le plus aux mécanismes d'interactions et à la vie politique . 308 De tous les rouages de participation politique, ce sont les partis et les élections qui font l'objet de plus de sollicitude et cela à bon droit puisque, outre l'ampleur des interrogations d'ordre analytique qu'elle soulève si elle est bien menée, cette étude centre l'attention sur les institutions de la démocratie représentative, cette grande incarnation des libertés politiques acquises depuis la Renaissance. Soulignons toutefois que ces modes typiques de participation au sein des sociétés libérales furent inventés bien avant la révolution industrielle et la mise en place des rouages du Welfare State. Ces modes de participation ne suffisent plus à répondre aux besoins d'aujourd'hui. Plus la technologie fait sentir ses contraintes, plus le pouvoir de la société sur les hommes et sur les choses s'accroît et plus il est urgent de mettre en oeuvre des nouveaux moyens de protéger l'homme et d'assurer que les décisions politiques tiennent compte de ses aspirations et de ses besoins profonds. De fait, nous le verrons, sous l'impulsion des tendances évolutives, de nouveaux modes de participation politique ont été inventés et prennent chaque jour plus d'ampleur. 309 Sidney VERBA, ? Organizational Membership and Democratic Consensus ?, Journal of Politics, vol. 27, n? 4, 1965, 467-497. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 399 Ce phénomène toutefois ne se manifeste que dans les cas où la participation à l'activité initiale est jugée suffisamment attrayante et utile. Si, par contre, elle mène à la frustration, la propension à prendre part à toute autre forme d'activité peut s'en trouver émoussée. Il semble toutefois qu'il se fait un transfert des dispositions à participer, de telle sorte qu'une propension à participer à un type d'activité engendre une tendance similaire à participer à d'autres types d'activité. Autre phénomène : la participation sociale stimule la participation politique et vice-versa. À toutes les strates sociales, en particulier parmi les classes moyennes supérieures et la classe ouvrière, les personnes membres d'associations volontaires s'adonnent davantage à des activités politiques que celles qui ne sont pas 310membres . Dans les termes de Sidney Verba : ? Il existe de nombreux indices d'une relation entre l'appartenance à des associations et la participation politique... Toute forme d'appartenance - même si l'individu n'est qu'un membre passif de son organisation, ou même si l'association n'est aucunement orientée vers la politique 311- entraîne des niveaux d'activité politique plus élevés . ? Les raisons de cet important phénomène sont obscures. L'appartenance elle-même engendre sans doute un effet d'entraînement générateur d'autres appartenances, mais comment se fait-il que ce soit la participation politique qui s'en trouve stimulée ? Selon Robert E. Lane et V.O. Key, la vie des associations volontaires, par les intérêts et les motivations qu'elle éveille, développe tout 312naturellement le goût de l'engagement politique . De leur côté, Scott et Orleans estiment que l'association volontaire elle-même, par sa structure et sa vie interne, engendre des valeurs, des intérêts et des formes d'engagement qui se transposent, 310 Paul LAZARSFELD, Bernard BERELSON et Hazel GAUDET, The People's Choice, Columbia University Press, New York, 1948 ; M. S. LIPSET et coll., Union Democracy, The Inside Politics of the international Typographical Union, The Free Press of Glencoe, Illinois, 1956, 98 ; Harmon ZEIGLER, Interest Groups in American Society, Prentice-Hall, New Jersey, 1964, 38. 311 Sidney VERBA, ? Organizational Membership and Demo-cratic Consensus ?, Journal of Politics, vol. 27, n? 4, 1965, 475. 312 Robert E. LANE., Political Life, The Free Press of Glencoe, 1961, 260- 261 ; V.O. KEY Jr., Public Opinion and American Democracy, Alfred A. Knopf, New York, 1961, 501ss. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 400 313pour ainsi dire de façon automatique, dans les structures politiques . De même, Nie, Powell et Prewitt constatent : ? La participation des individus varie selon leur statut social et leur degré d'engagement dans les organisations, le dernier trait ayant la plus forte incidence sur la participation politique... En outre, l'engagement dans les organisations peut constituer une voie alternative de 314participation politique pour les groupes socialement désavantagés . ? Il importe toutefois de souligner qu'un petit nombre seulement d'associations exercent de façon tangible des fonctions politiques ou para-politiques ou encore accomplissent des fonctions dans des domaines de réelle importance. W. Lloyd Warner a montré que la plupart des associations volontaires, particulièrement celles que se donnent les couches socio-économiques inférieures, sont surtout 315rituelles et ne permettent que des conduites symboliques . Par ailleurs, seulement 4 pour cent des Américains membres d'associations estiment que leurs associations sont de nature politique ou poursuivent de façon régulière des objectifs politiques. Ces états de fait valent sans doute aussi pour les autres pays. C'est ainsi que les résultats de l'étude de cinq pays d'Almond et Verba montrent que moins de la moitié des membres estiment que leur association s'intéresse aux questions politiques (tableau n? 11). Les pourcentages inscrits dans ce tableau seraient encore moins élevés si on n'avait retenu que les associations qui s'intéressent aux questions politiques d'une façon suivie et sérieuse. 313 Greer SCOTT et Peter ORLEANS, ? Mass Society and the Para-Political Culture ?, American Sociological Review, vol. 27, n? 5, 1962, 634-646. 314 Norman H. NIE, G. Bingham POWELL. et Kenneth PREWITT, ? Social Structure and Political Participation : Developmental Relationships ?, The American Political Science Review, vol. 63, n? 3, 1969, 819. 315 W. Lloyd WARNER, American Life. Dream and Reality, The University of Chicago Press, Chicago, 1962, 230ss ; Darrell J. VORWALLER, ? Social Mobility and Membership in Voluntary Associations ?, American Journal of Sociology, vol. 75, n? 4, 1970, 481-495. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 401 TABLEAU N? 11 Répondants qui estiment que leur association s'intéresse aux questions politiques, selon les pays Retour à la table des matières Pays Pour-cent total Pour-cent des membres de la population d'associations États-Unis 24 41 Grande-Bretagne 19 40 Allemagne 18 40 Italie 6 20 Mexique 11 46 Source : Gabriel A. ALMOND et Sidney VERBA, op. cit., 306. La grande majorité des associations volontaires répondent à des besoins élémentaires - besoin de solidarité, de chaleur humaine, de récréation ou d'instruction. Ces besoins sont pourtant essentiels et c'est précisément par suite de la faiblesse des associations qui les expriment, et notamment parce qu'elles n'offrent souvent à leurs membres que l'occasion de ? jouer aux personnes importantes ? sans leur procurer aucune influence réelle, que les sociétés sont mai en point. De la multitude des associations, se détachent un certain nombre d'associations d'affaires, professionnelles, paysannes, ouvrières et autres - d'une importance vitale pour la vie de leurs membres et pour la bonne marche des sociétés. Les modes de participation politique qui s'offrent à l'individu sont plus nombreux qu'on ne le suppose généralement. On peut les ramener aux suivants : 1. Céder aux incitations politiques. 2. S'engager dans des discussions à propos de questions d'intérêt public avec des parents, des amis ou des compagnons de travail. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 402 3. Chercher à influencer, par la parole, l'écrit ou l'action au sein des groupes primaires ou secondaires, la formation d'opinions publiques au sujet des questions politiques. 4. Être membre d'un groupe d'intérêt qui s'engage plus ou moins fréquemment dans des activités de pression politiques. 5. Tenter d'influencer personnellement les législateurs ou les fonctionnaires (lobbying). 6. Voter aux élections afin d'exprimer sa préférence au sujet des partis, des candidats et des programmes. 7. Prendre part à titre d'organisateur, de militant, de pourvoyeur de fonds ou d'orateur à une campagne électorale. 8. Être un dirigeant, un membre actif, un sympathisant ou un observateur plus ou moins neutre d'un parti politique. 9. Se porter candidat à un poste public électif ou non électif. 10. Occuper un poste public électif ou non électif. 11. Faire partie d'un conseil consultatif créé pour émettre un avis facultatif, obligatoire ou exécutoire. 12. Faire partie d'une organisation cogestionnaire ou autogestionnaire. Cette liste, loin d'être exhaustive, suggère la multiplicité des modes de participation politique. On peut les regrouper selon quatre niveaux de participation : le niveau de la participation à la culture politique (incitations institutionnelles, opinions, valeurs et attitudes) qui recouvre les trois premiers modes ; le niveau de la participation aux activités rattachées à la politique de pression (groupes d'intérêt et lobbying) ; le niveau de la participation aux activités spécialement liées au régime représentatif (vote, activité électorale, rôles partisans, candidatures, rôles publics) ; et le niveau de la participation directe aux décisions (conseils consultatifs, organisations cogestionnaires et autogestionnaires). Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 403 Jusqu'à présent, seules les activités du troisième niveau de participation ont 316été étudiées de façon approfondie . Sans doute, des phénomènes relevant des trois autres niveaux, comme les opinions publiques, les groupes d'intérêt et les comités consultatifs, ont fait l'objet de travaux spécialisés, mais ils ont rarement été abordés sous l'angle des voies de participation qu'ils ouvrent aux individus. Dans une étude sur la participation des Américains à certaines activités politiques élémentaires, dont les résultats n'ont cessé d'être confirmés par des recherches ultérieures, Julian L. Woodward et Elmo Roper ont produit les résultats que donne le tableau n? 12 de la page suivante. 316 Plusieurs raisons expliquent semblable orientation (traditionalisme des chercheurs, accent mis sur les aspects de la participation qui se prêtent à des mesures quantitatives, etc.). Il en résulte que la plupart des études se bornent à montrer combien participent et pourquoi certains participent et d'autres pas. En outre, comme la participation aux activités reliées au régime représentatif se borne aux inputs politiques, on se trouve à passer sous silence un des problèmes les plus fondamentaux que soulève la participation, soit son rapport avec les outputs politiques (décisions et actions). Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 404 TABLEAU N? 12 Participation des adultes américains aux activités politiques Retour à la table des matières Pour-cent de Nature de l'activité participation 1. Ont voté - une fois ou plus dans les quatre dernières années 75 - trois fois ou plus dans les quatre dernières années 47 - cinq fois ou plus dans les quatre dernières années 21 2. Ont discuté fréquemment de questions d'intérêt public - et participé activement à la discussion 21 - et tenté de démontrer qu'ils avaient raison 6 3. Appartiennent à des organisations qui prennent position sur des questions d'intérêt public - à une ou plusieurs organisations 31 - à deux ou plusieurs organisations 7 4. Ont écrit ou parlé à leur représentant au Congrès ou à d'autres agents politiques afin de donner leur opinion sur des questions d'intérêt public - une fois ou plus au cours de la dernière année 13 - deux fois ou plus au cours de la dernière année 7 5. Ont travaillé à l'élection d'un candidat au cours des 11 quatre dernières années 6. Ont donné de l'argent à un parti ou à un candidat dans 7 les quatre dernières années Source : Julian L. WOODWARD et Elmo ROPER, ? Political Activity of American Citizens ?, The American Political Science Review, vol. 44, 1950, 872, 874, 876, dans Alfred de GRAZIA, Political Behavior, The Free Press, New York, 109. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 405 Par rapport à des types d'activité autres que politiques au sein des organisations, ces taux de participation sont élevés. Nous ne disposons pas de données comparables pour d'autres pays. Des informations fragmentaires indiquent que les taux de participation électorale sont souvent plus élevés ailleurs qu'aux États-Unis, tandis que pour les autres activités l'inverse est généralement 317de règle . Pourquoi s'engage-t-on dans l'action politique ? Les raisons invoquées sont nombreuses. Malheureusement, en dehors des États-Unis, il n'existe que peu d'études systématiques de la question. Pour les États-Unis, les motifs les plus fréquemment invoqués ont trait aux préférences pour certains candidats, aux enjeux, aux partis, au sens du devoir, au goût pour la politique et à la recherche 318d'un gain personnel . La plupart des études sur la participation politique se bornent à la considération des activités de caractère ? fonctionnel ? et passent sous silence les activités ? dysfonctionnelles ?, comme la participation à des 319mouvements radicaux ou subversifs . Le trait sans doute le plus caractéristique de la participation politique concerne le rapport étroit et constant qui existe entre la propension à prendre part aux activités politiques et aux activités sociales. Ainsi, la tendance à discuter de questions politiques est beaucoup plus prononcée chez les membres d'organisations non politiques que parmi ceux qui n'appartiennent à aucune 317 Pour une confirmation de ce jugement, voir les données pour cinq pays : Gabriel A, ALMOND et Sidney VERBA, The Civic Culture, 79-261. 318 Gordon L. LIPPITT et Drexel A. SPRECHER, ? Factors Motivating Citizens to Become Active in Politics as Seen by Practical Politicians ?, The Journal of Social Issues, vol. 16, n? 1, 1960, 11-18 ; Dwaine MARVICK, ? The Middlemen of Politics ?, dans William J. CROTTY, editor, Approaches to the Study of Party Organizations, Allyn and Bacon, Boston, 1968, 341-374 ; Joll SMITH, Allan KRONBERG et David BROMLEY, ? Patterns of Early Political Socialization and Adult Party Affiliation ?, The Canadian Review of Sociology and Anthropology, vol. 5, n? 3, 19689 123-156 ; Richard E. RENNEKER, ? Some Psycho-dynamic Aspects of Voting Behavior ?, dans E. BURDICK et A. BRODBECK, editors, American Voting Behavior, The Free Press of Glencoe, Illinois, 1959, 399-413. 319 Sidney VERBA, ? Political Participation and Strategies of Influence : A Comparative Study ?, Acta Sociologica, vol. 6, n? 1, 1962, 22-42, dans Edward C. DREYER et Walter A. ROSENBAUM, editors, Political Opinion and Electoral Behavior, Wadsworth, Bclmont, California, 1966, 479-494. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 406 organisation et à peine moindre que chez les membres d'organisations politiques (tableau n? 13). TABLEAU N? 13 Participants aux discussions politiques (dans cinq pays) Retour à la table des matières Membres Membres Individus sans d'organisations d'organisations appartenance Pays politiques non politiques % % % États-Unis 89 79 66 Grande-Bretagne 81 76 62 Allemagne 88 70 47 Italie 79 39 25 Mexique 64 61 31 Source : Gabriel A. ALMOND et Sidney VERBA, op. cit., 311. De même, on relève une étroite corrélation entre le nombre d'appartenances aux associations volontaires et le degré de participation politique (tableau n? 14). TABLEAU N? 14 Nombre d'appartenances aux associations volontaires et degré de participation politique Retour à la table des matières Nombre d'appartenances Degré de participation Aucune Une Deux Trois et + % % % % élevé 4 24 28 32 41 3 46 55 47 48 2 3 1 5 0 bas 1 27 16 16 11 Source : Survey Research Center, University of Michigan, 1952, dans : V.O. KEY Jr., Public Opinion and American Democracy, Alfred A. Knopf, New Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 407 York, 505. Les membres d'associations votent davantage, ils se portent davantage candidats et sont plus fréquemment élus que les non-membres. En général, d'ailleurs, ils se sentent plus impliqués par les questions politiques que ces derniers (tableau n? 15). TABLEAU N? 15 Intérêt pour les questions politiques chez les membres et chez les non-membres d'associations (États-Unis) Retour à la table des matières Membres Non- d'associatimembres ons d'associatiQuestions ou activités politiques ons % % Ont exprimé des opinions sur la politique envers la 91 85 Chine Ont exprimé des opinions sur la politique de l'énergie 78 59 atomique Ont discuté de la bombe atomique la semaine 43 24 précédente Ont discuté des relations avec l'URSS la semaine 53 31 précédente Disent avoir voté lors de la dernière élection 72 63 présidentielle Source : Herbert HYMAN et Paul SHEATSLEY, ? Trends in Public Opinion on Civil Liberties ?, Journal of Social Issues, vol. 9, n? 1, 1953, 6-16, dans William KORNHAUSER, The Politics of Mass Society, The Free Press of Glencoe, 1959, 64. Un sondage du NORC mené à Denver, Colorado, montre les mêmes tendances au plan local (tableau n? 16). Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 408 TABLEAU N?16 Intérêt pour les questions politiques chez les membres et chez les non-membres d'associations (Denver, Colorado) Retour à la table des matières MembreNon- s membres d'associad'associaQuestions ou activités politiques tions tions % % Disent avoir un grand intérêt pour les élections 84 73 présidentielles Disent s'intéresser grandement au chômage aux États-57 53 Unis Disent avoir un grand intérêt pour l'école publique de 50 33 Denver Disent avoir un grand intérêt pour le plan d'urbanisme de 50 31 Denver Disent avoir un grand intérêt pour les questions ouvrières 45 31 Disent avoir un grand intérêt pour les conditions des 35 23 Noirs de Denver Disent avoir voté lors des élections présidentielles de 40 36 1944 Du Congrès de 1946 36 27 Pour la charte municipale de 1947 24 15 Lors des élections primaires de 1948 34 24 Ont contribué au fonds communautaire de Denver 72 56 Source : NORC, Denver Community Survey, 128, dans Charles R. WRIGHT et Herbert HYMAN, ? Voluntary Association Memberships of American Adults : Evidence from National Sample Surveys ?, American Sociological Review, vol. 23, 1958, 284-294. Il serait fastidieux d'allonger la liste des sondages qui aboutissent tous à des résultats équivalents. Dans tous les cas étudiés, l'individu membre d'associations est politiquement plus actif que le non-membre ; il est aussi mieux informé sur les questions politiques et manifeste plus d'intérêt à l'égard de ces dernières. Il va de soi que cette corrélation est plus ou moins étroite selon le caractère de l'association et le degré de participation de l'individu. Mais la corrélation subsiste Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 409 même dans les cas d'associations aucunement reliées à la politique et d'individus 320peu engagés dans la vie de leur association . Les raisons de pareilles concordances n'ont toutefois fait l'objet d'aucun examen sérieux, du moins parmi les sociologues et les politologues. Les psychosociologues, pour leur part, tentent d'en rendre compte par des références aux processus cognitifs, à certains traits de caractère, ou aux attitudes. Il sera sans aucun doute utile de soumettre à l'examen ces raisons selon l'optique de l'analyse systémique. II. LES FACTEURS DE PARTICIPATION POLITIQUE Retour à la table des matières L'état d'une société dépend dans une large mesure de son aptitude à obtenir les contributions de toute nature requises pour le bon fonctionnement de chacun de ses rouages. Aussi est-il pertinent de s'interroger sur la façon dont une société s'y prend pour obtenir ces contributions. Or, on vient de le voir, les participations des individus sont fort inégales : alors que les uns multiplient les appartenances, les autres, généralement plus nombreux, s'y soustraient. Quelles sont les raisons de ces engagements et de ces dérobades, de ces apports et de ces manques à contribuer ? On les cherche généralement dans les traits de la personnalité ou encore dans les conditions des structures sociales. Rarement, même quand il s'agit de participation à des activités politiques, met-on en cause les structures du système politique lui-même. C'est là une faute grave qui tient au peu de cas que l'on fait de l'action propre du système politique sur les conduites, même politiques, des individus. L'offre de participation de la part d'un individu à une organisation résulte du jeu de facteurs internes ou externes. Plus ces facteurs sont nombreux et pressants, plus la participation sera variée et intense. 320 Sidney VERBA, ? Organizational Membership and Democratic Consensus ?, The Journal of Politics, vol. 27, n? 4, 1965, 475. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 410 Les facteurs susceptibles d'inciter les individus à devenir actifs dans la vie politique sont en effet très divers ; ils se rattachent aux caractéristiques personnelles des individus, à la socialisation et aux expériences de la vie. Ils se rapportent à l'information, c'est-à-dire à ce que les individus savent à propos de l'activité considérée, aux opinions, c'est-à-dire à ce qu'ils pensent de cette activité ; 321aux comportements enfin, c'est-à-dire à ce qu'ils font . De façon immédiate, les incitations ont trait aux candidats, aux programmes, à l'attachement partisan, au 322désir de servir, à l'attente d'avantages personnels , etc. Selon certains, les individus choisiraient ou non de s'impliquer dans les organisations selon un raisonnement impliquant un calcul du prix des contributions données par rapport au bénéfice escompté, compte tenu de l'importance de la mise initiale. Si le bilan est positif, les individus feront leurs contributions, s'il est nul ou négatif, ils les 323refuseront . Mancur Olson a fortement critiqué cette supposition qui se fonde sur l'observation des conduites personnelles : en d'autres termes, les individus transposeraient dans leurs conduites au sein des organisations les mêmes critères de rationalité qui dictent leur recherche de l'intérêt personnel. Olson affirme au contraire que des individus rationnels, mus par le souci de leur intérêt propre, ne poursuivent pas d'eux-mêmes les intérêts communs ou collectifs de leur organisation. Par conséquent, l'action collective ne peut reposer sur la recherche de l'intérêt personnel ni résulter de calculs rationnels. C'est ailleurs qu'il faut chercher l'explication. Et, toujours selon Olson, seules les organisations qui 321 Albert MEISTER, Socialisme et Autogestion, Éditions du Seuil, Paris, 1964. 322 À ce sujet, voir Stein ROKKAN et Angus CAMPBELL, ? Citizen Participation in Political Life : Norway and the United States of America ?, International Social Science Journal, vol. 12, n? 1, 1960, 69-99. Dans Edward C. DREYER et Walter A. ROSENBAUM, Political Opinion and Electoral Behavior. Essays and Studies, Wadsworth, Belmont, California, 1966, 453, Gordon L. LIPPITT et Walter E. SPRECHER, ? Factors Motivating Citizens to Become Active in Politics as Seen by Practical Politicians ?, The Journal of Social Issues, vol. 16, n? 1, 1960, 11-18 ; Lester W. MILBRATH, Political Participation, 39. 323 Peter B. CLARK et James Q. WILSON, ? Incentive Systems : A Theory of Organizations ?, Administrative Science Quarterly, vol. 6, n? 2, 1961. Cette interprétation des conduites individuelles au sein des groupes se fonde sur une ? théorie économique de la politique ? dont les principaux protagonistes sont James M. BUCHANAN et Gordon TULLOCK. Voir leur livre The Calculus of Consent, Ann Arbor, 1965. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 411 disposent de moyens de contrainte ou qui produisent des biens divisibles et exclusifs, susceptibles d'être distribués aux membres en proportion de leurs efforts, 324peuvent décider les individus à devenir des membres actifs . C'est à juste titre qu'Olson bat en brèche l'explication rationaliste de la participation mais, à notre sens, il sous-estime la portée des motivations personnelles non rationnelles dans la participation. Il s'impose, selon nous, de chercher les facteurs d'explication de la participation à la fois du côté des caractéristiques personnelles des individus et du côté des organisations elles-mêmes. Sans doute, il paraît excessif de limiter l'étude de la participation politique aux seuls facteurs expressément politiques. Il est nécessaire de la situer dans le contexte entier de la société : c'est un ensemble de conditions personnelles et sociales qui décident de la proportion de ceux qui finalement participent ou ne participent pas. Toute participation, même politique, est filtrée par des structures mentales et sociales qui déterminent toute la gamme des intérêts de même que l'ordre de leur priorité et de leur distribution parmi la population. Mais, en même temps, le système politique procure les cadres et les règles de même que les moyens d'action de la participation politique. De fait, dans les conditions de la société moderne, la participation, qu'elle se produise dans le système social ou dans le système politique, est un phénomène global qui n'est ? social ? ou ? politique ? qu'en vertu du caractère des mécanismes qu'elle emprunte et des visées qu'elle poursuit. Si toutefois, sous les apparences, on cherche la réalité du phénomène, on s'aperçoit que toute participation est en dernière analyse sollicitée par la conjonction de deux catégories de facteurs, les facteurs personnels et les facteurs structurels, c'est-à-dire ceux que le système social et le système politique mettent en oeuvre. Il faut en outre bien voir que c'est surtout par l'intermédiaire des groupes que s'exerce l'action de ces facteurs sur les individus. 324 Mancur OLSON, The Logic of Collective Action : Public Goods and the Theory of Group, Harvard University Press, Cambridge, 1965. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 412 1. Les dispositions personnelles Retour à la table des matières Quand les politologues veulent rendre compte de la participation, c'est presque toujours à des facteurs socio-économiques qu'ils se réfèrent. Omettre cependant de faire état des variables reliées à la personnalité, cet ensemble complexe de traits innés et de tendances acquises, c'est ignorer qu'en s'engageant les individus cherchent à dominer les contraintes de l'environnement, à s'affirmer comme agents créateurs du monde, donc à imprimer sur les êtres et sur les choses la marque de leur affectivité et de leur intelligence ; c'est également passer sous silence l'aspect le plus fascinant, peut-être, du phénomène de la participation : dans la décision de participer ou non, de maintenir ou de retirer son appartenance à une organisation, de se soumettre ou de résister aux sollicitations d'engagement émanant de l'organisation, il entre en effet une part de motivations reliée directement à des traits de personnalité (tendances affectives ou intellectuelles, volonté d'intégration, d'engagement, de puissance, besoins d'identification, de 325solidarité, d'action, etc.) . Les degrés d'implication des individus dans la vie des organisations sont nombreux : adhésion sans but précis, à visée strictement personnelle ou encore collective, c'est-à-dire touchant un projet poursuivi en commun ou une 325 L'examen que nous entreprenons des facteurs de la participation nous expose aux difficultés propres à l'analyse causale. Ces difficultés, sous leurs aspects essentiels, sont de deux ordres. D'une part, quant au nombre de facteurs : plus ces derniers sont nombreux, plus les problèmes d'investigation et de vérification sont ardus ; d'autre part, quant à la mesure quantitative et à l'ordre de prépondérance à accorder aux divers facteurs : les méthodes statistiques de régression factorielle ne sont pas encore à point et souvent elles sont inapplicables. À ce sujet, voir H. M. BLALOCK, Causal Inferences in Non-Experimental Research, University of North Carolina Press, Chapel Hill, 1964 ; H. M. BLALOCK, editor, Methodology in Social Research, McGraw- Hill, New York, 1968. Notre préoccupation majeure, à ce point, étant de présenter les faits, nous avons choisi de faire état de tous les facteurs, quitte à tenter de les regrouper par la suite. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 413 326organisation en tant que telle . En effet, les individus peuvent simplement suivre le courant : leur appartenance résulte de la nécessité ou de la tradition et ils ne se sentent pas personnellement impliqués ; ils peuvent poursuivre des visées strictement personnelles, leur appartenance n'éveillant pas chez eux un sens de la solidarité envers le groupe ; ils peuvent se sentir liés à des groupes concrets et épouser les projets collectifs de ces derniers, sans pour autant que ces engagements soient ressentis comme une solidarité vis-à-vis des organisations elles-mêmes ; ils peuvent, enfin, se sentir membres de l'organisation en tant que telle, être solidaires de ses buts et de ses projets. Les motivations associées à ces divers niveaux d'engagement sont bien différentes, absence d'intérêt, recherche de prestige ou d'un gain personnel, sens du devoir, attrait pour le travail d'équipe, besoin du groupe, désintéressement, volonté de puissance, et ainsi de suite. Il n'est pas possible de faire le partage de ces diverses motivations dans les conduites individuelles. Mais il semble qu'à chacun des niveaux d'adhésion correspondent des motifs particuliers. Des travaux montrent que la participation politique est liée à certains traits 327fondamentaux de la personnalité . Les comportements de sociabilité se rattachent directement à des dispositions affectives vis-à-vis soi-même, les autres et les choses qui, dans une large mesure, rendent compte des attitudes à l'endroit de la participation. De même en est-il des dispositions cognitives qui se rattachent 328à l'intelligence . 326 Alain TOURAINE, Sociologie de l'action, Éditions du Seuil, Paris, 1965, 189-190, 307-308. 327 Entre autres Merton S. KRAUSE et coll, ? Some Motivational Correlates of Attitudes Toward Political Participation ?, Midwest Journal of Political Science, vol. 14, n? 3, 1970, 383-391 ; Erik H. ERIKSON, Children and Society, Norton, New York, 1963 ; George H. MEAD, Mind, Self and Society, University of Chicago Press, 1969 ; John A. CLAUSEN, editor, Socialization and Society, Little, Brown, Boston, 1968 ; D. RIESMAN et N. GLAZER, ? Criteria for Political Apathy ?, dans Alvin W. GOULDNER, editor, Studies in Leadership, Harper, New York, 1950, 505-554 ; Sheldon G. LEVY, ? The Psychology of Political Activity ?, The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 391, 1970, 83-96 et les études pertinentes dans David A. GOSLIN, editor, Handbook of Socialization : Theory and Research, Rand McNally, Chicago, 1969. 328 Des dispositions cognitives différentes à l'endroit des activités de participation résulteraient avant tout de différences intellectuelles. Il semble Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 414 TABLEAU N? 17 Appartenance à des associations volontaires selon l'instruction (dans cinq pays) Retour à la table des matières Ensemble de Formation Formation Formation la population primaire secondaire universitaire Pays ou – % % % % États-Unis 57 46 55 80 Grande-Bretagne 47 41 55 92 Allemagne 44 41 63 62 Italie 30 25 37 46 Mexique 24 21 39 68 Source : Gabriel A. ALMOND et Sidney VERRA, op. cit., 304. De toutes les variables de la participation, c'est probablement l'instruction, 329considérée isolément, qui a le plus de poids . Le degré d'instruction, en effet, que l'intelligence soit une des variables fondamentales de l'intérêt politique de la participation politique. Ceux qui ont une forte participation politique seraient plus intelligents que ceux qui ont une faible participation, quels que soient les facteurs sociaux et politiques considérés. Voir S. K. HARVEY, T. G. HARVEY, ? Adolescent Political Outlook : The Effects of Intelligence as an Independent Variable ?, Midwest Journal of Political Science, vol. 14, n? 4, 1970, 565-595 ; Robert W. JACMAN, ? A Note on Intelligence : Social Class and Political Efficacy in Children ?, The Journal of Politics, vol. 32, n? 4, 1970, 984-989 ; Robert D. HESS et Judith V. TORNEY, The Development of Political Altitudes in Children, Aldine, Chicago, 1967, 128-137, 223-224 ; Richard E. DAWSON et Kenneth PREWITT, Political Socialization, Little, Brown, Boston, 1969, 175-178. 329 L'instruction est en elle-même un attribut personnel. En outre, elle résulte non seulement d'avantages socio-économiques mais également de l'intelligence elle-même. On ignore si, à instruction égale, ce sont les plus intelligents qui présenteraient les dispositions cognitives les plus favorables à la participation. Des indices tendent à indiquer que tel est le cas. Par ailleurs, il s'impose de distinguer l'effet de l'instruction sur la participation de celui de Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 415 330exerce une influence directe sur les conduites de participation . L'enquête d'Almond et Verba dans cinq pays montre bien l'effet de l'instruction sur le taux d'appartenance aux associations (tableau. n? 17). Deux sondages effectués, l'un par l'American Institute of Public Opinion (1954), l'autre par le National Opinion Research Center (1955), donnent les proportions suivantes pour les États-Unis (tableau n?18) : TABLEAU N? 18 Proportions d'appartenances à des associations Retour à la table des matières Aucune Une Deux ou plus Degré de scolarité AIPO NORC AIPO NORC AIPO NORC % % % % % % Primaire non complet 61 83 28 12 11 5 Primaire complet 52 73 33 17 15 10 Secondaire non complet 67 30 20 23 13 47 Secondaire complet 36 57 32 23 32 20 Collégial non complet 30 46 29 24 41 30 Collégial complet 22 39 23 25 55 36 Source : American Institute of Public Opinion Survey et National Opinion Research Center Survey. Dans Murray HAUSKNECHT, The Joiner, The Bedminster Press, New York, 1962. Les différences entre les deux sondages viennent de ce que, selon l'AIPO, 45 pour cent seulement des adultes américains appartiennent à des associations contre 64 pour cent pour le NORC. l'école et du collège qui est beaucoup plus aléatoire comme on le verra plus loin. 330 Voir Gabriel A. ALMOND et Sidney VERBA, The Civic Culture, 110, 122, 176, 226 ; Robert D. HESS et Judith V. TORNEY, op. cit., Aldine, Chicago, 1967, 127ss ; V.O. KEY Jr., Public Opinion and American Democracy, 315-344 ; Lester W. MILBRATH, Political Participation, 122. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 416 En outre, plus de personnes ayant reçu une instruction supérieure ont été directeurs d'associations (tableau n? 19). Dans divers pays, il existe des programmes de formation générale et civique des adultes. C'est ainsi que 25 millions d'Américains, soit plus de 20 pour cent des adultes, ont suivi des programmes d'? éducation des adultes ? entre le 12 juin 1961 et le 12 juin 1962. On ignore cependant l'influence réelle de tels 331programmes sur la participation . TABLEAU N? 19 Membres d'associations ayant occupé un poste de direction selon l'instruction (dans cinq pays) Retour à la table des matières Ensemble de Formation Formation Formation la population primaire secondaire universitaire Pays % % % % États-Unis 46 31 44 64 Grande-Bretagne 29 23 44 64 Allemagne 16 12 31 38 Italie 23 13 24 38 Mexique 33 30 39 52 Source : Gabriel A. ALMOND et Sidney VERBA, op. cit., 315. Pour rendre compte des conduites de participation, il n'est donc pas possible d'exclure les traits de personnalité. Il s'impose également de voir que les effets de ces derniers s'exercent en conjonction avec des facteurs sociaux et des facteurs politiques. En outre, il est difficile de les considérer indépendamment de ceux-ci. 331 John W. C. JOHNSTONE et Ramon J. RIVERA, Volunteers for Learning, Aldine, Chicago, 1965 ; Gordon L. LIPPITT, editor, ? Training for Political Participation ?, Journal of Social Issues, vol. 16, n? 1, 1960. S'il est exact que les programmes de formation civique des adultes ne semblent pas avoir beaucoup d'effet sur la propension à participer, ce fait peut être attribuable aux techniques habituellement employées. D'autres techniques, notamment l'animation, sont susceptibles de produire de bien meilleurs résultats. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 417 L'énergie psychologique dont les individus disposent pour la participation à une organisation découle à la fois de leurs traits personnels et des caractéristiques de l'organisation. Les uns et les autres d'ailleurs se compénètrent intimement, tant dans leur genèse que dans leurs effets. C'est ainsi que certains rendent compte de la participation par ces impulsions élémentaires et fondamentales que sont les besoins. Or, du moment qu'ils commandent l'activité, c'est-à-dire la poursuite d'un but, les besoins se présentent sous la forme d'une tension entre les volontés et les 332possibilités personnelles et les conditions de l'environnement . De même, si l'estime de soi, la confiance en soi, le sens de la compétence et celui de l'efficacité dépendent dans une bonne mesure de dispositions affectives et de caractéristiques intellectuelles, ces états psychologiques résultent également de facteurs sociaux et politiques. C'est ainsi que Lester W. Milbrath et Walter W. Klein, qui ont tenté d'établir les rapports entre la personnalité et la participation par le syndrome domination-sociabilité-estime de soi, ont conclu que, si les facteurs socio-politiques n'expliquaient pas à eux seuls le phénomène de la participation politique, il en était de même des traits personnels qui, dans leurs propres termes, ? représentent plutôt une condition facilitant la participation à la vie politique 333mais insuffisante à elle seule à la déclencher ?. Traits personnels et facteurs socio-politiques réagissent de la sorte les uns sur les autres dans une suite 332 Chris ARGYRIS, op. cit., 20-2 1 ; Amitai ETZIONI, ? Man and Society : The Inauthentic Condition ?, Human Relations, vol. 22, n? 4, 1969, 325-332. Pour une étude de la participation politique à partir de la notion de besoin, voir Robert E. LANE, Political Life. 333 Lester W. MILBRATH, Political Participation, 48, 72 ; Lester W. MILBRATH et Walter W. KLEIN, ? Personality Correlates of Political Participation ?, Acta Sociologica, vol. 6, n? 1, 1962, 53-66, clans Edward C. DREYER et Walter A. ROSENBAUM, editors, Political Opinion and Electoral Behavior, 226-237 ; voir aussi D. RIESMAN et N. GLAZER, ? Criteria for Political Apathy ?, dans Alvin W. GOULDNER, editor, Studies in Leadership, Harper, New York, 1950, 524. Robert E. LANE, Political Life, 97-185 ; Fred GREENSTEIN, ? The Impact of Personality in Politics : An Attempt to Clear Away Underbrush ?, The American Political Science Review, vol. 61, n? 3, 1967, 629-642 ; Douglas ANGELO et James W. DYSON, ? Personality and Political Orientation ?, Midwest Journal of Political Science, vol. 12, n? 3, 1968, 202-223 ; Derek L. PHILIPPS, ? Social Class, Social Participation, and Happiness : A Consideration of a Interaction Opportunities ? and ? Investment ? ?, The Sociological Quarterly, vol. 10, no 1, 1969, 3-21. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 418 ininterrompue d'influences et de contre-influences, comme dans un processus circulaire. Il n'y a pas lieu d'être surpris de constater l'existence d'un tel processus circulaire liant traits personnels et facteurs sociaux et politiques. Ce phénomène n'est en effet qu'une manifestation des interactions intimes de la conscience et de l'expérience. La participation des individus à la vie socio-politique est commandée, pour une part, par les enjeux, la conjoncture du jour, les événements passés et la structure sociale et, pour une part, par la conscience qu'ils ont de ces événements et par la manière dont cette structure les affecte. L'origine des états de conscience constitue en elle-même une question chaudement débattue depuis les anciens Grecs. Certains, à l'instar de Marx, tiennent la conscience pour un reflet des conditions socio-économiques, bien qu'à des degrés divers ils reconnaissent le rôle des ancrages historiques, des retards culturels et autres ? anomalies ?, de sorte que le déterminisme socio-économique ne s'exerce pas de façon automatique. Ces auteurs admettent même que la conscience est parfois soumise à l'influence prépondérante de résidus idéologiques et de traits anciens de mentalité associés à des situations depuis longtemps disparues. D'autres, au contraire, revendiquent une autonomie relative, sinon totale, de la conscience par rapport à la situation et notamment aux conditions socio-économiques. Selon cette optique, un phénomène comme le gaullisme, par exemple, ne peut s'expliquer à partir d'analyses socio-économiques : il faut faire intervenir l'Histoire - les espoirs et les rêves associés aux succès et aux avatars passés - d'où les Français tirent en partie leurs critères pour juger des événements contemporains. Pierre Fougeyrollas va jusqu'à affirmer que la participation politique est commandée par une conscience proprement politique, c'est-à-dire ? la conscience humaine en tant qu'elle vise des phénomènes sociaux 334relativement à un pouvoir global agissant ou pouvant agir sur eux ?. Pour Fougeyrollas, les conduites politiques ne sont pas seulement des réponses aux stimuli politiques ; elles renvoient à des états de conscience bien définis. Ces comportements et conduites sont surdéterminés à des degrés divers et de diverses manières par la représentation globale de la vie 334 Pierre FOUGEYROLLAS, la Conscience politique dans la France contemporaine, Denoël, Paris, 1963, 317. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 419 politique acquise par les individus. Ainsi, les comportements, les conduites et les représentations de la vie politique exprimeraient des situations dans lesquelles se trouveraient placés des individus en fonction d'une pluralité de déterminants psychosociaux et ils signifieraient qu'une conscience politique, sous une certaine forme et à un certain degré, les a surdéterminés... Dans la mesure où un individu acquiert ou exprime une opinion politique, dans la mesure où il participe, il montre qu'il entretient une certaine représentation du pouvoir qui dirige et contrôle ou qui tente 335de diriger et de contrôler la société globale . La conscience politique ainsi entendue, qu'elle soit particulière ou partisane ou encore globale ou nationale, est active à des degrés divers et influence la direction et l'intensité de la participation de plusieurs manières. Toujours selon Fougeyrollas : 1. Elle ne se contente jamais de jugements de réalité et elle s'exprime toujours à travers des jugements de valeur relatifs à un pouvoir s'exerçant ou pouvant s'exercer sur la société globale. 2. Elle vise toujours directement ou indirectement une action présente, passée ou future, elle est conscience d'action et conscience pour l'action. 3. Proférant des jugements de valeur en vue de l'action, elle considère certaines forces sociales comme bonnes et comme devant être soutenues dans leur action et d'autres forces comme mauvaises et comme devant être contrariées dans leur action ; c'est une conscience de division. 4. Soucieuse du sort du corps social tout entier, elle projette le triomphe de ses représentations à l'échelle d'un corps social infranational, national ou supra-national ; c'est à une échelle 336variable, une conscience d'union ou d'unification . En ce qui concerne plus précisément les apports de la conscience politique à la participation, Fougeyrollas formule l'hypothèse suivante : 335 Ibid., 17, 317. 336 lbid., 18. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 420 ...Les processus psycho-sociaux déterminant les comportements et les conduites sont eux-mêmes surdéterminés par la représentation unitaire que l'individu s'en donne. On peut d'ailleurs supposer que cette surdétermination s'exercerait d'autant plus fortement qu'il s'agirait d'individus participant plus intensément à la vie politique. À la limite, nous trouverions d'un côté, des individus qui participeraient au minimum à la vie politique et dont les comportements seraient surtout commandés par de multiples déterminants psycho-sociaux, et de l'autre côté, des individus qui participeraient au maximum à la vie politique et dont les comportements et les conduites sembleraient avant tout commandés par 337leur représentation unitaire de cette vie . Par son insistance sur le rôle spécifique de la conscience dans la participation, Pierre Fougeyrollas oblige à tenir compte du facteur personnel, trop souvent méconnu. Le problème que pose cette orientation et qu'il soulève lui-même, d'ailleurs sans le résoudre, c'est celui de l'usage opérationnel du concept de conscience politique dans la psychologie sociale, du moment qu'on déborde le champ de la conscience personnelle et qu'on pénètre dans celui de la conscience collective. On rejoint ici, en quelque sorte, la question des relations entre individus et groupes. 2. Les facteurs structurels Retour à la table des matières L'étude de la participation politique oblige à scruter, sous un angle particulier mais significatif, les multiples structures d'une société. La participation, en effet, est associée aux organisations que font naître les intérêts qui émergent du jeu des structures sociales. Dans la société moderne, ces intérêts sont nombreux et divers, 338d'où la multiplication des possibilités d'appartenance . La prise en considération des structures sociales permet de découvrir qui participe, jusqu'à quel point et quels facteurs rendent compte de la situation. La participation se présente de la sorte sous la forme de contributions à l'activité socio-politique - 337 lbid., 13. 338 Wendell BELL, ? Social Structure and Participation in Different Types of Formal Associations ?, Social Forces, vol. 34, n? 3, 1956, 345-350. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 421 contributions fournies par des individus conformément à leur position au sein des structures sociales. Différentes structures requièrent ou rendent possibles différents types de participation, les exigences étant elles-mêmes susceptibles de varier d'une société à l'autre. Ainsi donc, dans une large mesure, la participation des individus est pré-déterminée, tant en quantité qu'en qualité, par leur position respective au sein des diverses structures sociales. Certains, qui participent, sont encouragés à le faire par l'acquisition de dispositions favorables par suite de leur insertion stratégique dans une ou plusieurs structures sociales ; certains, qui ne participent pas, en sont dissuadés parce que la place qu'ils occupent dans les structures sociales ne contribue pas à susciter chez eux les motivations 339requises . Les auteurs définissent et abordent différemment les facteurs de la participation associés aux structures sociales : le sexe, l'âge, l'instruction, la 340profession, la religion, la famille sont le plus souvent mentionnés . Il a paru utile de les regrouper conformément aux paliers du système social et aux niveaux du système politique que nous avons identifiés dans le tome premier. Il importe de noter immédiatement que la plupart de ces facteurs, loin de jouer indépendamment l'un de l'autre, sont au contraire reliés plus ou moins intimement, de sorte que, selon les conditions, ils cumulent ou annulent leurs effets. a) Palier écologique. - Le climat, la topographie, les ressources, les taux de croissance urbaine et les migrations déterminent dans une large mesure le nombre 339 J.M. FOSKET, ? Social Structure and Social Participation ?, American Sociological Review, vol. 20, n? 3, 1955, 431, 436-437. On verra plus loin que les conditionnements des structures sociales renforcent ou contrarient les dispositions personnelles et que ce sont de ces harmonies ou de ces contradictions que découlent les sentiments d'enthousiasme, d'apathie ou de révolte à l'endroit des formes de participation politique disponibles. 340 J.C. SCOTT Jr., ? Membership and Participation in Voluntary Association ?, American Sociological Review, vol. 22, n? 3, 1957, 315-326 ; René RÉMOND, ? Participation électorale et participation organisée ?, dans Georges VEDEL et coll., la Dépolitisation : mythe ou réalité ? Armand Colin, Paris, 1962, 80-84 ; Stein ROKKAN, ? Introduction ? au numéro spécial sur la participation à la vie politique, Revue internationale des Sciences sociales, vol. 12, n? 1, 1960. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 422 et les caractéristiques des individus qui se fixent sur un territoire donné, de même que la nature de l'habitat, le degré de concentration de la population, les caractères et la densité des organisations sociales ; en même temps, ces facteurs conditionnent jusqu'à un certain point la nature, l'étendue et la distribution des appartenances parmi les citoyens. La grande ville comporte un éventail plus étendu d'associations volontaires que la petite ville et celle-ci, que le village. Toutefois, dans les grandes villes les associations se disputent le temps des individus avec d'autres types d'activités. En outre, le taux d'appartenance est plus élevé au centre des villes qu'à la périphérie. Les écarts ne sont attribuables qu'en partie seulement à des différences dans les caractéristiques démographiques. Ils s'expliquent tout autant par le fait que les principaux leviers de commande (centres de décision politique, direction de la vie économique, sociale et culturelle, etc.) sont tenus par des résidents du centre-ville. Par ailleurs le sens communautaire est davantage en éveil dans les petites villes, d'où une incitation plus forte à participer dans celles-ci que dans les grandes villes. Il résulte de ces influences contradictoires que le pourcentage de participation s'élève à mesure que la population décroît, jusqu'à un certain seuil. Ce dernier franchi, le pourcentage de participation diminue de nouveau par suite, probablement, d'une carence d'associations. Parmi les ruraux, les paysans participent moins que les villageois (tableau n? 20). TABLEAU N? 20 Appartenances aux associations volontaires en fonction de l'importance de l'agglomération Retour à la table des matières Agglomérations Au-De 50 à De 10 à De 2.5 à Rurale Rurale Appartenances dessus 249 49 9 non agricole de 250 agricole % % % % % % Aucune 53 47 40 32 44 42 Une 27 33 33 34 26 34 Deux ou plus 20 20 27 34 30 24 Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 423 Source : American Institute of Public Opinion Survey (1954), dans Murray HAUSKNECHT, The Joiners, The Bedminster Press, New York, 1962, 26. La participation varie aussi selon les régions. Pour des raisons diverses, liées jusqu'à un certain point au climat, aux ressources et à la distance, et généralement associées à des facteurs socio-politiques, certaines régions d'un pays sont plus 341propices à la participation de leurs habitants que d'autres régions . b) Palier démographique. - Les principales variables au palier démographique sont le sexe, l'âge et l'ethnicité ou la race. 341 Robert E. LANE, Political Life, 256-274 ; Charles R. WRIGHT et Herbert HYMAN, ? Voluntary, Associations Membership of American Adults : Evidence from National Sample Surveys ?, American Sociological Review, vol. 23, n? 2, 1958, 284-294 ; Basil G. ZIMMER et Amos H. HAWLEY, ? The Signifiance of Membership in Associations ?, American Journal of Sociology, vol. 65, n? 2, 1959, 196-201 ; E. L. McDILL. et J. C. RIDLEY, ? Status, Anomia, Political Alienation and Political Participation ?, American Journal of Sociology, vol. 68, n? 2, 1962, 205-213 ; Morris ALEXROD, ? Urban Structure and Social Participation ?, American Sociological Review, vol. 21, n? 1, 1956, 13-18. J. R. SEELEY et coll., Crestwood Heights, University of Toronto Press, 1956 ; S. D. CLARK, editor, Urbanism and the Changing Canadian Society, University of Toronto Press, 1961. M. B. SUSMAN, editor, Community Structure and Analysis, T. Crowell, New York, 1959 ; Ruth C. YOUNG et Olaf F. LARSON, ? A New Approach to Community Structure ?, American Sociological Review, vol. 30, n? 4, 1965, 926-934 ; Lester W. MILBRATH, Political Participation, 128 ; Robert E. AGGER et Vincent OSTROM, ? Political Participation in a Small Community ?, dans Heinz EULAU, editor, Political Behavior, The Free Press, Glencoe, 138-148 ; W. BELL et H. T. FORCF. ? Urban Neighbourhood Types and Participation in Formal Associations ?, American Sociological Review, vol. 21, 1956, 25-34. Pour des présentations d'ensemble de la littérature récente, voir John WALTON, ? Substance and Artifact : The Current Status of Research on Community Power Structure ?, American Journal of Sociology, vol. 72, 1966, 430-438 ; Dillys M. HILL, Participating in Local Affairs, Penguin, London, 1970 ; Gerald THIELBAR, ? Localism- Cosmopolitanism : Prolegomena to a Theory of Social Participation ?, The Sociological Quarterly, vol. 11, n? 2, 1970, 243-254. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 424 Pour l'ensemble des activités politiques, les enquêtes indiquent de façon indiscutable que les femmes ont une participation moindre que les hommes. Les différences sont assez tranchées en ce qui concerne l'appartenance aux associations volontaires. Dans leur étude de cinq pays, Almond et Verba ont trouvé que les femmes appartiennent en moins grand nombre que les hommes aux associations volontaires (tableau n? 21). TABLEAU N? 21 Répondants membres d'associations volontaires selon les sexes (pour cinq pays) Retour à la table des matières Ensemble de Hommes Femmes la population Pays % % % États-Unis 57 68 47 Grande-Bretagne 47 66 30 Allemagne 44 66 24 Italie 30 41 19 Mexique 24 43 15 Source : Gabriel A. ALMOND et Sidney VERBA, op. cit., 303. Selon les résultats d'un sondage américain, 75 pour cent des hommes et seulement 56 pour cent des femmes sont membres d'associations et, parmi ces personnes, les hommes ont 2.1 appartenances en moyenne comparativement à 1.4 pour les femmes. D'autres études aboutissent à des données équivalentes. Toutefois, dans certains cas, on n'a trouvé aucune différence appréciable dans le comportement des deux sexes en ce qui concerne l'appartenance aux associations volontaires. Les écarts dans les résultats viennent surtout du niveau (local, 342régional, national) de l'étude et des catégories choisies . 342 J. C. SCOTT Jr., ? Membership and Participation in Voluntary Associations ?, American Sociological Review, vol. 22, 1957, 315-326. Dans Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 425 Pour ce qui est de la vie politique proprement dite, des différences entre les sexes sont très nettes. Almond et Verba ont trouvé que les hommes discutent davantage de politique que les femmes, qu'ils sont politiquement mieux informés, qu'ils ressentent davantage l'obligation de participer et qu'ils se sentent généralement plus compétents - et cela à tous les niveaux d'instruction. Dans un rapport général rédigé par Maurice Duverger, qui constitue la synthèse de quatre rapports nationaux (République fédérale allemande, France, Norvège, Yougoslavie) et qui s'appuie en outre sur un sondage spécialement effectué par l'Institut français d'opinion publique en juin 1953, on trouve un exposé à peu près complet de la situation. Si les femmes ont tendance à moins voter que les hommes, c'est surtout dans la proportion de femmes qui se portent candidates aux élections, qui sont députés ou qui font partie du gouvernement que la différence est prononcée. Maurice Duverger présente la situation sous la forme d'un tableau (tableau n? 22). le même sens, voir R. S. LYND et H. M. LYND, Middletown et Middletown in Transition, Harcourt, New York, 1929, 1937 ; W. Lloyd WARNER et Paul S. LUNT, The Social Life of a Modern Community, Yale University Press, New Haven, 1941 ; W. G. MATHER, ? Income and Social Participation ?, American Sociological Review, vol. 6, 1941, 380-384 ; d'autres études toutefois montrent peu de différences dans la participation des sexes en ce qui concerne les associations volontaires. Ainsi F. A. BUSHEE, ? Social Organization in a Small City ?, American Journal of Sociology, vol. 51, 1945, 217-225 ; W. G. MATHER, ? Income and Social Participation ?, American Sociological Review, vol. 6, 1941 ; Alfred HERO, ? Voluntary Organizations in World Affairs. Communications ?, World Peace Foundation, 1958, Minéo, 50-51. Dans son étude de deux sondages nationaux, l'un de l'American Institute of Public Opinion (1955) et l'autre du National Opinion Research Center (1954), Murray HAUSKNECHT n'a relevé aucune différence appréciable dans les taux de participation des hommes et des femmes. Dans The Joiners, The Bedminster Press, New York, 1962, 31-46. Voir aussi Lester W. MILBRATH, Political Participation, 135 ; Robert E. AGGER et coll., The Rulers and the Ruled : Political Power and Impotence in American Communities, John Wiley, New York, 1964. Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 426 TABLEAU N? 22 Hommes et femmes dans divers rôles politiques Retour à la table des matières Source : Maurice DUVERGER, La participation des femmes à la vie politique, Unesco, Paris, 1954, 126. Pour tous ces rôles, on trouve des proportions analogues entre hommes et femmes dans tous les pays, notamment aux États-Unis, en Grande-Bretagne et au Canada. Les sondages révèlent en outre que les femmes se disent plus souvent que les hommes dans l'ignorance des événements et des enjeux politiques à tous les plans, local, national et international. Elles discutent moins d'affaires publiques et elles manifestent moins d'intérêt aux événements et à la politique que les hommes. Dans les affaires publiques, les femmes recherchent un avis auprès des hommes (le mari pour la femme mariée, le père pour la célibataire) tandis que les hommes recherchent de préférence l'avis d'un autre homme (le père, un ami, un 343notable) . Par ailleurs, les associations féminines se restreignent à certaines 343 Elihu KATZ et Paul F. LAZARSFELD, Personal influence. The Part Played by People in the Flow of Mass Communications, The Frce Press of Glencoe, Illinois, 1955. Cette étude basée sur des entrevues de 800 femmes à Decatur, Illinois, montre que, à l'inverse, dans les questions qui touchent à la mode et aux biens de consommation les femmes sont plus influentes que les hommes. Dans les questions reliées aux affaires publiques, plus des deux tiers Léon Dion, Société et politique. Tome II : Dynamique de la société libérale (1972) 427 questions d'intérêt particulier et il semble qu'elles professent un exclusivisme ethnique, religieux et socio-économique prononcé. Ainsi dans une étude menée à New Haven, on a trouvé que 90 pour cent des associations féminines recrutaient leurs membres au sein d'un seul groupe ethnique et que 73 pour cent avaient des membres qui n'appartenaient qu'à une seule confession religieuse (protestante, catholique ou juive), inclusion faite des associations dont les activités n'avaient 344rien à voir avec la religion . Comment rendre compte de l'écart considérable de participation entre hommes et femmes ? Il ne semble pas qu'on puisse l'expliquer par des différences 345inhérentes au sexe encore que des convictions tenaces, héritées de la socialisation ou liées à la vie professionnelle, paraissent indiquer que les préjugés envers le sexe dit faible existent toujours. Ainsi, le rapport de Maurice Duverger sur la participation politique des femmes montre que hommes et femmes sont bien plus enclins à croire que certaines activités ne conviennent pas aux femmes que ce n'est le cas pour les hommes (tableau n? 23). Il semble en outre que les femmes sont bien plus libres que les hommes de ne pas prendre part à certaines activités publiques, en ce sens qu'elles souffrent moins que les hommes dans leur propre estime de leur non-participation et que celle-ci est moins susceptible de leur porter préjudice dans leur vie personnelle et 346professionnelle que ce n
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